Roger Michelou, directeur de Maison-Blanche
et la « 18ème section »

Roger (Gabriel Marie) MICHELOU
Neuvic (Corrèze) 26 septembre 1913 / Saint-Maurice (Val-de-Marne) 20 septembre 1977

Roger Michelou a commencé sa carrière dans la fonction publique au ministère du Commerce en 1936 puis au cabinet du ministre des Travaux publics de 1937 à 1938, et jusqu'en 1945 Secrétaire de direction receveur de la Maison Maternelle nationale de Saint-Maurice.

De juin 1942 à septembre 1944, Michelou sert dans les Forces Françaises Combattantes comme agent P2, ce qui lui vaudra la Médaille de la Résistance, la Croix de Guerre avec Palme et la croix de Chevalier de la Légion d'honneur.

En 1945, il est nommé receveur de l'asile du Vésinet et cinq ans plus tard, le 1er juin 1950, directeur administratif de l'hôpital psychiatrique départemental du Jura, à Saint-Ylie.

Le 1er juin 1955, il prend ses fonctions à l'hôpital psychiatrique de Maison-Blanche, l'un des établissements du département de la Seine, situé à Neuilly-sur-Marne.

Frappé par plusieurs accidents vasculaires en 1972 et 1973, il devra être suppléé à partir de septembre 1974 par son futur successeur, M. Bernard Buttin. Dans l'exercice de ses fonctions dans notre établissement, « il sut être un directeur efficace et toujours courtois » [Commission Médicale Consultative, 10 octobre 1977].

La note que nous reproduisons ci-dessous a été rédigée en avril 1972, en un temps où l'hôpital réunissait dix-sept secteurs de psychiatrie de Paris, et disx-sept sections d'hospitalisation installées à Neuilly-sur-Marne. Mais qu'est donc alors cette fameuse 18ème section, telle que dénommée par le docteur Victor Bertrand, médecin-chef de la 5ème section de Maison-Blanche ?


NOTE
pour Mesdames et Messieurs les Médecins-Chefs

M. Michelou, Directeur, 27 avril 1972

« Ainsi que j’ai eu l’occasion à maintes reprises et notamment lors des Commissions Médicales Consultatives de le signaler, il est absolument scandaleux de constater ce qui peut se passer à l’intérieur et même à l’extérieur de l’Hôpital.

Je n'ignore pas que nous traitons ici des malades mentaux, mais, sans aller jusqu'à demander à la psychiatrie dite "moderne", de régresser, une certaine remise en ordre s'impose pour éviter les incidents et accidents de toutes natures qui se sont déjà produits et ne manqueront pas de se renouveler.

La liberté est une excellente chose et je me suis battu et suis toujours prêt à me battre en son nom.

Il ne faut cependant pas confondre "liberté" et "licence".

Chaque jour, il m'est donné d'assister à la porte de l'Etablissement à des scènes dont, je suis sûr, vous n'avez pas lieu comme moi d'être fiers.

Excellent le système des pavillons à portes ouvertes ! mais pas pour tout le monde !

Quand les familles nous confient leurs malades, c'est pour les soigner et les surveiller au besoin et certainement pas pour les rendre plus pervers.

Comment ose-t-on laisser divaguer de pauvres épaves en pleine "désorientation temporo-spatiale" par tous les temps avec pour toute vêture une malheureuse chemise et des espadrilles ?

Comment ose-t-on laisser en pleine cour d'honneur au vu et au su de tout le monde des malades hommes violenter ou presque des malades femmes ?

Est-il tolérable de laisser dans le parc ou dans des locaux actuellement inaffectés (ancienne crêche, par exemple) s'instaurer de véritables bacchanales entre malades des deux sexes ?

Peut-on admettre que des proxénètes viennent en voiture jusqu'à la porte de l'Hôpital pour entraîner dans des "maisons clandestines" des environ des malheureuses volontaires ou no, se livrer à une vaste prostitution avec une clientèle de déracinés de diverses nationalités, et traînant outre leur crasse physique et morale, de nombreuses maladies sinon toujours vénériennes, mais très souvent contagieuses ?

Peut-on aussi, et au nom de quels principes laisser impunis de nombreux cambriolages avec effraction ?

Si les besoins du sexe doivent être satisfaits dans l'intérêt même des malades ou par mesure thérapeutique, pourquoi ne pas en informer loyalement les familles, plutôt que de laisser s'instaurer ces "parties" !

Je serais même, éventuellement tout prêt à laisser à la disposition de ceux qui devraient médicalement en bénéficier, des locaux spécialement affectés à cet usage ou à instaurer si besoin en était ce qui existe dans certains corps de troupe, des "B.M.C.".

On mettrait ainsi un terme à une hypocrisie qui semble actuellement bien rétrograde.

Enfin, faut-il admettre le ravitaillement de nos pensionnaires à travers les grilles, en alcools et drogues divers, sans avoir à notre disposition une équipe de surveillance "ad hoc" ?

Les faits énumérés dans la présente note ne sont pas entièrement dus à la mixité récente des services.

Mon rapport du 15 juillet 1970 à Monsieur le Préfet de Paris n'a eu hélas, guère de répercussion sur la tenue générale de l'Hôpital, et je ne puis, qu'en le déplorant, demander à chacun, dans tous les domaines une vigilance accrue dans l'intérêt des malades en particulier et du personnel en général.

J'ose espérer avoir bien situé les responsabilités, en prévision d'un "coup dur" éventuel, auquel, je le souhaite de tout cœur, nous aurons la chance d'échapper.

Le Directeur. »


La note de Michelou, transmis à tous les médecins-chefs de l'hôpital, a été publiée dans la revue Tankonala Santé en avril 1973, sous le titre L'opinion d'un directeur d'asile.

Présenté ironiquement comme un chef-d'œuvre, le texte serait, selon le rédacteur du journal, « resté prisonnier des murs de l'Asile. Aucune diffusion, même à l'intérieur des services : aucune réaction, bien entendu. ». Et l'auteur poursuit, non sans quelque exagération : « les médecins concernés sont ouvertement traités d'incapables et d'inconscients, on ne leur demande que de se renier, de se reconvertir en gardes-chiourmes de première classe. Devant une telle "demande", on peut admirer la sérénité et le silence de ces médecins-chefs. »

« Etant donné le ton "amusant" du texte et la personnalité localement bien connue du directeur, on a peut-être pensé qu'il ne fallait pas prendre tout cela au sérieux... Et pourtant, maintenant, un mur d'enceinte se construit autour de l'hôpital (avec tessons de bouteilles s.v.p.) pour protéger nos petits pensionnaires et nos chères familles. Une garnde manœuvre "Portes fermées" est bien engagée (nombre de avillons ne le sont guère qu'avec la clé de l'infirmière). Tout cla n'est évidemment que coïncidence... »

Ce qui, au fond, laisserait à penser que les médecins-chefs de l'établissement ont accepté de se renier, de se reconvertir en gardes-chiourmes ? Qui sont-ils donc ?

En voici la liste en 1972, dans l'ordre des 17 sections :
Roger Flambard à la « 1ère section », Henri Cénac-Thaly à la « 3ème », Pierre Delteil à la « 4ème », Michel Schweich à la « 5ème », Jacques Postel à la « 7ème », Hélène Chaigneau à la « 8ème », Étienne Trillat à la « 9ème », Hubert Mignot à la « 10 ème », Denise Saucet à la « 11ème », Maurice Parienté à la « 12ème », Victor Bertrand à la « 13ème », Pierre Schmidt à la « 14ème » et Pierre Noël à la « 15ème ».
[deux des 15 services de psychiatrie générale sont alors dirigés par des intérimaires, et les médecins-chefs des deux services de psychiatrie infantile ne prendront leurs fonctions que le 1er septembre 1972 pour Yves Racine, en juillet 1973 pour René Bérouti].

Est-il nécessaire de dire qu'ils étaient loin de la caricature qui est faite dans la revue précitée, ce dont nous pouvons témoigner, en ayant connu personnellement la plupart ?

Quelques mois après la note de notre directeur la C.M.C., dans sa séance du 18 septembre 1972, se saisit du projet de « Construction d'une enceinte autour de l'hôpital », et M. Michelou fait part de ses réflexions aux membres du Corps Médical, qui conduira à prendre quelques mesures protectrices pour les personnes hospitalisées.

Ce qui naturellement n'a pas règlé tous les problèmes : sous le titre de « La 18ème section », le docteur Victor Bertrand relève dans son Rapport d'activité pour 1974 :
« Il existe aussi dans l'ensemble de Maison-Blanche des problèmes d'ordre général. Si celui-ci comprend 17 sections, on peut dire qu'il en existe une 18ème, celle de tous les extérieurs échappant dans une large mesure à notre contrôle, où l'alcoolisme, la mendicité, le vol, la violence, la prostitution, risquent de se développer. Il ne faudrait pas certes pousser le tableau trop au noir, sans pour autant scotomiser cette situation qui appelle une attention soutenue et une collaboration confiante entre la Direction, chargée en principe de la police intérieure, et les médecins. Une société sans lois serait aussi dégradante pour nos malades que l'ancien univers asilaire carcéral. »

Ni incapable ou inconscient, ni garde-chiourme réactionnaire, ni irresponsable, ni même soumis à l'autorité supérieure donc.


Michel Caire, 2022-2023
© Les textes & images publiés sur ce site sont librement téléchargeables pour une consultation à usage privé. Toute autre utilisation nécessite l'autorisation de l'auteur.