Incendie de l'asile de Nice
Du
vaste établissement de Saint-Pons il ne reste que les quatre murs.
Le principal corps du bâtiment est détruit des caves au faîte.
C'est vers trois heures du matin, pense-t-on, que le feu s'est déclaré
dans une des dépendances de la cuisine, située au rez-de-chaussée
de l'hospice, sous le quartier des hommes; mais ce n'est que vers quatre
heures seulement que l'alarme a été donnée par un aliéné.
On crut d'abors à un accès de folie de sa part; il fallut bientôt
se rendre à l'évidence; des langues de feu pénétraient
à travers tous les interstices et la fumée était
tellement épaisse qu'il était impossible de respirer.
On put néanmoins détacher les fous furieux et mettre en
liberté les autres. Ce premier sauve-qui-peut causa un tumulte
effroyable : cris de terreur, vociférations, éclats de rire,
plaintes, gémissements se confondaient au milieu d'une course désordonnée
de gens presque nus et dont la plupart cherchaient inutilement une issue.
Le grand escalier, situé au centre du bâtiment, était envahi par les flammes!
On parvint à faire évacuer les malades par un petit escalier
de service en bois. Quelques instants après, cet escalier, rongé
par les flammes s'écroulait avec plusieurs planchers du premier
étage, entraîant avec eux les lits et les autres meubles,
qui venaient donner un nouvel aliment à l'incendie. Pendant ce
temps un certain nombre de fous s'enfuyaient dans la campagne.
Un pauvre aliéné, affirme-t-on, homme jadis doué
de hautes capacités, n'avait pas voulu suivre les autres malades;
il s'était cramponné intérieurement à la grille
d'une fenêtre du second étage. Il fallait le sauver! on applique
une échelle le long du mur, trois pompiers s'élancent :
on descelle une partie de la grille et l'on fait passer une crode, en
l'engageant à s'y accrocher. Peine inutile! Il était comme
soudé aux barreaux de fer et se contenatit de gémir sans
paraître avoir conscience de sa dangereuse situation. L'arracher
de là, impossible! d'ailleurs, les flammes s'élevaient par
les fenêtres de l'étage inférieur et commençaient
à brûler le sommet de l'échelle sur laquelle se tenaient
les trois pompiers. Afin d'éviter un plus grave malheur, on se
vit obliger de leur donner l'ordre de descendre.
Le malheureux insensé, toujours gémissant, toujours cramponné,
commençait à être enveloppé par le feu qui
avait dévoré une partie du plancher. Tout à coup,
un craquement horrible se fait entendre; à ce craquement répond
un cri d'horreur et d'épouvante, poussé par tous les assistants
de ce drame sinistre. C'est le reste du plancher qui vient de s'effondrer,
entraînant avec lui l'infortuné malade déjà à demi consumé.
On a la mort de deux autres malades à déplorer, celle d'un
homme et celle d'une femme, qui ont été brûlés dans leur lit.
Les secours envoyés à la hâte de Nice sont arrivés
un peu tard et, de plus, l'eau manquait, si bien que malgré leur
zèle les pompiers n'ont pu rien sauvé de l'établissement.
L'un d'eux a été blessé au genou, un autre a eu la
main droite cruellement mordue par un fou qu'il voulait arracher au feu.
Journal de Nice, 5 avril 1875
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