Les établissements du Maine-et-Loire

L'asile de Sainte-Gemmes, ouvert en 1844, est devenu le Cesame (Centre de santé mentale angevin) établissement assurant les missions de service public de psychiatrie pour le département.

Avant la création de cet asile, les aliénés étaient accueillis en divers lieux :
le très singulier hospice de la Providence de Saumur et ses caves creusées dans le rocher, le Château de cette même ville, celui d'Angers, la Maison des Pénitentes, l'Hôtel-Dieu et l'hospice civil d'Angers, l'asile privé des incurables de Baugé.


L'hospice de la Providence de Saumur vers 1838

«Saumur.
L'établissement le plus singulier qui existe en France et même en Europe est, sans contredit, l'hospice de la Providence de Saumur, destiné à recevoir des vieillards, des enfants, des épileptiques, des aliénés, etc.
Cet hospice est situé à l'est de la ville de Saumur, à l'extrémité du faubourg de Fénet, séparé de la Loire par la grande route. Il est bâti au pied et sur les flancs d'un coteau qui a 50 mètres de hauteur, qui longe la Loire et qui circonscrit la ville au nord. Les habitations de cet hospice se divisent en deux sections bien distinctes :
1° les bâtiments servant autrefois de maison aux Pères de l'Oratoire;
2° les caves.

L'ancienne maison des pères de l'Oratoire, bâtie au pied du coteau, forme un carré sur les trois côtés duquel s'élèvent de beaux bâtiments à trois étages. Là sont réunis les services généraux, les dortoirs, les salles communes, les infirmeries pour les vieillards et les infirmes, l'habitation des sœurs et la chapelle. On y a ménagé six chambres pour des aliénés qui payent une forte pension. Il existe un vaste jardin à l'est de ce bâtiment; après avoir traversé ce jardin, on arrive à un large escalier creusé dans le roc sur la pente du coteau.
Cet escalier se termine par une rampe taillée sur les flancs du rocher; cette rampe est de 3 à 4 mètres de largeur et 100 mètres environ de longueur, elle est bornée au nord par une rangée de hêtres, au sud par le rocher taillé à pic; dans toute son étendue, d'où l'on jouit d'une vue magnifique et très-variée, on a creusé dans le roc un grand nombre de petites cellules ou loges plus ou moins profondes fermées par des portes pleines ou à claires-voies.
Quelques-unes de ces loges sont assezprofondes pour recevoir plusieurs lits, dont la couchette n'est quelquefois que la roche elle-même. dans ces cellules habitent des maniaques, des aliénés paisibles, et quelques vieillards pensionnaires.
A droite de l'escalier, on trouve une cour de laquelle on se rend aux caves. Au fond et à gauche de cette cour, fermée par une muraille, est une cave creusée dans le rocher, large de 8 mètres, longue de 80 et haute de 5. A l'entrée, on voit un vestibule avec une grande cheminée également taillés dans le roc, où les femmes qui habitent la cave s'occupent à broyer le chanvre ou à tricoter; à côté, on a creusé une chambre pour la religieuse chargée de la surveillance. Au milieu de cette cave, on a fait un soupirail circulaire qui perce la roche et prend le jour au milieu du bois qui couronne le coteau. Ce soupirail était fermé en hiver par une natte de paille qu'on soulève une ou deux fois par jour pour renouveler l'air: on l'enlève pendant l'été.


Depuis ma première visite, ce soupirail a été couvert par une lanterne. On rencontre aussi, au milieu de cette cave, un puits peu profond qui communique dans une cave inférieure à celle que je viens de décrire. Cette cave est meublée de trois rangs de lits occupés par plus de soixante femmes imbéciles, en démence, épileptiques ou paralytiques.

A côté de cette première cave s'en trouvent plusieurs autres plus petites, où demeurent des folles et des épileptiques qui ont besoin d'être plus isolées.
A droite encore, on a creusé une seconde grande cave plus profonde: des décombres, on a construit deux petits pavillons ayant chacun quatre à cinq cellules et une petite cour soutenue par un mur incliné d'une grande épaisseur dont la base repose sur le roc, et dont le faîte est surmonté d'une claire-voie. Il existe enfin encore une troisième cave semblable aux précédentes. Au premier aspect, on serait tenté de croire que de pareilles demeures sont malsaines; cependant ces cellules et ces caves sont parfaitement sèches.
Quoique recevant peu de lumière, et quoique l'air y soit peu renouvelé, les maladies graves sont rares dans cet hospice. La mortalité n'y est pas plus considérable qu'ailleurs. L'air vif qu'on y respire dans ce lieu, le spectacle d'une belle campagne arrosée par la Loire, l'abri et la fraîcheur que procurent les arbres qui ombragent ce coteau, le bon régime, la grande propreté concourent à rendre salubres ces pittoresques habitations. Deux fois la semaine les malades changent de linge, les draps sont renouvelés tous les mois; on donne des aliments gras deux jours la semaine. Un médecin visite l'établissement, des religieuses le dirigent, l'administration des hôpitaux de Saumur le surveille. Le docteur Gaulay est chargé du service médical, et s'en acquitte avec autant de savoir que de zèle.

Il y a habituellement 300 habitants dans la maison de la Providence; sur ce nombre 70 à 80 aliénés des deux sexes; plusieurs sont pensionnaires et étrangers au département. les prix de pension varient de 200 à 300, 500 francs et plus.

En entrant dans ces demeures tristes et sombres, on est saisi d'une odeur pénétrante, c'est celle du chanvre. les paillasses et les couchettes des malades qui déchirent et qui salissent sont garnis avec les tiges du chanvre. cette literie, ce séjour dans des creux de rocher qui paraissent si singuliers aux étrangers, ne le sont point dans un pays où les habitants font usage des tiges de chanvre pour leur couchette, et où les vignerons ont creusé, sur les flancs du coteau qui borde la Loire, des habitations qui n'entraînent aucun inconvénient pour leur santé.»

Esquirol, Des Maladies Mentales..., Tome second, 1838


Les établissements d'Angers vers 1838

« Angers

Les autres aliénés du département de Maine-et-Loire sont reçus à Angers dans plusieurs établissements: au Château, à la Maison des Pénitentes, à l'hospice où ils ne peuvent être admis qu'avec un certificat d'incurabilité, à l'Hôtel-Dieu, où il y a cinq cellules et un cabinet de bain avec un appareil à douche pour le traitement de ces malades.

En 1835, les aliénés renfermés dans le château de Saumur, ont été transférés dans le bel établissement de Nantes. Plusieurs honorables habitants d'Angers, parmi lesquels trois médecins, ont formé le projet de fonder un établissement d'aliénés dans un ancien couvent.

Il est certain que ce département, plus que tout autre, réunissant un grand nombre d'aliénés, soit à Saumur, soit à Angers, soit à Baugé, semble réclamer une institution spéciale pour les aliénés, à moins qu'on ne préfère, par économie, envoyer ces malheureux à Nantes et au Mans, qui ont de beaux et de bons établissements. »

Esquirol, Des Maladies Mentales..., Tome second, 1838


Les aliénés à l'hospice civil d'Angers en 1831


«La Commission Administrative des hospices d'Angers
A Monsieur Joubert Bonnaire, Maire de la Ville d'Angers

Angers, le 26 août 1831

Monsieur le Maire,
Par votre lettre du 18 de ce mois, vous nous avez transmis la copie d'une note qu'un inconnu, se disant voyageur, a déposée l'année dernière dans les bureaux du ministère de l'Intérieur. Cette note contient des observations fort justes sur l'insuffisance du traitement que subissent les aliénés à notre hospice civil, et sur l'exiguité du local destiné à les recevoir. Mais elle ne nous a rien appris de nouveau, attendu que depuis plus de 20 années nous ne cessons d'adresser des observations semblables soit à M. le Préfet, soit au conseil général du département, pour que l'on mette enfin à exécution le projet de créer un établissement spécial qui réunirait toutes les conditions nécessaires pour traiter avec succès les personnes atteintes d'aliénation mentale.

Nous regrettons que l'auteur de la note en question n'ait pas jugé à propos de s'adresser d'abord directement à nous. Nous nous serions empressés de lui fournir tous les renseignemens qu'il aurait pu desirer, et ces renseignemens eussent été sans doute suffisans pour lui démontrer qu'il ni (sic) a ni ignorance, ni faux sistème de la part de ceux qui dirigent l'hospice civil, mais seulement impossibilité absolue, en raison du local, de donner une meilleure direction au traitement des aliénés et de placer ces malheureux dans des loges plus convenables. Nous ne pouvons mieux faire ici, Monsieur le Maire, que de transcrire la partie de notre Compte Moral de l'année 1829, relative aux foux des deux sexes reçus à notre hôpital.
Nous vous serions reconnaissant de remettre cet extrait sous les yeux de l'Autorité supérieure qui, comme nous, sent la nécessité de faire cesser un état de choses dont l'humanité ne peut que gémir.

Extrait du compte moral de l'année 1829
Le traitement des aliénés des deux sexes admis, chaque année, à l'hospice civil, consiste, surtout dans le principe, dans des évacuations sanguines, des bains assez ordinairement chaux (sic), des douches froides ou chaudes et quelques médicamens qu'indiquent les symptomes qui compliquent souvent les différentes espèces d'aliénations mentales. D'ailleurs, ils sont traités avec toute la douceur que leur état peut permettre, et on ne saurait trop se louer des soins empressés que leur prodiguent les Soeurs hospitalières auxquelles est confié cet emploi qui n'est pas sans danger.

Mais l'administration doit en convenir, il s'en faut que ce traitement médical et cette louable sollicitude soient suffisant pour rappeler à la raison les malheureus qui en sont privés. Il faudrait pouvoir joindre à ce que prescrit la médecine, et a des soins tous matériels, le traitement moral qui a été conseillé et employé avec tant de succès par divers médecins célèbres des hôpitaux de Paris, notamment par M. Pinel et M. Esquirol, traitement impraticable à l'hôpital civil où manque l'essentiel, le local.

Les loges, salle de bains et chambres consacrées aux foux et folles, par elles-mêmes peu convenables à leur destination, sont rapprochées les unes des autres, donnent toutes sur une petite cour froide et humide, et n'ont ni préau, ni jardin ou puissent se promener les malades.

Il résulte de cette position, qu'on n'a pu rendre meilleure à défaut d'emplacement lorsqu'on a ouvert à cet hôpital un asile aux infortunés dont il s'agit, que les malades se nuisent réciproquement, que les plus furieux troublent à chaque instant par leurs cris le repos de ceux auxquels on est parvenu à rendre quelque tranquilité, et qu'enfin ces derniers qui pendant l'intervalle où ils sont lieux, n'ont d'autre espace pour respirer l'air pur qui leur est nécessaire, que la grande cour commune à tous les convalescens de la Maison, sont en bute, malgré la plus active surveillance, aux plaisanteries des autres malades qui s'amusent à les faire causer, rient de leurs idées et finissent par exalter leur imagination au point souvent d'occasionner une rechute et de redonner à leur maladie toute la force qu'elle avait au moment de leur entrée à l'hôpital.

Aussi malgré l'habileté incontestable des médecins en chef des hospices, l'administration a-t-elle la douleur de voir qu'on n'obtient que très peu de guérisons véritables, et que la plupart des aliénés admis chaque année à l'hôpital civil, sont destinés à aller grossir, comme incurables, le nombre des malheureux de leur classe, qui peuplent les autres maisons hospitalières où elle ne se dissimule pas, ainsi qu'elle a eu occasion de le signaler dans ses comptes précédens, que leur sort n'est point meilleur sous le rapport du local, puisque partout cette ressource précieuse ne répond nullement à ce qu'exigerait cette triste infirmité.
Puissent ces considérations, connues de l'autorité supérieure, qui n'est pas sans en gémir, hâter l'ouverture de l'établissement spécial projeté pour les aliénés du département. &c.

Nous avons l'honneur d'être avec une respectueuse considération, Monsieur le Maire, Vos très humbles et très obéissans serviteurs
(Signé:) Appert, Brichet, Bourcier et Dainville»


Michel Caire, 2007
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