Publié en 2012 chez L'Harmattan dans la Collection Historiques, le texte d'A. Ajzenberg est préfacé par Michaël Guyader et suivi de Un hôpital psychiatrique sous Vichy (1940-1945), d'André Castelli. Il est ainsi présenté par l'éditeur :
« Sous le régime de Vichy (1940-1945), 76 000 malades mentaux sont morts dans les hôpitaux psychiatriques français. Morts de faim.
Pétain, Darlan, Laval connaissaient-ils les dangers auxquels les fous étaient exposés ?
OUI, dès le printemps 1941.
Étaient-ils en mesure de leur accorder quelques suppléments alimentaires représentant pour chaque Français une ou deux miettes de pain par jour ?
OUI, puisque cela a été fait en décembre 1942.
Trop tard cependant et en quantité insuffisante pour inverser le cours des événements.
La population française aurait-elle été mise en danger par une telle action ?
NON, bien sûr.
Ces trois questions, et les réponses apportées, définissent précisément la notion de non-assistance à personne en danger, notion inventée par Vichy et maintenue depuis dans le code pénal français. Non-assistance que certains historiens nient. Ce qui autorise un journal d’extrême-droite (Rivarol) à s’écrier : "Le régime de Vichy est enfin innocenté…".
Après la reconnaissance par le président Chirac de la complicité active de l’État français de Vichy dans la déportation des Juifs de France, la responsabilité directe de ce même régime dans la famine mortelle sévissant dans les hôpitaux psychiatriques doit, elle aussi, donner lieu à une reconnaissance officielle.
L’histoire de l’hôpital de Montdevergues-les-Roses est un exemple, au jour le jour, de l’abandon à la mort des fous sous Vichy. »
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Commentaires
Une contribution polémique au débat sur l'hécatombe dont les hôpitaux psychiatriques furent le théâtre sous l'Occupation, dont le régime de Vichy porterait la responsabilité directe.
Bien que très axée sur la dénonciation des thèses opposées et de leurs auteurs, l'étude d'A. Ajzenberg, acteur engagé de longue date dans le combat initié par Lucien Bonnafé et Pierre Durand, et poursuivi par Max Lafont, Patrick Lemoine, Antoine Spire et quelques autres, est intéressante et documentée, comme le texte d'A. Castelli consacré à Montfavet et publié en 1996 dans la revue Chimères.
Cet essai, qui, de l'aveu-même de son auteur, "se veut aussi un pamphlet" (p.102), pourra aussi sans doute être considéré comme partisan et manichéen par ceux qu'il cite à de multiples reprises, pour certains accusés d'erreurs méthodologiques, d'aveuglement, de contradictions, d'ignorance, de "mauvaises manières" (pp.102, 105 et suiv.), de manipulation (pp.103, 113, 116, 117, 148, 190), de mensonge (pp.79, 102, 113, 117, 119, 125, 126, 137, 140, 143, 190), etc. : Henry Rousso, -« exécuteur sans jugement » (p.30) des livres de Lafont et Durand et suspect d'incompétence en la matière- et Eric Conan, et surtout Isabelle von Bueltzingsloewen, dont le nom revient à de si nombreuses reprises que l'historienne apparaît comme la principale cible de l'auteur, particulièrement pour avoir innocenté Vichy sur la question étudiée : « L'abandon à la mort... peut apparaître comme un réquisitoire contre le livre de Mme Von Bueltzingsloewen. Ça l'est effectivement » (p.27) : « Cet essai-pamphlet" se veut « une lecture critique » de ce livre (p.102).
Olivier Bonnet et Claude Quétel, Denis Peschansky, Elisabeth Roudinesco (notamment p.108-109, p.119 à propos de son papier sur Bonnafé en 2003, et p.174), Pierre Assouline sont également cités pour s'être opposés aux conclusions des tenants de la thèse de l'"extermination douce" tolérée sinon organisée par l'État Français, pour avoir partagé, entièrement ou partiellement, les thèses d'Isabelle von B. (p.103).
La circulaire du 4 décembre 1942 du Secrétaire d'État à la Famille et à la Santé, dite « Circulaire Bonnafous » qui a incontestablement permis une amélioration de la situation en accordant "l'attribution supplémentaire de denrées contingentées aux malades internés dans les hôpitaux psychiatriques" est considérée par l'auteur comme "probablement politicienne et non humanitaire" (p.47), si tant est que l'on ne puisse imaginer "un brusque accès d'humanisme" d'un "ministre collaborationniste, par ailleurs solidaire de toutes les déportations de juifs vers les camps de la mort" (p.53).
Cette circulaire "tardive, décalée, insuffisante et en partie inefficace" (p.73) et au mieux "un accident, une péripétie, un miracle" (p.80) aurait été destinée, propose A. Ajzenberg, moins à satisfaire les psychiatres qui avaient réclamé cette mesure, que "la bonne conscience de quelques personnalités" (p.72) comme Heuyer.
L'auteur discute aussi le rôle possible d'Hélène Bonnafous, fille du grand aliéniste Paul Sérieux et elle-même médecin du cadre des hôpitaux psychiatriques, dont l'intervention auprès de son époux Max, Secrétaire d'État à l'Agriculture et au Ravitaillement aurait pu être à l'origine de cette circulaire. Mais cette hypothèse n'a jamais été prouvée, écrit à juste titre Ajzenberg (p.76), et d'autant plus douteuse, précise-t-il, que la psychiatre et le ministre étaient alors déjà séparés.
Préférée à la « fable Bonnafous », « l'hypothèse Heuyer » fait l'objet d'un développement intéressant (pp.81-99). A. Ajzenberg nous rappelle que le président Laval avait commandité auprès de son ministre de la santé Raymond Grasset la création d'un Conseil technique de l'enfance déficiente et en danger moral, où siègeront Louis Le Guillant, médecin directeur de l'hôpital de La Charité, Jean Dublineau et Georges Heuyer, qui tous trois réclamèrent par ailleurs des mesures pour sauver les malades des hôpitaux psychiatriques. L'auteur postule que ces trois importantes personnalités purent, avant-même la mise en place de ce Conseil (25 juillet 1943) faire des démarches auprès de l'autorité centrale : Heuyer lui-même "fréquenta Vichy dès 1941" (p.83). Laval, tenant à ce projet, aurait ainsi par intérêt, "nécessité politique" oblige, accordé ces suppléments alimentaires.
Nous avions nous-même suggéré le rôle possible des psychiatres membres du Conseil Supérieur de l'Assistance de France, avec les docteurs Georges Demay, Paul Gouriou, Charles Perrens et Jean Lauzier notamment (voir sur ce site : Pages d'histoires : Sous l'Occupation : Hécatombe par carence). Il pourrait être intéressant par ailleurs d'étudier celui de la Société de médecine légale, qui tint sans discontinuer ses séances sous l'Occupation, comme le fit la Société médico-psychologique.
Cette circulaire dite Bonnafous est une "preuve" de l'"innocence" de Vichy pour les uns ["la preuve absolue, la seule, de ce que Vichy n'avait aucune volonté génocidaire s'agissant des fous internés" pour Mme von Bueltzingsloewen, écrit l'auteur p.78], qui serait "contrebalancée" par une autre "preuve" qui est ce courrier de mai 1942 - découvert par S. Odier - d'un Directeur régional de la Santé et de l'Assistance (XXe région) [du Secrétariat à la Santé, écrit Robert Redeker dans Le Web de l'Humanité du 20 novembre 2000 après M. Laffont, L'extermination douce, 2000, p.254 : Secrétariat d'État à la Santé (XXIIe région) cabinet du Directeur Général] adressé au directeur de l'hôpital psychiatrique de Saint-Egrève, recommandant aux médecins de désigner les bénéficiaires d'un régime de réalimentation en fonction de leur curabilité (p.56), ce qui, implicitement, revient à "laisser mourir" les autres.
Au-delà de la question de savoir s'il y a là « une volonté de "laisser mourir" les fous sous le régime de Vichy » ou de ne sauver que certains d'entre eux, est posée celle du caractère de la recommandation : initiative personnelle ou ordre ministériel ? L'auteur met cette consigne en parallèle avec certaines positions d'Alexis Carrel, bien connues de ses contemporains et incontestablement eugéniques (p.57).
L'une des questions reposée à l'occasion de cette publication est terminologique : "abandon à la mort" était déjà employé dans la pétition lancée en 2001 par Ajzenberg, Patrick Tort et autres : Pour que douleur s'achève. Ce terme se substituait à celui d'extermination douce retenu par l'éditeur de la thèse de Max Lafont, qui connurent -le terme comme la thèse- un grand succès, et s'oppose aux morts par inanition et autres hécatombe des fous [hécatombe par carence, avait proposé Bonnafé, carence alimentaire, relationnelle, des autorités, etc., formule qui a notre préférence].
Dans son ouvrage, Ajzenberg retient deux formules : l'abandon à la mort (le "laissez-les mourir"), et la non-assistance à personnes en danger de mort, précisant p.62 que cette non-assistance, « non seulement en connaissance de causes mais parfois encore souhaitée, semble avérée », idée reprise p.72.
Au fil des pages, on retrouve divers termes qui renvoient à la question de l'intentionnalité, de la préméditation, de la planification : famine intentionnelle (déniée par Isabelle von B.), processus organisationnel, processus d’intentionnalité, programme systématique de mise à mort (id.), génocide, terme dont Isabelle von B. aurait usé, explique Ajzenberg, pour caricaturer la thèse adverse, bien qu'il ne l'ait lui-même jamais prononcé ni écrit, pas plus que ses partisans, sinon dans la première édition du Train des fous :
Pour Isabelle von B., à propos des mesures adoptées en décembre 1942 qui ont permis de sauver de nombreuses vies, « le simple fait qu’elles aient été prises suffit à prouver l’absence d’intentions génocidaire de la part du régime en place », et A. Ajzenberg ajoute : « Même si l’historienne ne peut prouver que quelqu’un, à part elle et quelques-uns de ses émules, ait utilisé cette formule, elle l’attribue cependant généreusement à ceux qu’elle entend déconsidérer espérant démontrer, contre eux, son postulat de 2001 : Vichy, aucune responsabilité. » (p.73)
« Nous verrons en détail ce qu’il en était pour elle de l’expression génocide des fous qu’elle utilise abondamment –elle n’est pas la première- pour nous l’attribuer : ils ne l’ont pas dit, mais à peu près… » (p.116-117)
« Personne n’a jamais dit rien d’autre que ceci, répétons-le encore une fois : Vichy, par non-assistance à personnes en danger a laissé mourir des dizaines de milliers de patients dans les hôpitaux psychiatriques » (p.119)
« Mme von B. attribue abondamment –à Lucien Bonnafé, à Max Lafont, à André castelli, à Patrick Lemoine, à Patrick Tort, à moi-même et quelques autres- l’utilisation de l’expression « génocide des fous ». Il s’agit d’un mensonge pur et simple. Aucune de ces personnes n’a utilisé cette expression, et encore moins celle de « volonté génocidaire de Vichy » s’agissant des malades mentaux, ou de plan concerté à leur égard. (…) Cette attribution est une véritable cabale, et imposture (…) » (p.137)
« Seule, dans la première édition du Train des fous, aux éditions Messidor, l’expression « génocide » est utilisée dans le sous-titre du livre, dans la quatrième de couverture et une ou deux fois dans le roman de Pierre Durand » (p.138)
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Notons qu'Henry Rousso avait également, en 1989, dénoncé l'usage du mot : « Non contents d’inventer un génocide, certains prétendent avoir trouvé son responsable en la personne du docteur Alexis Carrel ».
Ajzenberg précise en outre que « Lucien Bonnafé, Max Lafont, Patrick Lemoine et bien d’autres n’ont jamais écrit » que le régime de Vichy « menait une politique eugéniste éliminatoire » (p.87)
Voici, sans aucune prétention d'exhaustivité, quelques-uns des termes que nous avons nous-même relevés dans divers ouvrages consacrés au sujet, et qui montrent que les affirmations citées ci-dessus méritent sans doute d'être nuancées :
- Hécatombe
Hécatombe par carence (Bonnafé)
Hécatombe (Patriote Résistant (FNDIRP), septembre 1998)
Hécatombe (pétition « Pour que douleur s’achève », 2001)
Hécatombe des fous (titre de l’ouvrage d’Isabelle von B.)
- Indifférence criminelle collective
Max Lafont
- Mauvais traitements et négligences coupables
Santé mentale n°38, mai 1999, p.5
- Non assistance à personne en danger de mort
Dans le titre du Chapitre 1 et à diverses reprises dans le livre d’Ajzenberg
- Abandon à la mort
Max Lafont
Pétition « Pour que douleur s’achève » (2001) : « ... une volonté [de Vichy] , celle d'abandonner à la mort ces "déviants" particuliers qu'étaient les malades des hôpitaux psychiatriques » [...] « Cette volonté d'abandon à la mort était le corrélat d'une idéologie » [...] « Nous demandons que soit reconnu ... l'abandon à la mort par l'État français de Vichy des êtres humains enfermés dans les hôpitaux psychiatriques »
Armand Ajzenberg
Abandon délibéré pour Maxime Gremetz, député communiste, dans une question écrite à M. le Premier Ministre, citée dans le Courrier de la pétition « Pour que douleur s’achève »)
- Extermination douce
L'éditeur de la thèse de Max Lafont et nombreux autres
- Extermination
« Cette véritable extermination des malades mentaux à laquelle nous avons assisté [...] » (L. Bonnafé, Congrès des médecins aliénistes de France et des pays de langue française, Lausanne, juillet 1946)
En 1947, « nous sortions de vivre l'extermination, entre autres, des fous, dont 40 000 en France seulement (ici, pudiquement, par la faim et le froid) » (L. Bonnafé, « Le personnage du psychiatre. III ou les métamorphoses ». L'Évolution psychiatrique, XXXII, fasc. I, janvier-mars 1967, p.1)
« 40.000 malades mentaux exterminés en France entre 1940 et 1945 » (P. Durand, Le train des fous, 1988, 4e de couverture)
« il m’a été impossible de savoir si cette extermination par la famine et par le froid était dictée par Vichy, (…) des directives pourraient avoir été donnée en provenance d’Allemagne (… ) » (Patrick Lemoine, Préface, Droit d’asile, 1998).
« Le meilleur exemple de cette agressivité extrême de la société vis-à-vis des malades mentaux est donné par la politique allemande et française au cours de la Deuxième Guerre mondiale, qui a conduit à l’extermination de plusieurs centaines de milliers d’entre eux, soit dans les chambres à gaz, soit par la faim » (Patrick Lemoine, Je déprime, c’est grave docteur ? Comprendre et soigner la dépression, 2001)
« (…) Clermont-de-l’Oise, où l’occupant boucla l’asile. Qui peut dire combien de malades périrent dans ce trou noir de mort lente, dans ce qui n’était autre qu’un camp de concentration et d’extermination qui ne voulait pas dire son nom » (Alain Vernet et Michel Henin, « Des morts oubliés de l’Histoire », Libération, 16 décembre 1994)
- Extermination systématique
« Curieusement, l'extermination systématique de ces misérables victimes (...) » (André Vanomme, maire de Clermont (Oise), allocution du 7 avril 1999, citant le Courrier Picard de septembre 1998 : voir M. Lafont, 2000, p.209)
- Génocide
« Le génocide des malades mentaux » est le sous-titre du roman Le train des fous, 1988, de Pierre Durand (non repris dans la réédition de mars 2001 aux éditions Syllepse), dont sont responsables les plus hautes autorités (Le train des fous, 1988, p.112).
Le « génocide des fous » (entre guillemets), p.173 et 4e de couverture
Dans l'article intitulé « Max Lafont témoigne de l’"extermination douce" », sous-titré : « En cinq ans de guerre, quarante mille malades mentaux sont morts de faim. Un génocide ignoré tant par l’Histoire que par les psychiatres » [Libération, 23 juin 1987, p.22-23] (...)
« LIBÉRATION. - Quand et comment avez-vous appris l’existence de ce génocide ?
MAX LAFONT.- Comme tout étudiant, j’avais suivi les cours en sixième année du professeur Colin. Il en avait parlé, il disait qu’au lendemain de la guerre, il y avait eu une révolution psychiatrique qui avait été précédée d’un véritable génocide de malades mentaux (…) »
Un article où Max Lafont affirme que seul St-Alban et... Ville-Evrard (!) ont réussi à sauver leurs malades, et que « dans toute la France, à aucun moment, il ne fut attribué un supplément d’alimentation pour les asiles, comme ce fut le cas pour tous les autres hôpitaux. », ce malgré sa connaissance de l'existence de la circulaire de décembre 1942.
« (…) en règle, dans tout génocide, il n’y a pas de trace officielle… Rappelez-vous le génocide arménien ! » (P. Lemoine, Synapse, octobre 1999, n°159, p.10)
« C’est un génocide, le mot n’est pas exagéré » (Pierre Durand, Patriote Résistant, avril 1988)
« L’occupation du territoire et le rationnement alimentaire qui suivirent entraînèrent un véritable petit « génocide » dont on n’a pas beaucoup parlé » (Pr Pierre Deniker, Le Monde, 8 juillet 1987, p.18, note)
« (…) Ainsi du sort qui fut celui des malades mentaux en France, durant l’occupation, dont 40.000 moururent de froid et de faim (…) Comme si le nazisme, finalement, pouvait triompher insidieusement et abolir jusqu’au souvenir de ce génocide là (…) (Alain Vernet et Michel Henin, « Des morts oubliés de l’Histoire », Libération, 16 décembre 1994)
- Crime contre l’humanité
P. Durand, Le train des fous, 4e de couverture
- Eradication des malades mentaux
A propos d’« Alexis carrel et ses idées eugéniques d’éradication des malades mentaux » (Patrick Lemoine, Droits d’asiles, Préface p.17, note)
- Elimination
« élimination par la faim du plus grand nombre d’aliénés possible » (à propos de la politique de Vichy. P. Durand, Le train des fous, 1988, p.112)
« élimination» (Patriote Résistant (FNDIRP), septembre 1998)
« élimination par inanition » (Philippe Fontanaud, 2002, « D’une évacuation… l’autre. Quelques récurrences de l’histoire ». Site serpsy)
« élimination par l’application d’un mot d’ordre discret qui aurait pu être « laissez-les mourir » (pétition « Pour que douleur s’achève », mars 2001)
- Epuration
Dans la pétition « Pour que douleur s’achève »
- Mise à mort
« La bouleversante étude du docteur Max Lafont sur ce qui ne fut pas autre chose qu’une mise à mort lente de quarante mille malades mentaux » (Jean-Yves Nau, « L’eugénisme n’est pas mort », Le Monde, 10 juin 1987, p.21)
- Assassinat
« véritable assassinat d’êtres désarmés, souffrants, et entre tous dignes de solidarité et de compassion » (Docteur Escoffier-Lambiotte, Le Monde, 10 juin 1987, p.22) : suite à la publication du livre de Lafont, Mme Escoffier–Lambiotte dénonçait sans vergogne, sans preuve, et, peut-on dire aujourd'hui très injustement - à la « une » du Monde « la lâcheté et l’inconscience » des psychiatres sous le régime de Vichy, et s’indignait naïvement de « la conspiration du silence qui a, jusqu’à présent, régné sur cet énorme scandale ».
- Holocauste
« Un holocauste au Vinatier », titre d’un bref compte-rendu de la thèse de Lafont paru dans Le Monde, 4 mai 1979
- Traitement final
Lucien Sève, philosophe, dans le courrier de la pétition « Pour que douleur s’achève »
- Solution finale
Dans l'article « Un monument aux morts pour les malades mentaux » publié dans Santé mentale n°38, mai 1999, p.5, à propos de l'inauguration d'une stèle à l'hôpital psychiatrique de Clermont de l'Oise, en hommage aux 3.060 morts de faim entre 1939 et 1945.
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Une autre question est celle du nombre des morts, dont tout le monde s'accorde pour le chiffrer à plusieurs dizaines de milliers entre 1940 et 1945 [C'est en particulier ce que porte la dédicace du numéro spécial de L'Information psychiatrique en décembre 1964 consacré au problème de l'alimentation des malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques : In Memoriam. Ce recueil est dédié aux dizaines de milliers de malades mentaux qui sont morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français durant les sombres années de l'occupation hitlérienne 1940-1945].
Mais est-ce de l'ordre de 40.000, de 45.000, de 48.000, près de 50.000, 76.000... plus encore...?
Ce dernier chiffre de 76.000 est celui de la totalité des décès dans les établissements psychiatriques pour la période considérée. Mais si la presque totalité a souffert de la faim (comme d'ailleurs les survivants), d'autres causes de mortalité ne doivent-elles pas être retenues que celle de l'inanition ?
« Si le système asilaire n'avait pas entassé, dans ses concentrations bureaucratiques, 120.000 citoyens avant la grande expansion des passions ségrégatives et discriminatoires, il n'y aurait pas eu, dans ce grand renfermement, 76.000 morts, parmi lesquels un excédent de 40.000 sur la mortalité "ordinaire", imputable à une sur-mortalité tragique, effet plein de sens des inhumanités anti-"aliénés". » [Lucien Bonnafé, 1er juin 1991, in : Nervure, IV, n°5, p.81]
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Ce chiffre de 40.000 a été très longtemps retenu : par Daumézon et Bonnafé dès l’après-guerre, Louis Pauwels dans son article de novembre 1947, Max Lafont en 1981. Il fut repris notamment dans Le Monde du 10 juin 1987, Libération du 16 décembre 1994, Santé Mentale septembre 1999, Le Quotidien du Médecin du 12 octobre 2000 et dans la Pétition « Pour que douleur s’achève », 2001.
Il est difficile de savoir comment le chiffre a été obtenu.
Ce qui est certain, c'est qu'il ne vient pas d'une simple soustraction de 64.641 [nombre des présents en 1945] à 105.000 environ [nombre des hospitalisés en 1940]. En effet, il y eut entre 1940 et 1945, comme auparavant bien qu'en moins grand nombre, des entrées et des sorties dans les hôpitaux psychiatriques (rappelons qu'à l'époque, les établissements psychiatriques -hors maisons de santé ou cliniques privées- se répartissent en : 57 hôpitaux psychiatriques départementaux, 7 hôpitaux psychiatriques autonomes, 17 hôpitaux privés faisant fonctions d'hôpitaux publics, 14 "quartiers d'hospice" et un "établissement national", la Maison de Charenton).
Il existe d'autres évaluations, certaines manifestement erronées :
- 30.000 selon F. Tosquelles, dans un extrait de « Une politique de la folie », Chimère, 1991 n°19, cité in : La Bord’Eclair, juin 2002
- Entre 44.162 et 45.161 (arrondi à 45.000) pour Isabelle von B., 2007 : le taux de surmortalité calculé par soustraction du taux observé pendant les années 1940 à 1944 au taux moyen des années 1935 à 1939, rapporté à la population exposée au risque : d’une part la population totale soignée dans l’année (malades présents au 1er janvier + malades admis dans l’année), d’autre part la moyenne du nombre de malades présents au 1er janvier et à la fin de l’année.
- 45.486 par rapport à l’évolution concomitante dans la population générale civile, compte-tenu des caractéristiques des malades par sexe et par âge, ou 48.520 « dans l’absolu » (en incluant 1939, et en prenant en compte la baisse intervenue en 1947 par rapport à 1938) : François Chapireau, L’Encéphale 2008
- 48.588, chiffres dits « officiels » (Revue de la SFHH n°94, 1999, 2, p.45), repris en les arrondissant à 48.000, entre autres dans un article du Patriote Résistant (FNDIRP), septembre 1998. Ce qui correspond aux « près de 50.000 » d'entre autres R. Guyotat, Le Monde, 16 octobre 2003, C. Faesch, Le Quotidien du médecin, 31 octobre 2003, suite à la communication des conclusions de la recherche de Mme von B.
- 76.000, avaient proposé sans doute par erreur Bonnet et Quétel (« de tous nos chiffres, seul celui de 76.000 morts de faim sera retenu ») dans leurs conclusions de 1991, confondant le nombre total de décès et celui des personnes concernées par la surmortalité. C'est le chiffre retenu par M. Ajzenberg.
- « Plus de 100.000 », a-t-on pu lire dans un texte du syndicat CGT de Maison-Blanche en 1999
- 115.000 pour Horst Dilling, L’Information Psychiatrique 2007, « selon Kringlen (2001) », sans autre référence, chiffre fantaisiste qui pourrait n'être qu'une erreur typographique ou un lapsus.
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L'ouvrage d'Ajzenberg a incontestablement enrichi le débat, mais ne l'a pas clôt.
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