LE BAL DES FOLLES


Au XIXème siècle, pendant plusieurs décennies, un bal annuel organisé à l'occasion de la mi-carême a été offert aux patientes du grand hôpital-hospice de la Salpêtrière à Paris, un établissement alors réservé aux femmes.


Ce bal, attesté à partir de 1835, a été supprimé au début du XXème siècle : le dernier dont nous avons connaissance s'y est tenu en 1907.

Il fut dès ses débuts baptisé par les journaux Le bal des folles, ce qui s'explique par le fait que les participantes étaient les aliénées de l'hospice.


Ce nom, prisé des journalistes et des romanciers, a été conservé après que les hystériques y aient été associées, à partir de 1881 semble-t-il.

Même s'il est parfaitement admis que la vérité historique -pour autant qu'elle existe- et la vérité littéraire sont choses bien distinctes, ce qui en est dit dans un récent roman à succès est si éloigné de ce que les sources peuvent nous en faire connaître qu'il nous a paru utile d'apporter quelques précisions, d'autant qu'une partie du lectorat semble avoir pris ce roman pour un juste reflet de la réalité passée.

France Culture, Emission « Une histoire particulière », 15 février 2020
Le bal des folles de la Salpêtrière, Le corps exhibé

Gérard de Cortanze, « Le bal des folles ». Historia n°873, septembre 2019; 52-56

Victoria Mas, Le bal des folles (roman). Albin Michel, septembre 2019; 251 p.

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1885

L'histoire du roman de Victoria Mas se déroule à Paris en février-mars 1885.

Cette année-là est riche d'évènements, qui ont échappé à l'auteur.

Le 12 juin 1885, un arrêté préfectoral rebaptise l'hospice de la Vieillesse-Femmes, nom qu'il portait depuis 1823 en hospice de la Salpêtrière. Même si elle est plus que mineure, on relèvera cette erreur [p.75] que le fronton de l'établissement ne peut déjà porter : Hôpital de la Salpêtrière.

Le 13 juillet 1885, c'est l'inauguration de la statue de Ludovic Durand représentant Philippe Pinel et les allégories de la Science et de la Bienfaisance. Ce bel ensemble, que l'on peut toujours admirer, a été dévoilé en août de l'année précédente par un sculpteur lassé d'attendre cette inauguration. Mais les personnages du roman ne remarquent pas le monument au pied duquel leur fiacre stationne [p.74-76], ni non plus les invités au bal de la mi-carême [p.226].

En octobre 1885 se tient le premier concours de l'internat des hôpitaux de Paris ouvert aux femmes, qui voit la nomination d'Augusta Klumpke - future Madame Déjerine - comme interne provisoire. L'évènement est aussi important dans l'histoire de la médecine que dans l'histoire du féminisme. Ce formidable succès, obtenu de haute lutte, a été précédé d'une première victoire, celle du droit des étudiantes en médecine à passer le concours de l'externat des hôpitaux, à partir d'octobre 1882. Or, l'une des toute premières impétrantes, Mlle Blanche Edwards a commencé sa troisième -et dernière- année, en janvier 1885, dans ce même hospice, et précisément dans le service du professeur Charcot où se déroulent les évènements inventés par l'autrice. On sait que les internes et externes du service assistaient, participaient même aux bals organisés dans l'hospice. Qu'est-ce que cette pionnière, réformatrice et féministe aurait-elle pensé de la façon dont seraient présentés un peu plus d'un siècle plus tard Charcot et le bal de la Salpêtrière.

Et en ce même mois d'octobre 1885 arrive à Paris un certain Sigmund Freud, qui fréquentera assidument le service du professeur Charcot jusqu'à la fin février de l'année suivante. A quelques mois près, le roman aurait pris une toute autre tournure, mais il aurait sans doute été moins facile de tant caricaturer Charcot, dont on connaît l'immense admiration que lui porta le jeune Viennois.

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Les folles et les malades


Depuis la mise en application de la loi du 30 juin 1838, dans le département de la Seine -l'ancienne Seine, qui s'étendait de Paris aux communes de la petite couronne-, les malades mentaux, appelés alors aliénés, étaient placés [en placement volontaire, à la demande de l'entourage, ou en placement d'office, sur décision du Préfet de police] les hommes à Bicêtre, les femmes à la Salpêtrière.

Ces deux hospices de la Vieillesse font en effet fonction d'asiles publics départementaux, en offrant au sein de chacun d'eux plusieurs services destinés à accueillir et prendre en charge ses aliénés. C'est ce qui est appelé des « quartiers d'hospice » ou « quartiers d'aliénés », comme il en existe dans bien d'autres départements.

Mais pour leur très grande majorité, les personnes recueillies dans ces deux grands établissements sont des personnes âgées -d'où ces noms de « Vieillesse (hommes) » pour Bicêtre et de « Vieillesse (femmes) pour la Salpêtrière- de milieux sociaux défavorisés, des indigents souvent atteints d'affections médicales chroniques et parfois susceptibles de présenter des troubles aigus. De ce fait, des services médicaux, initialement dénommés infirmeries, y ont été ouverts, dès le XVIIIème siècle, pour traiter ces maladies sur place, sans avoir à effectuer un transfert à l'Hôtel-Dieu.

Ces services médicaux sont parfaitement distincts des quartiers d'aliénés, les modalités d'admission en sont différentes, tout comme le statut des personnes qui y sont soignées : les aliénés sont internés, les malades somatiques sont hospitalisés, comme dans les autres établissements hospitaliers de la capitale.

L'admission des aliéné(e)s se décide alors à la Préfecture de police, au sein de son Infirmerie spéciale située au Dépôt du Quai de l'Horloge, et, après 1867, au Bureau d'Admission annexé à l'asile Sainte-Anne, où toutes les personnes présentant des troubles mentaux et pouvant relever d'un internement sont mises en observation avant répartition dans l'un des établissements spéciaux : l'asile Sainte-Anne, ouvert en 1867, l'asile de Ville-Evrard, ouvert en 1868, l'asile de Vaucluse, ouvert en 1869, ainsi donc que dans ces quartiers de Bicêtre et la Salpêtrière.

En ce temps-là, il n'existe dans ces cinq établissements aucune admission directe d'aliéné et, comme dans les autres établissements publics ou privés français à l'époque, aucune admission d'aliéné en soins libres.

En revanche, les autres personnes reçues dans ces deux derniers établissements ne sont passées ni par l'Infirmerie spéciale, ni par Sainte-Anne, mais par le Bureau central des hospices qui est installé depuis 1802 dans l'ancien hospice des Enfants-Trouvés situé sur le Parvis Notre-Dame et ne fermera qu'en 1895. Si ces personnes relèvent d'une hospitalisation, elles sont admises dans l'un des hôpitaux de l'Assistance publique, et, au cas où elles sont reconnues incurables, sont orientées les hommes à Bicêtre, les femmes à la Salpêtrière. Il n'est que les vieilles indigentes et reposantes de la maison qui puissent être admises directement dans l'hospice de la vieillesse Femmes.

Autre différence entre les unes et les autres, les frais de séjour des aliénées internées à la Salpêtrière sont remboursés à l'Assistance Publique par le Département, tandis que le prix de journée des malades hospitalisées relève du budget municipal.

Pour en revenir au roman de Victoria Mas, son principal personnage, Eugénie, y est la malheureuse victime de l'abus de pouvoir paternel, conduite par tromperie jusqu'à la Salpêtrière où elle est aussitôt internée dans le service de Charcot. Or, comme nous allons le voir, Charcot était le chef d'un service médical qui ne recevait aucune aliénée, ou si l'on préfère, aucune folle, et où donc aucune femme n'était internée. On sait par ailleurs que Charcot n'a jamais porté le moindre intérêt à l'aliénation mentale, et a entretenu des relations toujours distantes avec ses collègues aliénistes de la Salpêtrière.

C'est là une des erreurs fondamentales du roman.

Et cette confusion entre les quartiers d'aliénées et les services médicaux conduit à certaines formules confondantes : « Depuis l'arrivée de Charcot il y a vingt ans, il se dit que l'hôpital de la Salpêtrière a changé, que seules les véritables hystériques y sont internées. Malgré ces allégations, le doute subsiste. Vingt ans n'est rien, pour changer des mentalités ancrées dans une société dominée par les pères et les époux. Aucune femme n'a jamais la totale certitude que ses propos, son individualité, ses aspirations ne la conduiront pas entre ces murs redoutés du treizième arrondissement. Alors, elles font attention. » [p.37-38]

Ce qui laisserait à penser qu'il n'y a à la Salpêtrière qu'un seul médecin, Charcot, qu'un seul service, le service de Charcot, où l'on interne, et où l'on ne devrait interner que les véritables hystériques, mais que d'autres y sont internées abusivement, ou du moins menacées de l'être : les femmes, victimes du patriarcat.

Ceci est absolument contredit par tout ce que nous pouvons savoir de la Salpêtrière au XIXème siècle.

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Charcot

Dans les années 1880, l'hospice de la Vieillesse-Femmes dispose de cinq sections d'aliénées et de deux services de médecine.

L'un de ces deux services de médecine est dirigé par Jean-Martin Charcot, qui a été nommé en 1861 tandis que son collègue et ami Alfred Vulpian prenait possession de l'autre service, plus tard dirigé par Jules Luys.

Le service de Charcot, qui comporte environ 500 lits, est installé dans l'Infirmerie générale et reçoit les vieilles indigentes et les reposantes, lorsqu'elles sont malades de maladie somatique.

Ce recrutement conduit le futur fondateur de la neurologie française à s'intéresser à ce que l'on appelle aujourd'hui les pathologies gérontologiques ou gériatriques, et tout particulièrement rhumatologiques, pulmonaires, hépatiques, cardiaques, rénales : il y consacrera de 1872 à 1881 son enseignement à la chaire d'anatomie pathologique de la Faculté de médecine de Paris, où il traite du rhumatisme chronique et des arthropathies diabétiques, des affections chroniques du parenchyme pulmonaire, scléroses, pneumokonioses, broncho-pneumonies, etc.

Charcot est donc à cette époque un médecin des hôpitaux que l'on appellerait de nos jours un interniste à orientation gériatrique.

Parallèlement, il s'intéresse à la neuro-pathologie, qui comprend toutes les maladies du système nerveux : les maladies neurologiques au sens actuel comme la sclérose en plaque qu'il décrit avec Vulpian en 1866, les atrophies musculaires dont la sclérose latérale amyotrophique qu'il décrit en 1868 et se nomme depuis la Maladie de Charcot, les pathologies cérébrales localisées, l'aphasie, les ramollissements, les hémorragies, le vertige de Ménière, la Paralysie agitante ensuite dénommée Maladie de Parkinson, l'ataxie locomotrice (tabès), les épilepsies localisées et l'épilepsie généralisée, mais aussi cette affection nerveuse qui sera plus tard annexée par les psychiatres, et qui fait alors partie du champ de la neurologie naissante : l'hystérie.

L'hystérie de Charcot

Pour Charcot, l'hystérie est bien une maladie nerveuse, comme l'épilepsie essentielle. Les deux affections suivent une marche qui leur est propre, dont les caractéristiques sont fixes, immanentes, invariables. En ce qui concerne l'hystérie et l'hypnotisme, dont nous dirons un mot plus loin, et dans ce domaine seulement, ce que Charcot avait établi ou cru établir a été battu en brèche dès sa disparition en 1893. mais l'essentiel de son œuvre ne doit pas être occulté, au point de le présenter comme un bateleur naïf, fasciné par le contorsionnisme érotisé de certaines de ses patientes.

L'intérêt de Jean-Martin Charcot pour l'hystérie est né à la suite du rattachement à son service en mai 1870 d'un dortoir de 150 hystéro-épileptiques dépendant précédemment du service dirigé par un aliéniste du nom de Louis Delasiauve : des « épileptiques simples » - par opposition aux « épileptiques aliénées » - y étaient regroupées avec des hystériques, et Charcot entreprit de différencier et séparer celles qui font des accès (comitiaux, c'est-à-dire épileptiques) de celles qui font des attaques (hystériques) qui parfois imitent en les caricaturant les premières. Ces deux Grandes névroses convulsives sine materia, c'est-à-dire sans lésion organique, furent ainsi l'objet d'études et de recherches.

La première leçon de Charcot sur l'« hystéro-épilepsie » date du 4 juin 1872.

le 21 juin 1881 ouvre à la Salpêtrière une consultation externe dirigée par Charcot pour les malades du sexe masculin, qui seront les premiers hommes à être pris en charge dans le grand hôpital.

L'existence de l'hystérie masculine avait été affirmée par le docteur Pierre Briquet, chef de service de l'hôpital de la Charité, à Paris, auteur du Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie, 1859.

Charcot y accorde une grande attention, et en exposera de nombreux cas lors de ses Leçons du Mardi : en 1887-1888, sur les 122 patients présentés, 27 sont considérés comme hystériques, parmi lesquels 15 femmes et 12 hommes, dont la symptomatologie est généralement assez discrète : les parésies, anesthésies, dystonies, etc. n'ont rien de bien spectaculaire ni théâtral.

On remarquera que l'hystérie ne représente qu'une part, assez faible, des maladies nerveuses intéressant Charcot, que les formes spectaculaires sont peu nombreuses, et que les maladies mentales - folie, aliénation... - ne font pas partie de ce que l'on appelle aujourd'hui sa patientèle : un seul de ces 122 malades a été interné dans un asile (à Sainte-Anne et Villejuif), mais c'est à la suite d'une erreur de diagnostic.

Charcot, titulaire en 1882 de la première chaire de clinique des maladies du système nerveux en France, a fondé l'École de la Salpêtrière, l'autre école pourrait-on dire puisqu'un autre grand médecin, Philippe Pinel, y avait fait lui-même école au début de ce XIXe siècle, mais dans une autre spécialité, l'aliénisme.

Un article nécrologique publié dans le Neurologisches Centralblatt témoigne de la considération dont Charcot bénéficiait, même dans un pays avec lequel la concurrence scientifique était vive : « Il n'y a guère d'affection importante du système nerveux dont notre connaissance ne se soit accrue grâce aux investigations de Charcot, à son remarquable don d'observation. [...] Sa mémoire sera dans tous les temps hautement estimée. »

Et c'est à ce même Charcot que l'on prête dans ce roman des propos que nous préférons ne pas commenter, tels que :
ce diagnostic inepte : « Hémiplégie latérale droite » [p.184]
cette remarque absurde : « Si cette fille entend vraiment des voix, quelque chose de l'ordre du neurologique est à comprendre ? Si elle ment, c'est une folle » [p.209]

Babinski

Deux de ses brillants élèves apparaissent dans le roman qui nous intéresse, Joseph Babinski et Georges Gilles de La Tourette.
Babinski, neurologue aujourd'hui encore mondialement connu, en particulier pour le signe éponyme qui caractérise l'atteinte pyramidale, a été le chef de clinique de Charcot d'octobre 1885 à octobre 1887. Même si cela n'est pas très important, rappelons que le roman se passe en février-mars 1885, avant donc la prise de fonction de Babinski.

« Un médecin pénètre dans la salle. Ses cheveux courts et ondulés sont gominés et séparés par une raie sur le côté. Il a les paupières tombantes, rendant son regard concentré et soucieux, tout comme sa moustache, qui s'étale gracieusement sur le rebord de ses lèvres. ... c'est Babinski ... » [p.125] ... Il procède à un examen physique très sommaire, à la suite duquel il « finit par regarder Eugénie d'un air intrigué. - Tout est normal. ... Votre père vous a fait interner pour une raison. Est-il vrai que vous communiquez avec les Esprits ? » [p.127]

Et Eugénie de se lancer dans un dialogue avec Babinski au sujet du "cirque à femmes" que pourrait devenir la Salpêtrière avec les bals, avant de concéder que son grand-père décédé lui a fait passer un message. « Je n'ai rien demandé. C'est arrivé, voilà tout. Babinski sourit. - Entendre des défunts n'est pas le genre de choses qui "arrivent", mademoiselle. » [p.128].
« L'assistant du docteur » apparaissait au début du roman comme l'un des acteurs d'une présentation de malade, une adolescente prénommée Louise à qui la surveillante a lancé un « Lâche tes cheveux. le docteur préfère » et « Laisse-toi faire et ça se passera bien ». Avant de rencontrer Babinski, elle passe devant quelques médecins et internes « masculins » : « Leur œil médical décortique Louise : ils semblent voir à travers la robe ». Babinski « regarde l'aliénée de haut en bas. - Elle fera l'affaire comme ça. » (p.10)

Il est amusant de lire ces échanges surréalistes, en regard de ce que l'on sait de Babinski : « Il possède un charme slave inoubliable. Il n’est pas bavard, tant avec les étudiants, externes, internes et assistants qui l’entourent qu’avec ses malades auxquels il ne dit pas un mot en les examinant. C’est « un silencieux », comme son maître Charcot [L. Rivet, « Joseph Babinski (1857-1932) », Bulletin et Mémoires de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris, 1932, 34, 1722-1733] et, comme l’exprime avec amour son élève Albert Charpentier, dans quelques vers in memoriam, ce « géant blond à l’œil bleu, [était] obstinément muet » [réf. : A. Charpentier, Un grand médecin. J. Babinski (1857-1932), Paris, 1934] » [Jacques Poirier, « Les frères Babinski. Un couple franco-polonais exemplaire ». Annales de l'Académie Polonaise des Sciences (Varsovie-Paris), 2012, Vol.14; 386].

Nous reviendrons plus loin sur cette réponse attribuée à Babinski, qu'entendre des défunts n'est pas le genre de choses qui arrivent, et qui, dans le roman, vaudrait l'internement à celle qui le prétend.

L'Ancienne

Un mot encore au sujet d'un autre personnage du roman, Geneviève Gleize, infirmière chef « que les aliénées ont surnommée l'Ancienne » (p.8), qui « contribue depuis près de vingt ans au travail et aux avancées du neurologue le plus célèbre de Paris » (p.12) et loge rue Soufflot, au 6e étage dans un « studio modeste » (p.18) au plafond voûté (p.20), où elle porte « son étroite blouse de service » (p.18).

Il est permis de penser que ce personnage est inspiré, même d'assez loin, par celui de Mademoiselle Marguerite Bottard, née le 29 janvier 1822, « soignante puis surveillante à la Salpêtrière de 1841 à 1901 » ainsi que l'indique une plaque apposée sur le Centre de long et moyen séjour qui porte aujourd'hui son nom au sein de l'établissement où elle était affectueusement surnommée Bot Bot.

Entrée à la Salpêtrière le 12 janvier 1841 comme fille de service dans le service d'Ulysse Trélat, aliéniste, Mlle Bottard passe infirmière suppléante et travaille chez Falret puis chez Legrand du Saulle avant d'être affectée en 1850 au service d'hystériques et épileptiques où elle est nommée sous surveillante en 1852, puis surveillante et surveillante chef le 1er octobre 1861. Ce service est dirigé par Charcot à partir de 1866. Elle prend sa retraite le 31 juillet 1901 et reste comme reposante à La Salpêtrière où elle meurt le 14 novembre 1906. Son exceptionnelle carrière lui vaut d'être nommée Chevalier de la Légion d'honneur, dont les insignes lui sont remis le 29 janvier 1898 par le directeur de l'hospice, Léon Grujon Le Bas.

Marguerite, contrairement à Geneviève, était, comme toutes ses collègues, astreinte à résider dans l'hospice : elle ne disposait certainement pas d'un « studio » en ville, un terme qui, autant que l'on sache, désignait un atelier d'artiste ou un cabinet de travail, et non pas le petit logement équipé, aujourd'hui commun dans les grandes villes.

En 1863, l'une des -vraies- surveillantes des sections d'aliénées, qui depuis quarante ans vit au milieu des folles, explique aller une fois par mois à Paris, chez ses parents, et ajoute « mais cela m'ennuie et, le soir, je suis bien contente de rentrer chez moi », c'est-à-dire à l'hospice.

Par ailleurs, l'une, Marguerite, comme l'autre, Geneviève, auraient été bien étonnées d'être créditées d'avoir apporté une contribution « aux avancées du neurologue le plus célèbre de Paris ».


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Une nouvelle histoire de la Salpêtrière ?

L'auteur du roman propose un petit historique de l'établissement (p.101-103) qui mérite quelques commentaires.

« Quand la dernière pierre de l'édifice avait été posée, le tri avait commencé : c'est d'abord les pauvres, les mendiantes, les vagabondes, les clochardes qu'on sélectionnait sur ordre du roi. Puis ce fut au tour des débauchées, des prostituées, des filles de mauvaise vie, toutes ces "fautives" étant amenées en groupes sur des charrettes, leurs visages exposés à l'œil sévère de la populace, leurs noms déjà condamnés par l'opinion publique. Vinrent ensuite les inévitables folles, les séniles, les violentes, les délirantes et les idiotes, les menteuses et les conspirationnistes, gamines comme vieillardes. Rapidement, les lieux s'emplirent de cris et de saleté, de chaînes et de verrous à double tour. »

De fait, cette Grande Maison de l'Hôpital Général a été affectée en vertu de l'Edit du Roi de 1656 au renfermement des pauvres mendiantes valides et invalides qui ne renonceraient pas à mendier ou ne se retireraient pas dans leur province d'origine. Les personnes, hommes et femmes, vivant de mendicité étaient alors à Paris au nombre de 50.000 environ, pour une population de 500.000 habitants. La Maison de la Salpêtrière est alors et restera longtemps un lieu d'assistance et de refuge pour les femmes indigentes et infirmes, mais aussi un lieu de réclusion où les pauvres qui ont continué à mendier sont conduites manu militari à partir de mai 1657. En décembre de cette année-là, on dénombre à Bicêtre et à la Salpêtrière 4.150 pauvres renfermés, tandis que plus de 40.000 « mendians, libertins et vagabonds » se sont retirés de Paris [est libertin celui qui ne respecte pas la loi commune, tandis que celui dont les mœurs sexuelles sont déréglées est généralement appelé un débauché].

Quant aux enfants des mendiants, aux enfants trouvés et aux orphelins, ils sont admis à la Pitié (l'ancienne Pitié, dans le quartier Saint-Victor), les filles à la Grande Pitié, les garçons à la Petite Pitié.

Certains des pauvres mendiants conduits de gré ou de force dans les deux maisons de l'Hôpital Général à partir de 1657 souffrent de troubles mentaux : la nécessité de les séparer des autres reclus conduit le Parlement de Paris -qui est une cour de justice- à prendre un arrêt, le 7 septembre 1660, imposant que chacun des deux établissements soit « pourvu d'un lieu pour enfermer les fols et les folles qui sont à présent, ou seront ci-après audit Hospital Général ». C'est le début d'un classement qui conduira en 1667 à ce qu'à la Salpêtrière, un dortoir soit réservé aux folles, un autre aux idiotes, un autre aux estropiées, un autre aux paralytiques, etc., qui préfigurent les quartiers de classement des asiles du XIXe siècle.

A partir de 1659 sont accueillis en tant que tels les vénériens, et en 1680 les épileptiques. De 1680 à 1684 est édifiée à la Salpêtrière la « Maison de force » que l'on peut encore voir de nos jours, divisée en quatre départements : la Grande Force, qui reçoit les femmes arrêtées par ordre du roi (lettre de cachet), la Prison, pour les femmes flétries par le Justice, la Correction, et le Commun, pour les filles publiques.

Au fil des années, les pauvres mendiantes et les aliénées d'esprit ont ainsi été rejointes, mais dans des locaux bien séparés, par les vénériennes, les épileptiques, puis par les prisonnières condamnées, les correctionnaires, les filles et femmes de mauvaise vie.


Selon l'auteur du roman, « Entre l'asile et la prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les femmes. »
Il est vrai que la Salpêtrière de l'Ancien Régime fut donc à la fois un asile, une prison, mais aussi un hospice, et ne recevait que des femmes, tandis que, nous l'avons dit, Bicêtre, « hospice, prison, asile » - comme l'indique le sous-titre de l'ouvrage de Paul Bru, Histoire de Bicêtre, 1890 -, était réservé aux hommes.

Mais qui écrira que l'on mit à Bicêtre ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les hommes ?


Plus loin :
« Au XVIIIe siècle, par éthique ou par manque de place, seules les femmes atteintes de troubles neurologiques furent désormais admises. On passa un coup de serpillière dans les lieux insalubres, on retira les fers des pieds des détenues et on désengorgea les cellules trop pleines. C'était sans compter avec la prise de la Bastille, les décapitations et l'instabilité féroce qui s'abattit sur le pays pendant plusieurs années. En septembre 1792, les sans-culottes demandèrent à libérer les prisonnières de la Salpêtrière; la Garde nationale s'exécuta, et les femmes, trop heureuses de s'enfuir, se retrouvèrent finalement violées et exécutées à coups de hache, gourdin et masse sur le pavé des rues. Libres ou enfermées, en fin de compte, les femmes n'étaient en sécurité nulle part. Depuis toujours, elles étaient les premières concernées par des décisions qu'on prenait sans leur accord. »

Il est difficile de commenter un paragraphe qui contient tant d'erreurs et d'approximations. Durant tout le XVIIIème siècle, les diverses catégories citées plus haut continuèrent d'être admises à la Salpêtrière, et aucune restriction n'est faite, ni par éthique, ni par manque de place : la Salpêtrière reçoit les femmes dans la misère ou l'indigence, les aliénées, dans des quartiers distincts, au nombre d'environ 300 en 1701 (sur 3655 personnes), de 550 en 1790 (sur 6704 personnes, employées comprises), les épileptiques, prisonnières, correctionnaires etc. Le terme et le concept de troubles neurologiques sont anachroniques et inadaptés : la neurologie n'existe pas en ce temps-là.

Quant à ce qui est dit de l'amélioration de l'hygiène et de l'abolition du recours aux chaînes, il semble que cela ne peut guère se rapporter qu'aux réformes initiées par Philippe Pinel, bien après la prise de la Bastille, et réalisées par Jean-Baptiste Pussin à partir de 1797 puis de 1802 sous l'égide de la nouvelle administration du Conseil Général des Hospices.

En septembre 1792 eurent bien lieu des massacres dans les prisons parisiennes, y compris dans celles de Bicêtre et de la Salpêtrière : une rumeur laissait penser qu'en leur sein était ourdi un complot visant à assassiner les représentants de le Nation. Des sans-culottes firent le tour des lieux de détention, jugeant sommairement, condamnant en dehors de toute forme légale et exécutant sur le champ les supposés ennemis de la République, sans distinction de sexe.

A la Salpêtrière, le 21 septembre 1792, une quarantaine - certaines sources donnent le nombre de trente-cinq - de prisonnières de la Force furent ainsi assassinées, non pas sur le pavé des rues, mais sur celui de la bien nommée depuis Cour du massacre, innocentes victimes de la férocité de quelques fanatiques.

A Bicêtre, établissement réservé aux hommes, les massacreurs firent 192 victimes parmi les occupants des salles de force, des cabanons et de la correction.

Pourrait-on en inférer - pour paraphraser Victoria Mas - que, Libres ou enfermés, en fin de compte, les hommes n'étaient en sécurité nulle part. Depuis toujours, ils étaient les premiers concernés par des décisions qu'on prenait sans leur accord ?

De quelques traitements de l'hystérie-maladie

Poursuivons.
« Le début du siècle laissa percer une lueur d'espoir : des médecins un peu plus appliqués prirent en charge le service de celles qu'on ne se lassait pas de nommer "les folles". Des avancées médicales émergèrent; la Salpêtrière devint un lieu de soins et de travaux neurologiques. Une toute nouvelle catégorie d'internées se forma dans les différents secteurs de l'enceinte : on les nomma hystériques, épileptiques, mélancoliques, maniaques ou démentielles. Les chaînes et les haillons laissèrent place à l'expérimentation sur leurs corps malades : les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d'hystérie; l'introduction d'un fer chaud dans le vagin et l'utérus réduisait les symptômes cliniques; les psychotropes - nitrite d'amyle, éther, chloroforme - calmaient les nerfs des filles [...] » (p.102-103)

La méthode de la compression des ovaires a bien été employée pour suspendre la crise d'hystérie. On sait moins que, chez l'homme, la compression des testicules a été quelquefois pratiquée dans ce même but d'interrompre une crise (nous renverrons à notre livre sur l'histoire des traitements médicaux en psychiatrie, page 151).

Mais nous serions très intéressé de savoir où, quand et par qui a été employée cette méthode barbare consistant à introduire un « fer chaud dans le vagin et l'utérus », à moins qu'il ne s'agisse du thermophore vaginal, très marginalement utilisé pour traiter le vaginisme hystérique et dont l'application ne peut provoquer de brûlure [Le thermophore ne doit pas être confondu avec le psychrophore, qui permettait d'injecter de l'eau très froide dans l'urètre des hommes onanistes ou présentant des pollutions nocturnes, que Sigmund Freud recommanda à quelques-uns de ses patients]. Quoiqu'il en soit, il nous semble impossible qu'ait été pratiquée la cautérisation de ces deux organes internes, au XIXe siècle qui plus est.

En revanche, l'éther et le chloroforme en inhalation ont bien été employés pour calmer les crises, mais ils pouvaient aussi les provoquer, comme d'ailleurs le compression des ovaires évoquée précédemment.

Quant au nitrite d'amyle, il peut moins encore que les deux autres être présenté comme un psychotrope : il s'agit d'un puissant vaso-dilatateur proche d'un autre dérivé nitré, la trinitrine, ce précieux traitement de l'angine de poitrine.

Ajoutons parmi les rares substances de synthèse dont disposaient les médecins de ce temps pour traiter l'agitation et l'insomnie mais non citées dans le roman, le chloral, excellent somnifère, et le bromure de potassium qui tient une place de choix dans la pharmacopée comme ayant été aussi le premier anti-épileptique, seul ou en association à l'opium.

On regrettera d'autres oublis dans le roman. S'il est fait mention de la métallothérapie que Charcot préférait appeler métalloscopie qui est l'usage thérapeutique des métaux, et de la magnétothérapie, l'usage des aimants, quelques autres méthodes de traitement sont oubliées, la vibrothérapîe - le grand diapason du docteur Romain Vigouroux et la tige vibrante de Boudet de Pâris auraient pu utilement traiter l'une ou l'autre des jeunes hystériques du service, le casque vibratoire de Gilles de la Tourette soulager quelques symptômes - et surtout l'électrothérapie, qui est l'utilisation thérapeutique des courants galvaniques et faradiques, employés également comme agent d'exploration neuropathologique avec Duchenne de Boulogne puis Vigouroux.

Un point de terminologie

Un autre point mérite d'être souligné : il est inexact de dire qu'au début du XIXe siècle, « on ne se lassait pas de nommer "les folles" » les malades mentales de la Salpêtrière : les termes folles et insensées avaient été remplacés à la fin du XVIIIe siècle par celui d'aliénées, jusqu'à ce que ce dernier soit devenu péjoratif au siècle dernier. A moins que ceux qui, selon l'auteur du roman, ne se lassaient pas de les nommer ainsi soient le grand public, les écrivains et les journalistes ?

Quant à l'idée de la formation d'une toute nouvelle catégorie d'internées, elle a germé dans l'imagination de la romancière : les concepts de mélancolie, de manie et de démence - qui touche les démentes, et non les démentielles, un adjectif à tort substantivé - remontent à l'Antiquité, et ont été modernisés par Philippe Pinel à la fin du XVIIIème siècle. L'hystérie et l'épilepsie également sont des maladies connues d'Hippocrate, mais elles ne relèvent pas en soi d'un internement.


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Le bal des folles

« Et avec l'arrivée de Charcot au milieu du siècle, la pratique de l'hypnose devint la nouvelle tendance médicale. Les cours publics du vendredi volaient la vedette aux pièces de boulevard, les internées étaient les nouvelles actrices de Paris [...]. Les folles n'effrayaient plus, elles fascinaient. C'est de cet intérêt qu'était né, depuis plusieurs années, le bal de la mi-carême, leur bal, l'évènement annuel de la capitale, où tous ceux qui pouvaient se vanter de détenir une invitation passaient les grilles d'un endroit autrement réservé aux malades mentales. » [p.103]

« En dehors de l'hôpital, le haut-Paris dispose de son carton d'invitation : "Vous êtes cordialement conviés au bal costumé de la mi-carême qui aura lieu le 18 mars 1885 à l'hôpital de la Salpêtrière." Médecins, préfets, notaires, écrivains, journalistes, politiciens, aristocrates, tous membres de la sphère parisienne privilégiée, attendent le bal avec une euphorie identique à celle des folles. Dans les salons, on ne parle plus que de l'évènement à venir. On évoque les bals des précédentes années. [...] Pour ces bourgeois, fascinés par les malades qu'ils ont l'occasion, une fois dans l'année, de côtoyer de près, ce bal vaut toutes les ièces de théâtre, toutes les soirées mondaines auxquelles ils assistent habituellement. » [p.134-135]

« Sur la petite place en retrait de la route, une agitation inhabituelle a pris forme : des fiacres arrivent par dizaines, contournent le petit rond-point, s'arrêtent un à un. Les portières s'ouvrent et des passagers descendent sur la place pavée. Les silhouettes des couples sont apprêtées. Un coup d'œil aux parures laisse comprendre qu'il s'agit d'un Paris qui n'a pas de mal à se nourrir. » [p.226]


Ainsi donc, si l'on suit l'auteur du roman, le bal des folles serait né de l'intérêt suscité par Charcot et ses présentations de malades, qui amène à s'y presser chaque année des dizaines de couples de représentants de la « sphère parisienne privilégiée », de la bourgeoisie qu'une fascination morbide ambiguë rend impatients d'assister à l'évènement.

Pourtant, comme nous l'avons dit, le premier bal dit des folles dont nous avons connaissance a eu lieu en 1835 - Charcot était alors âgé de dix ans -, organisé dans le service d'Etienne Pariset, à la demande de ses aliénées et pour les divertir.

Dans les années 1860, trois bals masqués - le dimanche, le mardi gras, qui est le jour qui précède le carême, et à la mi-carême, qui est le vingtième des quarante jours du jeûne avant Pâques - ont lieu chaque année à la Salpêtrière dans chaque section d'aliénées, et seulement dans celles-là. Rappelons que Charcot a été nommé médecin à l'hospice de la Vieillesse-femmes le 13 novembre 1861 et a pris ses fonctions début janvier 1862.

Les médecins étaient loin d'avoir le pouvoir dont on les crédite généralement, et en particulier celui d'organiser des bals de leur propre chef : l'interdiction dans les années 1840 de donner des pièces de théâtre à Bicêtre ou à assister aux cours de Jean-Pierre Falret à la Salpêtrière, l'interdiction des présentations de malades à Sainte-Anne en 1873 en sont de bonnes illustrations.

Le journaliste Guillaume Livet, du Gaulois, écrit en 1881 : « J'arrive avec cinq ou six privilégiés auxquels M. Quentin a bien voulu accorder une invitation ».
Charles Quentin, alors le directeur de l'Assistance Publique, semble avoir eu cette prérogative partagée avec le directeur de l'hôpital-hospice, de choisir les invités, qui ne sont jamais qu'en très petit nombre. Rien ne permet de penser que les médecins de l'établissement aient eu la possibilité d'y convier des personnes étrangères à l'établissement, même s'ils avaient sans doute celle de proposer des noms à leur directeur.

Quelques invité(e)s

Parmi les personnes présentes -dans la réalité, et non dans le roman- sur la période étudiée, on relèvera le docteur Ernest Peyron, directeur de l'Assistance Publique et son successeur Henri Napias, Léon Grujon Le Bas, directeur de l'hospice et son successeur Raymond Montreuil, Adolphe Quellet, économe de l'hospice, les docteurs Étienne Pariset, Auguste Voisin et Henri Legrand du Saulle, aliénistes de la maison, Jules Luys et Jean-Martin Charcot, médecins des services médicaux, et Paul Blocq, ainsi que Mademoiselle Fanni Nicolle -nom souvent orthographié Nicole-, directrice des écoles de la Salpêtrière, Madame Aloncle, surveillante de l'hospice, etc.

Parmi les invités extérieurs qui ont assisté au bal de 1887 à 1903 et dont nous avons glané les noms, quelques représentants du monde des arts et des lettres, Guy de Maupassant, Jules Jouy et Théodore Cahu, les peintres Fernand Cormon, Cabanes [sans doute Louis-François Cabanes] et André Brouillet, peintre du Cours de M. Charcot à la Salpêtrière, mais aussi Pedro Gailhard, directeur de l'Opéra, Gustave Eiffel, Edmond Frédet, médecin thermal de Clermont-Ferrand, le docteur Paul [sans doute Constantin Paul], le marquis Miguel Martins d'Antas, ministre -entendons ambassadeur- du Portugal à Paris et le baron Ramon.

Une place à part doit être faite à deux femmes qui ont chacune publié le récit de leur soirée :
- en 1892 Gabriela Zapolska, actrice et femme de lettres polonaise, auteur de « Balu wariatek w Salpêtrière » paru à Varsovie dans le Przeglad Tygodniowy. Zapolska, qui séjourne à Paris de 1889 à 1895, « était d'autant mieux renseignée qu'une de ses connaissances polonaises faisait elle-même partie de l'équipe du Professeur Charcot », précise Lisbeth Virol, traductrice avec Arturo Nevill de textes publiés sous le titre : Madame Zapolska et la Scène parisienne, Éditions de la Femme pressée, 2004. Il s'agit probablement de Joseph Babinski, né à Paris de parents polonais émigrés.
- en 1898 Adrienne Avril de Sainte-Croix, auteur et militante féministe engagée, franc-maçonne membre de la loge du droit humain.

Mais nous n'avons pas croisé ces bourgeoises aux parures de diamants qui assistèrent au bal du roman [p.227].

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Spiritisme et occultisme

Croire que les esprits des défunts peuvent communiquer avec les vivants, penser pouvoir communiquer avec l'au-delà vaut-il un internement ? Et pas comme Eugénie une hospitalistion dans le service de Charcot en tant qu'hystérique, mais bien un internement dans un asile, dans une maison de santé ou dans un quartier d'hospice en tant qu'aliénée ?

Aurait-il été légitime d'interner le docteur Gérard Encausse dit Papus, chef de laboratoire dans le service de Jules Luys, l'astronome Camille Flammarion -qui prononce l'éloge funèbre de Kardec-, Baudelaire, Joseph de Maistre, Balzac, Victor Hugo qui communique avec feu sa fille Léopoldine, Alexandre Dumas, George Sand, Théophile Gautier, le peintre Gustave Courbet...?

Ou encore l'auteur dramatique et membre de l'Académie Française Victorien Sardou qui fit participer l'impératrice Eugénie à des séances de spiritisme, l'éditeur Pierre-Gaëtan Leymarie qui succède à Kardec à la tête du mouvement spirite, l'industriel Jean-Baptiste Godin, le photographe Edouard Buguet, l'écrivain et critique d'art Joris-Karl Huysmans et son ami l'ethnographe Gustave Boucher, Jacques Boucher de Perthes, considéré comme le père de la préhistoire, etc. etc. ?

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Victimes, forcément victimes

Eugénie, « envoyée par son propre père croupir entre les murs de ce qu'il faut bien appeler une prison » [4e de couverture], Louise, violée par son oncle, abusée puis violée par Jules, interne en médecine immoral et pervers, Thérèse, qui a poussé dans la Seine son souteneur violent, Rose-Henriette, domestique harcelée par son patron, Anne-Claude, tombée dans les escaliers en fuyant les coups de son mari, Valentine, agressée par un obsédé...

« Bon, y a pas que des femmes qui sont là à cause de gars, bien sûr. » [p.112-113]. Mais toutes subissent de surcroit le voyeurisme des invités au bal. « Victoria Mas choisit de suivre le destin de ces femmes victimes d'une société masculine qui leur interdit toute déviance et les emprisonne » [4e de couverture].

Un effet de mode a sans doute joué dans le succès d'un roman [lauréat du prix Renaudot des lycéens 2019] à forte tendance manichéenne.

Mais il est fâcheux qu'il passe pour une étude historique documentée et qu'il devienne une référence pour ceux qui s'intéressent à l'histoire sociale de la psychiatrie.

Le Bal des folles fut avant tout un divertissement innocent et salutaire pour les femmes de la Salpêtrière, et non un spectacle pour bourgeois immoraux.

Un dernier mot : que l'Académie nationale de médecine (Paris), institution vénérable et savante, ait décerné au roman de Victoria Mas le Prix Jean Bernard 2020 [occasion pour le professeur Jacques Battin d'adresser un « vif éloge » à la lauréate] laisse pantois...
 

Michel Caire, 2020-2023
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