L'hospice de Tarbes (Hautes-Pyrénées) en 1837

Le rapport de l'inspecteur général Guillaume Ferrus présenté ci-dessous décrit la triste situation des aliénés des Hautes-Pyrénées en 1837 et propose de l'améliorer.

L'année suivante, lors de la mise en application de la loi du 30 juin 1838, la même solution que dans le département de la Seine sera retenue : une partie de l'hospice reste réservée aux aliénés, c'est-à-dire en quelque sorte l'asile dans l'hospice.

En 1842, le département ne possède toujours “aucun asile public ou privé d'aliénés, mais ce petit quartier annexé à l'hospice de Tarbes et servant de dépôt provisoire pour les aliénés admis aux frais du Département dans l'asile de Pau”.
Ces loges installées dans la première moitié du XIXème siècle étaient alors encore en instance d'être supprimées.

L'asile, puis hôpital psychiatrique, qui fait aujourd'hui partie des Hôpitaux de Lannemezan, n'ouvrira qu'en 1938, sur le modèle très novateur de l'asile village.

«... Ajoutons que l'exiguité du local destiné aujourd'hui aux aliénés rend souvent impossibles les admissions les plus nécessaires, augmente le nombre des aliénés vagabonds et met l'administration dans la triste nécessité d'enfermer quelques aliénés dans les prisons ou bien d'exiger leur placement dans des hospices éloignés... ».

Des admissions nécessaires mais impossibles faute de place, et de ce fait, une augmentation du nombre de sans abri et de malades enfermés dans les prisons! imaginerait-on pareille situation en 2010 en France... «mais les questions de finances sont complexes...»


Tarbes le 23 aout 1837
Monsieur le Ministre,

c'est par erreur que dans sa réponse à la Circulaire Ministérielle du 15 septembre 1833, M. le Préfet des hautes-Pyrénées indiquoit comme un établissement spécial la partie de l'hospice civil dans laquelle on a pratiqué quelques loges destinées à recevoir des aliénés. Cette erreur a été rectifiée par la réponse à votre circulaire du 25 juin 1836.

Dans les deux documents au reste, il est facile d'appercevoir que les malades aliénés ne reçoivent pas à Tarbes les secours que leur triste position exige; M. le Préfet actuel qui m'en a témoigné les plus vifs regrets, avoit déjà en 1833, proposé au Conseil général les améliorations que ce service réclame. Le Conseil général fut arrêté par la dépense à faire, et les choses en sont restées au point où je les trouve aujourd'hui. 12 loges doivent recevoir 17 malades et comme sur ce nombre il existe 10 femmes et 7 hommes, il en résulte que la plupart des premières sont couchées deux à deux dans une cellule. Là elles ont à la vérité deux lits séparés; mais cette forme d'association est toujours vicieuse; elle l'est peut être plus encore pour les femmes que pour les hommes; tandis qu'il est au contraire extrêmement utile de faire coucher autant que leur état le permet les aliénés indigents dans des dortoirs communs.
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D'autres vices de classement sont ici plus criant encore. Non seulement les malades ne sont pas séparés suivant qu'ils sont agités ou paisibles : épileptiques ou aliénés; curables ou incurables; mais les sexes mêmes sont pour ainsi dire confondus. Les hommes et les femmes occupent des loges voisines les unes des autres et ils n'ont pour promenoir qu'une pièce commune. Il s'en suit que tous les malades un peu agités et ceux qui par leur âge ou la nature de leurs infirmités ne sont pas, pour ainsi dire du même sexe doivent rester constamment enfermés. Un jeune homme auquel on ne peut refuser des chances de guérison est dans ce cas, c'est le sieur Lesquibant (Jacques) natif d'Ossun laboureur et je crois ex-séminariste. La nommée Lacoste, femme de 30 ans environ affligée d'une affection hystérique pour laquelle elle a été enfermée, tombe chaque jour dans un état de nymphomanie plus prononcée. Maintenant elle se roule sur son grabat poussant des rugissemens d'une louve et si elle apperçoit une (sic) homme elle jette ses vêtemens et provoque son approche avec fureur. Eh bien cette malheureuse est là toujours enfermée, privée de consolations, de distractions, de bains et de tout traitement médical. Elle entend la voix des hommes qui fréquentent le préau, qui couchent tous auprès d'elle, et peut être quelqu'un d'entre eux dans les longs intervalles, où ils ne sont pas surveillés vient-il par ses propos aggraver un mal déjà si affreux.

Il n'y a pas de gardiens spéciaux affectés à ce service. Les Sœurs de l'hospice s'en occupent je crois avec zèle et charité. mais elles ne peuvent pas être toujours présentes et d'ailleurs ici comme partout elles sont trop effrayées par l'état de nudité dans lequel les aliénés sont enclins à se mettre pour que leurs soins puissent suffire dans toutes les circonstances à cette classe de malades.

Ainsi donc, comme les rapports officiels l'annoncent, ou se laissent deviner, et comme je puis le vérifier en cet instant, les malades aliénés placés dans la maison de Tarbes manquent d'un traitement médical constant et régulier, de surveillance spéciale, d'un local où l'on puisse les traiter; et pourtant la section qui les renferme dépend d'un hospice bien dirigé, bien desservi, dans lequel il se fait des améliorations chaque jour et qui doit s'augmenter bientôt d'un local destiné à des malades syphillitiques ou galeux. Bien plus par arrêt du Conseil Général, cette acquisition n'a été faite qu'à la condition formelle imposée par ce conseil de loger les aliénés selon les sexes dans des locaux séparés.
Mais les questions de finances sont complexes, et relativement aux hospices les secours accordés à certaines classes de malades sont payés par les fonds de l'établissement, des communes ou du département; quant à celles qui concernent les aliénés, chacun malgré la dernière ordonnance à cet égard cherche encore à ne pas les supporter. Ajoutons que l'exiguité du local destiné aujourd'hui aux aliénés rend souvent impossibles les admissions les plus nécessaires, augmente le nombre des aliénés vagabonds et met l'administration dans la triste nécessité d'enfermer quelques aliénés dans les prisons ou bien d'exiger leur placement dans des hospices éloignés.

Dans cet état de choses et d'après le conseil d'un de mes collègues, M. le Préfet s'étoit décidé à faire transferer dans la maison du Bon Sauveur à Albi les femmes aliénées actuellement placées dans l'hospice de Tarbes. Cette mesure est sans doute la seule à prendre si l'on ne veut introduire aucune amélioration dans le service des aliénés de cet hospice; mais que deviendront les hommes? Leur position actuelle est j'en conviens moins déplorable que celle des femmes, car ils occupent 6 loges construites sous la direction d'un architecte habile et dans la création desquelles on a consulté les règles d'une hygienne éclairée. Mais il faudrait ajouter un dortoir et un chauffoir à ces loges, ainsi qu'un salle de bains; séparer ceux qui sont tranquilles et ceux qui sont agités; créer pour tous un service médical et cæetera. Il n'en couteroit guères plus, des lors, d'augmenter autant que l'étendue d'une partie des terrains le permet la section des aliénés et d'y introduire les changements dans le détail desquels je vais entrer. On éviteroit par ce moyen les frais et les embarras que cause le transport de ces malades. En outre le prix de pension à payer à l'établissement du bon sauveur, et qui ne laisse pas que d'être fort élevé pour le traitement des aliénés indigens, serait employé aux améliorations profitables aux malades et aux dépenses du département.

Après m'être rendu sur les lieux accompagné de M. Artigales Architecte du département délégué par M. le Préfet pour m'assister dans cette visite, nous sommes convenus des faits suivants dont je ne donnerai que l'exposition sommaire attendu qu'un projet provisoire a été séance tenante jetté sur le papier et que le dessin même imparfait instruit aux yeux bien plus rapidement que ne pourrait le faire une description prolixe.

Il faut pour créer dans l'hospice de Tarbes une section propre à recevoir des malades aliénés et à les soumettre à un traitement médical convenable
1° Séparer complétement les deux sexes et à cet effet je propose d’abandonner aux femmes les 6 loges anciennement construites et doublées par une galerie couverte ; une partie des loges où elles sont placées maintenant ; la galerie en planche qui est au dessous ; une plus grande partie du préau planté d’arbres qui reçoit aujourd’hui les deux sexes ; une partie des dortoirs placé au rez de chaussée (nord) de l’hospice et dont les vues donnent sur la cour des aliénés.

2° D’affecter au service des hommes une partie du préau actuel, une ou deux rangées d’arbres pour qu’ils puissent avoir tout de suite un abri contre l’ardeur du soleil, ainsi que la petite cour qui borde celle-ci à l’est et qui sert maintenant de promenoir aux enfans orphelins ; le local réservé actuellement comme salle des morts et l’extrémité (levant) du grand dortoir dont j’ai déjà parlé et qui en ce moment est occupé par quelques malades.

Dans la section des femmes, les loges bien construites seroient conservées, celles bâties sur le bord du canal et dont par plusieurs vices de construction l’insalubrité est notoire seraient converties en un lieu de réunion et de travail. Au point où ces deux espèces de loges se réunissent on établirait une salle de bains. Quant au dortoir qui reçoit des individus atteints d’affections diverses et dont je demande en faveur des aliénés, le sacrifice à l’administration de l’hospice.

La plus petite de ses divisions suffirait à loger les femmes paisibles, cette partie contient en ce moment 8 lits.
La nouvelle section des hommes aurait un avantage sur celle des femmes : leur préau pourrait être divisé en deux parties égales et les aliénés paisibles seraient séparés des turbulents même dans leurs promenoirs. Cette section à laquelle serait dévolue une plus grande partie du nouveau dortoir aurait beaucoup plus de malades couchés en dortoir que placés en loges ce qui est fort convenable et le deviendrait chaque jour davantage si l’on prend soin d’occuper à divers travaux les aliénés. Au nord les vues de ce dortoir seraient bornées par des persiennes a gousset afin d’empêcher toute communication avec les femmes. Son extrémité (levant) donnerait un réfectoire aux hommes travailleurs ou du moins aux hommes paisibles. Le petit local qui sert d’amphithéâtre, actuellement seroit transformé en une salle de bains pour les hommes et à la suite de ce bâtiment, en suivant les bords du canal, on éléverait les seules constructions que le projet rend nécessaires, c’est-à-dire quatre ou 5 loges pour les malades bruyans ou agités et un chauffoir qui serait ajouté à la suite de ces loges en retour sur le mur qui borne cette cour au couchant.

J’ai été assez heureux pour me rencontrer dans une partie de ces dispositions avec les vues inspirées à Messieurs les membres de la commission administrative de l’hospice par la misère dans laquelle sont plongés les aliénés. Ces Messieurs avaient le projet d’employer leurs premiers fonds disponibles à créer quelques loges pour les hommes dans la cour dont je demande l’adjonction au service des aliénés. Ils n’avaient point pensé à la vérité que le dortoir de l’hospice pourrait être englobé dans ces améliorations devenues indispensables. Mais le sacrifice de ce dortoir sera largement compensé, s’ils se décident à le faire
1° par la satisfaction d’avoir créé un service qui à vrai dire n’existe point dans l’état actuel des choses ;
2° par la possibilité de remplir l’engagement pris envers le conseil général de loger séparement les malades aliénés de chaque sexe ;
3° par les avantages pécuniaires que peuvent fournir à l’hospice le travail et même la pension des aliénés dont le nombre d’après ces nouvelles dispositions pourrait être porté à 40 environ.

L’exécution de ce projet ne répondra pas j’en conviens, aux besoins ni même à la plus grande partie des besoins d’une maison où doivent être traitées des maladies mentales. On attaquera avec raison l’exiguité du local, l’insuffisance des promenoirs, l’imperfection du classement, on fera remarquer que pour avoir enlevé un local important aux salles de l’hôpital, on n’a pas isolé le service des aliénés ; que les étages supérieurs n’en conservent pas moins des vues sur ce service et que leur voisinage restera incommode pour les deux classes de malades. Je reconnais l’exactitude et la force de toutes ces observations. Je pense qu’elles détermineront plus tard, et cela dans un intérêt commun le conseil général du département, la ville de Tarbes, et la commission administrative de l’hospice à créer dans les vastes jardins de cet hospice un asile spécial pour le traitement de la folie. La disposition favorable de ces terrains, la salubrité du lieu, les besoins du département et plus encore peut être ceux des départemens voisins, tout me fait présager cette terminaison favorable ; mais aujourd’hui qu’il faut tirer les aliénés des hautes pyrénées d’un état d’abjection qui pour n’être pas sans exemple n’en est pas moins affligeant, je souhaite que le projet provisoire reçoive son exécution et j’ai peine à comprendre qu’il soit repoussé lorsque je résume les difficultés qu’on peut lui opposer.

En effet de la part du Conseil général, il s’agit d’une dépense payable en deux années et que M. l’architecte du département n’évalue pas à plus de 10.000 francs, tandis que ce sacrifice est compensé
1° par l’économie d’une pension onéreuse pour les femmes qui devraient être placées dans un département étranger, loin de leurs familles et en subissant soit pour aller à Albi soit en revenant chez elle un transport qui n’est pas sans danger ; l’exemple de la femme Lacoste suffirait pour le prouver ;
2° par la création d’un service commun aux hommes et aux femmes et par la perspective d’attirer plus tard dans le pays des malades pensionnaires au lieu d’en envoyer chez les voisins.
L’administration des hospices de son coté n’aura à sacrifier pour le moment qu’un dortoir qui n’est pas toujours occupé et qu’elle peut placer ailleurs au moyen des acquisitions qu’elle vient de faire. Elle aura créé un service consolant pour l’humanité et je ne crains pas de le dire utile aux intérêts généraux qui lui sont confiés.

Dans tous les cas soit que l’on améliorera le service actuel en lui donnant de meilleures localités, soit que l’on se décide en envisageant de haut la question et dans un intérêt futur, à jetter dès à présent les bases d’un établissement spécial et complet ou bien que par des obstacles que je ne puis prévoir ou des motifs que je ne puis supposer, toute amélioration locale soit refusée, il n’en sera pas moins indispensable pour échapper à la clameur publique d’organiser dans le plus brefs délai un service régulier et en harmonie avec les progrès de la science pour les malheureux insensés que contient l’hospice de Tarbes. Je demande formellement qu’un médecin soit spécialement chargé de ce service, qu’il en devienne responsable et qu’il soit chargé d’indiquer tous les besoins réclamés pour la guérison des malades confiés à ses soins.

J'ai l'honneur d'être avec une respectueuse considération, Monsieur le Ministre, votre très humble serviteur.
(signé G. Ferrus)

Michel Caire, 2010
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