Projets et discussions préparatoires à la loi du 30 juin 1838


Nous avons le plaisir de mettre en ligne sur notre site, grâce au travail effectué par Julie Froudière, docteur ès lettres de l'Université de Nancy (2010), un ensemble de textes publiés lors de la phase préparatoire et d'élaboration de la loi du 30 juin 1838 (et en format pdf) :



Enquête du 25 juin 1836. Questions relatives aux aliénés

Projet de loi déposé par le Gouvernement (6 janvier 1837)

Projet de loi amendé par la Commission de la Chambre des Députés (1)

Projet de loi amendé par la Commission de la Chambre des Pairs (1)

Explication du nouveau projet de loi par le ministre de l'Intérieur devant la Chambre des Pairs (15 janvier 1838)

Projet de loi amendé par la Commission de la Chambre des Députés (2)


G. Ferrus. Des aliénés (extrait du chapitre sur la question du placement des aliénés, 1834)


J.-P. Falret. Observations sur le projet de loi relatif aux aliénés (Paris, 1837)


Esquirol. Examen du projet de loi sur les aliénés (Paris, 1838)


Adéodat Faivre. Examen critique du projet de loi sur la séquestration des aliénés (Lyon, 1838)





Enquête du 25 juin 1836. Questions relatives aux aliénés


Ière SÉRIE
NOMBRE ET POSITION DES ALIÉNÉS

1° Quel est le nombre des aliénés secourus dans des établissements spéciaux ?
Quel est le nombre des aliénés secourus dans des établissements non spéciaux ?
Quel est le nombre des aliénés secourus dans leurs familles ?
Quel est le nombre des aliénés non secourus et déposés dans les prisons ?
Quel est le nombre des aliénés non secourus en état de vagabondage ?


2° Parmi ceux qui sont enfermés, quel est le nombre comparatif ou le rapport des aliénés interdits et des aliénés non interdits ?


3° L'interdiction est-elle préalablement exigée pour l'admission d'un aliéné dans une maison de santé ? ou bien n'exige-t-on que la simple réquisition de l'autorité judiciaire et administrative ; ou, enfin, accorde-t-on l'admission sur la simple demande des parents ou tuteurs, accompagnée d'un certificat de médecin constatant l'aliénation mentale?


4° Comment se fait l'arrestation des aliénés ; de quelles précautions est-elle entourée ?


5° Aucun aliéné ne séjourne-t-il dans une maison de santé, sans qu'une enquête ait été ordonnée à son égard, et sans qu'il ait été l'objet de plusieurs interrogatoires ou examens contradictoires ?


6° Quel est le mode suivi pour l'administration provisoire de ses biens ?

IIe SÉRIE
ADMINISTRATION, BÂTIMENTS, ET HYGIÈNE

1° Quelle est la nature de chaque établissement ? est-il spécial ou mixte, c'est-à-dire exclusivement consacré, ou non, aux aliénés ?

2° Où est-il situé et à qui en appartient la propriété ou la direction ?


3° A défaut d'établissement spécial ou mixte, où envoie-t-on les aliénés ?


4° Quel est l'état des bâtiments affectés aux aliénés ?


5° Ont-ils été élevés avec une destination spéciale ? Quel est leur origine ? Remplissent-ils le but qu'on s'est proposé en les élevant ou en les accommodant à leur destination nouvelle ? Permettent-ils d'établir un classement méthodique parmi les malades ; c'est-à-dire de les séparer suivant leur état et la nature de leurs maladies ?


6° Sont-ils susceptibles d'augmentation ou d'amélioration ? Quelles sont les améliorations reconnues utiles et projetées ?


7° Comment les aliénés sont-ils logés ? Quelle est la dimension moyenne des loges, ou l'intervalle des lits dans les dortoirs ?

8° Quels sont les moyens de propreté et de ventilation employés dans les loges ou dortoirs, et surtout dans les salles de gâteux ?

9° L'établissement possède-t-il un préau ou promenoir ?

10° Quelle est la nature du sol ? Est-il sec ou humide, bas ou élevé ?

11° Quelle est l'exposition solaire ; et quels sont les vents régnants ?

12° Quelles sont les qualités et la nature des eaux ? En quelle quantité sont-elles réparties dans l'établissement, soit pour l'arrosement général, soit pour les bains, soit pour l'usage des malades ?

13° Quelles sont les heures du lever et du coucher, dans chaque saison de l'année ?

14° Quel est le régime des aliénés ? A quelles heures se font les repas ?

15° A quels travaux sont-ils occupés, dans un but de distraction et de traitement ?

IIIe SÉRIE
SERVICE MÉDICAL

1° Un médecin est-il spécialement attaché à l'établissement ? Y loge-t-il ?

2° A-t-il des aides ou des élèves ?

3° Visite-t-il tous les jours ses malades ?

4° Tient-il régulièrement un journal de visite et un cahier d'observations ?

5° Est-ce lui qui accorde ou refuse aux étrangers ou aux parents des aliénés, la permission de communiquer avec ceux-ci ?

6° Est-ce lui qui règle la discipline et le régime intérieur de la maison ?

7° Partage-t-il ses soins entre l'établissement et une clientèle au dehors ?

8° Quel est son traitement comme médecin des aliénés ?

9° Les préparations pharmaceutiques se font-elles dans la maison ? Qui est-ce qui en est chargé ?

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Projet de loi déposé par le Gouvernement (6 janvier 1837)


ARTICLE PREMIER

Nul individu atteint d'imbécillité, de démence ou de fureur, dont l'interdiction n'aura pas été prononcée, ne pourra, sous les peines portées par l'article 120 du Code pénal, être placé ou retenu dans aucun hospice ou autre établissement public ou privé affecté au traitement de l'aliénation mentale, qu'en vertu d'une autorisation ou d'un ordre du préfet.

ARTICLE 2

L'autorisation sera délivrée sur la demande des parents ou de l'époux.
Elle le sera sur la demande de l'autorité militaire pour les militaires.
Le placement, soit avant, soit après l'interdiction, pourra être ordonné d'office par le préfet, lorsqu'il sera motivé par l'intérêt de la sûreté publique.
L'autorisation ou l'ordre seront donnés par le préfet sur les rapports du maire ou du sous-préfet, et sur l'avis d'une commission instituée dans les formes qui seront déterminées par un règlement d'administration publique.

ARTICLE 3

En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, le maire pourra ordonner, à l'égard des individus désignés dans l'article 1er, les mesures provisoires qui seraient nécessaires, sauf à en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai dans les formes indiquées par l'article précédent.

ARTICLE 4

Tout individu placé en vertu des articles précédents dans les établissements qui y sont désignés n'y sera plus retenu dès que les causes du placement auront cessé.
Aussitôt que les médecins estimeront que la sortie peut être ordonnée, il en sera référé par les directeurs et administrateurs au préfet, qui statuera immédiatement après avoir pris l'avis de la commission instituée en vertu de l'article 2.
Les causes du placement seront de droit considérées comme ayant cessé :
1° Si depuis le placement un jugement rendu sur la demande d'un individu ou de sa famille, ou sur la provocation du procureur du roi, a prononcé qu'il n'y a lieu ni à l'interdiction ni à l'administration provisoire ;
2° Si le temps pour lequel l'autorisation ou l'ordre ont été délivrés s'est écoulé sans qu'ils aient été renouvelés ou sans qu'il soit intervenu aucun jugement prononçant soit l'interdiction, soit l'administration provisoire.
Aucune autorisation ni aucun ordre ne pourront avoir d'effet pendant plus de six mois, ni être renouvelés plus de trois fois.

ARTICLE 5

Toute autorisation ou ordre délivrés en vertu des articles 1er et 2 sont, dans les trois jours, notifiés administrativement par le préfet :
1° Au procureur du roi de l'arrondissement du domicile de la personne indiquée dans l'ordre ;
2° A celui de l'arrondissement où est situé l'établissement ;
3° A la commission formée en exécution de l'article 2.

ARTICLE 6

Indépendamment des cas prévus par l'article 491 du Code civil, le procureur du roi, sur la demande du préfet, provoquera l'interdiction de tout individu placé, en vertu d'un ordre délivré d'office, dans un hospice ou établissement d'aliénés, comme atteint d'imbécillité, de démence ou de fureur.
Les frais de cette procédure seront avancés par l'administration de l'enregistrement, sur le pied du tarif fixé par le décret du 18 juin 1811, et les actes auxquels cette procédure donnera lieu seront visés pour timbre et enregistrés en débet, conformément aux lois des 13 brumaire et 22 frimaire an VII.
Si l'interdit, ses père, mère, époux ou épouse, sont dans un état d'indigence dûment constaté par certificat du maire, visé et approuvé par le sous-préfet et par le préfet, il ne sera passé en taxe que les salaires des huissiers et l'indemnité due aux témoins non parents ni alliés de l'interdit.

ARTICLE 7

Tous les établissements publics et privés où sont reçus les aliénés, sont placés sous la surveillance de l'autorité administrative ; les préfets, les procureurs du roi et ceux des membres de la commission instituée par l'article 2 de la présente loi qui seraient délégués par les préfets, doivent être admis à les inspecter toutes les fois qu'ils s'y présentent.

ARTICLE 8

Aucun établissement destiné au traitement de l'aliénation mentale ne pourra se former sans l'autorisation du Gouvernement. Aucun établissement consacré au traitement des diverses malades ne pourra recevoir des individus atteints d'imbécillité, de démence ou de fureur, s'il n'a été préalablement autorisé par le Gouvernement à traiter cette espèce de maladie.

ARTICLE 9

Les hospices et autres établissements publics désignés en l'article 1er sont tenus de recevoir les individus qui leur sont adressés, en vertu d'un ordre de placement délivré conformément aux articles 1er, 2 et 3 de la présente loi.

ARTICLE 10

Il sera tenu, dans chacun des établissements désignés par la présente loi, un registre spécial indiquant les noms et domiciles des individus placés en vertu de la présente loi, l'ordre d'admission, l'époque de l'entrée et celle de la sortie.

ARTICLE 11

Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations énoncées dans l'article 9, les cas où elles pourront être retirées, et les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés.

ARTICLE 12

Les contraventions aux dispositions des articles 8 et 10 de la présente loi et aux règlements rendus en vertu de l'article précédent seront punies d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 50 à 3 000 F.
Il pourra toujours être fait application de l'article 463 du Code pénal.

ARTICLE 13

La dépense de l'entretien, du séjour et du traitement des individus placés en vertu de l'article 9 de la présente loi, dans les établissements désignés par cet article, leur sera personnelles ; à défaut, à la charge de ceux auxquels il peut être demandée des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil.
Cette dépense sera fixée d'après un tarif réglé par le préfet.
Le recouvrement sera poursuivi et opéré à la diligence de l'administration de l'enregistrement.

ARTICLE 14

A défaut ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées dans l'article précédent, il sera pourvu à cette dépense sur les centimes variables du département, sans préjudice du concours de la commune du domicile des aliénés et des hospices, d'après les bases proposées par le conseil général sur l'avis des préfets, et approuvées par le Gouvernement.

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Projet de loi amendé par la Commission de la Chambre des Députés (1)


TITRE PREMIER
DES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS

§ 1er - Des établissements publics

ARTICLE PREMIER

(Art. 7 du Gouvernement) - Les établissements publics consacrés aux aliénés sont placés sous l'autorité du Gouvernement.

§ 2 - Des établissements privés

ARTICLE 2

(Art. 7 du Gouvernement) - Les établissements publics consacrés aux aliénés sont placés sous l'autorité du Gouvernement.
Le préfet et les personnes qu'il aura spécialement déléguées à cet effet, le président du tribunal et le procureur du Roi, doivent être admis à les inspecter toutes les fois qu'ils s'y présentent.

ARTICLE 3

(Art. 8 du Gouvernement) - Nul ne pourra diriger ni former aucun établissement privé, consacré aux aliénés, sans l'autorisation du Gouvernement.
Aucun établissement privé, consacré au traitement d'autres maladies, ne pourra recevoir les personnes atteintes d'aliénation mentale.

ARTICLE 4

(Art. 11 du Gouvernement) - Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations énoncées en l'article précédent, les cas où elles pourront être retirées, et les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés.

TITRE II
DES PLACEMENTS FAITS DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS

§ 1er- Des placements volontaires


ARTICLE 5

(Art. 1 et 2 du Gouvernement) - Les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements désignes dans les articles 1 et 2, lorsqu'ils recevront une personne atteinte d'aliénation mentale, se feront remettre : 1° Une demande d'admission, écrite et signée par la personne qui fera effectuer le placement, et, si cette personne ne sait écrire, reçue par le maire ou le commissaire de police, chargé d'en donner acte ; 2° Un certificat de médecin constatant l'état mental, de la personne à placer, et indiquant les particularités de sa maladie et ses causes, si elles sont connues. Ce certificat devra avoir été délivré quinze jours au plus avant sa remise ; 3° L'acte de naissance, le passeport ou toute autre pièce propre à constater l'individualité de cette personne ; 4° S'il existe un jugement d'interdiction, un extrait de ce jugement.
Les établissements publics pourront se dispenser d'exiger avant l'admission la production du certificat de médecin.
Il sera fait mention de toutes les pièces produites dans un bulletin d'entrée qui sera envoyé dans les vingt-quatre heures, avec un certificat du médecin de l'établissement, au préfet de police à Paris, au préfet ou au sous-préfet dans les départements, et aux maires dans les communes autres que les chefs-lieux d'arrondissement ou de département. Le sous-préfet et le maire en feront immédiatement l'envoi au préfet.

ARTICLE 6

Dans les trois jours de la réception du bulletin, le préfet chargera un ou plusieurs hommes de l'art de visiter la personne désignée dans ce bulletin, à l'effet de constater son état mental et d'en faire rapport sur-le-champ.

ARTICLE 7

(Art. 5 du Gouvernement) - Dans le même délai, le préfet notifiera administrativement les noms, profession et domicile de la personne placée et les causes du placement : 1° Au procureur du Roi de l'arrondissement de la situation de l'établissement.

ARTICLE 8

(Art. 4 du Gouvernement) - Sauf l'exception portée par l'article 14, toute personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue aussitôt que les médecins estimeront que la guérison est obtenue, ou que sa famille demandera qu'elle lui soit rendue.

ARTICLE 9

Dans les vingt-quatre heures de la sortie, les chefs, directeurs ou préposés responsables de l'établissement en donneront avis aux autorités désignées dans le dernier paragraphe de l'article 5.

ARTICLE 10

Le préfet pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées dans les établissements d'aliénés.

§ 2 - Des placements ordonnés par l'autorité publique

ARTICLE 11

(Art. 1 et 2 du Gouvernement) - Le préfet de police à Paris, et dans les départements les préfets, pourront ordonner d'office le placement dans un établissement public d'aliénés de toute personne, interdite ou non interdite, dont l'état d'aliénation compromettrait la sûreté publique.

ARTICLE 12

(Art. 3 du Gouvernement) - En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police de Paris et les maires dans les départements pourront ordonner, à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai.

ARTICLE 13

(Art. 4 du Gouvernement, dernier paragraphe) - Aucun ordre de placement ne pourra avoir d'effet pour plus de six mois.
Avant l'expiration de ce délai, une nouvelle visite sera ordonnée conformément à l'article 6, et le préfet décidera si l'ordre doit être renouvelé.
En cas d'expiration du délai sans que l'ordre ait été renouvelé la personne placée cessera d'être retenue.

ARTICLE 14

Le préfet pourra décerner, à l'égard des personnes placées dans des établissements d'aliénés, conformément à l'article 5, et dont l'état mental pourrait compromettre la sûreté publique, un ordre spécial à l'effet d'empêcher qu'elles ne sortent de l'établissement sans son autorisation, si ce n'est pour être placées dans un autre établissement.
Les chefs, directeurs ou préposés responsables seront tenus de se conformer à cet ordre.

ARTICLE 15

(Art. 5 du Gouvernement) — Les procureurs du Roi seront informés de tous les ordres donnés en vertu des articles précédents, dans les formes et délais énoncés en l'article 7.
Il en sera également donné avis au ministre de l'intérieur.

ARTICLE 16

(Art. 9 du Gouvernement) — Les établissements publics d'aliénés sont tenus de recevoir les personnes qui leur sont adressées en vertu d'un ordre de placement donné par le préfet.
Les hospices civils sont également tenus de les recevoir provisoirement, jusqu'à ce qu'elles soient dirigées sur un établissement spécial d'aliénés, ou pendant le trajet qu'elles font pour s'y rendre.
Les aliénés ne pourront être déposés en aucun autre lieu dans les communes où il existe des hospices.

ARTICLE 17

(Art. 4 du Gouvernement, 2e paragraphe) — Aussitôt que les médecins estimeront que la sortie peut être ordonnée, il en sera référé au préfet, qui statuera sans délai.

ARTICLE 18

(Art. 13 du Gouvernement) — La dépense du transport, de l'entretien, du séjour et du traitement des personnes placées dans les hospices ou les établissements publics d'aliénés, en vertu d'un ordre du préfet, sera à la charge de ces personnes ; à défaut, à la charge de ceux auxquels il peut être demandé des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil.
Cette dépense sera fixée d'après un tarif réglé par le préfet.
Le recouvrement sera poursuivi et opéré à la diligence de l'administration de l'enregistrement.

ARTICLE 19

(Art. 14 du Gouvernement) — A défaut ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées en l'article précédent, il sera pourvu à cette dépense sur les centimes variables du département, sans préjudice du concours de la commune du domicile de l'aliéné, d'après les bases proposées par le conseil général, sur l'avis du préfet, et approuvées par le Gouvernement.
Les hospices seront tenus à une indemnité proportionnée au nombre des aliénés dont le traitement ou l'entretien étaient à leur charge, et qui seront placés dans un établissement public d'aliénés.
En cas de contestation, il sera statué par le conseil de préfecture.

§ 3 - Dispositions communes à toutes les personnes placées dans les établissements publics

ARTICLE 20

(Art. 4 du Gouvernement) — Les chefs, directeurs ou préposés responsables ne pourront, sous les peines portées par l'article 120 du Code pénal, retenir une personne placée dans un établissement d'aliénés, dès que les causes du placement auront cessé d'exister.
En cas de réclamation formée par la personne placée, ou par sa famille, ou d'office par le procureur du Roi, le tribunal civil décidera si les causes du placement ont cessé d'exister.

ARTICLE 21

Les commissions administratives des hospices ou établissements d'aliénés exerceront, à l'égard des personnes non interdites qui y seront placées, les fonctions de tutelle établies à l'égard des enfants admis dans les hospices par l'article 1er de la loi du 15 pluviôse an XIII : cette tutelle sera gratuite, et garantie conformément à l'article 5 de la même loi.
Néanmoins, les familles pourront toujours recourir, à l'égard de ces personnes, aux dispositions des articles suivants.

ARTICLE 22

Sur la demande des parents, de l'époux ou de l'épouse, ou sur la provocation d'office du procureur du Roi, le président du tribunal civil pourra nommer un administrateur provisoire aux biens de toute personne non interdite placée dans un établissement privé, ou dans un établissement public, non dirigés par une commission administrative.

ARTICLE 23

Le président, à la requête de la partie la plus diligente, commettra un notaire pour représenter les personnes énoncées en l'article précédent, dans les inventaires, comptes, partages et liquidations dans lesquelles elles seraient intéressées.

ARTICLE 24

Les pouvoirs conférés en exécution des articles précédents cesseront de plein droit dès que la personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue.

ARTICLE 25

Si la personne décède dans l'établissement sans que son interdiction ait été prononcée ni provoquée, les actes qu'elle aura faits pendant qu'elle y était retenue pourront être attaqués pour cause de démence, nonobstant la disposition de l'article 504 du Code civil.

TITRE III
DISPOSITIONS GÉNÉRALES


ARTICLE 26

(Art. 12 du Gouvernement) - Les contraventions aux dispositions des articles 3, 5 et 14 de la présente loi, et aux règlements rendus en vertu de l'article 4, seront punies d'un emprisonnement de 5 jours à un an, et d'une amende de 50 fr. à 3 000 fr., ou de l'une ou de l'autre de ces peines.
Il pourra être fait application de l'article 163 du Code pénal.

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Projet de loi amendé par la Commission de la Chambre des Pairs (1)


TITRE PREMIER
DES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS


ARTICLE PREMIER

Chaque département sera tenu d'avoir un établissement public destiné à recevoir les aliénés, ou de traiter avec un établissement public ou privé, qui s'engagera à les recevoir.
Les traités passés avec les établissements privés en vertu du paragraphe précédent, ne pourront avoir leur effet qu'autant que les préfets du lieu de leur situation se seront assurés que l'établissement offre toutes les divisions et les dispositions convenables au traitement des affections mentales, et que le chef du dit établissement se soumettra à n'employer que des médecins agréés par l'administration.

ARTICLE 2

Les établissements publics consacrés aux aliénés sont placés sous l'autorité du Gouvernement.

ARTICLE 3

Les établissements privés consacrés aux aliénés sont placés sous la surveillance de l'autorité administrative.

ARTICLE 4

Le préfet et les personnes par lui spécialement déléguées à cet effet, le président du tribunal, le procureur du Roi, le juge de paix, et le maire de la commune, sont chargés de visiter les établissements consacrés aux aliénés, de recevoir les réclamations des personnes qui y sont placées, et de prendre à leur égard tous les renseignements propres à éclairer leur religion. Ils doivent être admis toutes les fois qu'ils se présentent.
Le juge de paix et le maire sont tenus de faire des visites trimestrielles, à des époques indéterminées, dans les établissements privés qui existeraient dans le canton ou dans la commune, et de transmettre leurs observations au préfet, et, s'il y a lieu, au procureur du Roi.
Les délégués du préfet ne pourront être choisis parmi les parents des personnes intéressées dans les établissements jusqu'au quatrième degré inclusivement.

ARTICLE 5

Nul ne pourra diriger ni former aucun établissement privé, consacré aux aliénés, sans l'autorisation du Gouvernement.
Aucun établissement privé, consacré au traitement d'autres maladies, ne pourra recevoir les personnes atteintes d'aliénation mentale.

ARTICLE 6

Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations énoncées en l'article précédent, les cas où elles pourront être retirées, et les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés.

TITRE II DES PLACEMENTS FAITS DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS

SECTION PREMIÈRE
DES PLACEMENTS VOLONTAIRES


ARTICLE 7

Les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements désignés dans les articles 2 et 3, lorsqu'ils recevront une personne atteinte d'aliénation mentale, se feront remettre : 1° Une demande d'admission écrite et signée par la personne qui fera effectuer le placement, et visée par le maire ou le commissaire de police. Si cette personne ne sait écrire, sa demande sera reçue par le maire ou le commissaire de police, chargé d'en donner acte.
La demande, outre les noms, profession et domicile, tant de la personne qui la formera que de celle dont le placement sera réclamé, devra énoncer le degré de parenté, ou, à défaut, la nature des relations qui existent entre elles ;
2° Un certificat de médecin constatant l'état mental de la personne à placer, et indiquant les, particularités de sa maladie, et ses causes, si elles sont connues. Ce certificat devra avoir été délivré quinze jours au plus avant sa remise ; il devra mentionner la nécessité de faire traiter la personne désignée dans une maison d'aliénés, et de l'y tenir renfermée.
Il ne pourra être délivré par un médecin intéressé dans un établissement d'aliénés ou parent jusqu'au second degré inclusivement des propriétaires de ces établissements ou de la personne qui fera effectuer le placement ;
3° L'acte de naissance, le passeport ou toute autre pièce propre à constater l'individualité de la personne à placer ;
4° S'il existe un jugement d'interdiction, un extrait de ce jugement.
Les établissements publics pourront, en cas d'urgence, se dispenser d'exiger, avant l'admission, le certificat du médecin.
Il sera fait mention de toutes les pièces produites dans un bulletin d'entrée qui sera envoyé dans les vingt-quatre heures, avec un certificat du médecin de l'établissement, et la copie de celui ci-dessus mentionné, au préfet de police à Paris, au préfet ou au sous-préfet dans les départements, et aux maires dans les communes autres que les chefs-lieux d'arrondissement ou de département. Le sous-préfet et le maire en feront immédiatement l'envoi au préfet.

ARTICLE 8

En cas de placement dans un établissement privé, et dans les trois jours de la réception du bulletin, le préfet chargera un ou plusieurs hommes de visiter la personne désignée dans ce bulletin, à l'effet de constater son état mental et d'en faire un rapport sur-le-champ. Il pourra leur adjoindre telle autre personne qu'il désignera.

ARTICLE 9

Dans le même délai, le préfet notifiera administrativement les noms, profession et domicile de la personne placée et les causes du placement : 1° Au procureur du Roi de l'arrondissement du domicile de cette personne ; 2° Au procureur du Roi ; 3° Au juge de paix et au maire du lieu de la situation de l'établissement, s'il s'agit d'un placement effectué dans un établissement privé.

ARTICLE 10

Quinze jours après le placement d'une personne dans un établissement public ou privé, il sera adressé au préfet, conformément au dernier paragraphe de l'article 7, un nouveau certificat du médecin de l'établissement, dans lequel celui-ci constatera de nouveau, et rectifiera, s'il y a lieu, les observations contenues dans le premier certificat qu'il aura délivré, en indiquant la cause de la maladie, si elle est connue, le retour plus ou moins fréquent des accès et constatant les actes de démence commis par l'aliéné.

ARTICLE 11

Il y aura dans chaque établissement un registre coté et paraphé par le juge de paix et le maire, sur lequel seront immédiatement inscrits les noms, profession, domicile des personnes placées dans les établissements, la date de leur placement, l'ordre de l'autorité qui l'aura requis, ou les noms, profession, qualité et demeure de la personne parente ou non parente qui l'aura demandé.
Seront également transcrits sur ce registre : 1° Le certificat du médecin joint à la demande d'admission ; 2° Ceux que le médecin de l'établissement sera tenu d'adresser à l'autorité, conformément aux article 7 et 10.
Le médecin sera tenu de consigner sur ce registre, au moins tous les mois, les changements survenus dans l'état mental de chaque malade. Ce registre constatera également, soit la sortie, soit le décès.
Il sera représenté aux personnes qui, d'après l'article 4, auront le droit de visiter l'établissement, lorsqu'elles se présenteront pour en faire la visite. Après l'avoir terminée, elles y apposeront leur visa et leur signature.

ARTICLE 12

Toute personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue aussitôt que les médecins de l'établissement estimeront que la guérison est obtenue, ou que sa sortie sera requise, soit par sa famille, soit par la personne qui aura signé la demande d'admission.
Néanmoins, dans ces deux derniers cas, si le médecin de l'établissement est d'avis que l'état mental du malade pourrait compromettre la sûreté publique, il en sera donné connaissance au maire, qui pourra ordonner un sursis provisoire à sa sortie, à la charge d'en référer, dans les vingt-quatre heures, au préfet. Ce sursis provisoire cessera de plein droit à l'expiration de la huitaine, si le préfet n'a pas donné d'ordres contraires dans ce délai, conformément à l'article 16 ci-après.

ARTICLE 13

Dans les vingt-quatre heures de la sortie, les chefs, directeurs ou préposés responsables de l'établissement en donneront avis aux fonctionnaires désignés dans le dernier paragraphe de l'article 7.
Si le malade a été retiré par sa famille avant sa guérison présumée, le directeur leur fera connaître par qui il a été retiré, et, si cela est possible, en quel lieu il a été conduit.

ARTICLE 14

Le préfet pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées dans les établissements d'aliénés.

SECTION 2
DES PLACEMENTS ORDONNÉS PAR L'AUTORITÉ PUBLIQUE


ARTICLE 15

Le préfet de police, à Paris, et dans les départements, les préfets ordonneront d'office le placement dans un établissement d'aliénés, de toute personne interdite ou non interdite, dont l'état d'aliénation compromettrait la sûreté publique.
Les ordres des préfets seront motivés, et devront énoncer les circonstances qui les auront rendus nécessaires.

ARTICLE 16

En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris, et les maires dans les départements, ordonneront, à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai.

ARTICLE 17

Les chefs et directeurs responsables des établissements seront tenus d'adresser aux préfets, dans le premier mois de chaque semestre, un rapport, rédigé par le médecin de l'établissement, sur l'état de chaque personne qui y sera retenue, sur la nature de la maladie et sur les résultats du traitement.
Le préfet prononcera sur chacune individuellement. Il ordonnera sa maintenue dans l'établissement, ou sa sortie. Il pourra ordonner une visite spéciale par des médecins de son choix, et prescrire aussi, s'il le juge à propos, qu'elle aura lieu en présence d'une autre personne étrangère à l'art de guérir, qu'il déléguera à cet effet.

ARTICLE 18

Le préfet pourra décerner, à l'égard des personnes placées dans les établissements d'aliénés, conformément à l'article 7, et dont l'état mental pourrait compromettre la sûreté publique, un ordre spécial à l'effet d'empêcher qu'elles ne sortent de l'établissement sans son autorisation, si ce n'est pour être placées dans un autre établissement.
Les chefs, directeurs ou préposés responsables seront tenus de se conformer à cet ordre.

ARTICLE 19

Les procureurs du Roi seront informés de tous les ordres donnés en vertu des articles précédents, dans les formes et délais énoncés en l'article 9.
Ces ordres seront notifiés au maire du domicile des personnes soumises au placement, lequel en donnera avis à leur famille.
Il en sera également donné avis au ministre de l'intérieur.

ARTICLE 20

Aussitôt que les médecins estimeront que la sortie peut être ordonnée, les chefs ou préposés responsables des établissements seront tenus, sous peine d'être poursuivis, conformément à l'article 23 ci-après, d'en référer aussitôt au préfet, qui statuera sans délai.

ARTICLE 21

Les hospices et hôpitaux civils sont tenus de recevoir provisoirement les personnes qui leur sont adressées, en vertu des articles 13 et 14, jusqu'à ce qu'elles soient dirigées sur l'établissement spécial destiné à les recevoir, aux termes de l'article 1er, ou pendant le trajet qu'elles font pour s'y rendre.
Les aliénés ne pourront être déposés dans aucun autre lieu dans les communes où il existe des hospices ou hôpitaux. Dans aucun cas, ils ne pourront être déposés dans une prison. Ces dispositions sont applicables aux aliénés indigents placés par l'autorité publique.

ARTICLE 22

La dépense du transport, de l'entretien, du séjour et du traitement des personnes placées dans les hospices ou les établissements publics d'aliénés, sera réglée d'après un tarif arrêté par le préfet.
Cette dépense sera à la charge des personnes placées ; à défaut, à la charge de ceux auxquels il peut être demandé des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil.
S'il y a des contestations sur l'obligation de fournir des aliments ou sur leur quotité, il sera statué, par le tribunal, à la diligence de l'administrateur désigné, en exécution des articles 24 et 25.
Le recouvrement des sommes dues sera poursuivi et opéré à la diligence de l'administration de l'enregistrement.

ARTICLE 23

A défaut, ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées en l'article précédent, il sera pourvu à cette dépense sur les centimes variables du département auquel l'aliéné appartient, sans préjudice du concours de la commune du domicile de l'aliéné, d'après les bases proposées par le conseil général, sur l'avis du préfet, et approuvées par le Gouvernement.
Les hospices seront tenus à une indemnité proportionnée au nombre des aliénés dont le traitement ou l'entretien était à leur charge, et qui seront placés dans un établissement public d'aliénés.
En cas de contestation, il sera statué par le conseil de préfecture.

ARTICLE 24

Des règlements d'administration publique détermineront, en se référant aux règles prescrites par la présente loi, les conditions auxquelles les aliénés indigents qui ne compromettraient point la sûreté publique devront être admis dans les établissements, où ils seront traités aux frais des départements et des communes.

SECTION 3
DISPOSITIONS COMMUNES A TOUTES LES PERSONNES PLACÉES
DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS


ARTICLE 25

Toute personne placée ou retenue dans un établissement d'aliénés, tout parent de cette personne, au degré successible ; son curateur, s'il lui en a été nommé un, conformément à l'article 28 ci-après ; à défaut, tout ami, peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir devant le tribunal qui, après les vérifications nécessaires, ordonne, s'il y a lieu, la sortie immédiate.
Les personnes qui auront demandé le placement, et le procureur du Roi, d'office, peuvent se pourvoir aux mêmes fins.
La décision est rendue sur simple requête, en chambre du conseil et sans délai ; elle ne sera point motivée.
La requête, le jugement et les autres actes auxquels la réclamation pourra donner lieu, seront visés pour timbre et enregistrement en débet.
Toute réclamation adressée au procureur du Roi ne pourra être retenue par les chefs d'établissements, sous les peines portées par l'article pénultième de la présente loi.

ARTICLE 26

Les chefs, directeurs ou préposés responsables ne pourront, sous les peines portées par l'article 120 du Code pénal, retenir une personne placée dans un établissement d'aliénés, dès que sa sortie aura été ordonnée par le préfet, aux termes de l'article 14, ou par le tribunal, aux termes de l'article 25, ou que cette personne se trouvera dans les cas énoncés en l'article 10.

ARTICLE 27

Les commissions administratives ou de surveillance des hospices ou établissements d'aliénés exerceront, à l'égard des personnes non interdites qui y seront placées, les fonctions d'administrateurs provisoires, conformément à l'article 497 du Code civil. Elles désigneront un de leurs membres pour les remplir. L'administrateur ainsi désigné fera le recouvrement des sommes dues à l'aliéné, paiera les dettes, passera les baux, s'il y a lieu ; il pourra même, en vertu d'une autorisation spéciale accordée par le président du tribunal civil, faire vendre le mobilier appartenant à l'aliéné.
Les sommes provenant, soit de la vente, soit des autres recouvrements, seront versées dans la caisse de la commission administrative.
Le cautionnement du receveur sera affecté à la garantie desdits deniers.
Néanmoins, les familles des personnes placées dans des établissements d'aliénés, dirigés ou surveillés par des commissions administratives, pourront toujours recourir aux dispositions des articles suivants.

ARTICLE 28

Sur la demande des parents, de l'époux ou de l'épouse, ou sur la provocation d'office du procureur du Roi, le président du tribunal civil pourra nommer un administrateur provisoire aux biens de toute personne non interdite placée dans un établissement privé ou dans un établissement public, non dirigé par une commission administrative ou de surveillance. Cet administrateur exercera tous les pouvoirs énoncés à l'article 24.
Dans les établissements dirigés par une commission administrative ou de surveillance, la commission pourra provoquer la nomination de l'administrateur provisoire.

ARTICLE 29

Les significations à faire à une personne placée dans un établissement d'aliénés devront, à peine de nullité, être faites au domicile de l'administrateur provisoire, ou, à défaut d'administrateur provisoire, à la personne du chef, directeur ou préposé responsable qui visera l'original.

ARTICLE 30

A défaut d'administrateur provisoire, le président, à la requête de la partie la plus diligente, commettra un notaire pour représenter les personnes énoncées en l'article 28, dans les inventaires, comptes, partages et liquidations dans lesquelles elles seraient intéressées.

ARTICLE 31

Les pouvoirs conférés en exécution des articles précédents cesseront de plein droit dès que la personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue.

ARTICLE 32

Le président pourra, le cas échéant, désigner non-seulement un administrateur provisoire, mais un curateur à la personne de tout individu non interdit, placé dans un établissement d'aliénés, lequel devra veiller : 1° à ce que ses revenus soient employés à adoucir son sort et à accélérer sa guérison ; 2° à ce que ledit individu soit rendu à la liberté et à l'exercice de ses droits aussitôt que sa situation le permettra.
Ce curateur ne pourra point être choisi parmi les héritiers présomptifs de l'aliéné.

ARTICLE 33

Les actes faits par une personne placée dans un établissement d'aliénés pendant le temps qu'elle y aura été détenue sans que son interdiction ait été prononcée, ni provoquée, pourront être attaqués pour cause de démence.
Néanmoins, l'action devra être intentée, à peine de déchéance, dans l'année à partir du jour où les actes auront été connus par la partie qui les attaquera.

ARTICLE 34

Le ministère public sera entendu dans toutes les affaires qui intéresseront les personnes placées dans un établissement d'aliénés.

TITRE III
DISPOSITIONS GENERALES


ARTICLE 35

Les contraventions aux dispositions des articles 5, 7, 10, 11, 17, 18 et 25 de la présente loi, et aux règlements rendus en vertu de l'article 6, seront punies d'un emprisonnement de cinq jours à un an, et d'une amende de 50 fr. à 3 000 fr., ou de l'une ou de l'autre de ces peines.
Il pourra être fait application de l'article 463 du Code pénal.

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Explication du nouveau projet de loi par le ministre de l'Intérieur devant la Chambre des Pairs (15 janvier 1838)


La loi se compose de trois titres : le premier trace les conditions générales de l'établissement des maisons d'aliénés ; le second pose les règles des placements dans ces maisons ; le troisième établit la pénalité.

Permettez-nous de vous signaler rapidement l'esprit dans lequel se placent nos propositions sous chacune de ces divisions :


1° Notre société, telle qu'elle se montre à nos yeux, renferme aujourd'hui un certain nombre d'établissements publics et quelques établissements privés, destinés au traitement des maladies mentales. Nous acceptons ces faits, et nous vous proposons de les consacrer.
Nous pensons qu'il serait utile que chacun de nos départements eût une maison spéciale pour ce service ; nous en faisons une obligation positive. Nous n'avons pas pensé toutefois qu'il fût convenable de fixer un délai pour son accomplissement ; mais nous l'espérons du zèle pour le bien public, qui partout se déploie avec une ardeur si digne d'éloges ; les conseils généraux, ici, comme en d'autres services, sentiront la nécessité de créer des établissements dont les ressources moins restreintes permettront de donner plus de développement et de certitude aux moyens curatifs que l'humanité réclame ; et c'est avec satisfaction que nous vous faisons connaître que plusieurs conseils généraux de département ont, dans leur session dernière, voté des fonds à cet effet. Cet exemple sera certainement suivi.


A défaut d'établissements spéciaux, les départements sont autorisés à traiter avec des établissements publics ou privés.
S'ils s'adressent à des établissements privés, les conventions seront soumises au contrôle du ministre de l'intérieur, et n'auront d'effet que si les médecins de ces établissements sont agréés par l'autorité préfectorale.
Il est de l'intérêt public que tous les établissements qui sont ou seront crées par les départements aient un régime uniforme, et soient soumis aux mêmes règles que les établissements départementaux ; le projet les place sous l'autorité du Gouvernement.
Les établissements privés ne sauraient être astreints à des dispositions si restrictives ; mais l'ordre public exige qu'ils ne puissent exister sans l'autorisation du Gouvernement, et la Chambre sentira facilement pourquoi la nécessité d'une telle garantie est attachée à la personne qui dirige ou forme l'établissement, et non à l'établissement lui même.
Au surplus, des règlements d'administration publique détermineront les conditions de l'existence et de la gestion de ces établissements.
Il en sera de même pour le régime et l'administration des établissements publics : la spécialité de ce service exige des mesures spéciales.


Mais nous pensons qu'une autre garantie importante doit être prévue et écrite dans la loi, nous voulons parler du droit d'inspection ; et, d'accord avec la Chambre des députés et la première commission de la Chambre des pairs, nous proposons de consacrer, envers certains fonctionnaires publics, désignés tout à la fois dans l'administration et la magistrature, le droit et le devoir de visiter ces établissements publics et privés.
Il est probable qu'aucun abus n'échappera à cette ample surveillance.



2° Des placements dans les établissements d'aliénés peuvent être volontaires ou ordonnés par l'autorité publique : il faut, pour ces deux cas, des règles spéciales
Si, dans le premier, il est interdit à tout chef, directeur ou préposé d'établissement de recevoir un individu sans demande énonciative, sans certificat de médecin, sans preuve de l'individualité de l'aliéné, sans l'extrait du jugement d'interdiction qui peut être intervenu ;
S'il est ordonné qu'il soit fait mention de toutes ces pièces au bulletin d'entrée ;
Si, dans le cas d'un placement dans un établissement privé, le préfet ordonne des visites par des hommes de l'art et la constatation de l'état mental de l'individu placé ;
Si, pour tous, des notifications de l'entrée dans les établissements sont faites, tant à l'autorité judiciaire, garante de la liberté individuelle, qu'à l'autorité administrative locale, surveillante de l'ordre public ;
Si, quinze jours après le placement, l'état mental de l'aliéné est de nouveau vérifié ;
Si un registre est établi où devront être inscrits tous les actes, certificats, visites, concernant chaque individu ;
Si ce registre est représenté aux visiteurs légitimes ;
Si, pour l'individu, il y a possibilité constatée de recouvrer sa liberté dès que sa guérison est obtenue ;
Si, pour la société, il y a possibilité établie de se garantir des imprudences de la famille et des effets des fausses guérisons ;
Si, enfin, l'autorité a toujours le droit d'ordonner la sortie immédiate d'un individu dont la santé est rétablie ;
Avec tant et de si fortes précautions, il semble que les abus contre la liberté de la personne et contre le repos de la société deviennent presque impossibles. Le Gouvernement, Messieurs, lorsqu'il s'agit d'intérêts aussi sacrés, n'a pas craint de multiplier de telles mesures, et il espère que vous les jugerez suffisantes.


S'agit-il d'obvier aux désordres que la divagation des insensés peut occasionner ?
Ce n'est plus, comme le faisait la législation antérieure, un simple pouvoir que nous vous proposons de donner à l'autorité administrative ; c'est un devoir qu'il convient de lui imposer. Les placements d'office nous semblent nécessaires dans tous les cas de danger pour l'ordre et la sûreté publique.
Mais, dans ces cas mêmes, il faut se prémunir contre l'arbitraire, les ordres administratifs devront être motivés.
Il peut se présenter encore des circonstances tellement urgentes, qu'il faille, dans l'intérêt de l'ordre public et des aliénés eux-mêmes, des mesures instantanées ; les magistrats locaux seraient autorisés à les prendre provisoirement, à charge d'en rendre un compte immédiat à l'autorité supérieure qui statuera sans délai.


L'ordre public une fois satisfait, d'autres besoins, non moins sacrés, se font sentir. La démence qui a légitimé la séquestration de l'individu peut n'être que passagère, ou n'être point du moins de longue durée : sur le compte qui lui sera rendu de l'état des personnes ainsi placées d'office, le préfet pourra et devra même, tous les trois mois, réviser l'ordre afférent à chaque individu.
Dans la matière des placements d'office, voilà déjà une seconde garantie contre des détentions arbitraires : nous pensons qu'il est sage d'en établir d'autres encore.
Le ministre public sera informé de tous les ordres ainsi donnés d'office ; il en sera fait notification aux maires du domicile de l'aliéné ; les familles en recevront l'avis ; il en sera rendu compte au ministre de l'intérieur.
Tant de surveillants ne laisseraient pas des abus sans répression.


Enfin, si dans le cours du trimestre, après la révolution duquel le préfet doit réviser son ordre, la guérison de l'aliéné est constatée, des mesures sont prises pour que l'infortuné puisse sans délai recouvrer sa liberté.
La série des dispositions qui se rapportent aux placements ordonnés d'office se termine, Messieurs, par des règles que votre humanité n'hésitera pas, nous l'espérons, à approuver ; nous voulons parler de l'obligation imposée aux hospices et hôpitaux civils de recevoir provisoirement les aliénés, et l'interdiction absolue, faite à l'autorité, de les déposer désormais dans les maisons de répression.
C'est surtout à l'égard des aliénés indigents que les hospices devront accomplir le devoir que nous venons de signaler.



3° Les dépenses du service des aliénés doivent enfin être déterminées ; des règles fixes étaient nécessaires. Le système du projet n'embrasse que les établissements publics ; la loi serait arbitraire si elle s'immisçait dans les dépenses des établissements privés : tout contrat à faire avec eux doit rester libre.
Pour les autres établissements, un tarif, arrêté par le préfet, fixera les bases de la dépense du transport, de l'entretien, du séjour et du traitement.
Suivant le projet, la charge des aliénés est imposée à ceux qu'indiquent la nature des choses et la loi civile : ainsi l'aliéné lui-même, et, à défaut, ceux qui lui doivent des aliments.
Quant au recouvrement de ces dépenses, il deviendra facile et beaucoup moins onéreux, s'il est opéré par l'administration de l'enregistrement, qui, dans des matières analogues, a son emploi et sa pratique. L'individu, la famille, ne peuvent-ils suffire à ces dépenses ? Nous vous proposons de consacrer une règle récente et sage.
Le département auquel appartient l'aliéné supportera la charge, sans préjudice du concours de la commune de son domicile.
Un acte du Gouvernement devra prononcer sur les bases de répartition proposées par le conseil général.
Enfin, des indemnités à payer par les hospices, déchargés ainsi du traitement de cette maladie spéciale, viendront se placer en déduction de la dépense totale à supporter par le département. En cas de contestation, la juridiction est indiquée.


Les principales difficultés nous semblent ainsi prévues et aplanies.
Cependant, la dernière section du titre II, dans sa juste sollicitude pour des intérêts si dignes de protection et de respect, établit un nouvel ordre de garanties ; elle place et la personne et les biens de l'aliéné sous l'égide de l'autorité judiciaire : de telle sorte que si l'administration avait failli, le redressement serait prompt et sûr. En s'adressant à la justice, il sera donc toujours possible de faire ordonner la sortie immédiate ; l'individu séquestré, ses parents, son curateur, des amis même auront le droit de saisir les tribunaux ; le ministère public, au nom de la société, le pourra lui-même.
La procédure sera simple, les frais seront presque nuls, le jugement sera prompt : voilà de nouvelles garanties. Elles seront complètes, si, comme nous vous le proposons, la loi punit la suppression ou même la rétention des plaintes écrites de d'aliéné, et le refus coupable de laisser sortir celui que, dans le cercle de leurs pouvoirs, le préfet, le tribunal, auraient rendu libre ou qui requerrait lui-même sa liberté, après guérison.
Voilà pour ce qui concerne la personne.


Les biens sont protégés par des dispositions spéciales.
Si les familles négligent les intérêts matériels des aliénés, le projet y supplée et délègue aux administrateurs des établissements publics le soin de pourvoir aux actes les plus urgents et les plus ordinaires.
Mais il sera toujours possible d'obtenir, du président du tribunal civil, un administrateur provisoire en dehors de ces établissements ; et, s'il s'agit d'actes qui dépassent les pouvoirs ordinaires d'un tel administrateur, le même magistrat pourra commettre un officier ministériel expérimenté dans ces matières.
D'autres mesures sont proposées pour qu'aucune surprise ne soit faite au détriment des biens de l'aliéné, pour qu'aucune soustraction de décisions judiciaires ne soit possible.
Des dispositions qui embrassent à la fois la personne et les biens de l'aliéné viennent enfin couronner cet ensemble de précautions salutaires.


Toutes les fois qu'il le jugera convenable, le président pourra désigner, non pas seulement un administrateur provisoire, mais un curateur à la personne de tout individu placé dans une maison d'aliénés, et les devoirs de ce curateur seront de veiller à ce que ses revenus soient employés à adoucir son sort et à accélérer sa guérison, et à ce qu'il soit rendu au libre exercice de ses droits, aussitôt que sa situation le permettra.
Il sera permis enfin d'attaquer, mais dans certains délais, pour cause de démence, les actes faits par l'aliéné pendant le temps qu'il aura été retenu dans un établissement d'aliénés ; et le ministère public sera entendu dans toutes les affaires qui intéresseront cette catégorie de personnes.


Le dernier titre ne comprend qu'une seule disposition ; elle a pour but d'établir une sanction en faveur des prohibitions portées dans les divers intérêts que nous avons signalés. Par une grande distance entre le minimum et le maximum de l'amende, par le choix possible d'une punition corporelle, par la combinaison même de ces deux pénalités, par la possibilité d'admettre des circonstances atténuantes, elle laisse au juge une latitude qui nous semble nécessaire et suffisante. Le Gouvernement du Roi, Messieurs, espère que vous serez, sur ce point, de son avis, éclairé déjà par celui de la Chambre des députés.
Tel est, Messieurs les Pairs, l'ensemble des dispositions de la loi que nous vous soumettons.

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Projet de loi amendé par la Commission de la Chambre des Pairs (2)

TITRE PREMIER
DES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS


ARTICLE PREMIER

Chaque département est tenu d'avoir un établissement public spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés, ou de traiter, à cet effet, avec un établissement public ou privé.
Les traités passés avec les établissements privés ne seront valables que si le chef de l'établissement s'est soumis à n'employer que des médecins agréés par le préfet. Il en sera rendu compte au ministre de l'intérieur.

ARTICLE 2

Ibid. art. 2 texte 4.

ARTICLE 3

Les établissements privés consacrés aux aliénés sont placés sous la surveillance de l'autorité publique.

ARTICLE 4

Le préfet et les personnes qu'il aura spécialement déléguées à cet effet, le président du tribunal, le procureur du Roi, le juge de paix, le maire de la commune, sont chargés de visiter les établissements publics ou privés consacrés aux aliénés.
Ils recevront les réclamations des personnes qui y seront placées et prendront, à leur égard, tous les renseignements propres à faire connaître leur position.
Ils devront être admis toutes les fois qu'ils se présenteront.
Les établissements privés seront visités à des jours indéterminés, une fois au moins tous les trimestres, par le procureur du Roi de l'arrondissement ou, sur sa délégation, par un juge de paix du canton. Les établissements publics le seront de la même manière, une fois au moins par semestre.
Les délégués du préfet ne pourront être choisis parmi les parents, jusqu'au quatrième degré inclusivement, des personnes intéressées dans l'entreprise de l'établissement.

ARTICLE 5

Nul ne pourra diriger ni former un établissement privé, consacré aux aliénés, sans l'autorisation du Gouvernement.
Aucun établissement privé, consacré au traitement d'autres maladies, ne pourra recevoir les personnes atteintes d'aliénation mentale.

ARTICLE 6

Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations énoncées en l'article précédent, les cas où elles pourront être retirées et les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés.
Le régime et l'administration de chaque établissement public, spécialement consacré aux aliénés, seront également déterminés par des règlements d'administration publique.

TITRE II
DES PLACEMENTS FAITS DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS

SECTION Ière

DES PLACEMENTS VOLONTAIRES


ARTICLE 7

Les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements publics et privés consacrés aux aliénés, ne pourront recevoir une personne atteinte d'aliénation mentale, s'il ne leur est remis : 1° Une demande d'admission écrite et signée par la personne qui fera effectuer le placement, et visée par le maire ou le commissaire de police. Si cette personne ne sait écrire, sa demande sera reçue par le maire ou le commissaire de police, chargé d'en donner acte.
La demande, outre les noms, profession et domicile, tant de la personne qui la formera que de celle dont le placement sera réclamé, devra énoncer le degré de parenté, ou, à défaut, la nature des relations qui existent entre elles ; 2° Un certificat de médecin constatant l'état de la personne à placer et indiquant les particularités de sa maladie, ses causes, si elles sont connues, et la nécessité de faire traiter la personne désignée dans un établissement d'aliénés et de l'y tenir renfermée.
Ce certificat ne pourra être admis s'il a été délivré plus de quinze jours avant sa remise au chef ou directeur ; s'il est signé d'un médecin attaché à l'établissement, ou si le médecin signataire est parent ou allié, au second degré inclusivement, des chefs ou propriétaires de l'établissement ou de la personne qui fera effectuer le placement.
En cas d'urgence, les chefs des établissements publics pourront se dispenser d'exiger le certificat du médecin ; 3° L'acte de naissance, le passeport ou toute autre pièce propre à constater l'individualité de la personne à placer ; 4° Un extrait du jugement d'interdiction, si elle a été prononcée.
Il sera fait mention de toutes les pièces produites dans un bulletin d'entrée qui sera envoyé, dans les vingt-quatre heures, avec un certificat du médecin de l'établissement et la copie de celui ci-dessus mentionné, au préfet de police à Paris, au préfet ou au sous-préfet dans les communes chefs-lieux de département ou d'arrondissement, et aux maires dans les autres communes. Le sous-préfet ou le maire en fera immédiatement l'envoi au préfet.

ARTICLE 8

Si le placement est fait dans un établissement privé, le préfet, dans les trois jours de la réception du bulletin, chargera un ou plusieurs hommes de l'art de visiter la personne désignée dans ce bulletin, à l'effet de constater son état mental et d'en faire rapport sur-le-champ. Il pourra leur adjoindre telle autre personne qu'il désignera.

ARTICLE 9

Dans le même délai, le préfet notifiera administrativement les noms, profession et domicile de la personne placée et les causes du placement : 1° Au procureur du Roi de l'arrondissement du domicile de cette personne ; 2° Au procureur du Roi de l'arrondissement de la situation de l'établissement.

ARTICLE 10

Quinze jours après le placement d'une personne dans un établissement public ou privé, il sera adressé au préfet, conformément au dernier paragraphe de l'article 7, un nouveau certificat du médecin de l'établissement ; ce certificat constatera et rectifiera, s'il y a lieu, les observations contenues dans le premier certificat qu'il aura délivré, en indiquant la cause de la maladie, si elle est connue, et le retour plus ou moins fréquent des accès ou des actes de démence commis par l'aliéné.

ARTICLE 11

Il y aura, dans chaque établissement, un registre coté et paraphé par le maire, sur lequel seront immédiatement inscrits les noms, profession et domicile des personnes placées dans les établissements, la date de leur placement, les noms, profession, qualités et demeure de la personne, parente ou non parente, qui l'aura demandé. Seront également transcrits sur ce registre : 1° Le certificat du médecin joint à la demande d'admission ; 2° Ceux que le médecin de l'établissement devra adresser à l'autorité, conformément aux articles 7 et 10.
Le médecin sera tenu de consigner sur ce registre, au moins tous les mois, les changements survenus dans l'état mental de chaque malade. Ce registre constatera également les sorties et les décès.
Ce registre sera soumis aux personnes qui, d'après l'article 4, auront le droit de visiter l'établissement, lorsqu'elles se présenteront pour en faire la visite ; après l'avoir terminée, elles y apposeront leur visa, leur signature et leurs observations, s'il y a lieu.

ARTICLE 12

Toute personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue aussitôt que la guérison sera obtenue, ou dès que sa sortie sera requise par sa famille ou par la personne qui aura signé la demande d'admission.
Néanmoins, dans ces deux cas, si le médecin de l'établissement est d'avis que l'état mental du malade pourrait compromettre l'ordre public ou la sûreté des personnes, il en sera donné connaissance au maire qui pourra ordonner un sursis provisoire à la sortie, à la charge d'en référer, dans les vingt-quatre heures, au préfet. Ce sursis provisoire cessera de plein droit à l'expiration de la quinzaine, si le préfet n'a pas, dans ce délai, donné d'ordres contraires, conformément à l'article 18 ci-après. L'ordre du maire sera transcrit sur le registre tenu en exécution de l'article 11.

ARTICLE 13

Dans les 24 heures de la sortie, les chefs, directeurs ou préposés responsables de l'établissement en donneront avis aux fonctionnaires désignés dans le dernier paragraphe de l'article 7, et leur feront connaître les personnes qui auront retiré le malade et, autant que possible, le lieu où il aura été conduit.

ARTICLE 14

Le préfet pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées volontairement dans les établissements d'aliénés.


SECTION 2


DES PLACEMENTS ORDONNÉS PAR L'AUTORITÉ PUBLIQUE


ARTICLE 15

A Paris, le préfet de police, et, dans les départements, les préfets, ordonneront d'office le placement dans un établissement d'aliénés de toute personne, interdite ou non interdite, dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes.
Les ordres des préfets seront motivés et devront énoncer les circonstances qui les auront rendus nécessaires. Ces ordres, ainsi que ceux qui seront donnés conformément aux articles 16, 17, 18 et 20, seront inscrits sur un registre semblable à celui qui est prescrit par l'article 11 ci-dessus, dont toutes les dispositions seront applicables aux individus placés d'office.

ARTICLE 16

En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par notoriété publique, les commissaires de police à Paris, et les maires dans les autres communes, ordonneront, à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d'en référer, dans les vingt-quatre heures, au préfet, qui statuera sans délai.

ARTICLE 17

Les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements seront tenus d'adresser aux préfets, dans le premier mois de chaque semestre, un rapport rédigé par le médecin de l'établissement sur l'état de chaque personne qui y sera retenue, sur la nature de la maladie et les résultats du traitement.
Le préfet prononcera sur chacune individuellement, ordonnera sa maintenue dans l'établissement ou sa sortie. Il pourra prescrire une visite spéciale par un ou plusieurs médecins de son choix, et leur adjoindre, s'il le juge à propos, telle autre personne qu'il désignera.

ARTICLE 18

A l'égard des personnes dont le placement aura été volontaire et dans le cas où leur état mental pourrait compromettre l'ordre public ou la sûreté des personnes, le préfet pourra décerner un ordre spécial, à l'effet d'empêcher qu'elles ne sortent de l'établissement sans son autorisation, si ce n'est pour être placées dans un autre établissement.
Les chefs, directeurs ou préposés responsables seront tenus de se conformer à cet ordre.

ARTICLE 19

Les procureurs du Roi seront informés de tous les ordres donnés en vertu des articles 15, 16, 17 et 18.
Ces ordres seront notifiés au maire du domicile des personnes soumises au placement ; il en donnera avis aux familles.
Il en sera rendu compte au ministre de l'intérieur.
Les diverses notifications prescrites par le présent article seront faites dans les formes et délais énoncés en l'article 9.

ARTICLE 20

Si, dans le cours du délai de trois mois fixé par l'article 17, les médecins estiment que la sortie peut être ordonnée, les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements seront tenus, sous peine d'être poursuivis, conformément à l'article 26 ci-après, d'en référer aussitôt au préfet, qui statuera sans délai.

ARTICLE 21

Les hospices et hôpitaux civils seront tenus de recevoir provisoirement les personnes qui leur seront adressées en vertu des articles 15 et 16, jusqu'à ce qu'elles soient dirigées sur l'établissement spécial destiné à les recevoir, aux termes de l'article 1er, ou pendant le trajet qu'elles feront pour s'y rendre. Elles ne pourront être conduites avec les condamnés ou les prévenus. Dans toutes les communes où il existe des hospices ou hôpitaux, les aliénés ne pourront être déposés ni dans les prisons ni dans aucun autre lieu que ces hospices ou hôpitaux. Dans les lieux où il n'en existe pas, les maires devront pourvoir à leur logement. Dans aucun cas, ils ne pourront être déposés dans une prison. Ces dispositions sont applicables aux aliénés indigents placés par l'autorité publique.

ARTICLE 22

La dépense du transport, de l'entretien, du séjour et du traitement des personnes placées dans les hospices ou les établissements publics d'aliénés, sera réglée d'après un tarif arrêté par le préfet.
La dépense sera à la charge des personnes placées ; à défaut, à la charge de ceux auxquels il peut être demandé des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil.
S'il y a contestation sur l'obligation de fournir des aliments, ou sur leur quotité, il sera statué par le tribunal, à la diligence de l'administrateur désigné, en exécution des articles 24 et 25 (lisez 27 et 28).
Le recouvrement des sommes dues sera poursuivi et opéré à la diligence de l'administration de l'enregistrement.

ARTICLE 23

A défaut, ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées en l'article précédent, il sera pourvu à cette dépense sur les centimes variables du département auquel l'aliéné appartient, sans préjudice du concours de la commune de son domicile, d'après les bases proposées par le conseil général, sur l'avis du préfet, et approuvées par le Gouvernement.
Les hospices seront tenus à une indemnité proportionnée au nombre des aliénés, dont le traitement ou l'entretien était à leur charge, et qui seront placés dans un établissement spécial d'aliénés.
En cas de contestation, il sera statué par le conseil de préfecture.

ARTICLE 24

Des règlements d'administration publique détermineront, en se référant aux règles prescrites par la présente loi, les conditions auxquelles les aliénés indigents qui ne compromettent point la sûreté publique devront être admis dans les établissements, où ils seront traités aux frais des départements et des communes.

SECTION 4

DISPOSITIONS COMMUNES A TOUTES LES PERSONNES PLACÉES
DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS


ARTICLE 25

Toute personne placée ou retenue dans un établissement d'aliénés, tout parent de cette personne au degré successible, son curateur, s'il lui en a été nommé un, conformément à l'article 32 ci-après, et, à défaut de parents et du curateur, tout ami, pourront, à quelque époque que ce soit, se pourvoir devant le tribunal qui, après les vérifications nécessaires, ordonnera, s'il y a lieu, la sortie immédiate.
Les personnes qui auront demandé le placement et le procureur du Roi, d'office, pourront se pourvoir aux mêmes fins.
La décision sera rendue sur simple requête, en chambre du conseil et sans délai ; elle ne sera point motivée.
La requête, le jugement et les autres actes auxquels la réclamation pourra donner lieu seront visés pour timbre et enregistrés en débet.
Toutes requêtes, toutes réclamations adressées au président du tribunal civil et au procureur du Roi ne pourront être supprimées ou retenues par les chefs d'établissement, sous les peines portées au titre III ci-après.

ARTICLE 26

Les chefs, directeurs ou préposés responsables ne pourront, sous les peines portées par l'article 120 du Code pénal, retenir une personne placée dans un établissement d'aliénés dès que sa sortie aura été ordonnée par le préfet, aux termes des articles 14 et 17, ou par le tribunal, aux termes de l'article 25, ni lorsque cette personne se trouvera dans les cas énoncés en l'article 12.

ARTICLE 27

Les commissions administratives ou de surveillance des hospices ou établissements d'aliénés exerceront, à l'égard des personnes non interdites qui y seront placées, les fonctions d'administrateurs provisoires, conformément à l'article 497 du Code civil.
Elles désigneront un de leurs membres pour les remplir. L'administrateur ainsi désigné fera le recouvrement des sommes dues à la personne placée dans l'établissement, paiera ses dettes, passera les baux, s'il y a lieu ; il pourra même, en vertu d'une autorisation spéciale accordée par le président du tribunal civil, faire vendre son mobilier.
Les sommes provenant, soit de la vente, soit des autres recouvrements, seront versées dans la caisse de la commission administrative.
Le cautionnement du receveur sera affecté à la garantie desdits deniers.
Néanmoins, les familles des personnes placées dans des établissements d'aliénés dirigés ou surveillés par des commissions administratives, pourront toujours recourir aux dispositions des articles suivants.

ARTICLE 28

Sur la demande des parents, de l'époux ou de l'épouse, ou sur la provocation d'office du procureur du Roi, le président du tribunal civil pourra nommer un administrateur provisoire aux biens de toute personne, non interdite, placée dans un établissement public non dirigé par une commission administrative ou de surveillance. Cet administrateur exercera tous les pouvoirs énoncés à l'article 27.
Dans les établissements dirigés par une commission administrative ou de surveillance, la commission pourra provoquer la nomination de l'administrateur provisoire.

ARTICLE 29

Ibid. art. 29 texte 4.

ARTICLE 30

A défaut d'administrateur provisoire, le président, à la requête de la partie la plus diligente, commettra un notaire pour représenter les personnes non interdites placées dans les établissements d'aliénés, dans les inventaires, comptes, partages et liquidations dans lesquels elles seraient intéressées.

ARTICLE 31

Ibid. art. 31 texte 4.

ARTICLE 32

Le président pourra, le cas échéant, désigner non seulement un administrateur provisoire, mais un curateur à la personne de tout individu non interdit placé dans un établissement d'aliénés, lequel devra veiller : 1° A ce que ses revenus soient employés à adoucir son sort et à accélérer sa guérison ; 2° A ce que ledit individu soit rendu au libre exercice de ses droits aussitôt que sa situation le permettra.
Ce curateur ne pourra point être choisi parmi les héritiers présomptifs du malade.

ARTICLE 33

Les actes faits par une personne placée dans un établissement d'aliénés pendant le temps qu'elle y aura été retenue, sans que son interdiction ait été prononcée ni provoquée, pourront être attaqués pour cause de démence.
L'action en nullité ne pourra être intentée par la personne qui aura été retenue, contre ses propres actes, que pendant un an à dater du jour de sa sortie de l'établissement d'aliénés. Elle ne pourra l'être pareillement par tout autre ayant droit que pendant un an, à dater du jour où il aura eu connaissance des actes dont ils demandera l'annulation. Toute action intentée après ces délais sera non recevable.

ARTICLE 34

Le ministère public sera entendu dans toute les affaires qui intéresseront les personnes placées dans un établissement d'aliénés, lors même qu'elles ne seraient pas interdites.

TITRE III
DISPOSITIONS GÉNÉRALES


ARTICLE 35

Les contraventions aux dispositions des articles 5, 7, 10, 11, 17, 18 et du dernier paragraphe de l'article 25 de la présente loi, et aux règlements rendus en vertu de l'article 6, seront punies d'un emprisonnement de cinq jours à un an, et d'une amende de 50 F à 3 000 F, ou de l'une ou l'autre de ces peines.
Il pourra être fait application de l'article 463 du Code pénal.

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Projet de loi amendé par la Commission de la Chambre des Députés (2)

TITRE PREMIER
DES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS

ARTICLE PREMIER

Chaque département est tenu d'avoir un établissement public, spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés, ou de traiter, à cet effet, avec un établissement public ou privé, soit de ce département, soit d'un autre département.
Les traités passés avec les établissements publics ou privés devront être approuvés par le ministre de l'Intérieur.

ARTICLE 2

Les établissements publics consacrés aux aliénés sont placés sous la direction de l'autorité publique.

ARTICLE 3

Ibid. art 3 texte 6.

ARTICLE 4

Le préfet et les personnes spécialement déléguées à cet effet par lui ou par le ministre de l'Intérieur, le président du tribunal, le procureur du Roi, le juge de paix, le maire de la commune, sont chargés de visiter les établissements publics ou privés consacrés aux aliénés.
Ils recevront les réclamations des personnes qui y seront placées, et prendront, à leur égard, tous les renseignements propres à faire connaitre leur position.
Les établissements privés seront visités, à des jours indéterminés, une fois au moins chaque trimestre par le procureur du Roi de l'arrondissement. Les établissements publics le seront de la même manière, une fois au moins par semestre.

ARTICLE 5

Nul ne pourra diriger ni former un établissement privé, consacré aux aliénés, sans l'autorisation du Gouvernement.
Les établissements privés consacrés au traitement d'autres maladies ne pourront recevoir les personnes atteintes d'aliénation mentale, à moins qu'elles ne soient placées dans un local entièrement séparé.
Ces établissements devront être, à cet effet, spécialement autorisés par le Gouvernement, et seront soumis, en ce qui concerne les aliénés, à toutes les obligations prescrites par la présente loi.

ARTICLE 6

Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations énoncées en l'article précédent, les cas où elles pourront être retirées, et les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés.

ARTICLE 7

Les règlements intérieurs des établissements publics consacrés, en tout ou en partie, au service des aliénés, seront, dans les dispositions relatives à ce service, soumis à l'approbation du ministre de l'Intérieur.


TITRE II
DES PLACEMENTS FAITS DANS LES ÉTALISSEMENTS D'ALIÉNÉS

SECTION 1
DES PLACEMENTS VOLONTAIRES

ARTICLE 8

Les chefs ou préposés responsables des établissements publics, et les directeurs des établissements privés consacrés aux aliénés, ne pourront recevoir une personne atteinte d'aliénation mentale, s'il ne leur est remis :
1° Une demande d'admission contenant les noms, profession et domicile, tant de la personne qui la formera, que de celle dont le placement sera réclamé, et l'indication du degré de parenté, ou, à défaut, de la nature des relations qui existent entre elles.
La demande sera écrite et signée par celui qui la formera, et, s'il ne sait pas écrire, elle sera reçue par le maire ou le commissaire de police, qui en donnera acte.
Les chefs, préposés ou directeurs, devront s'assurer, sous la responsabilité, de l'individualité de la personne qui aura formé la demande, lorsque cette demande n'aura pas été reçue par le maire ou par le commissaire de police.
2° Un certificat de médecin constatant l'état mental de la personne à placer, et indiquant les particularités de sa maladie, et la nécessité de faire traiter la personne désignée dans un établissement d'aliénés, et de l'y retenir renfermée.
Ce certificat ne pourra être admis s'il a été délivré plus de quinze jours avant sa remise au chef ou directeur ; s'il est signé d'un médecin attaché à l'établissement, ou si le médecin signataire est parent ou allié, au second degré inclusivement, des chefs ou propriétaires de l'établissement, ou de la personne qui fera effectuer le placement.
En cas d'urgence, les chefs d'établissements publics pourront se dispenser d'exiger le certificat du médecin.
Il sera fait mention de toutes les pièces produites, dans un bulletin d'entrée qui sera envoyé dans les vingt-quatre heures, avec un certificat du médecin de l'établissement, et la copie de celui-ci dessus mentionné, au préfet de police à Paris, au préfet ou au sous-préfet dans les communes chefs-lieux de département ou d'arrondissement, et aux maires dans les autres communes. Le sous-préfet ou le maire en fera immédiatement l'envoi au préfet.
3° Le passeport ou toute autre pièce propre à constater l'individualité de la personne à placer.

ARTICLE 9

Si le placement est fait dans un établissement privé, le préfet, dans les trois jours de la réception du bulletin, chargera un ou plusieurs hommes de l'art de visiter la personne désignée dans ce bulletin, à l'effet de constater son état mental, et d'en faire rapport-sur-le-champ. Il pourra leur adjoindre telle autre personne qu'il désignera.

ARTICLE 10

Dans le même délai, le préfet notifiera administrativement les noms, profession et domicile, tant de la personne placée que de celle qui aura demandé le placement et les causes du placement : 1° Au procureur du Roi de l'arrondissement du domicile de cette personne ; 2° Au procureur du Roi de l'arrondissement de la situation de l'établissement ; ces dispositions sont communes aux établissements publics et privés.

ARTICLE 11

Quinze jours après le placement d'un personne dans un établissement public ou privé, il sera adressé au préfet, conformément au dernier paragraphe de l'article 7, un nouveau certificat du médecin de l'établissement ; ce certificat confirmera ou rectifiera, s'il y a lieu, les observations contenues dans le premier certificat qu'il aura délivré, en indiquant le retour plus au moins fréquent des accès ou des actes de démence.

ARTICLE 12

Il y aura, dans chaque établissement, un registre coté et paraphé par le maire, sur lequel seront immédiatement inscrits les noms, profession et domicile des personnes placées dans les établissements, la date de leur placement, les noms, profession et demeure de la personne, parenté ou non parenté, qui l'aura demandé. Seront également transcrits sur ce registre : 1° Le certificat du médecin, joint à la demande d'admission ; 2° Ceux que le médecin de l'établissement devra adresser à l'autorité, conformément aux articles 7 et 10.
Le médecin sera tenu de consigner sur ce registre, au moins tous les mois, les changements survenus dans l'état mental de chaque malade. Ce registre constatera également les sorties et les décès.
Ce registre sera soumis aux personnes qui, d'après l'article 4, auront le droit de visiter l'établissement, lorsqu'elles se présenteront pour en faire la visite ; après l'avoir terminée, elles apposeront, sur le registre, leur visa, leur signature et leurs observations, s'il y a lieu.

ARTICLE 13

Toute personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue aussitôt que les médecins de l'établissement auront déclaré, sur le registre énoncé en l'article précédent, que la guérison est obtenue.
S'il s'agit d'un mineur ou d'un interdit, il sera donné immédiatement avis de la déclaration des médecins aux personnes auxquelles il devra être remis, et au procureur du Roi.
L'interdit ne pourra être remis qu'à son tuteur.
Le mineur ne pourra être remis qu'à ceux sous l'autorité desquels il est placé par la loi.

ARTICLE 14

Avant même que les médecins aient déclaré la guérison, toute personne placée dans un établissement d'aliénés cessera également d'y être retenue, dès que la sortie sera requise par son curateur nommé en exécution de l'article 36 de la présente loi, par son époux ou son épouse, un de ses ascendants ou descendants, ou de ses frères ou sœurs, et à défaut de parents de ce degré, par toute autre personne à ce autorisée par le conseil de famille.
Néanmoins, si le médecin de l'établissement est d'avis que l'état mental du malade pourrait compromettre l'ordre public ou la sûreté des personnes, il en sera donné préalablement connaissance au maire, qui pourra ordonner immédiatement un sursis provisoire à la sortie, à la charge d'en référer, dans les vingt-quatre heures, au préfet. Ce sursis provisoire cessera de plein droit à l'expiration de la quinzaine, si le préfet n'a pas, dans ce délai donné d'ordres contraires, conformément à l'article 18 ci-après. L'ordre du maire sera transcrit sur le registre tenu en exécution de l'article 11.
Le tuteur de l'interdit pourra seul requérir sa sortie.

ARTICLE 15

Dans les vingt-quatre heures de la sortie, les chefs, préposés ou directeurs en donneront avis aux fonctionnaires désignés dans le dernier paragraphe de l'article 7, et leur feront connaître les personnes qui auront retiré le malade, et, autant que possible, leur résidence et le lieu où le malade aura été conduit.

ARTICLE 16

Le préfet pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées volontairement dans les établissements d'aliénés.


SECTION 2
DES PLACEMENTS ORDONNÉS PAR L'AUTORITÉ PUBLIQUE

ARTICLE 17

A Paris, le préfet de police, et dans les départements, les préfets, ordonneront d'office le placement, dans un établissement, de toute personne interdite ou non interdite, dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes.
Les ordres des préfets seront motivés et devront énoncer les circonstances qui les auront rendus nécessaires. Ces ordres, ainsi que ceux qui seront donnés conformément aux articles 16, 17, 18 et 20, seront inscrits sur un registre semblable à celui qui est prescrit par l'article 11 ci-dessus, dont toutes les dispositions seront applicables aux individus placés d'office.

ARTICLE 18

En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris, et les maires dans les autres communes, ordonneront, à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai.

ARTICLE 19

Les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements, seront tenus d'adresser aux préfets, dans les premiers mois de chaque semestre, un rapport rédigé par le médecin de l'établissement sur l'état de chaque personne qui y sera retenue, sur la nature de sa maladie et les résultats du traitement.
Le préfet prononcera sur chacune individuellement, ordonnera sa maintenue dans l'établissement ou sa sortie.

ARTICLE 20

A l'égard des personnes dont le placement aura été volontaire, et dans le cas où leur état mental pourrait compromettre l'ordre public ou la sûreté des personnes, le préfet pourra, dans les formes tracées par le deuxième paragraphe de l'article 17, décerner un ordre spécial à l'effet d'empêcher qu'elles ne sortent de l'établissement sans son autorisation, si ce n'est pour être placées dans un autre établissement.
Les chefs, directeurs ou préposés responsables seront tenus de se conformer à cet ordre.

ARTICLE 21

Les procureurs du Roi seront informés de tous les ordres donnés en vertu des articles 15, 16, 17 et 18.
Ces ordres seront notifiés au maire du domicile des personnes soumises au placement, qui en donnera immédiatement avis aux familles.
Il en sera rendu compte au ministre de l'intérieur.
Les diverses notifications prescrites par le présent article seront faites dans les formes et délais énoncés dans l'article 9.

ARTICLE 22

Si, dans l'intervalle qui s'écoulera entre les rapports ordonnés par l'article 19, les médecins déclarent sur le registre tenu en exécution de l'article 12 que la sortie peut être ordonnée, les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements seront tenus, sous peine d'être poursuivis conformément à l'article 26 ci-après, d'en référer aussitôt au préfet qui statuera sans délai.

ARTICLE 23

Les hospices et hôpitaux civils seront tenus de recevoir provisoirement les personnes qui leur seront adressées en vertu des articles 17 et 18, jusqu'à ce qu'elles soient dirigées sur l'établissement spécial destiné à les recevoir, aux termes de l'article 1er, ou pendant le trajet qu'elles feront pour s'y rendre.
Dans toutes les communes où il existe des hospices ou hôpitaux, les aliénés ne pourront être déposées ailleurs que dans des hospices ou hôpitaux. Dans les lieux où il n'en existe pas, les maires devront pourvoir à leur logement, soit dans une hôtellerie, soit dans un local loué à cet effet.
Dans aucun cas, les aliénés ne pourront être ni conduits avec les condamnés ou les prévenus, ni déposés dans un prison.
Ces dispositions sont applicables à tous les aliénés par l'administration sur un établissement public ou privé.

SECTION 3
DÉPENSES DU SERVICE DES ALIÉNÉS

ARTICLE 24

Les aliénés dont le placement aura été ordonné par le préfet, et dont les familles n'auront pas demandé l'admission dans un établissement privé, seront conduits dans l'établissement appartenant au département, ou avec lequel il aura traité.
Les aliénés dont l'état mental ne compromettrait point la sûreté publique, y seront également admis, dans les formes, dans les circonstances et aux conditions qui seront réglées par le conseil général sur la proposition du préfet, et approuvées par le ministre.

ARTICLE 25

La dépense du transport des personnes dirigées par l'administration sur les établissements d'aliénés, sera arrêtée par le préfet, sur le mémoire des agents préposés à ce transport.
La dépense de l'entretien, du séjour et du traitement des personnes placées dans les hospices ou établissements publics d'aliénés, sera réglée d'après un tarif arrêté par le préfet.
La dépense de l'entretien, du séjour et du traitement des personnes placées par les départements dans les établissements privés, sera fixée par les traités passés par le département, conformément à l'article 1er.

ARTICLE 26

Les dépenses énoncées en l'article précédent seront à la charge des personnes placées ; à défaut, à la charge de ceux auxquels il peut être demandé des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil.
S'il y a contestation sur l'obligation de fournir des aliments ou sur leur quotité, il sera statué, par le tribunal compétent, à la diligence de l'administrateur désigné en exécution des articles 30 et 31.
Le recouvrement des sommes dues sera poursuivi et opéré à la diligence de l'administration de l'enregistrement et des domaines.
A défaut ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées en l'article précédent, il sera pourvu sur les centimes affectés par la loi de finances aux dépenses ordinaires du département auquel l'aliéné appartient, sans préjudice du concours des communes, d'après les bases proposées par le conseil général, sur l'avis du préfet, et approuvées par le Gouvernement.

ARTICLE 27

Les hospices seront tenus à une indemnité proportionnée au nombre des aliénés dont le traitement ou l'entretien était à leur charge, et qui seraient placés dans un établissement spécial d'aliénés.
En cas de contestation, il sera statué par le conseil de préfecture.

SECTION 4
DISPOSITIONS COMMUNES A TOUTES LES PERSONNES
PLACÉES DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS


ARTICLE 28

Toute personne placée ou retenue dans un établissement d'aliénés, son tuteur ou curateur, tout parent, tout ami pourront, à quelque époque que ce soit, se pourvoir devant le tribunal qui, après les vérifications nécessaires, ordonnera, s'il y a lieu, la sortie immédiate.
Les personnes qui auront demandé le placement, et le procureur du Roi, d'office, pourront se pourvoir aux mêmes fins.
La décision sera rendue sur simple requête, en chambre du conseil et sans délai ; elle ne sera point motivée. Cette décision sortira effet, provisoirement, nonobstant appel. Le délai d'appel ne sera que de quinzaine à partir de la signification.
La requête, le jugement et les autres actes auxquels la réclamation pourrait donner lieu, seront visés pour timbre, et enregistrés en débet.
Aucunes requêtes, aucunes réclamations adressées, soit au président du tribunal civil, soit au procureur du Roi, ne pourront être supprimées ou retenues par les chefs d'établissements, sous les peines portées au titre III ci-après.

ARTICLE 29

Les chefs, directeurs ou préposés responsables ne pourront, sous les peines portées par l'article 120 du Code pénal, retenir une personne placée dans un établissement d'aliénés, dès que sa sortie aura été ordonnée par le préfet, aux termes des articles 14 et 17, ou par le tribunal aux termes de l'article 25, ni lorsque cette personne se trouvera dans les cas énoncés en l'article 12.

ARTICLE 30

Les commissions administratives ou de surveillance des hospices ou établissements publics d'aliénés exerceront, à l'égard des personnes non interdites qui y seront placées, les fonctions d'administrateurs provisoires. Elles désigneront un de leurs membres pour les remplir : l'administrateur, ainsi désigné, procédera au recouvrement des sommes dues à la personne placée dans l'établissement, et à l'acquittement de ses dettes, passera des baux qui ne pourront excéder trois ans, et pourra même, en vertu d'une autorisation spéciale, accordée par le président du tribunal civil, faire vendre le mobilier.
Les sommes provenant, soit de la vente, soit des autres recouvrements, seront versées directement dans la caisse de l'établissement, et seront employées, s'il y a lieu, au profit de la personne placée dans un établissement.
Le cautionnement du receveur sera affecté à la garantie desdits deniers, par privilège aux créances de toute nature.
Néanmoins, les parents, l'époux ou l'épouse des personnes placées dans les établissements d'aliénés dirigés ou surveillés par des commissions administratives, ces commissions elles-mêmes, ainsi que le procureur du Roi, pourront toujours recourir aux dispositions des articles suivants.

ARTICLE 31

Sur la demande des parents, de l'époux ou de l'épouse, sur celle de la commission administrative, ou sur la provocation d'office du procureur du Roi, le tribunal civil du lieu du domicile pourra, conformément à l'article 497 du Code civil, nommer, en chambre du conseil, un administrateur provisoire aux biens de toute personne non interdite placée dans un établissement d'aliénés. Cette nomination n'aura lieu qu'après délibération du conseil, et sur les conclusions du procureur du Roi. Elle ne sera pas sujette à l'appel.

ARTICLE 32

Le tribunal, sur la demande de l'administrateur provisoire ou à la diligence du procureur du Roi, désignera un mandataire spécial à l'effet de représenter en justice tout individu non interdit et placé ou retenu dans un établissement d'aliénés qui serait engagé dans une contestation judiciaire au moment du placement ou contre lequel une action serait intentée postérieurement.
Le tribunal pourra aussi, dans les cas urgents, désigner un mandataire spécial, à l'effet d'intenter, au nom des mêmes individus, une action mobilière ou immobilière.
L'administrateur provisoire pourra dans les deux cas, être désigné pour mandataire spécial.

ARTICLE 33

Les dispositions du Code civil sur les causes qui dispensent de la tutelle, sur les incapacités, les exclusions ou les destitutions des tuteurs, sont applicables aux administrateurs provisoires nommés par le tribunal.
Leur seront également applicables les dispositions du même Code relatives à l'hypothèque légale des mineurs ou interdits sur les biens de leurs tuteurs.

ARTICLE 34

Les significations à faire à une personne placée dans un établissement d'aliénés devront, à peine de nullité, être faites : 1° A son domicile ; 2° A l'administrateur provisoire, ou à défaut d'administrateur provisoire, au chef, préposé responsable ou directeur de l'établissement, qui visera l'original ; 3° Au procureur du Roi, du domicile de la personne placée.

ARTICLE 35

Le président, à la requête de la personne la plus diligente, commettra un notaire pour représenter les personnes non interdites placées dans les établissements d'aliénés, dans les inventaires, comptes, partages, liquidations dans lesquels elles seraient intéressées.

ARTICLE 36

Les pouvoirs conférés en exécution des articles précédents cesseront de plein droit, dès qu'une personne placée dans une maison d'aliénés n'y sera plus retenue.
Les pouvoirs conférés par le tribunal, en vertu de l'article 28, cesseront de plein droit à l'expiration d'un délai de trois ans ; ils pourront être renouvelés.
Cette disposition n'est pas applicable aux administrateurs provisoires qui seront donnés aux personnes placées par l'administration dans des établissements privés.

ARTICLE 37

Sur la demande de l'intéressé, de l'un de ses parents, de l'époux ou de l'épouse, d'un ami, ou sur la provocation d'office du procureur du Roi, le tribunal pourra nommer, en chambre du conseil, par jugement non susceptible d'appel, en outre de l'administrateur provisoire, un curateur à la personne de tout individu non interdit placé dans un établissement d'aliénés, lequel devra veiller : 1° A ce que ses revenus soient employés à adoucir son sort et à accélérer sa guérison ; 2° A ce que ledit individu soit rendu au libre exercice de ses droits aussitôt que sa position le permettra.
Ce curateur ne pourra être choisi parmi les héritiers présomptifs du malade, autres que les ascendants et descendants.

ARTICLE 38

Les actes faits par une personne placée dans un établissements d'aliénés, pendant le temps qu'elle y aurait été retenue, sans que son interdiction ait été prononcée ni provoquée, pourront être attaqués pour cause de démence.
Après la sortie de l'établissement, l'action en nullité contre ses propres actes ne pourra être intentée, par la personne qui aura été retenue, que pendant un an, à partir soit de la notification de l'acte, soit de l'usage qui en avait été fait contre elle.
Lorsque la personne qui a souscrit l'acte sera décédée avant d'avoir demandé la nullité, mais étant encore dans le délai accordé par la disposition précédente, les héritiers ou ayants cause auront, pour exercer l'action, un an à partir soit de la notification qui leur sera faite de l'acte, soit de l'usage qui en sera fait contre eux.

ARTICLE 39

Le ministère public sera entendu dans toutes les affaires qui intéresseront les personnes placées dans un établissement d'aliénés, lors même qu'elles ne seraient pas interdites.


TITRE III
DISPOSITIONS GÉNÉRALES

ARTICLE 40

Les contraventions aux dispositions des articles 5, 7, 10, 11, 17, 18 et du dernier paragraphe de l'article 25 de la présente loi, et aux règlements rendus en vertu de l'article 6, qui seront commises par les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements d'aliénés et par les médecins employés dans ces établissements, seront punies d'un emprisonnement de cinq jours à un an, et d'une amende de 50 F. à 3 000 F., ou de l'une ou de l'autre de ces peines.
Il pourra être fait application de l'article 463 du Code pénal.




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G. Ferrus. Des aliénés. Extrait du chapitre sur la question du placement des aliénés (1834)

La France, qui, sous tant de rapports, donne des leçons aux autres peuples pour de grandes et belles institutions, restera-t-elle longtemps en arrière sur un objet qui touche de si près cette partie de sa population jusqu'à présent si abandonnée ? Refusera-t-elle de suivre un exemple aussi digne d'être imité ? Non, sans doute, et je conçois, au contraire, l'espérance que, sous peu d'années, nous verrons, sur tous les points de la France, réaliser le projet de mon honorable confrère M. Esquirol, et que des maisons d'aliénés, convenablement réparties sur toute la surface de la France, et affectées chacune à deux ou trois départements, offriront enfin un asile assuré aux aliénés de toutes les parties de ce vaste royaume. Ainsi reçus et traités à proximité de leurs familles, on ne les verra plus privés des secours de leurs parents jetés dans des cachots, ou transportés au loin, dans un état d'abandon absolu, ce qui diminue infiniment pour eux les chances de guérison.

Mais, pour compléter les mesures de protection auxquelles a droit cette classe d'infortunés, notre propre législation, comme celle de l'Angleterre, ne présente-t-elle pas des lacunes à remplir relativement à la liberté individuelle et à la conservation des biens ? Et quoique la police et l'autorité municipale chargées de surveiller les abus, sous ce rapport paraissent nous avoir généralement préservés de ceux dont l'enquête de 1828 a démontré l'existence en Angleterre ; quoique la publicité résultant de la liberté de la presse oppose un obstacle presque insurmontable à toute tentative de cette nature, est-il permis de se reposer d'une manière absolue sur ces garanties, qui n'ont en elles-mêmes rien de bien déterminé, lorsque l'intérêt personnel peut employer tant de manœuvres pour s'y soustraire ?

Et d'abord doit-il suffire, comme cela se pratique aujourd'hui, pour autoriser la détention d'un individu, soit d'un ordre de la police ou du maire, soit de la volonté d'une famille, soit même de l'attestation de quelques médecins, même de ceux du Bureau central ? Suffit-il, lorsque cette détention est opérée sur une réquisition autre que celle de la police, de prescrire au directeur de l'établissement d'en donner avis à l'autorité municipale ? Je ne parle pas de l'avis qui doit également être transmis à l'autorité judiciaire dans la personne du procureur du roi, on ne sait que trop combien cette dernière formalité est devenue illusoire. Les nombreuses occupations de ces magistrats les ont obligés, sans doute, à laisser à la police toute surveillance sur les maisons d'aliénés.

D'un autre côté, nos Codes établissent bien clairement la position légale des interdits et les formalités à remplir pour arriver à l'interdiction ; mais la loi est muette sur les individus supposés aliénés et dont la séquestration a été préventivement ordonnée. En effet, quand un homme est en traitement pour la folie, pendant tout le temps d'épreuve, il est entièrement libre de disposer de ses biens, c'est-à-dire, que, n'ayant pas encore perdu, par une interdiction légale, le droit de contracter, il accorde ou refuse tel acte qu'on lui demande, selon que sa volonté ou sa lucidité momentanée lui en laisse le choix. La loi est précise à ce sujet : tant que l'interdiction n'est point prononcée, celui qu'elle peut frapper a la faculté de faire telle disposition qui lui convient ; ce n'est que par le jugement d'interdiction qu'il perd ce droit.

Dira-t-on que les individus placés dans cette position ne peuvent que difficilement abuser de la faculté qu'ils ont encore légalement de prendre telle ou telle détermination, puisqu'ils sont sous la surveillance du médecin et des gardiens ? Mais cette surveillance ne peut-elle pas être mise en défaut par la ruse et l'adresse ? Tous les jours ne voyons-nous pas des parents qui cherchent à obtenir à notre insu quelque signature de la part des malades ? D'ailleurs cet empêchement ne peut venir que du médecin seul, lequel, dans ce cas, prononce de sa pleine autorité et sans contrôle sur les actes demandés aux individus confiés à ses soins.

Cette autorité exclusive du médecin m'a toujours paru exorbitante, et je me suis fortifié dans cette opinion par les difficultés majeures que j'éprouve à l'exercer. Saisir l'intervalle lucide que peut présenter un malade en délire, décider jusqu'à quel point il a conservé ou recouvré l'usage de sa raison, affirmer que dans un moment donné elle n'est troublée d'aucune manière, ou bien qu'elle peut l'être sur quelques points et conserver une pleine intégrité relativement à la discussion de certains intérêts ; décider, par exemple, que le délire partiel, que la monomanie n'empêchera pas celui qui en est atteint de disposer de ses biens, tandis qu'elle suffit pour le faire enfermer ; toutes ces questions sont tellement ardues, tellement hérissées de difficultés et sujettes à controverse, qu'il me semble prudent de ne pas en confier la solution au jugement d'un seul homme, quelques garanties que ses lumières puissent offrir, et quelque incapable qu'on le suppose d'abuser des prérogatives attachées à ses fonctions de médecin d'aliénés.

Il est donc évident, 1° Que le mode de surveillance établi en France pour les maisons d'aliénés, déjà incomplet par lui-même, est négligé en ce qui regarde la partie la plus importante peut-être, c'est-à-dire la garantie judiciaire ; 2° Qu'à l'égard des individus dont la séquestration provisoire est reconnue nécessaire pour leur traitement, et avant de prononcer l'interdiction, leur position, soit sous le rapport de la liberté individuelle, soit sous celui de leur aptitude momentanée à consentir des actes civils, offre une incertitude fâcheuse à laquelle la loi doit remédier.

Sous ce double point de vue, les mesures actuelles se bornent aux dispositions résultant, 1° D'une circulaire ministérielle en date du 30 fructidor an 12, qui prescrit au médecin de la préfecture de police de visiter, dans le plus bref délai, les individus admis dans les maisons particulières, afin de constater leur état mental ; 2° De l'article 10 de l'ordonnance de police déjà citée (9 août 1828), d'après laquelle une commission du conseil de salubrité doit visiter six fois par an chaque établissement particulier d'aliénés ; encore avons-nous lieu de douter que ces dispositions soient ponctuellement et scrupuleusement exécutées.

Ces précautions, quoique bien insuffisantes, ne sont que purement officieuses de la part de l'administration ; et, en effet, que lui prescrit la loi du 24 août 1790 ?

« Parmi les objets de police confiés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux, elle classe le soin d'obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés ou les furieux en liberté. »
Nos Codes, il est vrai, semblent avoir tout prévu sur le sort des aliénés et sur l'administration de leurs biens ; mais toutes leurs dispositions sont subordonnées à l'interdiction, et ces mêmes dispositions rendent, dans la plupart des cas, l'interdiction impossible. En effet, après avoir posé en principe, par l'article 489, que le majeur qui est dans un état habituel d'imbécillité, de démence et de fureur doit être interdit, le Code civil, par l'article suivant, restreint aux parents et à l'époux le droit de provoquer cette interdiction. Le ministère public lui-même, aux termes de l'article 491, n'a la faculté de la requérir que dans le cas de fureur, si ce n'est pour le cas de démence ou d'imbécillité contre l'individu qui n'a ni époux, ni parents connus.

Certains individus qui se trouvent dans le cas d'imbécillité, de démence ou de manie sans fureur, resteront donc ainsi à la merci de tout homme avide qui aura intérêt à éloigner la lumière de ses manœuvres pour profiter de la situation d'un parent malheureux.

D'ailleurs, avant que l'aliénation mentale soit constatée, avant qu'elle soit parvenue à ce degré qui, faisant désespérer du succès de tout traitement, peut seul, à mon avis, motiver l'interdiction, le malade exige des soins et surtout une séquestration, et c'est cet état qui, sous le rapport de la liberté individuelle, réclame l'attention d'une administration prévoyante.

Notre législation paraît avoir oublié les individus placés dans cette double condition ; il s'agit d'en remplir les lacunes.

M. Breton, voulant bien mettre à profit mon expérience sur l'état mental des individus renfermés dans les maisons d'aliénés et sur les difficultés que je rencontre souvent comme médecin chargé de la direction de l'une de ces maisons, a fait, sur cette question importante, un travail qui ne peut, Messieurs, manquer d'exciter votre intérêt ; et votre opinion devant être d'un grand poids pour appeler une mesure législative sur les parties de ce travail qui vous paraîtraient utiles, c'est dans cette vue que j'ai demandé et obtenu l'autorisation de vous le soumettre.

Mais, dira-t-on sans doute, après avoir lu le projet de M. Breton, les médecins, en général, recommandent avec les plus pressantes instances d'éloigner les aliénés du foyer domestique, d'empêcher entre eux et leurs amis ou parents toutes sortes de communications, et voici une mesure législative qui établit, à l'égard de ces malades, un mode de surveillance et d'examen qui les met fréquemment en rapport avec des personnes étrangères. Je dois répondre à cette objection, car elle nous a déjà été faite.
Tout homme observateur et impartial qui visitera une maison d'aliénés pourra facilement s'assurer, comme je l'ai dit plus haut, qu'il y a une immense différence à établir des rapports entre un aliéné et une personne qui lui est tout à fait étrangère, ou bien entre ce même malade et quelqu'un avec qui il a eu des relations familières. Il verra également que la présence des visiteurs, si leur apparition est de courte durée et s'ils n'adressent pas de questions aux malades, affecte peu les maniaques agités, et quelquefois est à peine remarquée par les aliénés dont le délire est calme et incomplet.
Je m'engage à prouver encore que la préoccupation et même l'inquiétude que peuvent causer à certains fous les visites de quelques magistrats sont assez passagères, et peuvent, avec les précautions convenables, être assez modérées pour que de pareils inconvénients ne balancent pas l'immense avantage de donner aux aliénés, non interdits, une position fixe, régulière et légale. Il est bien entendu que M. Breton, en réclamant l'intervention de l'autorité judiciaire, désire autant que moi qu'elle ne soit, pour ainsi dire, qu'officieuse ; qu'elle n'entraîne une publicité fâcheuse pour les malades et pour leurs familles que lorsqu'il sera tout à fait impossible de faire autrement ; qu'elle s'exerce paternellement enfin, et que les magistrats, tout en remplissant un devoir de surveillance et de légalité, s'éclairent par des témoignages autant que par des preuves directes, quand celles-ci ne pourraient être acquises qu'en aggravant l'état des malades.
Mais, je le répète, en résumant ceci : dans nombre de cas, le délire est assez évident pour que l'enquête puisse avoir complètement lieu sans qu'on interroge le malade ; et, dans les cas douteux, le délire est assez partiel et assez peu fougueux pour qu'une simple conversation avec le magistrat et même un interrogatoire puissent être tolérés par nous sans causer le moindre préjudice. Enfin, pour le redire une dernière fois, l'état de choses actuel est trop imparfait, il peut donner trop facilement accès à l'arbitraire, ou simplement à l'erreur ou à l'incurie ; il est trop peu en harmonie avec nos autres garanties sociales, pour, selon ma conscience, devoir être plus longtemps supporté.
L'interdiction d'après les lois existantes est le seul moyen légal de conserver aux aliénés leurs propriétés ; ce n'est pourtant qu'avec un sentiment très pénible que je vois chaque jour employer cette mesure si fatale par la publicité qu'elle nécessite, les précautions qu'elle laisse après elle, et l'effet qu'elle produit sur les aliénés. Mais il n'entre point dans mon sujet d'aborder cette question.


PROJET D'ARTICLES POUR FIXER L'ÉTAT LÉGAL DES ALIÉNÉS

ARTICLE PREMIER

Aucun établissement public, aucune maison particulière destinés à recevoir les aliénés, ne pourront être formés sans autorisations spéciales données par les préfets dans leurs départements respectifs.
Les établissements et maisons actuellement existants sont conservés, à la charge d'en faire déclaration au préfet dans le délai de trois mois à partir de la promulgation des présentes, et de se soumettre aux modifications intérieures que pourront exiger la sûreté et la salubrité.

ARTICLE 2

La surveillance des établissements et maisons indiqués dans l'art. 1er appartiendra à l'autorité judiciaire, pour ce qui concerne l'état des personnes, et à l'autorité administrative, pour ce qui concerne la police.

ARTICLE 3

Tout jugement prononçant une interdiction ou nommant un administrateur provisoire, dans le cas de l'art. 497 du Code civil, pourra, sur la demande, soit de la famille, soit du ministère public ou de l'autorité administrative, ordonner le placement de l'individu, dont l'interdiction sera poursuivie, dans l'un des établissements ou maisons indiqués par l'art. 1er.

ARTICLE 4

Aucun individu ne pourra être admis et retenu comme aliéné dans ces maisons et établissements que sur la remise de l'extrait authentique d'un jugement portant la disposition prévue par l'article précédent,
Ou sur la réquisition écrite et signée, soit du procureur du roi près le tribunal de l'arrondissement, soit du président du tribunal civil du domicile, soit du préfet de police de Paris dans l'étendue de son ressort, et du maire dans les autres parties du royaume, soit du tuteur où de l'administrateur provisoire de l'individu présenté, soit d'un juge de paix sur la réquisition et avec l'assistance de deux citoyens majeurs et domiciliés.
Ces réquisitions devront contenir les nom, prénoms et qualité de l'individu, ainsi que tous les documents sur son état civil, sur sa situation mentale et sur la durée de sa maladie ;
Elles indiqueront s'il est ou non interdit, ou si son interdiction est provoquée ;
Elles seront remises aux administrateurs ou chefs des établissements ou maisons, et il devra y être joint, savoir :
En cas d'interdiction ou de provocation d'interdiction, un extrait du jugement ou de l'acte de nomination du tuteur ou administrateur provisoire ;
Et, dans les autres cas, sur l'avis de deux médecins constatant l'aliénation mentale.

ARTICLE 5

Dans chaque établissement et maison, il sera tenu un registre sur lequel seront inscrits, à l'instant même de l'admission, les détails portés au jugement qui aura ordonné le placement, ou dans la réquisition : il sera également fait mention des personnes qui ont signé la réquisition et des pièces et documents fournis sur l'individu admis.
Dans les vingt-quatre heures de l'admission, un bulletin contenant l'extrait du registre sera adressé au procureur du roi près le tribunal de première instance, et au préfet de police ou au maire, suivant la situation de l'établissement.

ARTICLE 6

Le bulletin, aussitôt après sa réception, sera communiqué par le procureur du roi au président du tribunal, lequel (toutes les fois que l'admission n'aura pas eu lieu en vertu d'un jugement, conformément à l'art. 3) se transportera sur les lieux pour constater l'état du malade et procéder à son interrogatoire, ou commettra à cet effet, soit un autre juge du tribunal, soit le juge de paix ou l'un de ses suppléants, le maire ou l'adjoint de la situation de la maison ou établissement.
Ces visite et interrogatoire auront lieu, en présence de l'un des médecins de la maison et avec son concours, dans le délai de huit jours au plus tard à compter de celui de la réception du bulletin : il en sera dressé procès-verbal et fait rapport au tribunal, à la plus prochaine audience.

ARTICLE 7

Si l'admis dont la visite aura été faite a été précédemment interdit, le tribunal prononcera définitivement sur la garde de la personne.
Si l'interdiction est provoquée, mais non prononcée, il peut ordonner sur cette garde des mesures provisoires, dont l'effet aura lieu pendant toute la durée de l'instance en interdiction.
Dans l'un et l'autre cas, le jugement devra être prononcé dans le mois du rapport fait à l'audience, et signifié aux administrateurs ou chefs de l'établissement ou maison où l'individu est placé, quarante jours au plus tard après celui de la visite.

ARTICLE 8

Lorsque l'interdiction n'a été ni prononcée ni provoquée, le tribunal, dans l'audience même où le rapport lui aura été présenté, pourra prononcer également des mesures provisoires pour la garde de l'individu détenu, en déterminant le temps pendant lequel elles recevront leur effet, et qui ne pourra excéder le terme de six mois.

ARTICLE 9

Les mesures provisoires pourront être successivement prorogées en vertu de nouveaux jugements, mais à la charge de renouveler préalablement les visites dans la forme prescrite par l'article 6.
Chaque prorogation sera prononcée pour six mois au plus, et calculée de manière à ce que l'état provisoire résultant des jugements successifs ne se prolonge pas au delà de dix-huit mois.
Néanmoins si, avant l'expiration de ce dernier délai, la demande est formée par qui de droit, soit à fin d'interdiction, soit pour l'application de la disposition de l'art. 11 ci-après, les mesures provisoires pourront être encore prorogées, pour conserver leur effet pendant tout le temps destiné à mettre à fin ces procédures.

ARTICLE 10

Lorsque les mesures provisoires autorisées par les articles précédents auront pour objet un individu admis dans un établissement public à la requête du ministère public ou de l'autorité administrative, le tribunal pourra, soit par le premier jugement, soit par un des jugements de prorogation, confier en même temps l'administration provisoire des biens de cet individu aux administrateurs dudit établissement.

ARTICLE 11

Deux mois avant l'expiration du terme de dix-huit mois fixé par l'article 9, si l'interdiction d'un individu appartenant à la classe mentionnée à l'article précédent n'est pas provoquée par sa famille, et si l'état d'indigence de cet individu est reconnu par le tribunal, il pourra, sur la demande du ministère public ou de l'autorité administrative, décider qu'il n'y a pas lieu à poursuivre l'interdiction dans les formes ordinaires, et ordonner que cet individu restera dans l'établissement où il se trouve,
ou dans tout autre, pour y être indéfiniment gardé. Cette disposition conférera de droit la tutelle et l'administration des biens dudit individu aux administrateurs de l'établissement chargés de la garde de sa personne.

ARTICLE 12

Les actes de procédure pour l'exécution des dispositions autorisées par les articles 8, 9, 10, et 11 pourront être faits collectivement pour plusieurs individus admis dans un même établissement à la requête du ministère public ou de l'autorité administrative, lorsque leur indigence sera justifiée : dans ce cas, le jugement sera également rendu par un seul dispositif.

ARTICLE 13

Lorsqu'un individu aura été admis, pour cause d'aliénation mentale, dans un établissement ou maison hors de l'arrondissement de son domicile, le tribunal de la situation de cet établissement ou maison pourra prononcer, la mesure provisoire autorisée par l'article 8, ou le transport de l'individu au lieu de son domicile.
Dans tous les cas , les pièces seront immédiatement, et à la diligence du procureur du roi, transmises au tribunal de la situation de ce domicile ; ce tribunal sera seul compétent pour prononcer sur toutes les autres mesures et demandes relatives à la garde de la personne et à l'administration des biens dudit individu.

ARTICLE 14

L'avis de tout jugement ordonnant, à l'égard d'un individu non interdit ou dont l'interdiction n'est pas provoquée, soit des mesures provisoires, soit la prorogation de ces mesures, sera de suite, et sans frais, adressé, par les soins du procureur du roi, aux administrateurs ou chefs de l'établissement ou maison où cet individu aura été admis, de manière à ce que cette communication leur parvienne, savoir : pour le premier jugement, rendu d'après l'art. 8, huit jours au plus tard après la visite prescrite par l'art. 6, et les autres avant l'expiration du délai précédemment ordonné.

ARTICLE 15

L'état de tous les individus qui, au jour de la promulgation des présentes, se trouveront placés, pour cause d'aliénation mentale, dans des établissements publics ou des maisons particulières, sera inscrit en tête du registre prescrit par l'article 5, dans le délai d'un mois, à partir de la dite promulgation. Copie de cet état sera adressée par les administrateurs ou chefs de ces établissements et maisons, tant aux procureurs du roi près les tribunaux de leurs arrondissements respectifs qu'au préfet
de police à Paris dans l'étendue de son ressort, ou au maire de la commune pour les autres parties du royaume.
Ces états contiendront, outre les nom, prénoms et qualité de chaque individu, l'indication de son précédent domicile, de l'époque et du mode de son admission dans l'établissement ou maison ; enfin, tous les renseignements nécessaires sur son état civil et sa situation mentale.
Il sera statué par le tribunal, à la diligence soit des familles, soit des tuteurs ou administrateurs provisoires, soit du ministère public ou de l'autorité administrative, sur les mesures relatives à ces individus, et après des visites dans la forme prescrite par l'article 6.
Les dispositions de l'article 12 seront exécutées à l'égard de ceux de ces individus qui se trouveraient dans la position prévue par cet article, et les mesures définitives autorisées par l'article 11 pourront être appliquées à ceux dont le séjour constant, dans les établissements publics, remonterait à plus de deux années.
Les jugements seront rendus trois mois au plus tard après la promulgation des présentes, et l'avis en sera donné, comme dans l'article précédent, avant l'expiration des dix jours qui suivront le délai de trois mois.

ARTICLE 16

La révocation ou la modification des mesures provisoires ou définitives ordonnées en vertu des articles précédents pourra, en tout temps et en tout autre état de cause, être poursuivie devant le tribunal qui les aura ordonnées ; et, dans le cas de l'article 13, devant le tribunal du domicile de l'individu détenu.
Les demandes sur ce point pourront être formées soit par le ministère public, soit par l'autorité administrative, soit par toute personne, même non parente de l'individu.
Le tribunal aura même le droit d'y procéder d'office sur le rapport d'un de ses membres, mais après avoir, huit jours d'avance, donné connaissance des motifs au procureur du roi et au préfet de police ou au maire, suivant la situation des lieux.

ARTICLE 17

A défaut de réception, dans les délais fixés par les articles 14 et 15, des significations ou avis officiels mentionnés dans ces articles, les administrateurs ou chefs des établissements et maisons indiqués dans l'article 1er, ou autres agents, sont tenus de remettre immédiatement en liberté les individus pour lesquels ces délais se trouveront expirés.
Ils devront également exécuter les jugements de révocation et modification, sur la signification qui leur en sera faite.

ARTICLE 18

Toute entrave mise aux visites autorisées par les articles 1 et 6, toute admission faite sans les formalités prescrites par l'article 4 et suivant; tout refus ou même tout retard dans l'exécution des obligations imposées par les articles 5, 15 et 17 seront assimilés à la détention arbitraire et punis de la peine prononcée par l'article 120 du Code pénal.

ARTICLE 19

Aucun individu aliéné, détenu en vertu d'un jugement, ne peut être mis en liberté qu'à l'expiration du délai fixé par ce jugement, ou en vertu d'un jugement nouveau.
Les sorties et décès seront inscrits sur le registre prescrit par l'article 5, avec mention des causes de la sortie, et de la nature du décès.

ARTICLE 20

L'interdiction pourra être provoquée d'office par le procureur du roi, ou par l'autorité administrative dans les cas prévus par l'article 491 du Code civil, et, de plus, contre tout individu déjà soumis aux mesures provisoires indiquées dans l'article 8 et suivants, lorsque les parents n'ont pas formé la demande en interdiction deux mois avant l'expiration du délai de dix-huit mois fixé par l'article 9.
La procédure d'interdiction pourra également être reprise et suivie d'office par le ministère public ou l'autorité administrative contre l'individu admis dans un établissement ou maison consacré aux aliénés, lorsque son interdiction, précédemment provoquée par la famille, n'aura pas été suivie des diligences nécessaires pour la mettre à fin.

ARTICLE 21

Les jugements mentionnés aux présentes ne pourront jamais être rendus qu'après que le ministère public aura été entendu.
Ceux de ces jugements qui prononceront sur la garde provisoire ou définitive des personnes seront exécutoires, nonobstant opposition ou appel, et sans y préjudicier.
Il sera statué sur ces oppositions ou appels dans le plus bref délai, et toute autre affaire cessante.

ARTICLE 22

Dans tous les cas prévus par la présente, toutes les pièces de procédure et tous les jugements et arrêts relatifs à des individus dont l'indigence est justifiée seront, sur la réquisition du procureur du roi, visés pour timbre et enregistrés en débat : les autres frais seront avancés par la régie de l'enregistrement ; le tout, sauf recours contre ceux de ces individus qui, ultérieurement, offriraient des moyens de paiement, et chacun pour sa part et portion.
Vous remarquerez, Messieurs, que, dans aucun de ces articles, excepté le dixième, il n'est question ni des biens, ni de la capacité des individus qui se trouvent dans l'état provisoire dont s'occupe particulièrement le projet. L'article 504 du Code civil semble y avoir suffisamment pourvu en déclarant implicitement que les actes faits par un individu pourront être attaqués pour cause de démence, lorsque son interdiction a été provoquée avant son décès. Les mesures provisoires prévues par le projet ne pourraient manquer d'être considérées par les tribunaux qui les auraient prononcées, comme une provocation d'interdiction, surtout si la preuve de la démence résultait des actes attaqués. Une disposition spéciale pourrait même rendre applicable l'article 504 à ces mesures provisoires ; ainsi, les tribunaux se verraient appelés à l'appréciation de ces actes ; ainsi, tout rentrerait dans le domaine de la justice, tout arbitraire disparaîtrait, et chacun, trouvant la ligne de sa conduite bien tracée, se livrerait avec plus de confiance et de liberté aux soins réclamés par une des plus affligeantes infirmités qui frappent l'espèce humaine.

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J.-P. Falret, Observations sur le projet de loi relatif aux aliénés (Paris, 1837)

Le projet de loi sur les aliénés, que M. le ministre de l'intérieur a présenté le 6 janvier dernier à la chambre des députés, tend à réaliser un vœu général dès longtemps exprimé par la médecine, la magistrature et l'administration. La loi proposée, dont l'objet principal est de régler le mode d'admission des aliénés dans les établissements qui leur sont consacrés, accomplit d'ailleurs une promesse faite dans la précédente législature par le gouvernement, à la demande expresse de l'honorable M. Auguis, qui a été l'heureux interprète des sentiments de tous ceux qu'intéresse la dignité de la nature humaine.

Invité à donner mon avis sur les questions soulevées par le projet de loi, je crois devoir publier les observations que j'ai présentées par écrit, et que j'ai eu l'honneur de développer à la commission chargée de l'examen du projet ; la publication de ces observations n'a d'autre but maintenant que d'appeler l'attention des médecins et de provoquer d'autres travaux sur cette importante matière.

Quel sujet plus digne de graves méditations que le spectacle de quinze mille aliénés obtenant à peine un regard de pitié, relégués presque partout dans des lieux insalubres qui manquent tout-à-fait à leur destination, et quelquefois surchargés de chaînes dans de sombres cachots, comme les infracteurs de nos lois ?

Qu'y a-t-il de plus affligeant que de voir tant de malades retranchés de la société par la ruse ou par la violence, sans que la loi couvre de sa protection un acte aussi contraire à la liberté individuelle, sans qu'elle les environne des garanties indispensables pendant leur séjour dans des maisons étrangères, sans qu'elle veille aux moyens de les rendre sans danger à leurs familles et à toutes les habitudes de la vie sociale ?

Si nous portons nos regards sur les lois civiles et criminelles, nous y trouvons de nouveaux et de puissants motifs de déplorer la situation des aliénés, et de chercher à éveiller la sollicitude de sages législateurs. L'interdiction, seule loi protectrice pour conserver la fortune des aliénés, seule voie légale pour les séquestrer, est une mesure extrême, inapplicable dans la majorité des cas, dispendieuse, toujours longue à obtenir, fatale par la perte d'un temps précieux pour la guérison, et par l'influence du sentiment d'humiliation si fécond en récidives. Néglige-t-on de provoquer l'interdiction, on commet un acte arbitraire ; on suspend, on paralyse le mouvement des affaires de famille et de tous les intérêts matériels ; on laisse des infortunés à la merci du désordre de leurs idées et de leurs penchants, exposés à toutes les embûches que peuvent leur tendre l'intrigue et la cupidité.

Combien déjà de malheurs accumulés sur la tête des aliénés ! Que serait-ce s'il était prouvé que plusieurs d'entre eux ont été soumis aux mêmes traitements que des criminels et ont péri de cette mort infamante que la société inflige aux scélérats qui en ont été la honte et l'effroi ! Ne serait-il pas alors urgent et indispensable de combler une lacune de la législation criminelle qui donne lieu à de si affreuses catastrophes ? Insuffisance et mauvais état des asiles d'aliénés, améliorations et réformes à introduire dans la législation civile et criminelle relative à ces infortunés, tels sont les sujets importants sur lesquels j'aimerais à voir se fixer l'attention de nos législateurs. Le projet de loi actuel n'embrasse qu'une faible partie de ces hautes questions, mais il touche à l'un de nos plus chers intérêts, à la suspension du droit de disposer librement de sa personne et de ses propriétés pour cause d'aliénation mentale.

En effet, au malheur affreux de perdre la raison, le plus précieux attribut de notre nature, se lient généralement la rigoureuse nécessité de soins étrangers, hors de sa maison, loin de ses parents, de ses amis, de ses habitudes, et la perte plus ou moins absolue de la liberté individuelle. Une semblable infraction au sentiment si doux de famille, notre refuge et notre place de sûreté dans le malheur, impose à la science médicale le devoir de proclamer ses enseignements sur l'isolement des aliénés.

Une atteinte si grave au droit commun exige impérieusement des dispositions législatives qui régularisent l'usage de cette mesure exceptionnelle, et préviennent les graves abus auxquels peuvent entraîner et entraînent quelquefois de mauvaises passions favorisées par le silence de la loi. Ce serait donc ici le lieu de présenter l'ensemble des motifs qui militent en faveur de l'isolement des aliénés ; mais nous préférons renvoyer les lecteurs à l'excellent mémoire de M. Esquirol sur cette intéressante question, pour examiner de suite si le projet de loi proposé répond aux besoins de ces infortunés, de leurs familles et de la société.

Si par ruse ou par force on retient un aliéné chez lui ou dans une maison particulière organisée pour lui seul, si on le transfère dans un établissement spécial pour ce genre de malades, on a recours à ce que les médecins appellent isolement, dont le résultat est toujours, sous le rapport médical, un changement plus ou moins complet dans le mode d'existence, et, sous le rapport légal, une suspension plus ou moins absolue des droits civils.
La mesure par laquelle une famille, une autorité quelconque soustrait des aliénés à leurs habitudes de localité, de relations sociales, pour les placer dans une maison étrangère et dans l'impossibilité de disposer à leur gré de leurs personnes et de leurs biens, est certainement un acte très-grave, puisqu'il constitue une violation flagrante du premier de tous les droits, la liberté individuelle. Cependant l'isolement des aliénés est généralement nécessaire ; la médecine mentale en fait la condition première pour leur traitement ; la famille s'impose le douloureux sacrifice de ne pas donner ses soins aux objets de ses affections ; dans le silence d'une loi positive, elle triomphe de la crainte de commettre un acte arbitraire, et, usant du droit imprescriptible de la raison sur le délire, elle souscrit aux enseignements de la science pour obtenir le bienfait de la guérison des aliénés, pour les prémunir contre le désordre de leurs idées et de leurs passions, qui les entraînent malheureusement trop souvent à leur ruine et à des actes contraires à l'honneur s'ils n'avaient pour excuse l'aliénation mentale.

La société, justement alarmée de tant de dangers, exige l'isolement, au nom sacré de l'ordre, de l'intérêt public et de la décence des mœurs.

L'isolement satisfait donc aux intérêts des aliénés, à ceux de leurs familles et à ceux de la société.

Mais s'il y a sous ce triple rapport les plus grands avantages à isoler les aliénés, il est possible que les établissements qui leur sont consacrés manquent à leur destination ; il est possible encore que des directeurs de ces établissements trahissent indignement la confiance des familles, et que, par incurie ou sous l'influence de coupables sentiments, ils rendent les aliénés victimes de mauvais traitements.

L'intrigue et la cupidité peuvent, sous le vain prétexte de la nécessité de l'isolement, parvenir à enfreindre la liberté individuelle, soit en faisant séquestrer dans des asiles d'aliénés des citoyens paisibles et tout-à-fait sains d'esprit, soit en retenant dans ces asiles ceux qui ont recouvré la régularité de leurs facultés et qui jouissent de toute la plénitude de leur vie intellectuelle et morale.

Pour prévenir d'aussi graves abus, comme pour assurer les grands avantages de l'isolement, une loi est donc nécessaire, indispensable ; mais cette loi présente les plus grandes difficultés. Il faut que l'admission des aliénés dans les établissements qui leur sont affectés puisse être prompte pour être plus utile, et qu'elle soit, pour son exécution, entourée de garanties tutélaires, sans pour cela blesser la juste susceptibilité des familles. Il faut que les asiles d'aliénés soient l'objet d'une surveillance assez éclairée pour qu'elle ne soit jamais nuisible aux malades qu'elle doit protéger, et pour qu'elle n'inquiète jamais d'honorables chefs d'établissements qui ont besoin des encouragements des hommes de bien, ainsi que d'une vocation décidée, pour soutenir leur zèle dans les pénibles soins à donner à la plus cruelle des infortunes.

Il faut qu'une semblable loi, dans ses dispositions relatives à la sortie des malades, sache concilier le respect pour la liberté individuelle et pour l'ordre public avec une grande latitude laissée aux médecins des établissements et aux familles, qui sont les arbitres les plus compétents pour juger du degré de la guérison, de sa solidité et des dangers que la société pourrait courir, si l'on renvoyait dans son sein des individus qui paraissent inoffensifs ou parfaitement guéris à des yeux peu exercés ou connaissant peu le malade et le caractère de sa maladie.

Sans rechercher comment il se fait qu'une semblable lacune existe encore dans notre législation, examinons si le projet de loi proposé pour la remplir, répond à tous les besoins que nous venons de signaler, et s'il les satisfait de la manière la plus convenable.

Et d'abord quel est l'esprit de la loi proposée ?
Quelles sont les questions fondamentales dont elle présente la solution ?

La première question, la plus importante, celle qui renferme presque toute la substance de la loi, est de savoir si l'isolement peut et doit être subordonné à l'interdiction.
Pour résoudre négativement cette question, l'auteur du projet de loi avait à s'appuyer sur l'unanimité des médecins à ce sujet, sur le danger et sur l'iniquité en principe de cette subordination, et sur l'impossibilité de sa réalisation dans le plus grand nombre de cas.

Afin qu'il ne puisse rester le moindre doute à cet égard dans aucun esprit, montrons, par le parallèle des diverses circonstances de l'isolement et de l'interdiction, que ces deux mesures sont d'un ordre tout-à-fait différent, et que l'isolement exclut toute idée d'interdiction préalable.
En effet, l'interdiction est une mesure judiciaire qui a essentiellement en vue la conservation de la fortune de l'aliéné, celle de ses parents et de tous ceux qui ont avec lui des rapports d'affaires. L'isolement, au contraire, est une mesure médicale qui a pour but d'affranchir l'aliéné des circonstances sous l'influence desquelles le délire s'est manifesté, et de lui ôter le point d'appui que trouve son esprit en désordre dans une multitude d'impressions, d'émotions et de souvenirs sans cesse renaissants, pour le placer sous l'empire d'associations d'idées diverses qui sont les effets nécessaires d'un changement de lieu, d'habitudes, de société, et en un mot d'un autre genre de vie physique et morale.
L'isolement a suffi un grand nombre de fois pour guérir l'aliénation mentale, et a rendu ainsi superflue toute pensée d'interdiction ; tandis que l'interdiction est un obstacle à la guérison par l'appareil judiciaire qui l'accompagne, et par la connaissance qu'elle donne au malade du malheur qui vient de l'atteindre et de Ses conséquences inévitables.
L'isolement, pour être réalisé, n'a besoin que de l'assentiment de la famille ; il est aussi prompt que sa volonté, et il est d'autant plus efficace qu'il a lieu avec plus de célérité ; l'interdiction, au contraire, ne procède qu'avec la lenteur extrême des informations judiciaires, et cette lenteur est d'ailleurs une garantie désirable.
Les familles, jalouses de dérober avec soin la connaissance de l'aliénation mentale, peuvent obtenir l'isolement avec facilité, sous la forme la plus secrète ; au lieu que la loi a voulu que l'interdiction eût tout l'éclat de la publicité, et présentât toute la solennité d'une grande procédure, puisqu'elle frappait de mort civile.

D'un côté, les familles, en souscrivant à l'isolement, trouvent la récompense d'un pénible sacrifice dans l'espérance de la guérison, dans la certitude de prendre le parti le plus sage pour empêcher le suicide [1], et pour mettre ses membres et la société à l'abri d'actes violents quelquefois même du meurtre et de l'incendie.

D'un autre côté, l'interdiction est odieuse aux parents comme aux malades qui conservent une partie de leurs facultés intellectuelles ; pour ceux-ci, elle est féconde en récidives et en ressentiments ; pour ceux-là, ils en reçoivent dans l'opinion un contre-coup qui blesse profondément d'honorables susceptibilités et de précieux intérêts.

D'ailleurs, tout le temps qu'il y a espoir de guérison, l'interdiction est sans motif réel. Aussi, dans l'immense majorité des cas, elle n'est pas réclamée : c'est un fait qui a été généralement constaté. Récemment encore, le savant docteur Roller nous a écrit que sur deux cent vingt-deux aliénés admis dans l'établissement de Heidelberg, six seulement sont frappés d'interdiction. A Paris, sur treize cents cas d'isolement, les tribunaux ne sont saisis annuellement, par les familles ou par le ministère public, que de soixante à soixante-dix provocations en interdiction ; l'isolement se présente, au contraire, avec tous les caractères d'un besoin général, soit qu'on le conseille comme un ensemble de moyens de traitement, soit qu'on le considère comme une mesure d'ordre et de sûreté pour les familles et pour la société.

Comment interdire avant l'isolement des personnes atteintes d'aliénation intermittente ? Peut-on et doit-on renouveler la procédure au retour de chaque accès ?
Comment provoquer l'interdiction dès l'invasion de l'aliénation, lorsque tous les doutes ne sont pas encore levés sur son véritable caractère ?
Comment un tribunal pourra-t-il interdire des infortunés qui, ne déraisonnant que sur quelques points, répondent parfaitement aux interrogatoires, alors que l'article 491 n'autorise l'interdiction que dans le cas d'un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur ?

Cependant l'expérience a appris que dans le délire partiel, l'isolement est impérieusement commandé par la nature des idées et par la violence des sentiments qui poussent fréquemment ceux qui en sont atteints aux plus affreux désordres, aux actes les plus funestes.

Combien d'objections et quelles objections puissantes s'élèvent contre l'interdiction préalable, et doivent la faire regarder au moins comme inutile, sinon comme dangereuse, dans la plupart des cas ! Pourquoi donc cette question occupe-t-elle une place si importante dans l'exposé des motifs de la loi ? Cela tient à une habitude dès longtemps contractée, en l'absence de dispositions législatives qui réglassent l'admission des aliénés dans les asiles qui leur sont affectés, et fondée sur la crainte de tomber dans l'arbitraire à une époque où l'interdiction était la seule voie légale pour isoler les aliénés.

Aujourd'hui cette question n'est pas susceptible de controverse ; de tous côtés on a senti que l'interdiction, comme mesure devant précéder l'isolement, était repoussée par la nature des choses ; et le bon sens public a presque partout fait suppléer au manque d'une loi spéciale par des règlements d'administration, en consacrant le principe d'indépendance de l'isolement et de l'interdiction. Le législateur ne fait donc que proclamer ce qui est unanimement demandé, ce qui est généralement reconnu et pratiqué. Mais en détruisant un abus très-grave, le législateur s'est renfermé dans la question de la subordination de l'interdiction à l'isolement ; il a laissé tout entière la question de l'interdiction relative aux aliénés, question beaucoup trop importante pour être traitée ici accidentellement.

Remarquons toutefois que le projet de loi actuel, tout en rejetant l'interdiction avant l'isolement, pousse ensuite nécessairement à cette mesure extrême par la disposition de plusieurs articles, et notamment de l'article 4, et en ne déterminant pas comment seront administrés les biens des malades et comment les familles régleront leurs affaires. Sous l'empire de la loi nouvelle, l'aliéné non interdit pourra disposer librement de tout ce qu'il possède, contracter, accorder ou refuser son assentiment aux actes qui lui seront demandés, selon son caprice ou sa volonté désordonnée.

L'aliéné reste ainsi, malgré le trouble de ses idées et les écarts de ses sentiments, à la merci de fripons adroits ou de parents avides toujours prêts à profiter de sa malheureuse situation. On peut objecter, il est vrai, que dans des maisons bien tenues, ces malades, soumis à une surveillance spéciale, ne seront pas exposés à abuser de la faculté qu'ils ont encore légalement de prendre telle détermination qui leur convient ; mais à notre tour, nous pouvons répondre que les administrateurs et les médecins des établissements ne doivent pas ce genre de surveillance, et que d'ailleurs dans beaucoup de cas elle est impossible. Comment prévenir les communications secrètes des malades avec leurs familles, avec leurs amis ou avec les employés de l'établissement ?

Supposons d'ailleurs le cas le plus favorable, celui où des parents pleins de délicatesse consulteront le médecin sur les actes demandés aux malades confiés à ses soins : sa décision offrira les plus grandes difficultés, soit pour juger de l'intervalle lucide, soit pour décider jusques à quel point s'allie avec un égarement sur quelques objets la pleine intégrité de l'intelligence relativement à la discussion de certains intérêts, et pourquoi un délire partiel est suffisant pour motiver la séquestration du malade, sans lui ôter la libre disposition de ses biens.

Sans doute personne ne peut mieux que le médecin répondre du jour sur ses obscurités, débrouiller ces questions ardues ; on ne peut pas trouver chez un autre homme plus de droiture, plus d'indépendance et définitivement plus de garanties ; mais enfin le médecin, s'il ne refuse pas, comme il le peut, de tenter la solution de ces questions obscures et sujettes à controverse, agira arbitrairement, puisqu'il n'y sera pas autorisé par une loi, et sans contrôle, ce qui est infiniment dangereux pour lui, pour les malades et leurs familles, comme l'a très-bien démontré le docteur Ferrus.

En résumé, l'interdiction antérieure à l'isolement blessait la susceptibilité des parents, irritait les aliénés et nuisait essentiellement à leur traitement ; mais c'était une mesure protectrice de leurs intérêts matériels et de ceux de leur famille ; et l'isolement, que la loi actuelle proclame avec raison tout-à-fait indépendant de l'interdiction, favorable au rétablissement des malades et à l'ordre public, laisse sans protection la fortune des aliénés ; il suspend et paralyse le mouvement des affaires de leurs familles. Voilà une immense lacune dans le nouveau projet de loi que nous chercherons à remplir par une proposition particulière lors de la discussion des articles.


Voyons maintenant, et c'est la deuxième question capitale du projet de loi, comment sera opéré l'isolement, et à quel ordre d'autorité doit en être confié le soin. Cette attribution doit-elle appartenir à l'autorité judiciaire ou à l'autorité administrative ?

La nature de ses fonctions habituelles appelle l'autorité administrative à régler les précautions de l'isolement des aliénés ; il lui est dévolu comme mesure sanitaire, et comme mesure d'ordre, de moralité et de sûreté publiques. L'autorité judiciaire peut-elle revendiquer cette prérogative aux mêmes titres ? L'autorité administrative, par la promptitude de ses actes, répond à la célérité qu'exigé l'isolement pour être plus favorable ; l'autorité judiciaire, avec ses formes si lentes, peut-elle remplir un tel besoin ? Et si, par exception, elle renonce à la lenteur de sa marche, ne fera-t-elle pas aussi abnégation d'une de ses garanties les plus précieuses ?

L'autorité administrative n'inspire aux familles ni aux malades aucun sentiment de crainte et de défiance, puisque son essence est d'être paternelle ; tandis que l'autorité judiciaire, n'apparaissant à l'imagination qu'armée du glaive de la loi, peut exercer sur les malades, ordinairement si craintifs et si défiants, la plus funeste influence, et produire sur les familles une impression de douleur et d'irritation analogue à celle qu'éprouvent des personnes injustement accusées.

L'autorité judiciaire ne peut faire valoir en sa faveur qu'un seul motif, la protection due à la liberté individuelle ; mais est-il de sa compétence de prévenir les infractions qui peuvent lui être faites, ou seulement de les réprimer ? Voilà toute la question.
Dans la loi actuelle, l'autorité administrative veillera à prévenir toute atteinte à la liberté individuelle, et l'autorité judiciaire, instruite de tous les cas d'isolement, aura le droit de contrôler et de sévir toutes les fois qu'elle pourra constater une injuste suspension du droit commun. N'est-ce pas faire ainsi une part équitable à l'une et à l'autre autorité et les laisser agir dans la sphère d'action qui est particulière à chacune d'elles ? Si, après avoir déduit, de la nature même des choses, nos motifs de préférence, nous consultons les précédents sur la question de savoir à quel ordre d'autorité publique il convient de confier l'isolement des aliénés, nous trouvons en faveur de l'autorité, administrative les plus nombreux et les plus puissants exemples.

En Allemagne, ce pouvoir relève de l'autorité administrative locale, soit de celle qui est chargée de la police, soit de celle qui a le département des pauvres.
En Angleterre, ce sont les juges de paix, fonctionnaires essentiellement administratifs, qui sont chargés de ce soin ; ou bien la commission de surveillance des asiles d'aliénés, toujours nommée par le ministre de l'intérieur. La loi anglaise exige de plus le témoignage de deux médecins, et, de crainte de connivence entre eux, elle veut que chacun rédige séparément son certificat.

Suivant le rapport qui m'a été fait par l'honorable docteur Parkman, aux États-Unis, les administrateurs des asiles d'aliénés nommés par chaque gouvernement, ou bien les commissions des pauvres, règlent l'entrée des malades, dont l'aliénation est d'ailleurs constatée par le médecin qui a donné ses soins, et quelquefois par le maire du lieu de résidence des malades.

Le médecin et l'administrateur sont les arbitres de la sortie des aliénés. En France, la loi du 16-24 août 1790 attribue le pouvoir d'isoler les aliénés à l'administration municipale. On s'est plaint, il est vrai, du vague de ses expressions, et on peut ajouter que cette loi n'autorise l'isolement que dans certains cas particuliers ; mais la vérité est que très-généralement l'administration statue sur cette matière. En admettant la compétence du pouvoir administratif pour opérer l'isolement, il reste à déterminer si l'ordre ou l'autorisation doivent émaner de l'autorité supérieure du département ou de l'autorité locale. Cette question nous amène à l'examen des articles du projet de loi.
Avant d'aborder la discussion des divers articles, qu'il nous soit permis de témoigner notre regret de n'y pas trouver une disposition propre à rassurer complètement les chefs des établissement antérieurs à la promulgation de la nouvelle loi. Sans doute il est bien entendu qu'elle ne saurait avoir d'effet rétroactif ; mais pourquoi ne pas l'énoncer d'une manière positive, alors que l'expression de cette idée était si naturelle après le premier paragraphe de l'article 8, et que cette sage précaution se trouve indiquée dans l'ouvrage de M. Ferrus, à l'article 1 du projet destiné à fixer l'état légal des aliénés.

Remarquons aussi dans la loi proposée l'absence d'une ligne de démarcation entre les asiles publics que l'humanité ouvre aux aliénés indigents, et les établissements privés dont l'existence et la prospérité s'appuient sur la confiance des classes aisées de la société. Ces deux genres d'établissements, érigés sous des conditions si différentes, renfermant des éléments si divers, ne pourraient être régis par une législation identique. Les asiles publics ne peuvent en aucune manière être assimilés aux établissements privés. Le projet de loi, en les confondant ensemble, est par cela même vague, confus, et présente, avec un caractère de rigueur inutile, des mesures tout-à-fait inapplicables aux asiles publics, sans offrir les garanties tutélaires des intérêts des aliénés qui y sont admis, et de l'administration qui leur fait donner les soins réclamés par leur position.

Faisons observer enfin que les différentes parties de la loi proposée ne sont pas assez bien liées entre elles pour former un tout régulier, et que dans le cas d'admission des principes, il serait indispensable de disposer ses articles d'après l'ordre de succession des idées, et de traiter, par exemple, de tout ce qui est relatif aux établissements avant de parler des malades qui doivent les occuper.

Arrivons maintenant à l'examen des dispositions particulières de la loi.

ARTICLE PREMIER

« Nul individu atteint d'imbécillité, de démence ou de fureur, dont l'interdiction n'aura pas été prononcée, ne pourra, sous les peines portées par l'article 120 du Code pénal, être placé ou retenu dans aucun hospice ou autre établissement public ou privé, affecté au traitement de l'aliénation mentale, qu'en vertu d'une autorisation ou d'un ordre du préfet. »

Cet article a pour objet de faire cesser la confusion qui règne dans les mesures pour obtenir l'isolement des aliénés : c'est une disposition légale, positive, uniforme, destinée à remplacer les règlements d'administration qui varient suivant les localités. En effet, dans le plus grand nombre de départements, la séquestration des aliénés ne repose que sur une convention des familles avec l'administration des hospices.

Si l'établissement est communal, l'autorisation du maire est réclamée ; s'il appartient au département, l'intervention du préfet est jugée nécessaire.

Dans un petit nombre d'asiles, les aliénés ne sont admis qu'après un jugement d'interdiction.

A Paris, les formalités pour l'admission des aliénés sont différentes pour les hospices et pour les établissements privés.

Le mode d'admission diffère aussi pour la maison royale de Charenton, où l'on est reçu sur la réquisition du maire du domicile du malade.

L'entrée à la division des aliénés de la Salpêtrière et de Bicêtre est assimilée à celle de tous les autres malades dans les hôpitaux ; elle a lieu sur un bulletin délivré par un médecin du bureau central, qui décide d'après son examen, et le certificat du médecin qui a donné aux malades les premiers soins. Ce bulletin est exigé soit lorsque les malades sont amenés par leurs familles, soit lorsque le préfet de police provoque l'admission, soit enfin quand l'autorisation est donnée par le préfet de la Seine, dans le cas où les malades n'appartiennent pas au département.

Enfin les admissions dans les établissements privés ne dépendent que des arrangements libres entre les directeurs et les familles ; mais elles sont promptement régularisées par la visite de deux médecins qui, assistés du commissaire de police, constatent l'état mental de chaque malade, et adressent au préfet de police leur certificat dont copie est envoyée par ce magistrat, dans le plus bref délai, à l'autorité judiciaire.
L'article 1er du projet a sur toutes ces diverses mesures deux avantages, le premier de substituer une forme légale à de simples règlements, et le deuxième de la rendre partout la même.

Mais n'est-il pas à craindre que les formalités voulues par l'article 1er ne soient impraticables à Paris, à cause du grand nombre des admissions ? Elles s'élèvent à neuf cents annuellement.

Le législateur a-t-il eu l'intention de conférer au préfet de la Seine et aux maires de Paris les attributions qui sont actuellement dévolues au préfet de police, en vertu de la loi de 1790 et de l'arrêté du gouvernement du 12 messidor an VIII ?

Les mesures protectrices de la liberté individuelle adoptées aujourd'hui pour les établissements privés, avec quelques légères modifications, ne seraient-elles pas préférables au mode proposé par l'auteur du projet de loi ?
La solution de ces questions ressortira, j'espère, de l'ensemble des observations que nous présenterons sur les divers articles ; je vais examiner pour le moment si au lieu de faire dépendre l'isolement d'un ordre ou d'une simple autorisation du préfet, il ne serait pas plus convenable de s'en rapporter à la décision du maire de chaque commune ?

Les raisons de cette disposition nouvelle sont manifestes : en effet un maire, qui réside sur le lieu même de l'accident, est bien meilleur juge des mesures à prendre, qu'un préfet qui réside au chef-lieu du département, et qui ne peut avoir comme le maire le malade sous ses yeux.

En second lieu, la nature de la maladie est telle, qu'il est de l'intérêt des familles de la cacher avec le plus grand soin ; or, il leur serait difficile de le faire si elles avaient à adresser la demande pour isoler un de leurs membres, d'abord au chef-lieu de l'arrondissement, puis au chef-lieu de préfecture. Cette demande, en traversant ainsi presque tout le département et en séjournant dans les bureaux des divers degrés de l'administration, ébruiterait de tous côtés ce que l'on s'efforce de cacher.

Si l'on objecte que les arrêtés de la mairie doivent passer également par les mêmes degrés de juridiction administrative, on peut répondre qu'ils y passeront du moins avec plus de rapidité et de silence, la mesure étant déjà prise et n'ayant plus besoin d'être mise en délibération. Enfin, il est bien plus facile d'obtenir sur le lieu même de la résidence du malade les documents nécessaires pour savoir jusqu'à quel point il convient de l'isoler, que dans un chef-lieu de département où il est complètement inconnu, et dans les bureaux de préfecture où l'on est tout-à-fait étranger à ce qui se passe au fond de sa commune.

D'ailleurs, le jugement du préfet lui-même ne pourrait se former que d'après les instructions du maire, et ne pourrait en être qu'une simple répétition.

Personne aussi bien que le maire n'est à même de connaître et de constater l'état du malade, soit par ce qui se passe sous ses yeux dans une famille dont il est le voisin, et souvent le confident, soit par ce que lui apprennent la rumeur publique et ses rapports avec ses administrés.

Ajoutons que ce mode de procéder, plein de rapidité et de bienveillance, n'a rien d'offensant pour la susceptibilité de la famille du malade : il est pour elle une garantie et une consolation plutôt qu'une rigueur ; elle trouve ainsi dans l'intervention immédiate du magistrat municipal les secours et l'intérêt que réclame son infortune.

Rien de semblable dans le mode de procéder qui renverrait la demande d'isolement des extrémités d'un arrondissement ou d'un département jusqu'au chef-lieu de préfecture. On objectera sans doute que les mesures d'isolement consenties et exécutées au fond d'une commune, sans autre intervention que celle du maire et d'une famille, pourraient donner lieu à soupçonner, dans certains cas, ou peu de bienveillance, ou trop de précipitation, quelquefois même enfin une sorte d'inimitié contre le malade et de connivence entre ceux qui le privent de sa liberté.

Mais il est aisé de répondre à ces objections, en faisant observer qu'au fond même d'une commune, la conduite d'un maire et celle d'une famille sont soumises aux regards de l'opinion, qui prend volontiers le malheur sous sa sauvegarde et le défend contre la persécution.

L'autorité d'un préfet, beaucoup plus étendue, beaucoup éloignée, et par conséquent surveillée de moins près que celle du chef d'une commune, pourrait bien plus facilement se laisser aller à des actes arbitraires et à des mesures intempestives ; ses actes seraient d'autant plus graves qu'ils atteindraient quelqu'un des membres de ces familles puissantes et riches, avec lesquelles la position d'un préfet le met ordinairement en relation.
Une dernière considération qui doit dans toutes les circonstances faire attribuer au maire, de préférence au préfet, le droit de faire conduire un aliéné dans un établissement spécial, c'est que l'article 3 de la loi veut qu'en cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, le maire puisse ordonner, à l'égard des individus désignés en l'article 1er, les mesures provisoires qui seraient nécessaires, sauf à en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai dans les formes indiquées par l'article précédent.

Le maire et la famille peuvent donc toujours s'autoriser de cet article et rendre inutile par là l'intervention de la préfecture : ils le peuvent si bien que généralement les médecins reconnaissent qu'il y a urgence d'isoler les aliénés ; il est donc superflu, il serait même dangereux pour l'autorité de la loi, d'y introduire une disposition qui permettrait de l'éluder.

Pour revenir à la nécessité de préférer l'intervention de la municipalité à celle de la préfecture relativement aux mesures d'isolement, nous ferons remarquer que rien n'est plus propre à assurer son action et à prévenir des abus que de la faire accompagner toujours et en quelque sorte contrôler par le certificat du médecin qui donne ses soins au malade : c'est lui surtout qui est un juge compétent du degré de l'aliénation mentale et de la nécessité de recourir à l'isolement. Son certificat est la meilleure de toutes les garanties pour assurer la régularité de la marche administrative, de même que les documents émanés de lui qui peuvent être exigés par la loi, deviennent les données les plus sûres pour le traitement ultérieur de la maladie.

Au reste, ce n'est pas le seul cas où l'on ait lieu de s'étonner que les lumières de la médecine soient négligées par la législation : déjà, dans les actions judiciaires, elles sont trop peu consultées, puisque toutes les fois que l'aliénation mentale est invoquée comme excuse, la déposition du médecin, le meilleur juge et presque le seul compétent en cette matière, n'est invoquée que d'une manière facultative, au lieu d'être reconnue comme nécessaire et ordonnée par la loi.

Il est un cas, à la vérité rare et exceptionnel, qui n'est pas prévu par le projet de loi, c'est celui où le malade lui-même se présente pour être admis dans un établissement, soit qu'il y vienne pour la première fois, soit qu'il y ait séjourné précédemment et qu'il y revienne en éprouvant les signes avant-coureurs d'une rechute. Nous en avons vu ayant si bien la conscience de leur situation mentale, qu'ils avaient à peine le temps de se rendre à notre établissement, et offrant immédiatement après leur arrivée un état si alarmant, que, restés libres de leurs actions, ils auraient pu compromettre leur fortune, leur vie et la sûreté publique. D'autres malades de la même catégorie sont plus heureux : leur arrivée dans l'établissement suffit seule pour prévenir le développement de l'accès.

Quelle sera alors la règle de conduite des chefs d'établissement ? Peut-on refuser un asile à ces infortunés, et, pour satisfaire aux formalités de la loi, assumer la responsabilité des événements les plus graves ?

Terminons ces observations sur l'article 1er, en proposant une rédaction nouvelle à la place des expressions d'imbécillité, de démence et de fureur, expressions vicieuses sous le rapport médical et susceptibles de compromettre l'honneur des familles et la vie des individus, ainsi que l'ont prouvé de nos jours des procès tristement célèbres. En effet, le législateur restreint ici l'entrée des asiles d'aliénés aux personnes atteintes d'imbécillité, de démence ou de fureur, comme dans d'autres articles de lois il a restreint aux mêmes cas l'excuse d'un délit ou d'un crime ; et cependant le terme d'imbécillité est très-vague, et par conséquent susceptible des interprétations les plus opposées selon les intérêts divers ; le mot de démence n'est applicable qu'à une espèce de maladie mentale caractérisée par l'affaissement, la ruine de l'entendement et des qualités affectives, et presque toujours précédée des formes particulières de vésanies que distinguent ou une concentration exclusive de toutes les facultés sur un petit nombre d'objets, ou une exaltation générale des idées et des sentiments, réunie à une incohérence plus ou moins prononcée et à des mouvements plus ou moins violents, plus ou moins désordonnés.
Enfin, la fureur ne saurait être habituelle, elle n'est qu'un symptôme passager et qui peut très-bien ne pas se manifester sans que la folie cesse pour cela d'exister.
D'après cette explication, et conformément au principe de législation qui veut qu'on donne à une loi le plus haut degré de généralité possible, afin que tous les cas particuliers puissent y être compris, il me paraît indispensable de remplacer les mots imbécillité, démence et fureur, partout où ils se trouvent dans nos codes, par le mot générique d'aliénation mentale.

Passons à l'article II ainsi conçu :

ARTICLE 2

« L'autorisation sera délivrée sur la demande des parents ou de l'épouse ; elle le sera sur la demande de l'autorité militaire pour les militaires.
Le placement, soit avant soit après l'interdiction, pourra être ordonné d'office par le préfet, lorsqu'il sera motivé par l'intérêt de la sûreté publique.
L'autorisation ou l'ordre seront donnés par le préfet sur les rapports du maire ou du sous-préfet, et sur l'avis d'une commission instituée dans les formes qui seront déterminées par un règlement d'administration publique. »

Nous avons vu dans l'article premier que l'admission des aliénés dans leurs établissements respectifs ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une autorisation ou d'un ordre du préfet ; l'article II a pour but d'indiquer les conditions auxquelles cette autorisation et cet ordre seront donnés : ces conditions sont ou doivent être des garanties pour prévenir l'erreur ou le crime d'un isolement qui ne serait pas fondé sur l'existence de l'aliénation mentale.
Le premier paragraphe ne donne lieu qu'à une simple remarque de rédaction, qui consiste à substituer au mot épouse l'un des époux.

Le deuxième paragraphe ne laisse à regretter que l'explication précise de ce que la loi entend, dans ce cas, par autorité militaire, et la précaution d'un certificat du chirurgien-major ou du médecin du corps auquel appartient l'aliéné, certificat annexé à la demande de l'autorité militaire.

Le troisième paragraphe consacre un droit de la société, en laissant à l'autorité l'initiative de l'isolement, toutes les fois qu'il est commandé par l'intérêt public soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral.
Il est aussi très-sage, en admettant la justesse du 1er article de la loi et même pour le fortifier, de déclarer que l'autorisation ou l'ordre seront donnés par le préfet sur les rapports du maire ou du sous-préfet ; mais les objections les plus fortes, selon nous, s'élèvent contre la création d'une commission dont le préfet réclame l'avis pour former son jugement et prendre sa détermination relativement à la nécessité de l'isolement des malades, à la convenance de leur sortie des établissements, et à laquelle le préfet confère le pouvoir d'inspecter ces mêmes établissements toutes les fois qu'elle le jugera nécessaire.

On se demande d'abord quels seront les éléments constitutifs de cette commission, et on ne les trouve déterminés nulle part.

Ses fonctions ayant pour objet de déterminer la nature d'une maladie, de préciser le degré de la guérison, et d'inspecter des établissements sanitaires, on est naturellement porté à penser qu'elles ne peuvent être convenablement remplies que par des médecins, et on doit désirer que ces médecins se soient livrés à l'étude spéciale des maladies mentales.

Cependant la loi ne statuant pas sur cette question importante, en abandonne la solution à l'arbitraire des préfets, et dès-lors il paraît vraisemblable qu'une commission qui a des fonctions toutes médicales, sera diversement composée selon la différence des vues des préfets, et il reste possible que des médecins n'en fassent pas partie, ou que du moins ils n'y soient qu'en minorité. Cette anomalie aurait d'ailleurs un précédent dans la loi anglaise de 1828, relative aux aliénés, qui a peut-être suggéré l'idée de la commission dont nous parlons.

Cette loi actuellement en vigueur en Angleterre ne fait intervenir les médecins dans la commission que dans la proportion d'un tiers, c'est-à-dire de cinq sur quinze commissaires, et encore peuvent-ils être pris dans toute la hiérarchie des médecins, des chirurgiens et des apothicaires.

Ce principe, consacré par la loi anglaise, une fois connu par les préfets, peut devenir la règle de leurs décisions pour former les commissions ; ainsi, une disposition d'une loi anglaise peut servir de base à l'interprétation d'une loi française, ce qui certainement n'est ni convenable, ni conforme aux vues de l'auteur du projet que nous examinons.

Le vague qui règne dans tous les articles de la loi sur cette commission permet de demander si elle sera temporaire ou permanente, si elle jugera tous les cas, ou s'il sera nommé une commission particulière pour chaque cas qui présentera des difficultés inaccoutumées. La même commission jugera-t-elle de l'état des malades à leur entrée et à leur sortie ?

Cette mesure, jointe à des visites fréquentes et prolongées pendant toute la durée du séjour dans les établissements, serait indispensable pour que les commissaires fussent à même d'asseoir leur opinion ; et cependant, comment cette commission pourra-t-elle concourir au jugement du préfet pour l'entrée des malades, si elle ne se transporte dans les familles, si elle ne voit par ses propres yeux ?

Mais que de difficultés dans cette démarche ! Sans compter les frais énormes que nécessiterait le déplacement des commissaires obligés de se transporter dans les parties les plus éloignées d'un département, et quelquefois de plusieurs départements qui se seraient associés pour n'ériger qu'un asile, comment s'immiscer dans les secrets d'une famille ? N'est-ce pas la blesser profondément, et au moment où le malheur la rend plus impressionnable ? N'est-ce pas, pour les commissaires, s'ériger en arbitres de l'opinion du médecin qui donne ses soins au malade, sans avoir connaissance de l'état antérieur ; ou bien contraindre les familles à appeler ce médecin en consultation, et par suite entraîner la famille à une dépense qu'elle pouvait s'épargner ?

Si l'avis de la commission qui, d'après la loi, doit précéder l'entrée du malade dans l'établissement, n'est pas tout-à-fait impossible à obtenir pour la classe riche, il l'est évidemment pour la classe pauvre, surtout à Paris, où le chiffre des admissions ne s'élève pas, année commune, à moins de neuf cents dans les hospices de Bicêtre et de la Salpêtrière. Ainsi, il reste démontré que sous l'apparence d'une garantie pour la liberté individuelle, on introduit dans la loi une mesure vexatoire pour la famille, et onéreuse pour le département.

Maintenant nous nous demandons de quel poids pourra être dans la balance, l'avis de la commission, lorsqu'il faudra statuer sur la sortie des malades ?

Pourquoi interviendra-t-elle alors ? Est-ce pour qu'on ne retienne pas dans les établissements les malades qui sont guéris ? Est-ce pour restreindre les sorties, lorsque le retour de certains malades dans la société peut être dangereux pour eux-mêmes et pour l'ordre public ?

Mais dans ces deux cas les commissaires, pour être vraiment compétents, auraient besoin de joindre à toutes les connaissances de la spécialité des maladies mentales, l'observation la plus attentive et la plus approfondie des diverses phases de l'affection sur laquelle ils auraient à donner leur avis motivé. Or, cette condition, pour être remplie, exigerait que les commissaires, avant d'être choisis par le préfet, se fussent trouvés dans les circonstances les plus favorables pour se livrer à l'étude de l'aliénation, et qu'ils fussent actuellement en position de consacrer un long espace de temps à l'observation des malades placés dans les divers établissements ; et encore seraient-ils moins aptes que le chef de chaque établissement à juger de leur situation mentale, parce qu'ils ne pourraient pas, comme lui, être témoins de leurs écarts à toute heure du jour et de la nuit, et aussi parce qu'ayant plusieurs établissements à inspecter, ils auraient leur attention répartie sur un trop grand nombre de malades, et ne pourraient les connaître que très-imparfaitement. Cependant ils auraient besoin, pour prononcer avec certitude sur les divers cas de maladie mentale, de les étudier d'une manière suivie et spéciale. La plus grande difficulté a souvent lieu dans cette espèce d'aliénation qui ne porte que sur un petit nombre d'objets. On peut consulter à cet égard les faits publiés par M. Esquirol et ceux qui se trouvent pages 159 et 163 de l'ouvrage de Pinel. Parmi ceux que je pourrais y ajouter, je me bornerai à deux citations propres à établir en même temps et la difficulté d'observer les maladies mentales et la probabilité que les délires partiels ne sont pas bornés à un seul objet, comme on le croit généralement.

Un officier distingué est venu de lui-même à notre établissement pour la deuxième fois dans l'intervalle de plusieurs années. Il ne lui arrive jamais devant d'autres personnes que mon collègue M. Voisin et moi, et deux amis intimes, de proférer la moindre parole, de faire aucun acte, qui puissent témoigner du désordre de ses idées. Il a l'extérieur le plus calme et le plus raisonnable ; ses conversations font preuve de beaucoup de discernement et d'une politesse exquise ; sa situation mentale est d'autant plus difficile à reconnaître, qu'il a contracté dès longtemps, comme il le dit lui-même, l'habitude du silence, d'une grande réserve et d'un grand empire sur lui-même.
Combien est fausse à son égard la règle qui consiste à juger de l'intérieur par l'extérieur ! Quand le malade est seul et livré à lui-même, ou il est incapable de produire une seule pensée sans un effort prodigieux ; ou bien, ce qui est beaucoup plus fréquent, ses idées se succèdent avec une rapidité électrique, sans cohérence et sans suite, son esprit dénature toutes choses, il voit les êtres les plus fantastiques, etc. Le malade sent très-bien, d'ailleurs, qu'il n'a pas la direction de sa volonté, et ce sentiment le conduit souvent au désespoir.

Madame ***, âgée de 61 ans, est venue aussi de son propre mouvement dans notre établissement de Vanvres. Elle fit auprès de M. Voisin et de moi la démarche comme pour y placer une de ses amies ; elle nous raconta tous les détails de la maladie de cette amie qu'elle désirait nous confier, en nous questionnant sur les formalités à remplir pour être admis dans notre établissement. Après une heure d'une conversation fort intéressante et qui ne pouvait en rien faire soupçonner une aliénation mentale, elle se dévoile à nous avec l'accent du désespoir, en s'écriant : Je suis l'aliénée dont je vous ai tracé l'histoire ; voulez-vous me donner un asile chez vous, je suis prête à me soumettre au traitement que vous jugerez le plus convenable ; mais je crois peu à son efficacité.

Cette malade, qui pendant plusieurs mois de séjour dans notre établissement a toujours montré, en présence des étrangers, la raison la plus froide et la plus parfaite, roulait dans sa tête les idées les plus extravagantes et les plus affreuses. Vingt fois elle a cherché à se détruire dans la pensée qu'elle était destinée à entraîner dans l'abîme avec elle ses meilleurs amis ; elle voulait prévenir cette catastrophe en se sacrifiant, et les tentatives de suicide qu'elle a faites sont, dit-elle, les seuls sentiments généreux qu'elle ait éprouvés depuis sa maladie. A cette fureur de suicide succède aussitôt une peur effroyable de la mort. Madame *** ne voit que des cadavres ; elle n'ose plus lire, parce que les noms inscrits dans les livres appartiennent à des morts. Fatiguée de cette idée, Madame *** chercha à la combattre par une autre ; elle se dit : cette crainte est aussi ridicule que si je m'imaginais ne pas exister ; et cette nouvelle idée remplace celle de mort. Madame *** s'imagine que personne n'existe ; convaincue qu'il n'y a que des ombres, elle dit à ceux qui l'entourent : Je reconnais votre voix, et cependant nous n'existons ni les uns ni les autres. Madame *** cherchait sans cesse à remplacer l'idée présente par une idée encore plus triste, et elle était prompte à s'appliquer tout ce qu'on lui disait. Échappe-t-il à une personne de dire que dans cette maladie il arrive fréquemment de prendre en horreur les objets les plus chers, à l'instant Madame *** se persuade qu'elle déteste le mari de son choix qu'elle aimait de toute son âme, et l'ami parfait que le ciel lui avait fait rencontrer. Depuis cette époque les idées, les images les plus atroces se présentent à son imagination, jusqu'à former le dessein de couper la tête à ses deux meilleurs amis. Madame *** se passionne pour une de ses parentes éloignées et veut tout sacrifier à cette nouvelle affection, quoiqu'elle-même s'étonne qu'une personne de son sexe en soit l'objet, qu'elle ne l'ait pas vue depuis vingt-cinq ans, et que cette parente lui ait été toujours indifférente.
Un désordre d'idées aussi extraordinaire a cependant cessé après un traitement de quelques mois, et nous savons que depuis sa sortie de notre établissement, qui date déjà de treize années, Madame *** n'a éprouvé aucune rechute.

On peut juger par ces exemples de la difficulté extrême qu'il y aurait à apprécier l'aliénation mentale pour des commissaires qui n'en seraient pas habituellement témoins et qui ne pourraient en juger que par des visites rapides et éloignées.

D'ailleurs que pourra statuer la commission à l'égard des malades qui ne jouissent de leurs facultés intellectuelles qu'à de certains intervalles, et qui ne sont bien que dix ou quinze jours dans le mois, trois ou quatre mois dans l'année ? Que pourrait-elle statuer encore à l'égard des convalescents ? Moins les sorties sont prématurées, plus il y a de garanties contre le retour de la maladie ; mais, d'un autre côté, si les précautions pour le renvoi des convalescents ont une trop longue durée, elles peuvent constituer une véritable infraction à la liberté individuelle : quel sera le terme où elles devront s'arrêter ? Jusqu'à quel point la commission pourrait-elle en juger ?
Il y a enfin dans les maisons d'aliénés des individus assez bien rétablis pour paraître capables d'être rendus à la société. Cependant en y rentrant ils ne conservent pas assez d'empire sur eux-mêmes pour éviter les occasions de rechute ; ils n'en sont préservés que par la régularité habituelle des établissements d'aliénés et l'influence d'une direction qui les guide à leur insu. Quelle détermination prendront les commissaires dans ce cas tout-à-fait exceptionnel ?

De ces faits et de ces considérations il résulte clairement que pour les asiles publics la commission est mutile, et qu'en ce qui concerne les établissements privés, dans les cas difficiles, les seuls où leur opinion puisse être utile, les commissaires sont incompétents pour juger du degré d'aliénation mentale, et si le rétablissement du malade est tel qu'il puisse redevenir libre sans danger pour lui, pour sa famille, pour la société.
Ces vues ne sont pas simplement théoriques, elles sont sanctionnées par l'expérience de tous les jours ; j'invoque à ce sujet les souvenirs de nos confrères qui, s'occupant de toutes les branches de la science médicale, ont partagé avec nous, ou avec d'autres chefs d'établissements, les soins donnés à ceux de leurs anciens malades qu'on avait été obligé d'isoler dans l'intérêt de leur traitement ; je leur demande s'ils n'ont pas vu se vérifier très-fréquemment avec exactitude les pronostics de guérison, de récidive, d'incurabilité ou de mort, dans des circonstances où leurs connaissances générales de la médecine ne pouvaient leur faire soupçonner l'issue des maladies observées ?
Les médecins commissaires auront-ils l'avantage sur d'honorables praticiens qui, aux documents les plus précis sur les dispositions maladives des familles, sur le caractère du malade, sur sa constitution physique et sur les symptômes d'invasion de la maladie, joignent l'observation des périodes ultérieures ? La prééminence des commissaires n'est pas à présumer, et par conséquent leur opinion ne saurait l'emporter sur celle du médecin spécial auquel le malade est confié.

Nous négligeons à dessein de prouver l'incompétence des commissaires qui ne seraient pas médecins ; elle ressort avec évidence des réflexions auxquelles nous venons de nous livrer.

On objectera sans doute que les lumières du médecin spécial peuvent être obscurcies par l'intérêt personnel, et que la loi doit prémunir les malheureux aliénés contre la cupidité des familles et celle des directeurs des établissements consacrés à ce genre de malades.
Cette objection peut malheureusement être quelquefois fondée, et, sous tous les rapports, je fais les vœux les plus ardents pour qu'il soit possible de prévenir de si criminels abus, et qu'ils soient rigoureusement punis toutes les fois qu'ils seront constatés.

Mais par quels moyens dévoiler l'existence de ces infractions à la liberté individuelle et aux droits de l'humanité ? Voilà le problème difficile à résoudre. La commission proposée présente-t-elle les chances d'une solution satisfaisante ?
Voilà ce que je conteste de nouveau et par un autre ordre de considérations.

Lorsque le législateur anglais substitua à la commission de cinq médecins, membres du collège de médecine de Londres, quinze inspecteurs parmi lesquels les médecins ne figurent que pour un tiers, et leur conféra des attributions exorbitantes ; ce fut par suite d'effroyables révélations qu'avaient amenées les enquêtes successives du parlement depuis 1813 jusqu'en 1828.
On peut donc comprendre que pour prévenir le retour de semblables horreurs, la loi anglaise ait eu recours à des mesures extraordinaires ; mais pourquoi en France, où l'humanité ne fut jamais outragée au même point, admettre une surveillance inquiète, vexatoire et injurieuse pour les chefs des établissements privés qui, pour faire le bien, ont besoin d'une grande considération, et que les faits vous montrent les premiers dans la voie des améliorations et des progrès ?

Et maintenant je demande si, au nom de la société, on a le droit de s'immiscer dans un contrat de confiance entre un médecin et une famille ? Je demande si la sollicitude des parents n'est pas généralement assez active et assez éclairée pour choisir un établissement digne, et pour porter ailleurs leur préférence, s'il arrivait qu'ils se fussent trompés dans leur choix primitif ?

Je demande si l'on peut craindre souvent qu'une famille tout entière se concerte pour séquestrer un de ses membres, ou pour tolérer qu'il reste soumis à de mauvais traitements ? Et si l'on ne peut concevoir une pareille crainte, pourquoi montrer tant de défiance envers le sentiment de famille, d'ordinaire si énergique et d'ailleurs si intéressé, dans la très-grande généralité des circonstances, à ne pas laisser prévaloir l'erreur ou le crime ?
Pourquoi soumettre à des visites incessantes un chef honorable d'établissement qui a des droits à l'estime publique, et qui a besoin d'encouragements pour persévérer dans l'accomplissement de son pénible ministère ?
Tel est néanmoins l'effet immédiat et inévitable de la nomination d'une commission et des prérogatives dont elle jouit. Quelle inconséquence ! Pour parer à une infraction possible, mais non probable de la liberté d'un individu, on met des entraves à la liberté des familles, on blesse leur susceptibilité de mille manières, on irrite, on décourage les chefs des établissements en les tenant toujours dans un état de suspicion, et en les exposant à une multitude de vexations dont ils ne sauraient prévoir le terme, puisqu'elles sont inhérentes aux dispositions législatives.

On fomente les passions les plus basses, et on pousse à la délation les domestiques mécontents des justes exigences de leurs supérieurs et jaloux de la prospérité de l'établissement.
Enfin, en constituant deux autorités rivales, celle de la commission et celle du médecin ou du directeur de l'asile, la loi rend superflu le traitement moral des aliénés, c'est-à-dire celui qui exerce la plus heureuse influence sur leur esprit en désordre, en même temps qu'elle donne lieu à des conflits interminables. En effet, un principe de direction morale consacré par l'expérience, c'est que dans tout asile d'aliénés, le pouvoir doit être concentré dans un seul homme qui décide sans appel. Toutes les fois que quelque préposé a mis sa volonté et ses ordres en opposition avec ceux du véritable chef, il en est résulté une confusion extrême, un défaut de confiance de la part des malades, ou bien leur esprit est resté flottant entre deux impulsions contraires ; et dans les deux cas, si la division des pouvoirs et des volontés s'est prolongée, les affections mentales ont parcouru leurs périodes avec la plus grande lenteur, ou sont devenues promptement incurables.

Le mal que de simples préposés ont pu faire en usurpant l'autorité directrice, peut être produit à plus forte raison par une commission placée dans une sphère élevée, et qui a une autorité prépondérante pour faire rendre la liberté aux aliénés.

Pour qui connaît les aliénés, il doit être bien démontré, ou que cette commission ne remplira pas ses fonctions, comme a sagement fait le conseil de salubrité de Paris, malgré la prescription de l'article X de l'ordonnance de police du 9 août 1828, ou bien qu'elle pourra être très-nuisible aux malades ; chez les uns par des visites intempestives, chez d'autres en empêchant qu'ils aient confiance dans leur médecin, ou bien en diminuant son influence en la partageant. La présence des commissaires, ou l'espoir de les voir bientôt, allumeront et entretiendront des foyers continuels de trouble et de désordre. Les aliénés, ordinairement d'un caractère ombrageux et irascible, impressionnables à l'extrême, disposés à donner aux plus simples événements les interprétations les plus sinistres, et dont quelquefois néanmoins les écarts auraient nécessité l'emploi de moyens coercitifs, éclateront en murmures, en récriminations amères contre leurs familles et contre le médecin, qui dès-lors, ayant cessé d'être l'arbitre souverain de leurs actions, aura perdu tout son ascendant et sera appelé devant le tribunal suprême de la commission par ceux-là même à la guérison desquels il est lié par le plus puissant intérêt. Les malades dont la raison n'est altérée que sur quelques points, mais dont les sentiments sont pervertis, emploieront toute l'étendue de leurs facultés intellectuelles à prouver qu'ils ne sont point malades et qu'ils sont victimes de leurs parents et du directeur de l'établissement.

Des malades hallucinés, c'est-à-dire qui croient percevoir actuellement des sensations en l'absence des objects extérieurs propres à les provoquer, parlent généralement avec une conviction si forte, si entière, et ont un délire si borné, qu'ils sont très-aptes à produire une grande impression sur des personnes qui n'ont pas de leur état une connaissance approfondie, et peuvent par suite obtenir une liberté dont ils feront bientôt le plus funeste usage.
Le docteur Latham en fournit une preuve évidente. La première fois que je fus commissaire, dit-il, je visitai avec mes collègues la maison de Plaistow où se trouvaient deux femmes qui me parurent exemptes d'aliénation ; malgré l'assurance contraire de la surveillante, nous persistâmes dans notre opinion, et, convaincus tous que ces femmes étaient renfermées bien à tort, nous engageâmes leurs amis à les faire sortir. L'année suivante, à notre prochaine visite, je fus naturellement curieux de savoir ce qu'étaient devenues ces femmes, et j'appris que l'une d'elles s'était noyée et que l'autre s'était pendue. Ce médecin, éclairé par cette malheureuse expérience, ajoute sagement qu'alors même que les commissaires visiteurs ont une sorte de conviction de l'état sain des malades, il est souvent prudent de s'en référer aux surveillants.

A plus forte raison serait-il convenable de montrer de la déférence pour l'opinion d'un médecin qui réunit à une éducation libérale la connaissance spéciale des affections mentales et de la maladie particulière de la personne qu'il s'agit de rendre à ses affaires et à la société.

De ces faits et des réflexions auxquelles je viens de me livrer, et que j'aurais pu beaucoup multiplier, je conclus :

1° Que l'action de la commission proposée dans la loi est tout-à-fait impossible dans les établissements publics, parce que ses attributions ne sont pas eh rapport avec la nature de ces asiles, et dépassent les forces humaines : elles sont d'ailleurs sans objet ; car, n'ayant pas à lutter contre l'intérêt particulier, il n'est pas possible de supposer une connivence gratuite entre les administrateurs et les médecins pour recevoir et conserver des personnes non aliénées, et pour faire subir aux malades des traitements qui ne seraient pas conformes à ce que dictent l'humanité et une tendre pitié pour le plus grand des malheurs.

2° Dans les cas rares où il serait possible d'avoir son avis, cette commission est inutile pour régler l'admission des malades de la classe riche.

3° Elle serait,dans l'alternative de ne pas exécuter la loi, ou, en l'exécutant, de blesser profondément les familles, de nuire essentiellement au traitement des malades, d'irriter et de décourager les chefs d'établissements sans aucun avantage pour la société.

4° L'accomplissement de ses fonctions aurait pour résultat certain de provoquer le développement des mauvaises passions des serviteurs, qu'il est si précieux de pouvoir maîtriser, pour les faire concourir au but de la guérison ; d'exalter les idées et les sentiments des malades, et de porter le désordre et la discorde dans des établissements où, pour être utile, il faut s'efforcer de faire régner le silence, le calme et l'ordre.
Mais que conviendra-t-il de substituer à cette commission pour déjouer les manœuvres de l'intérêt personnel et pour donner à la société la garantie que des individus ne seront pas isolés injustement, c'est-à-dire sans être véritablement atteints d'aliénation mentale ; qu'ils ne seront pas victimes de mauvais traitements pendant leur séjour dans les établissements, et qu'ils n'y seront pas retenus après leur guérison ?
J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur les garanties à donner à l'admission des malades, et je n'ai besoin que d'y ajouter une précaution prise d'ailleurs à Paris, c'est que deux médecins, assistés du commissaire de police du lieu où sera placé l'établissement, soient appelés à constater la situation mentale de chaque malade nouvellement admis.

Relativement à la sortie des malades des établissements privés, si d'un côté on doit laisser aux familles une très-grande latitude, d'un autre côté on peut sentir le besoin de quelques précautions dans certains cas déterminés. Sans doute il n'est pas possible qu'un chef d'établissement retienne des malades contre la volonté de leurs parents ; mais il ne faut pas non plus que le caprice, l'intérêt ou l'opinion mal éclairée d'une famille puisse rejeter dans la société un homme dangereux.

Il me paraîtrait donc nécessaire, toutes les fois qu'un aliéné serait reconnu susceptible de nuire, que les mêmes médecins qui ont constaté l'état mental des malades lors de leur admission, fussent appelés par l'autorité administrative à donner leur avis motivé, afin que l'état actuel fût bien apprécié, et qu'il fût pris, entre les familles et l'administration, telles mesures qui paraîtraient les plus convenables pour prémunir les malades contre eux-mêmes, et la société contre les violences et les écarts de leur imagination. Ces mêmes médecins, dans les visites nombreuses qu'ils auraient occasion de faire, seraient plus à même que les commissaires proposés par la loi d'exercer, dans les établissements privés, une surveillance utile, et donneraient ainsi à la société toutes les garanties désirables.

Pour les asiles publics, cette précaution est inutile, et les formalités de la sortie des malades ne sauraient être trop simplifiées. A Paris, on s'est contenté jusqu'ici d'un certificat du médecin de l'hospice lorsque l'admission avait eu lieu sur un bulletin du bureau central, et, de ce certificat accompagné d'une autorisation du préfet de police, lorsque le malade avait été reçu par son ordre.

Cette manière de procéder, à la Salpêtrière et à Bicêtre, qui n'a jamais entraîné d'inconvénient, offre l'avantage de rendre promptement à leurs familles les individus guéris ou inoffensifs ; et, en donnant le moyen de multiplier les admissions, elle étend proportionnellement les bienfaits de ces établissements.

Quant aux mauvais traitements dont les aliénés peuvent être victimes, je m'en référerais pour les prévenir à la délicatesse des chefs d'établissements, qui devraient toujours être des médecins, à leur intérêt bien entendu et à la sollicitude des familles.

Je ne me préoccuperais pas trop de la possibilité que des personnes fussent retenues isolées après leur guérison, bien convaincu des difficultés de la constater, et bien persuadé qu'un individu parfaitement rétabli trouverait mille moyens d'échapper à la surveillance dont il serait l'objet, et d'obtenir sa sortie de l'établissement.

Enfin, je me consolerais des lacunes que je laisserais dans la loi, en songeant qu'il est une multitude de choses répréhensibles contre lesquelles la loi est impuissante, ou qui échappent à son action, et j'aurais confiance dans la morale pour remédier autant que possible à des abus inséparables de l'usage, et de la constitution de la nature humaine.

L'examen de l'article III ayant été rapproché de celui de l'article 1er, comme le demandait l'ordre logique des idées, j'arrive à l'article IV.

ARTICLE 4

« Tout individu placé, en vertu des articles précédents, dans les établissements qui y sont désignés, n'y sera plus retenu dès que les causes du placement auront cessé.
Aussitôt que les médecins estimeront que la sortie peut être ordonnée, il en sera référé par les directeurs et administrateurs au préfet, qui statuera immédiatement après avoir pris l'avis de la commission instituée en vertu de l'article II.
Les causes du placement seront de droit considérées comme ayant cessé :
1° Si, depuis le placement, un jugement rendu sur la demande de l'individu ou de sa famille, ou sur la provocation du procureur du roi, a prononcé qu'il n'y a lieu ni à l'interdiction, ni à l'administration provisoire ;
2° Si le temps pour lequel l'autorisation ou l'ordre a été délivré s'est écoulé sans qu'il ait été renouvelé, ou sans qu'il soit intervenu aucun jugement prononçant soit l'interdiction, soit l'administration provisoire.
Aucune autorisation ni aucun ordre ne pourront avoir d'effet pendant plus de six mois, ni être renouvelés plus de trois fois. »

Cet article ne me paraît admissible dans aucune de ses dispositions.

Le premier paragraphe est entièrement superflu, puisqu'il est bien évident que tout individu placé dans les établissements en vertu des articles précédents, ne doit plus y être retenu dès que les causes du placement auront cessé.
En parlant d'une garantie exigée pour la sortie des aliénés, j'ai déjà fait sentir l'insuffisance du second paragraphe de l'article IV, qui confère au médecin de l'établissement le droit d'estimer que la sortie peut être ordonnée, sans faire aucune distinction entre les établissements publics et les établissements privés.

Je répète que l'avis de la commission est illusoire, et j'ajoute qu'il est nécessaire d'exprimer ici positivement que les familles peuvent avoir l'initiative de la demande de la sortie de leurs malades.
La cessation des causes du placement des aliénés me paraît appréciée d'une manière bien erronée et bien malheureuse sous le triple rapport des malades, de leurs familles et de la société. En effet, on reconnaît en principe que, lorsque les tribunaux saisis de la poursuite de l'interdiction ont reconnu qu'il n'y avait pas lieu à prendre cette mesure, ni à recourir à l'administration provisoire, la présomption légale est acquise contre la supposition de l'aliénation mentale, et que dès-lors la cause de l'isolement a cessé d'exister.

Si cette disposition du projet de loi était maintenue par les législateurs, elle serait funeste aux aliénés, qui seraient ainsi privés des soins que leur position réclame ; funeste aux familles, qui malgré la gravité des mêmes motifs pour isoler leurs malades, seraient dans l'impuissance d'y parvenir ; funeste enfin à la société, puisqu'elle aurait pour résultat de jeter dans son sein des individus capables d'outrager la décence des mœurs et de troubler la tranquillité publique.

Cette disposition serait d'ailleurs tout-à-fait contraire aux enseignements de la science médicale (elle reconnaît des folies qui ne peuvent pas autoriser une mesure aussi rigoureuse que l'interdiction), en même temps qu'elle serait en opposition formelle avec deux passages de l'exposé des motifs ; savoir : 1° qu'on ne peut et qu'on ne doit pas poursuivre l'interdiction pendant le cours d'un traitement qui laisse l'espoir de la guérison ; 2° qu'il est manifeste que la plupart des circonstances qui commandent l'isolement de l'aliéné ne peuvent motiver son interdiction, et souvent même ne la permettent pas.

Il est encore exprimé dans l'article IV que l'isolement doit cesser, si le temps pour lequel l'autorisation ou l'ordre a été délivré s'est écoulé sans qu'il ait été renouvelé, ou sans qu'il soit intervenu aucun jugement prononçant soit l'interdiction, soit l'administration provisoire. Mais on peut objecter contre ce paragraphe ce qui vient d'être dit précédemment, et de plus que pour une simple négligence on livrerait les malades à tous les désordres de leur intelligence, à la perversion de leurs sentiments, et que leur famille et la société auraient à déplorer les plus funestes suites d'un élargissement qui n'est fondé sur aucun motif valable et pour lequel vraiment je n'entrevois aucune espèce d'excuse.

Enfin l'article IV se termine par ces mots :
« Aucune autorisation ni aucun ordre ne pourront avoir d'effet pendant plus de six mois, ni être renouvelés plus de trois fois. »

Remarquons d'abord que cette rédaction est obscure. Sans doute on a voulu prendre pour base de cette disposition la donnée de la science, que le plus grand nombre des guérisons a lieu dans l'espace de deux ans ; mais peut-on se renfermer dans cette vérité pratique ? Devait-on prendre en si haute considération les chances plus ou moins grandes de guérison dans un laps de temps ? Ne devait-on pas avoir égard à la possibilité de guérison en général, puisqu'il y a des exemples de rétablissement arrivé dix ans, vingt ans, et même davantage, après l'invasion de la folie ?
Ne devait-on pas enfin avoir égard à toutes les autres circonstances des maladies mentales ? Aussi, qu'est-il arrivé en prenant un point de vue si restreint ? On est obligé de se demander (p. 24 de l'Exposé des motifs) : que faire du tiers des aliénés restés incurables après les deux ans d'épreuve ? Que deviendront ces infortunés ? Quelle application la loi recevra-t-elle pour eux ? et à ces questions il est répondu que les incurables proprement dits rentreront, s'ils sont indigents, dans la catégorie générale des indigents incurables ; l'hospice sera pour eux un refuge, non une réclusion. On étaie cette subtilité en avançant gratuitement que l'art médical demande, même avec instance, que les aliénés reconnus incurables soient transportés dans des établissements distincts de ceux qui sont affectés au traitement de l'aliénation !

Enfin, dans le cas où il serait nécessaire de priver de sa liberté l'aliéné incurable reconnu dangereux, on a recours à l'article 6 du Projet de loi, qui donne à l'administration et au ministère public le moyen de provoquer, de concert, une interdiction dont l'effet serait d'entraîner un isolement légal pour une durée indéfinie.

Nous ne pouvons partager aucune de ces manières de voir ; et, sans contester, ce qui est très-contestable, qu'après deux ans il ne reste dans l'établissement que le tiers des aliénés, je demande comment il se fait que pour les aliénés incurables reconnus dangereux (et les médecins en reconnaissent un grand nombre) la loi réclame l'interdiction, cette mesure si extrême, si coûteuse, qui a un éclat si fâcheux pour les malades et leurs parents ? Je demande comment il est possible d'admettre que la loi donne à l'administration et au ministère public le moyen de provoquer l'interdiction, sans faire intervenir la famille du malade et sans s'inquiéter aucunement des blessures qu'elle lui fait dans tous les sens ? Par quelle singularité inexplicable, lorsqu'il était si simple en conservant le même principe, de faire renouveler l'autorisation ou l'ordre, a-t-on été imaginer de recourir à l'interdiction et de la rendre fréquente, alors qu'elle était si rare avant la loi actuelle, destinée sans doute à améliorer le sort des aliénés, à procurer des consolations aux familles comme des garanties à la société !

En outre, ne serait-il pas moralement impossible, par exemple, que le tribunal civil du département de la Seine procédât à l'interdiction immédiate de 2 200 aliénés incurables qui existent actuellement dans les deux hospices de Bicêtre et de la Salpêtrière, et à l'interdiction successive de 300 autres malades chaque année, sans y comprendre ceux qui se trouvent dans les établissements privés ?

Cette obligation serait d'ailleurs contraire aux intentions des auteurs du Code ; ils ont déclaré positivement qu'ils n'entendaient point imposer aux familles la nécessité de recourir à l'interdiction.

Quelle confusion ! Pour continuer l'isolement des aliénés, qui a pour but le traitement de ces infortunés, la sûreté de leurs familles et de l'ordre public, on provoque l'interdiction qui n'a pour résultat que de protéger les intérêts matériels et de veiller à la gestion de la fortune des malades !

Négligeant de faire ressortir les différences notables qui existent entre les aliénés et les autres malades frappés d'incurabilité, je crois ne pas devoir laisser sans réponse, à cause du grand retentissement qu'elle peut avoir, cette assertion que les médecins demandent pour les incurables des établissements distincts de ceux qui sont affectés au traitement de l'aliénation mentale.

La réalisation de cette idée, particulière à un petit nombre de médecins, aurait le triple inconvénient de nuire aux aliénés eux-mêmes, de paralyser les bons sentiments des familles à leur égard, et enfin de retarder les progrès de la science médicale ; l'expérience a en effet démontré qu'aussitôt que les malades sont relégués dans la classe des incurables, c'est un motif suffisant pour leurs parents et leurs amis d'interrompre leurs visites, de cesser leurs soins, et d'abandonner à eux-mêmes ceux qu'ils regardent comme à jamais perdus pour la société.

D'un autre côté, les aliénés peuvent être arbitrairement déclarés incurables, puisqu'il n'est pas rare de rester longtemps dans le doute sur cette grave question ; et une fois résolue contre eux, quelles doivent être les angoisses de ces infortunés, qui souvent conservent une partie de leur raison, qui en conservent du moins assez pour apprécier leur triste position !

Les malades encore soumis au traitement doivent faire un retour bien pénible sur le sort qui les attend, en voyant le sort de ceux qu'on déclare incurables[2].
Enfin c'est un obstacle aux progrès de l'art, que de morceler l'histoire d'une partie des maladies mentales : d'un côté on prive un médecin de la connaissance des périodes antérieures et de tous les renseignements primitifs ; de l'autre, on enlève au médecin qui les observait toute une classe de malades, et on limite en quelque sorte les soins qu'il leur doit, comme si, en les leur continuant, il n'avait pas beaucoup plus de chances pour les guérir, ou du moins pour retirer de leur observation des documents utiles.

De toutes les considérations que je viens de présenter, il résulte que l'article VI ne saurait être conservé ; il repose sur une étude incomplète de l'aliénation mentale, il confond deux mesures d'un ordre tout différent et qu'il importe de distinguer avec soin, l'isolement et l'interdiction, et il sévit contre une simple négligence, au grand détriment des aliénés, de leurs familles et de la société.

ARTICLE 5

« Toute autorisation ou ordre délivrés en vertu des articles I et II sont, dans les trois jours, notifiés administrativement par le préfet :
1° Au procureur du roi de l'arrondissement du domicile de la personne indiquée dans l'ordre ;
2° A celui de l'arrondissement où est situé l'établissement ;
3° A la commission formée en exécution de l'article II. »

Les réflexions déjà faites sur l'esprit de la loi et sur les précédents articles rendent superflue toute discussion de l'article V ; il n'y aura aucune objection à élever contre les formalités qu'il prescrit si, contre notre attente, la commission proposée par le projet de loi recevait la sanction des législateurs.

L'ordre logique des idées demanderait seulement qu'il occupât une autre place dans la classification des articles de la loi.

« Indépendamment des cas prévus par l'article 149 du Code civil, le procureur du roi, sur la demande du préfet, provoquera l'interdiction de tout individu placé, en vertu d'un ordre délivré d'office, dans un hospice ou établissement d'aliénés, comme atteint d'imbécillité, de démence ou de fureur.
Les frais de cette procédure seront avancés par l'administration de l'enregistrement, sur le pied du tarif fixé par le décret du 18 juin 1811 ; et les actes auxquels cette procédure donnera lieu seront visés pour timbre et enregistrés en débet, conformément aux lois des 13 brumaire et 22 frimaire an VII.
Si l'interdit, ses père, mère, époux ou épouse, sont dans un état d'indigence dûment constaté par certificat du maire, visé et approuvé par le sous-préfet et par le préfet, il ne sera passé en taxe que les salaires des huissiers et l'indemnité due aux témoins non parents ni alliés de l'interdit. »

Voilà encore un article qui autorise la poursuite de l'interdiction ; et, en effet, il faut bien qu'en l'absence des familles, l'autorité veille à l'administration des biens des individus placés d'office dans les établissements d'aliénés ; mais alors n'a-t-on pas le droit de s'étonner que cette nécessité, qui se présente tous les jours, n'ait pas suggéré à l'auteur du projet de loi l'idée d'y introduire des dispositions protectrices des intérêts matériels des aliénés, sans recourir à une mesure si extrême que l'interdiction, dont nous avons signalé déjà les nombreux inconvénients ?

ARTICLE 7

« Tous les établissements publics et privés où sont reçus les aliénés sont placés sous la surveillance de l'autorité administrative.
Les préfets, les procureurs du roi, et ceux des membres de la commission instituée par l'article II de la présente loi, qui seront délégués par les préfets, doivent être admis à les inspecter, toutes les fois qu'ils s'y présentent. »

L'article VII, que l'ordre naturel des idées aurait dû faire placer plus tôt, confère, dans son premier paragraphe, à l'autorité administrative le droit de surveillance des établissements d'aliénés, comme d'autres articles lui confient les soins des mesures de l'isolement et de la sortie de ces malades. Je ne puis qu'approuver la préférence qui lui est donnée dans toutes ces circonstances sur l'autorité judiciaire, et les motifs de ma conviction à cet égard ont été assez longuement développés ailleurs, pour me dispenser d'y revenir ici. Qu'il me suffise de rappeler que l'administration a sous sa garde la sûreté publique ; que son institution a pour but de prévenir tous les accidents capables de porter atteinte aux personnes et aux propriétés, et que les tribunaux sont appelés par la société à apprécier les faits accomplis qui sont désignés sous les dénominations de délits et de crimes.

Le deuxième paragraphe de l'article VII donnerait lieu à beaucoup d'objections de notre part ; mais, pour éviter des répétitions inutiles, nous croyons devoir nous en référer à l'ensemble des considérations que nous avons présentées pour prouver les dangers et les inconvénients qu'il y a de donner à une commission accès dans les établissements d'aliénés, toutes les fois qu'elle jugera convenable d'y pénétrer.

ARTICLE 8

« Aucun établissement destiné au traitement de l'aliénation mentale ne pourra se former sans l'autorisation du gouvernement.
Aucun établissement consacré au traitement des diverses maladies ne pourra recevoir les individus atteints d'imbécillité, de démence ou de fureur, s'il n'a été autorisé par le gouvernement à traiter cette espèce de maladie. »

L'article VIII donne au gouvernement le pouvoir d'autoriser des établissements mixtes, c'est-à-dire consacrés tout à la fois aux aliénés et au traitement des diverses maladies. Nous ne saurions approuver une semblable disposition ; elle est tout-à-fait contraire au bien-être et à la guérison des aliénés.

En général, dans un établissement public ou privé, destiné à plusieurs genres de malades, il y a trop de difficultés à surmonter pour espérer que chacun d'eux soit l'objet de l'intérêt particulier que réclame sa position. Ces difficultés augmentent encore lorsque, pour un genre de malades tels que les aliénés, les bâtiments doivent se distinguer par des caractères spéciaux, lorsqu'un grand espace leur est indispensable, lorsque le calme est un moyen de traitement, lorsque la maladie, pour être bien observée, réclame l'attention la plus soutenue, et pour être guérie, des soins sans partage et un dévouement sans bornes.

Dans les hospices où les aliénés ont été mis en commun avec d'autres malades, l'expérience a prouvé que presque partout ils ont été négligés, et quelquefois lâchement abandonnés dans des loges infectes. Presque partout ces infortunés ont été assujettis aux travaux les plus grossiers et les plus dégoûtants de la maison, et en butte aux railleries stupides des autres habitants.

Ce sont ces graves motifs qui ont porté les médecins et les administrateurs à préférer les établissements spéciaux pour les aliénés aux divisions particulières, qui leur étaient anciennement assignées dans les hospices ou les hôpitaux.
La loi doit consacrer ce progrès.

ARTICLE 9

« Les hospices et autres établissements publics désignés à l'article 1er sont tenus de recevoir les individus qui leur sont adressés en vertu d'un ordre de placement, délivré conformément aux articles I, II et III de la présente loi. »

Voilà certes un article bien humiliant pour notre société. Quoi ! on est obligé de commander au nom de la loi l'accomplissement d'un devoir d'humanité envers l'infortune la plus déplorable, celle qui enlève à l'homme son caractère le plus distinctif ! C'est cependant là une affreuse nécessité. D'un côté, dans le plus grand nombre de départements, les établissements publics se refusent à recevoir les aliénés ; et d'un autre côté, lorsqu'ils y sont admis, après mille obstacles vaincus, ils sont bientôt renvoyés parce que les communes ne veulent pas acquitter le prix de leur pension.
Ce refus inhumain de secourir les aliénés a souvent pour conséquence inévitable de les faire jeter dans des prisons avec les plus vils infracteurs de nos lois, dont ils deviennent les jouets et les victimes, ou de les laisser sur la voie publique, à la merci du désordre de leurs facultés, troubler le repos public et offenser les bonnes mœurs.
Sans doute il est très-fâcheux pour la dignité de la nature humaine que, pour faire cesser un état de choses si funeste, on soit contraint d'imposer par une loi une obligation contraire dans certains cas aux statuts des établissements et à l'intention de leurs fondateurs. Mais, en attendant que la France possède un nombre suffisant d'établissements spéciaux pour le traitement de l'aliénation mentale, faut-il par des scrupules mal entendus et par un respect aveugle pour certaines fondations, empêcher un grand nombre d'hospices de donner asile aux malheureux aliénés, et continuer à les enfermer dans des cachots pour leur enlever toute chance de guérison, en répandant le désespoir dans des âmes si impressionnables !

ARTICLE 10

« Il sera tenu, dans chacun des établissements désignés par la présente loi, un registre spécial indiquant les noms et domiciles des individus placés en vertu de la présente loi, l'ordre d'admission, l'époque de l'entrée et celle de la sortie. »

L'article X ne laisse à désirer qu'un complément de renseignements relatifs à l'âge, à la profession, à l'état civil du malade admis, et quelques indications sur la personne qui l'a conduit dans l'établissement.

ARTICLE 11

« Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations énoncées en l'article IX, les cas où elles pourront être retirées, les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés. »

Cet article me paraît laisser trop de latitude à l'autorité administrative, surtout en ne précisant pas les causes pour lesquelles les autorisations pourront être retirées et en ne laissant pas la possibilité aux chefs d'établissements de faire appel d'un jugement qui porte une atteinte si profonde à leurs intérêts. La loi anglaise de 1828 s'est montrée plus soigneuse des intérêts des chefs d'établissements privés, en leur donnant, par l'article 40, le moyen d'obtenir une juste réparation des torts graves qui auraient pu résulter d'un premier jugement. Pourquoi ne pas introduire dans notre loi une disposition analogue ?

« Les contraventions aux dispositions des articles VIII et X de la présente loi et aux règlements rendus en vertu de l'article précédent seront punies d'un emprisonnement d'un an, et d'une amende de cinquante francs à trois mille francs ; il pourra toujours être fait application de l'article 463 du Code-pénal. »

Une seule observation me paraît nécessaire sur l'article XII, c'est que les peines puissent être graduées selon la diversité des infractions à la loi et aux règlements d'administration : il serait juste que l'emprisonnement pût avoir une durée beaucoup moins longue que celle d'une année, et que dans certains cas les chefs d'établissements ne fussent passibles que de l'une ou de l'autre des peines énoncées dans cet article.

ARTICLE 13

« La dépense de l'entretien, du séjour et du traitement des individus placés en vertu de l'article IX de la présente loi dans les établissements désignés par cet article, sera à leur charge personnelle ; à défaut, à la charge de ceux auxquels il peut être demandé des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil ; cette dépense sera fixée d'après un tarif réglé par le préfet.
Le recouvrement sera poursuivi et opéré à la diligence de l'administration de l'enregistrement. »

Je transcris de suite l'article XIV et dernier, parce qu'il est lié à l'article XIII par l'identité des matières.

ARTICLE 14

« A défaut, ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées en l'article précédent, il sera pourvu à cette dépense sur les centimes variables du département, sans préjudice du concours de la commune du domicile des aliénés et des hospices, d'après les bases proposées par le conseil général sur l'avis du préfet, et approuvées par le gouvernement. »

Les dispositions relatives à des questions fiscales que renferment les articles XIII et XIV me paraissent conformes à la justice et à une exacte économie toujours nécessaire pour pouvoir étendre les bienfaits à un plus grand nombre d'infortunes.

Il est de toute justice, en effet, que la dépense occasionnée par le séjour des aliénés dans les asiles soit à leur charge toutes les fois qu'il y a possibilité, et, dans le cas contraire, à la charge de ceux auxquels il peut être demandé des aliments aux termes du Code civil. Mais ces ressources privées venant à manquer, convient-il de faire payer les dépenses des aliénés dans les établissements au département ou à la commune, ou bien encore à l'un et à l'autre ? En admettant cette dernière résolution, dans quelle mesure le département et la commune doivent-ils concourir à ce paiement ?

On dira sans doute que la dépense des aliénés dans les établissements est communale de sa nature, et qu'en conséquence elle doit être à la charge de la commune où résidait l'aliéné. On ajoutera que le département ne devrait intervenir que dans le cas d'insuffisance bien prouvée des ressources communales.

Ces observations ne sont pas certainement sans valeur, mais d'autres me paraissent plus déterminantes en faveur des dispositions du projet de loi. Telles sont, par exemple, l'inégalité de répartition des frais de traitement des aliénés qui pèseraient entièrement sur certaines communes tandis que d'autres en seraient affranchies, et l'énormité de la dépense qui dépasserait le revenu de quelques communes.
En laissant d'ailleurs au conseil général le soin d'apprécier les diverses situations qui devront influer sur le partage de la dépense entre le département et la commune, la loi s'en réfère sagement au pouvoir le plus compétent pour la répartir avec équité et fixer la quotité de la manière la mieux appropriée à toutes les variétés de position que présentent les communes.

La dernière loi des finances a sanctionné déjà ces dispositions par son article 6, portant que les dépenses pour les aliénés indigents sont assimilées pour 1837 aux dépenses variables départementales, sans préjudice du concours de la commune du domicile de l'aliéné et des hospices ; mais, en fixant cette base, elle exige pour l'avenir l'adoption d'une règle définitive, et c'est probablement ce qu'accomplira la législature actuelle, en donnant son approbation aux articles XIII et XIV du projet de loi que nous venons d'examiner.

Maintenant il nous reste à fixer de nouveau l'attention sur une lacune du projet de loi, relative à l'administration de la fortune des aliénés, lacune dont nous avons déjà signalé les graves conséquences dans notre examen des principes de la loi. Si nous avons prouvé, comme nous le pensons, qu'on doit très-rarement recourir à l'interdiction, seule voie légale protectrice des intérêts matériels, alors même qu'on s'arrêterait à la période de cette mesure rigoureuse à laquelle le tribunal nomme un administrateur provisoire, il est indispensable d'introduire dans la loi nouvelle une disposition qui règle l'administration des biens des aliénés. Comment pouvoir, sans une autorisation légale, toucher les revenus de ces malades, effectuer des rentrées et des paiements ? L'intervention officieuse des parents éprouve bientôt des obstacles insurmontables, et d'ailleurs elle n'est pas sans danger. D'une part, la mauvaise foi peut en abuser, et, d'autre part, la crainte de se compromettre peut faire négliger les intérêts des aliénés. Ce qui se passe à cet égard dans les établissements privés et dans les hospices de la Salpêtrière et de Bicêtre mérite d'être connu, afin que le législateur sente la nécessité d'y remédier.

Dans les établissements privés il arrive, malgré toute la répugnance qu'en éprouvent leurs directeurs, que, pour satisfaire à des intérêts urgents, les familles font signer des procurations à des aliénés.

Pour les aliénés admis à la Salpêtrière et à Bicêtre, comme il ne s'agit en général que de recueillir quelques créances de peu de valeur ou d'un modique mobilier, l'administration, en l'absence de la famille, demande au tribunal civil de première instance de la Seine à exercer les droits des aliénés, et le tribunal est dans l'usage de lui donner cette autorisation. Sans doute l'administration des hôpitaux de Paris fait de cette autorisation l'usage le plus favorable aux aliénés, et les intérêts à soigner sont de peu d'importance, puisqu'ils ne s'élèvent qu'à 6 901 F 05 de revenus, ainsi que je l'ai appris de l'honorable administrateur M. Desportes. Mais toutes ces mesures, quelque sages qu'elles soient, manquent d'une forme légale, et il importe d'autant plus de les en revêtir, qu'à l'avenir le tribunal se refuserait sans doute à délivrer de semblables autorisations, inférant du silence de la nouvelle loi que le législateur n'a pas eu l'intention d'établir un mode de gestion exceptionnel pour les aliénés admis dans les hospices.

Par quel moyen légal protéger les intérêts des aliénés et veiller au soin de l'administration de leur fortune ? Je propose de leur faire l'application des articles 112 et 113 du Code civil, qui concernent les absents. Ces articles sont ainsi conçus :

« Art. 112.— S'il y a nécessité de pourvoir à l'administration de tout ou partie des biens laissés par une personne présumée absente, et qui n'a point de procureur fondé, il y sera statué par le tribunal de première instance sur la demande des parties intéressées.

Art. 113.— Le tribunal, à la requête de la partie la plus diligente, commettra un notaire pour représenter les présumés absents dans les inventaires, comptes, partages et liquidations dans lesquels ils seront intéressés. »
Ces articles me paraissent remplir l'objet désiré et convenir tout à la fois et pour les aliénés riches, et pour ceux qui sont placés dans les asiles publics.
Seulement, pour éviter tout retard, toute publicité et les frais de procédure, je demande que l'attribution de statuer dans ce cas soit donnée au président du tribunal plutôt qu'au tribunal lui-même.
Pour compléter ce qui est relatif aux soins des intérêts des aliénés, de ceux de leur famille ou ayants-cause, une autre disposition me paraît nécessaire, d'autant plus nécessaire que l'article 504 du Code civil dit positivement : Que les actes ne pourront être attaqués pour cause de démence après la mort d'un individu, qu'autant que son interdiction aurait été prononcée ou provoquée avant son décès, à moins que la preuve de la démence ne résulte de l'acte même qui est attaqué. »

Il me semble de toute justice de faire une exception aux principes de l'article 504, en faveur des aliénés dont le décès aurait été précédé d'un séjour plus ou moins long dans les établissements qui leur sont consacrés.
D'autres articles de lois qui concernent les aliénés demanderaient encore à être modifiés. Indépendamment des considérations que j'ai présentées au commencement de ce travail pour montrer la nécessité d'une révision des lois civiles et criminelles dans leurs rapports avec l'aliénation mentale, je puis signaler une contradiction frappante : d'une part, les lois du 24 août 1790, du 22 juillet 1791, et les articles 475 et 479 du Code pénal, admettent que la divagation de tout insensé ou furieux devra être prévenue, ou qu'il y sera porté remède dès qu'elle deviendra dangereuse ; et, d'une autre part, les articles 489 et suivants du Code civil n'autorisent l'interdiction, et par suite les mesures indiquées en l'article 510, que pour le majeur qui est dans un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur.

Qu'il me soit permis, en terminant, de faire un appel à la sagesse du gouvernement, afin qu'il accomplisse la grande et noble mission de fonder, sur des bases larges et solides, un système général pour les établissements d'aliénés en France. Par le seul fait de la présentation de la loi que nous venons de discuter, il a rendu un véritable service à la société ; il a montré qu'il s'occupait des moyens d'améliorer le sort des malheureux aliénés ; et que ne peut l'exemple d'un gouvernement ?

Mais aussi quel temps fut jamais plus favorable que le nôtre pour réaliser les vœux des amis de l'humanité ! Tandis que les Pinel, les Esquirol et d'autres médecins justement célèbres plaident chaleureusement la cause des aliénés, et jettent, par leurs précieux ouvrages, de vives lumières sur l'aliénation mentale, la charité des hommes semble émue d'une plus profonde commisération pour la plus lamentable des infortunes. Les conseils généraux, les administrations publiques, les particuliers eux-mêmes rivalisent de zèle pour la soulager et lui offrir des asiles. On a vu, en 1836, les sommes allouées pour cette destination s'élever à 1 700 000 F. Rendons hommage à cet élan généreux, et tout en remarquant l'insuffisance de ces allocations, reconnaissons qu'elles auront pu produire un grand bien si elles ont été convenablement employées.
C'est pour diriger cet emploi surtout que se fait sentir la nécessité d'une action puissante et continue du gouvernement sur les efforts individuels et isolés, même lorsque ces efforts ont un but évidemment utile. S'il n'y a pas unité dans la direction et ensemble dans l'exécution, aussitôt tout le bien qu'on s'était promis disparaît. Ici il y aura excès, là il y aura défaut. Des départements seront totalement dépourvus d'asiles, tandis que d'autres en auront plusieurs, par exemple, le département des Côtes-du-Nord, qui en possède quatre.

Nouveaux inconvénients quant au mode de construction.

Souvent avec une dépense considérable on ne parviendra qu'à construire un établissement tout-à-fait impropre à sa destination ; car pour le traitement de l'aliénation mentale, tout doit être dans un rapport parfait, et la disposition même du local, qui semble d'abord ne regarder que l'architecte, doit être inspirée par le médecin. Aussi, l'avis du conseil des bâtiments civils serait-il insuffisant s'il n'était appuyé de l'opinion des médecins voués à la spécialité des maladies mentales.

Une impulsion générale imprimée par le gouvernement, qui ne négligera pas de s'entourer de toutes les lumières de la science, est donc de la plus indispensable nécessité, et son action ne sera efficace qu'à la condition de s'étendre à tous les départements. Par sa bienfaisante influence on verra disparaître les abus existants, s'élever un nombre d'établissements proportionné aux besoins des aliénés dans les différentes localités, et se propager les doctrines les plus bienveillantes et les plus salutaires. Sous des conditions aussi favorables, l'humanité verra avec joie s'accroître le nombre des guérisons, et, dans les cas de plus en plus rares de l'impuissance de l'art, elle sera consolée par les bienfaits d'une active philanthropie. [1]
Cependant cette crainte a été si exagérée dans l'exposé des motifs, lorsqu'on dit qu'un tiers des aliénés font des tentatives de suicide, qu'il importe de rétablir l'exactitude du fait, et par respect pour la vérité, et pour l'honneur de la France. L'observation la plus multipliée prouve en effet qu'il n'y a pas, chez les aliénés récemment malades, un vingt-cinquième atteint de penchant au suicide ; et chez les aliénés anciennement affectés, cette funeste complication ne se présente que rarement et d'une manière tout-à-fait exceptionnelle.
Au moment où j'écris, sur deux cent vingt-trois aliénées traitées à la Salpêtrière par M. Pariset, il n'y en a que dix qui soient portées au suicide ; et sur plus de quatre cents aliénées d'une date ancienne, qui sont dans mon service, je n'en trouve qu'une seule qui, de temps en temps, nous inspire des craintes de ce genre, et encore est-ce presque toujours à la suite d'un abus de vin ou de liqueurs alcooliques. D'un autre côté, j'apprends de M. Ferrus, médecin de Bicêtre, que la proportion des penchants au suicide dans cet hospice n'est pas plus considérable qu'à la Salpêtrière.
Enfin, dans l'établissement de Vanves, que j'ai fondé en 1822 conjointement avec mon ami le docteur Voisin, et consacré à la classe riche de la société, nous n'avons dans ce moment que deux penchants au suicide sur cinquante aliénés des deux sexes confiés à nos soins.

[2] En général, c'est une dénomination qui me semble bien malheureuse que celle de section des incurables, et je ne puis comprendre qu'elle ait été appliquée à des hospices tout entiers : elle me semble injurieuse pour l'humanité, et je saisis cette occasion de la flétrir aux yeux de ceux qui peuvent la corriger.

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Esquirol, Examen du projet de loi sur les aliénés (Paris, 1838)

Jadis on ne regardait comme fous que les maniaques furieux et les individus dans un état habituel d'imbécillité ou de démence. Les lois anciennes ordonnèrent le renfermement des furieux, parce qu'ils troublent l'ordre public ; elles autorisèrent et prescrivirent l'interdiction des fous pour la conservation de leur fortune. Elles satisfirent ainsi aux besoins connus à l'époque où elles furent rendues.
Mais depuis l'observation a révélé de nouveaux faits. La folie, mieux étudiée, mieux connue, les médecins ont classé parmi les fous les monomaniaques. Ces derniers conservent une portion de leur intelligence et de leurs affections, ils ne déraisonnent ni constamment ni sur toutes sortes d'objets. Ils sont habituellement paisibles et inoffensifs ; pourquoi les priver de la liberté ? La loi de 1790 ne leur est point applicable ; car ces fous à idées partielles ne troublent pas l'ordre public, ne sont pas dans un état habituel de fureur, de démence ou d'imbécillité ; mais ils sont dans un état imminent de délire, toujours prêts à sortir des bornes de la raison, et souvent poussés à des actes dangereux pour eux et pour les autres. Ces monomaniaques forment une classe nombreuse parmi les aliénés. L'existence de leur délire, qui n'est ni général ni habituel, n'est que plus difficile à constater ; ici ressort la plus grande difficulté d'une loi sur les aliénés à laquelle cependant les malades atteints de délire partiel ne peuvent rester étrangers.

Depuis que la médecine a constaté que les fous ne sont point incurables, que, pour obtenir leur guérison, il faut les isoler, et que la guéri-son est d'autant plus certaine que l'isolement suit de plus près l'invasion de la maladie, l'isolement est devenu une nécessité. Cette nécessité est encore une complication qui augmente les difficultés de la nouvelle loi.

Et d'abord qu'entend-on par isolement ?
L'isolement consiste à soustraire l'aliéné à ses habitudes, en l'éloignant des lieux qu'il habite, en le séparant de sa famille, de ses amis, de ses serviteurs, en l'entourant d'objets nouveaux et de soins étrangers. L'isolement a pour but de briser la direction vicieuse des idées, des affections et des déterminations de celui qui n'est plus guidé par la raison.

L'aliéné qu'on isole est retenu chez lui, ou dans une maison étrangère ; dans un hospice, ou dans une maison de santé ; privé de la liberté, soumis à un régime, à des soins et à un traitement que le plus souvent il repousse. Sans doute, l'aliéné qu'on isole n'est pas renfermé entre quatre murs étroits, et dérobé à tous les regards ; au contraire, il jouit d'une certaine liberté ; il est entouré de prévenances et de soins ; vit en société avec des hommes raisonnables et bienveillants ; ce sont là du moins les exigences de la science qui enseigne à guérir la folie ; mais il ne jouit plus de la plénitude de la liberté et de l'exercice des droits civils. L'isolement est donc une dérogation au droit commun. Tout ce qui se fait depuis l'invasion de la folie jusqu'au jugement d'interdiction était arbitraire et même illégal, à moins que l'aliéné, troublant l'ordre public, ne devienne passif de la loi de 1790. L'isolement réclame donc une loi pour en légaliser l'usage et en prévenir les abus.

La société doit protéger la santé des citoyens aussi bien que leur liberté.

Le premier besoin de l'homme malade est de guérir.

L'aliéné est un malade dès qu'il frappe à la porte du lieu où il espère trouver la guérison ; il a le droit d'y entrer sans empêchement aucun.

Comme la maladie place l'aliéné dans des conditions exceptionnelles, la loi intervient. Mais, en intervenant, la loi ne doit pas blesser les droits de la famille qui doit être indépendante dans les soins qu'elle donne à l'un de ses membres malades. Le législateur doit craindre d'étouffer des sentiments nobles et généreux en les comprimant par des rigueurs légales ; il doit craindre par trop d'exigences de nuire à la guérison de l'aliéné. La loi est d'autant plus difficile dans son application qu'elle s'adresse à des objets mobiles, variables, insaisissables et d'une appréciation quelquefois presque impossible. Aussi toutes les législations se taisent sur les conditions de l'isolement. Il y a là une lacune que j'ai signalée le premier dans un mémoire sur l'isolement des aliénés, que j'ai lu à l'académie des sciences, et imprimé en 1832. Cette lacune est-elle le résultat de l'indifférence pour la liberté individuelle, ou bien les législateurs ont-ils reculé devant les difficultés ?

L'administration, suppléant au silence de la loi, a fait des règlements, déterminé les formalités et les précautions pour l'admission et le séjour des aliénés dans les hospices et les maisons de santé ; mais ces règlements varient en France dans les différentes localités. A Paris les aliénés sont admis à la maison royale de Charenton sur la réquisition du maire du domicile du malade ; ils peuvent être reçus d'urgence ; mais aussitôt leur admission, le médecin en chef constate leur état mental, et le directeur réclame la réquisition du maire du domicile. Les aliénés entrent dans les hospices de la Salpêtrière et de Bicêtre comme les autres malades entrent dans les hôpitaux. Conduits au bureau central d'admission des hospices, on leur délivre un bulletin d'admission. L'admission dans les maisons particulières a lieu après les arrangements faits entre les familles et les chefs de ces établissements, et cette admission est régularisée par l'envoi dans les 24 heures, au préfet de police, d'un bulletin contenant les noms, prénoms, l'âge, le sexe, le lieu d'habitation de l'aliéné admis, et dans les trois jours, le préfet délègue un médecin assisté d'un commissaire de police qui constate l'état mental de l'aliéné.
Dans tel département l'interdiction est nécessaire avant d'obtenir l'admission ; dans tel autre il suffit de traiter avec les administrateurs ; ici le maire délivre l'autorisation ; là c'est le préfet. Quelquefois l'autorité se refuse à autoriser ou à ordonner l'isolement, tantôt parce qu'elle ne sait où envoyer l'aliéné, tantôt parce que l'aliéné n'est pas interdit ; tantôt enfin parce qu'il n'y a pas de fonds assignés pour cet objet ; tantôt parce que les hospices n'ont pas de locaux suffisants ou convenables, ni d'argent pour ces malades. Lorsque les aliénés troublent l'ordre, ils sont renfermés dans les prisons.
On laisse en liberté les monomaniaques et les lypémaniaques parce qu'ils sont paisibles ; mais bientôt entraînés par les idées qui les dominent, ces malheureux se tuent, tuent les personnes qui les entourent, n'épargnant pas les objets de leurs plus chères affections. Nul doute que beaucoup d'homicides et surtout beaucoup de suicides n'eussent été prévenus si les aliénés qui les ont commis avaient été isolés à temps.

Les magistrats, fidèles à la lettre du Code, n'envoient les aliénés dans les hospices qu'après avoir provoqué leur interdiction ; et, en attendant, pour ne pas violer la liberté individuelle, ils les font enfermer dans les prisons. Avant la loi des finances de 1836, les préfets ne savaient où prendre les fonds pour subvenir aux frais de la séquestration des aliénés ; mais n'en manquant point pour les prisonniers, ils envoyaient les fous dans les prisons. Les établissements publics fondés pour une ville ou pour un département, encombrés de malades, appréhendant de dépasser leurs ressources, refusaient les aliénés étrangers, ou s'ils les admettaient, ce n'était qu'après des formalités interminables.

Depuis bien des années les médecins avaient élevé la voix en faveur des aliénés. Ils avaient fait connaître au gouvernement le sort déplorable des malades renfermés dans les hospices, dans les dépôts de mendicité, dans les prisons ou laissés sur la voie publique. Ils avaient révélé les entraves qui s'opposaient à l'admission de ces malades dans les hospices[1] .

Ils avaient réclamé une loi d'une application simple et facile, commune à tous les départements, pour l'isolement des aliénés[2].
La nécessité de satisfaire à la voix publique, de retirer ces malades des prisons, d'assurer à tous un asile convenable pour faciliter leur guérison, de garantir la conservation de leur fortune a provoqué enfin le projet de loi présenté aux Chambres, discuté en 1837 et soumis à une nouvelle discussion en 1838.

Les lois anciennes n'ont eu pour but que le maintien de l'ordre public et la conservation de la fortune des aliénés, les lois anciennes ne s'étaient occupées que des aliénés furieux ou qui sont dans un état habituel de démence et d'imbécillité ; la loi nouvelle doit s'étendre aux aliénés dont le délire n'est ni général ni habituel, elle doit venir en aide à l'aliéné pour qu'il recouvre sa raison ; pour atteindre ce but la loi ne doit avoir rien à démêler avec l'aliéné lui-même qui ne la comprendrait pas, et qui est hors d'état d'en abuser ; elle doit s'adresser à ceux qui sous prétexte de folie peuvent violer la liberté individuelle.

L'exposé des motifs du projet du gouvernement résume très bien l'état de la législation en France relativement aux aliénés. Rien dans nos lois, dit M. le commissaire chargé de défendre le projet, ne prescrivait la conduite à tenir à l'égard de ces malheureux depuis le moment de l'invasion de la maladie jusqu'à l'interdiction, à moins qu'ils ne troublassent l'ordre public ; l'expérience ayant proclamé que l'isolement prompt est la première condition de tout traitement méthodique des aliénés, la loi nouvelle doit satisfaire à cette nécessité. Cette loi ne doit point être contre, mais pour les aliénés ; il ne suffit pas qu'elle rassure la société contre le désordre que ces malades peuvent provoquer et qu'elle pourvoie à la conservation de leur fortune ; mais elle doit veiller à ce que l'aliéné étant un malade, soit traité de sa maladie ; elle doit poser des règles pour prévenir les abus.

Les caractères de l'autorité administrative sont éminemment appropriés à la nature et à l'ordre des mesures propres à prévenir les abus auxquels l'isolement peut servir de prétexte. En effet cette autorité embrasse dans son action tous les intérêts d'ordre et de salubrité publique ; elle agit avec promptitude et discrétion ; s'il est possible qu'elle s'égare, ses erreurs sont soumises au contrôle de l'autorité judiciaire. Celle-ci par la lenteur et la solennité de ses formes manque aux conditions les plus favorables aux aliénés, à la promptitude dans l'exécution des mesures et au secret en divulguant l'état mental des malades.

Aussi M. le commissaire du gouvernement rejette-t-il l'interdiction comme condition préliminaire à l'isolement ; il veut que l'autorité administrative intervienne toujours, soit qu'elle ordonne d'office, soit qu'elle autorise l'isolement sur la demande des familles. Il prescrit des précautions nombreuses de surveillance pour que le séjour des aliénés dans l'établissement dans lequel ils ont été admis ne se prolonge pas sans motifs. Il exige qu'après deux ans de séjour tout aliéné soit interdit.

L'exigence de l'interdiction deux ans, trois ans, quatre ans après l'invasion de la maladie, est contraire à la lettre et à l'esprit du code pénal. Ils connaissaient bien le cœur humain ceux qui ont présidé à la rédaction de ce code, lorsque, respectant la douleur et le secret de l'intérieur des familles, ils ne prescrivaient la provocation d'office de l'interdiction que dans les cas où l'aliéné est sans parents ! Quel serait le but aujourd'hui de l'interdiction, puisque la nouvelle loi indique les moyens légaux pour la conservation de la fortune des aliénés sans qu'il soit nécessaire de recourir à une formalité qui blesse la susceptibilité des familles ?

Afin d'éviter et de prévenir les erreurs de l'autorité administrative, le projet du gouvernement créait une commission qui devait inspecter les établissements d'aliénés et être consultée avant que le préfet délivrât l'ordre d'admission ou de sortie des malades ; les Chambres n'ont point admis cette étrange commission ; elle eût été un embarras pour l'administration, une entrave pour la prompte exécution des mesures, un effroi pour les familles et un instrument d'intrigues.

M. le Rapporteur de la Chambre des Députés fait mieux ressortir l'idée principale qui doit dominer la nouvelle loi. C'est une loi d'humanité vivement réclamée par les gens de bien. Elle met un terme aux mesures discrétionnaires auxquelles les aliénés sont soumis, elle défend que ces malades soient renfermés dans les prisons, elle pourvoit à ce que tous soient secourus dans des établissements spéciaux, elle repousse toute mesure préventive qui pourrait retarder l'admission dans ces établissements, satisfaisant ainsi aux exigences de la science, au respect dû à la douleur, au secret et même aux préjugés des familles, pour la première fois la loi traite les aliénés comme sont traités les autres malades.

Le projet de la commission s'occupe d'abord des établissements destinés aux aliénés, des conditions auxquelles ils seront établis, de la surveillance à laquelle ils seront soumis. Il prescrit les diverses mesures pour légaliser l'admission et le séjour des malades dans ces maisons, en distinguant ces mesures en celles que doivent prendre les familles et en celles qui appartiennent à l'administration. Enfin le projet de la Chambre des Députés modifie les prescriptions du projet du gouvernement relatives à l'administration de la fortune des aliénés pendant leur isolement.

Les établissements sont publics ou privés. Les premiers fondés par les communes, le département ou le gouvernement, sont en France, très améliorés dit le rapport, mis au niveau des besoins et en état d'accomplir leur destination.
Les établissements privés ne sont pas toujours créés par la spéculation ; l'amour de la science et la charité en ont fondé quelques-uns. Ces établissements ne pourront être fondés qu'après l'autorisation préalable du gouvernement, qu'après avoir accompli certaines conditions qui seront réglées par l'administration publique. On ne s'explique pas pourquoi, l'autorisation exigée pour fonder un établissement privé n'est pas déférée à l'administration locale, au préfet.

Les établissements privés seront soumis à une surveillance constante et sévère confiée aux préfets qui les visiteront par eux-mêmes ou par leurs délégués. Le même devoir est imposé au procureur du roi, au président du tribunal du lieu où la maison est établie.

Les portes d'une maison d'aliénés doivent s'ouvrir lorsque la maladie a cessé, lorsque la famille réclame la sortie du malade, lorsque le préfet l'ordonne. La sortie peut être demandée au tribunal qui l'ordonne directement. D'après ce rapport amendé, l'interdiction n'est imposée ni avant l'admission ni pendant le séjour des aliénés dans un établissement. L'interdiction n'étant plus obligatoire après deux ans d'isolement, ainsi que le voulait le projet du gouvernement, les biens des aliénés qui sont isolés seront administrés par les commissions des hospices servant de tutelle à ces malades comme cela se fait pour les enfants abandonnés. Le président du tribunal à la demande du plus diligent ou d'office nommera un administrateur provisoire et commettra un notaire pour représenter l'aliéné, dans les comptes, les partages et les liquidations, imitation de ce qui se fait pour les absents.
Je ferai remarquer, en passant, qu'il y a erreur lorsque M. le rapporteur dit qu'en 1818, il n'y avait en France que huit établissements spéciaux d'aliénés et qu'il y en a trente-quatre aujourd'hui. Le bien ne s'opère pas si vite. La plupart des trente-quatre établissements admettent des individus qui ne sont point aliénés, ou font partie de grands hospices ; le nombre des établissements publics exclusivement consacrés aux aliénés reste toujours très limité.
M. le Rapporteur estime qu'il n'y a en France que 15 000 aliénés ; j'ose croire que le nombre de ces malades est beaucoup plus élevé. C'est une statistique à faire. Je ne connais qu'un pays au monde où un pareil travail ait été fait, c'est la Norvège. Cependant une statistique serait d'une grande utilité. Elle servirait de base fixe pour toutes les améliorations désirables en faveur de ces malades. Mais elle exige de longues et minutieuses recherches que l'administration publique n'obtiendra jamais de ses employés. Il y a trente ans que l'Angleterre s'occupe d'un pareil travail, elle n'a point encore obtenu un résultat positif.

M. le Rapporteur de la commission de la Chambre des Pairs maintient la division en trois titres du projet de loi amendé par la Chambre des Députés. Il traite d'abord des établissements, puis du placement des aliénés, et enfin des dispositions pénales.

M. le Rapporteur décrit rapidement l'état des aliénés en France. Il signale les villes où de grandes améliorations ont eu lieu ; il n'oublie pas les établissements créés par les corporations religieuses et par des particuliers. Il apprécie les avantages pour les aliénés pauvres de l'article VI de la loi des finances, de l'année 1836, qui fait concourir les départements aux dépenses qu'entraînent ces malheureux ; cette disposition a fait cesser de nombreux abus et a donné une heureuse impulsion en faveur des aliénés. Après une longue et lumineuse discussion, M. le Rapporteur laisse aux départements l'alternative de créer des établissements, ou de traiter avec des établissements publics ou privés pour le placement des aliénés pauvres ; les établissements privés, dans ce cas, seront soumis à des prescriptions particulières.

M. le Rapporteur se demande : Convient-il que les médecins aient seuls le droit de fonder des établissements privés ? Non, répondons non. Ce serait un privilège. Un particulier étranger à l'art de guérir peut organiser un excellent service médical ; cette dernière proposition est contestable. Lorsque l'on demande la résidence d'un médecin dans tout établissement d'aliénés, l'on ne réclame pas un privilège, mais on exprime le vœu que les établissements privés comme les établissements publics offrent aux familles un motif de plus de confiance et de garanties pour l'administration du traitement.
La résidence du médecin offre des avantages infinis pour les malheureux confiés à leurs soins, à leurs lumières, à leur expérience. Il faut vivre avec les aliénés le jour et la nuit. C'est à ce prix que le médecin apprend à connaître les maladies mentales, à les traiter. Il serait trop long de faire ressortir les graves inconvénients de la non résidence du médecin. M. le Rapporteur de la Chambre des Pairs se défie singulièrement des hommes. Les mesures préventives, les contrôles, l'intervention des juges de paix rendront pénibles aux familles, dangereuses pour les aliénés, fatigantes pour les chefs d'établissement les applications de la loi.
M. le Rapporteur multiplie les visites et les visiteurs dont ne s'était point fait faute le projet du gouvernement ni le projet amendé par la Chambre des Députés. Il semble que M. le Rapporteur de la Chambre des Pairs ait rédigé les amendements sous l'impression qui lui est restée de la lecture des enquêtes du Parlement d'Angleterre et du bill de 1828. Les faits révélés par ces enquêtes sont si nombreux, si odieux et si criminels que la loi ne pouvait être armée de trop de sévérité pour en prévenir le retour. Jamais pareils abus n'ont eu lieu en France.
J'ai visité pendant trente ans les hospices, les dépôts de mendicité, les prisons, les maisons de santé où je pouvais soupçonner des aliénés.
Je les ai visités plusieurs fois sans être attendu ou annoncé, je n'ai rien vu de semblable. Cependant les réformes en faveur de ces malades n'étaient ni aussi générales, ni aussi complètes qu'elles sont aujourd'hui.
J'ai vu les aliénés dans des cachots sombres et humides, confondus avec des prisonniers et même des criminels, je les ai vus mal vêtus, couchés sur la paille, n'ayant pour toute nourriture que de l'eau et du pain, je les ai vus contenus avec des chaînes, confiés à des gardiens plus ou moins grossiers, victimes des préjugés, de la frayeur qu'ils inspirent, de l'ignorance et d'une déplorable parcimonie ; mais ils n'étaient point les victimes de criminelles manœuvres, jamais l'auri sacra fames ne fit en France de la plus affreuse des maladies, l'objet de spéculations plus affreuses encore.
Dans un pays où le besoin d'argent peut conduire l'homme à la plus horrible perversion morale, les lois ne sauraient être trop soupçonneuses, trop prévoyantes, trop sévères pour prévenir ou pour punir de pareils abus. N'allons point chercher nos projets de loi chez nos voisins. La douceur de nos mœurs, le désintéressement de notre caractère nous mettent à l'abri de semblables excès.
Trop de défiance serait injuste envers le pays. Si l'on peut citer chez nous un petit nombre d'abus relatifs à la violation de la liberté individuelle sous prétexte de folie, ces abus sont si rares que monsieur le commissaire du gouvernement assure qu'il n'y en a pas d'exemple constaté chez nous, assertion qui n'a point été démentie par MM. les Rapporteurs des deux Chambres « En effet, qui croira sérieusement que sous le régime où nous vivons la liberté individuelle puisse être véritablement menacée. Les attentats contre la liberté sont tellement en dehors de nos mœurs publiques et privées qu'il suffit de jeter les yeux sur la statistique du ministre de la justice, pour rester convaincu que la détention arbitraire est effacée de fait de la liste des crimes. » C'est ainsi que s'exprime le ministre de l'intérieur dans le premier exposé des motifs du projet de loi soumis à la Chambre des Pairs. J'ajoute que la publicité de la presse est une autre garantie plus puissante encore que toutes les prescriptions légales.

Mais les abus sont possibles. On en cite des exemples. Ils sont bien rares ces exemples, et avant de les faire servir de base à une loi, il eût fallu les constater par une enquête et en discuter l'authenticité par une sage et loyale critique. J'en connais de ces faits qui circulent dans le monde qui les accepte comme vrais, dont je pourrais prouver la fausseté.
Mais les abus sont possibles, et sur cette possibilité on fait une loi qui affligera un grand nombre de familles. La possibilité des abus compromet-elle assez la sûreté de la société pour recourir à des mesures préventives si multipliées qu'elles mettront obstacle au bien qu'on se propose.

Vous ne voulez pas vous en rapporter à la bonté de nos mœurs, à la tendre sollicitude des familles, à l'organisation des maisons d'aliénés, sur lesquelles tant de personnes ont les yeux ouverts, à l'intérêt des chefs de ces maisons, à la publicité de la presse. La corruption est donc bien grande chez nous, les crimes contre la liberté individuelle, sous prétexte de folie, sont donc bien fréquents.

On peut résumer en peu de mots le projet de loi présenté par le gouvernement et les rapports faits aux Chambres.

L'insuffisance de l'ancienne législation, la nécessité de venir au secours des aliénés sont nettement exprimées dans l'exposé des motifs, par le gouvernement. Les aliénés, dit le rapporteur de la Chambre des Députés, sont des malades qu'il faut soigner comme les autres malades. Il faut créer des asiles appropriés à leur état, surveillés par l'autorité, mais d'un accès libre et facile. L'interdiction est remplacée par des voies légales, moins lentes et moins solennelles que les formes judiciaires. Le rapport fait à la Chambre des Pairs, est remarquable par un luxe de prescriptions préventives, de visites et de contrôles contre des abus que tout le monde reconnaît ne pas exister.

Passons à l'examen des articles du projet de la loi amendé par la Chambre des Pairs et soumis de nouveau à la Chambre des Députés.

ARTICLE 2

Les établissements publics des aliénés sont placés sous la direction de l'autorité publique. Si par autorité publique, le projet entend le gouvernement, on demande pourquoi ces établissements sont placés sous une autre direction que celle des hôpitaux, pourquoi cette exception sans utilité, qui entretiendra des préjugés funestes. Un établissement créé par une commune, par un département, soutenu de leurs deniers ne sera point dirigé par l'administration locale qui l'a fondé et qui paie ses dépenses ? Il y a là un principe de ruine, un principe qui découragera le zèle et le bon vouloir pour de nouveaux sacrifices ; la surveillance du gouvernement, soit, mais la direction ! Un établissement créé par une commune, par un département, est une propriété collective qui doit être gouvernée par ses créateurs, de même qu'un établissement privé est dirigé par son propriétaire.

ARTICLE 4

Bien convaincu que la loi ne saurait rendre trop facile le placement d'un aliéné dans une maison publique ou privée où il doit être traité, j'ai appelé plus que tout autre la surveillance et la responsabilité sur les chefs de ces établissements ; mais le projet de loi n'exagère-t-il point les moyens de surveillance ? En effet, des visites doivent être faites par :
Le préfet et ses délégués ;
Les délégués du ministre de l'intérieur ;
Le président du tribunal ;
Le procureur du roi et ses délégués ;
Le juge-de-paix ;
Le maire de la commune.

Ajoutez les visites des administrateurs des hospices ou des membres des commissions spéciales de surveillance des maisons d'aliénés.
Ajoutez encore les visites qui doivent être faites par des délégués du préfet dans les trois jours qui suivent l'admission de chaque malade.
Que de visites, que de visiteurs ! prisons d'état, prisons criminelles, furent-elles jamais soumises à de plus nombreuses inspections ? Que d'individus admis dans le secret d'une maladie que tout le monde cherche à cacher !

Avant d'apprécier l'utilité de ces visites, il est bon de signaler le mal qu'elles feront.

Il est d'expérience que la visite journalière du médecin provoque une sorte d'excitation générale parmi les aliénés, surtout parmi les femmes, quelqu'habitués que soient ces malades à ces visites.
Lorsque les administrateurs, les membres des commissions de surveillance, visitent les établissements d'aliénés, ils sont témoins de l'excitation que leur présence provoque. Il en est de même lorsque les autorités supérieures se rendent dans ces établissements.
Les nombreuses commissions des Chambres et du gouvernement qui, depuis trois ans, ont visité l'établissement de Charenton, ont pu se convaincre elles-mêmes de la tumultueuse agitation excitée par leur présence chez les aliénés de cette maison.
Toutes les fois que des étrangers parcourent nos établissements d'aliénés, ils y provoquent une grande perturbation ; et ce résultat est si évident que, parmi les améliorations introduites dans ces établissements, l'exclusion des visiteurs fut une des premières.
Que sera-ce lorsque les aliénés sauront que des visiteurs parcourent l'établissement pour recevoir leurs plaintes et leurs réclamations ? Combien de fois n'ai-je pas vu les aliénés de nos hospices préparer, plusieurs jours d'avance, des demandes, des plaintes, des réclamations, des dénonciations, étant prévenus de la visite d'un ministre ! Combien de fois, après la visite, n'ai-je point été menacé par ceux qui avaient remis leur factum et qui espéraient obtenir une prompte satisfaction.

Ces visites détruiront infailliblement l'ordre, la paix, la subordination si nécessaires dans tout établissement d'aliénés ; elles affaibliront la confiance pour les chefs, décourageront ceux-ci, leur feront perdre leur ascendant moral si précieux pour la direction des idées, des affections et des actes des malades qu'ils doivent guérir. Quelle autorité restera-t-il au médecin après qu'il aura été dénoncé aux visiteurs en présence de tous ses malades, et accusé d'être injuste, partial, tyran, barbare, etc. ? N'a-t-on pas vu des fous se blesser eux-mêmes pour accuser ceux qui les servent ? Presque tous ces malades ne sont-ils pas mécontents des soins qu'on leur donne ? Plusieurs sauront dissimuler leur délire, afin de mieux convaincre les personnes de qui ils espèrent obtenir la liberté ou tout autre objet de leurs désirs insensés.
A défaut d'ascendant moral dont les chefs seront dépouillés, ne seront-ils pas contraints de recourir à la force matérielle pour maintenir l'ordre et la subordination parmi des malades si portés au désordre et si avides d'indépendance et de liberté ? Mais, dit un médecin que je craindrais de nommer, en rejetant sur l'autorité l'odieux du séjour d'un aliéné, ma responsabilité est sauvée à ses yeux. Il ne m'accuse plus. Je plains sincèrement le médecin qui n'a d'autre ressource dans l'esprit pour conserver son influence. Espère-t-il détruire les inquiétudes d'un fou qui craint la prison, la condamnation ou la mort, en disant à ce malheureux : c'est le procureur du roi, le président du tribunal qui vous retiennent ici ? En multipliant les visiteurs, ne craint-on pas qu'il s'en rencontre parmi eux qui aient le désir de tout voir, de tout entendre, de tout croire, de tout réformer, qui contrarieront d'abord par zèle, puis par prévention, bientôt par humeur ou par contrariété ? Ne craint-on pas des collisions ? Si le médecin est indifférent, il laissera faire ; s'il est zélé, il s'irritera et sera blessé, et dans ces deux cas, les visites auront des conséquences déplorables et causeront de graves perturbations. Ce luxe de visiteurs contraste singulièrement avec ce qu'on lit dans le premier rapport à la Chambre des Pairs, page 26 : « Votre commission ne s'est pas dissimulé, que cette contre-visite ne saurait produire de grands résultats ; car ce n'est pas le médecin du dehors qui ne verra le malade que peu d'instants, qui pourra prononcer en parfaite connaissance de cause, sur son état. Pour bien juger de la situation morale d'un aliéné, il faut vivre avec lui, l'étudier à chaque instant, suivre ses mouvements et surprendre jusqu'à ses monologues... C'est dès lors dans la responsabilité grave et sérieuse des chefs d'établissement, que votre commission devait placer la principale garantie de la liberté individuelle et des intérêts des familles. » Le petit état de Genève n'a admis dans sa loi nouvelle sur les aliénés, que deux sortes de visiteurs : le lieutenant de police et le procureur du roi, ou leurs délégués et leurs substituts sont seuls chargés de visiter ces établissements. En faisant connaître à un si grand nombre de visiteurs l'état d'un aliéné, le secret des familles, que le projet de loi semblait vouloir respecter, ne serait-il point trahi ? Toutes ces visites laisseront dans l'esprit de l'aliéné guéri des souvenirs fâcheux et quelquefois funestes. La plupart des convalescents conservent un sentiment pénible de leur maladie."Ils restent longtemps affligés de leur divagation, sont honteux de l'état de dégradation auxquels ils viennent d'échapper, et craignent de se montrer à ceux qui les ont visités pendant leur délire. Que résultera-t-il encore de cette divagation ? Que les familles préféreront conserver leurs malades, dussent-ils ne pas guérir. Combien de pères et de mères j'ai entendu s'écrier : je préférerais mille fois que mon fils fût mort. C'est le cri du désespoir. La publicité des formes judiciaires est la cause pour laquelle les familles ont tant de répugnance pour recourir à l'interdiction ; les exigences de la nouvelle loi n'auront-elles pas des inconvénients semblables, et ne provoqueront-elles pas les mêmes répugnances ? On se demande encore pourquoi les juges de paix sont ajoutés aux visiteurs.
C'est une imitation anglaise. Mais en Angleterre, les juges de paix réunissent aux fonctions judiciaires les fonctions administratives. Ce sont de hauts fonctionnaires, pris dans les premières classes de la société et bien supérieurs aux petites passions qui agitent les localités. En France, les juges de paix appartiennent à l'ordre judiciaire ; ils n'ont point d'autorité préventive ; cependant ils seront obligés de visiter les établissements d'aliénés, quoique MM. les Rapporteurs des deux Chambres soient unanimes, pour écarter autant que possible l'intervention judiciaire dans tout ce qui ne regarde pas la conservation de la fortune des aliénés ; n'est-il pas à redouter que des visites trimestrielles, imposées au procureur du roi, ne persuadent à beaucoup d'aliénés qu'ils sont au pouvoir des tribunaux ? Cette conviction augmentera leurs inquiétudes, leur délire, et aggravera leurs appréhensions chimériques.

A tous ces visiteurs, pourquoi ne point préférer les membres des conseils des hospices, ou des commissions de surveillance des établissements d'aliénés ? Ces visites faites par des administrateurs bénévoles ne blesseront pas la susceptibilité des malades, n'irriteront pas leurs inquiétudes, n'inspireront aucune crainte ; elles seront toutes paternelles, toutes bienveillantes pour les malades, et offriront de suffisantes garanties à la société en les combinant avec le contrôle de l'autorité judiciaire. Cette opinion ne m'appartient pas ; elle appartient à un homme qui, pendant quinze ans, a rempli les fonctions administratives les plus élevées, et a concouru à toutes les améliorations d'humanité qui ont eu lieu pendant sa longue et honorable administration. En Amérique, ce sont les administrateurs des pauvres qui surveillent les établissements et les intérêts des aliénés. Cette disposition ferait rentrer les aliénés dans tous les droits des autres malades, et détruirait bien des préjugés funestes à ces malheureux.

ARTICLE 5

Nul ne pourra diriger, ni former un établissement d'aliénés sans l'autorisation du gouvernement.
Occupé de trop grands intérêts, beaucoup trop éloigné, le gouvernement sera obligé de s'en remettre à des subalternes salariés, ou aux autorités locales ; tel homme qui n'a que des vues honorables et utiles sera obligé de venir à Paris et sera supplanté par un intrigant ; le gouvernement s'informera-t-il auprès des autorités locales ? Celles-ci seront en réalité les arbitres de l'autorisation ; pourquoi ne pas leur laisser le droit de prononcer directement ? Ne sont-elles pas à portée de juger de l'utilité et de l'opportunité de l'établissement projeté ? Ne peuvent-elles pas mieux apprécier l'instruction et la moralité du demandeur ? La loi d'ailleurs ne les rend-elle pas responsables et surveillants de tout ce qui intéresse la salubrité et la sûreté de leurs administrés ? Les prétentions de celui qui aura obtenu l'autorisation du gouvernement, en imposera aux autorités locales. La surveillance immédiate qu'elles ont le devoir d'exercer sur ces maisons, sera déconcertée et affaiblie. Le chef se croira puissant de l'appui de l'autorité supérieure, et en appellera à toute occasion à cette même autorité, qui lui aura accordé une première faveur.
Le gouvernement insiste et se réserve le droit d'autoriser les établissements privés, pour prévenir les fâcheux effets des passions locales, tandis qu'il ne craint point d'introduire ces petites passions dans l'intérieur de ces mêmes établissements, en y appelant des visites sans cesse renouvelées.

§ II. Les établissements privés consacrés au traitement d'autres malades ne pourront recevoir les personnes atteintes d'aliénation mentale à moins qu'elles ne soient placées dans un local entièrement séparé.
Le premier projet de la commission de la Chambre des Députés interdisait aux établissements privés, consacrés au traitement d'autres maladies, la faculté de recevoir des personnes atteintes d'aliénation mentale. Chacun applaudissait à cette sage disposition, qui avait été longuement discutée dans le sein de la commission. Mais dans le second rapport, l'amendement de la Chambre des Pairs, qui autorise la commensalité des aliénés avec d'autres malades, est conservée sous le prétexte que cette exclusion peut gêner la liberté des familles. Est-ce bien le vrai motif de l'adoption de cet amendement ? N'a-t-on pas craint plutôt de blesser des intérêts acquis ?

Un établissement d'aliénés qui fait partie d'un autre établissement est une combinaison mauvaise et dangereuse. Il y a bien des années que les graves inconvénients qui en résultent ont été signalés. Ce qu'on pourrait permettre aux hospices et à un petit nombre de grands établissements ne peut être accordé aux maisons de santé ordinaires, même en prescrivant des bâtiments séparés pour les isoler ; nos hospices ont de vastes locaux qui permettent de séparer les habitations des aliénés, de les distribuer pour leur usage et de les pourvoir de tous les moyens de traitement ; mais un établissement où on élève des jeunes personnes et où l'on admet des aliénés est un mal présent dont les conséquences morales sont graves.
Un établissement élevé par des particuliers et destiné à recevoir des malades de toutes sortes, des femmes en couches, des enfants, comme cela a lieu dans les maisons de santé ordinaires, offrira une réunion scandaleuse et funeste, si elle admet des aliénés, même en plaçant ceux-ci dans un local séparé ; un particulier pourra-t-il réunir dans ce local les conditions pour conserver et surtout pour traiter ces malades ? Il ne faut pas perdre de vue qu'aujourd'hui les aliénés ne peuvent plus être ni logés, ni soignés, ni traités, comme il y a cinquante ans. Il faut bien savoir que la distribution d'une maison destinée au traitement de la folie est l'agent de guérison le plus énergique et le plus efficace ; qu'il faut de grands espaces et des bâtiments séparés les uns des autres.
On espère que les familles pourront mieux conserver le secret de leur malheur : l'on se trompe étrangement. Les aliénés admis dans un même établissement qu'habitent des gens sains d'esprit, sont pour ceux-ci des points de mire, des sujets de conversation dont on ne craint pas de parler à tout venant, parce qu'on n'a point intérêt commun à se taire sur cet état.

ARTICLE 8

§ I. La demande d'admission sera écrite et signée par celui qui fera effectuer le placement.
La demande doit être écrite, mais dans un grand nombre de cas le demandeur ne saura que signer. Le malade alors sera-t-il rejeté ? Les pauvres seront dans un grand embarras.
Le demandeur doit énoncer son degré de parenté avec l'aliéné. Pourquoi cette révélation, qui n'ajoute rien à la nécessité de l'isolement ? Elle répugnera à beaucoup de monde. Peu de gens veulent avouer qu'ils ont des parents aliénés. Qui voudra se délivrer à lui-même une pareille attestation ? Il résultera de cette exigence que tel parent qui, par la confiance qu'il inspire au malade, l'eût conduit sans contrainte, sans contrariété, s'y refusera, reculant devant la déclaration de parenté.

§ II. Le certificat du médecin doit constater la nécessité de faire traiter la personne désignée dans un établissement d'aliénés et de l'y retenir. Il y a évidemment ici un vice de rédaction. La personne dont on demande l'admission peut n'avoir pas besoin de traitement ; cependant il peut être nécessaire de la placer ; le certificat médical doit donc constater la nécessité du traitement pour les uns, et seulement la nécessité du renfermement pour les autres.
Ce même paragraphe dit que le certificat ne pourra être admis s'il est signé par un médecin attaché à l'établissement. Cette restriction peut être justifiable pour les établissements privés, mais rien ne la motive pour les établissements publics ; elle jettera les familles dans de grands embarras et dans des dépenses. Un malade est aliéné : on appelle le médecin attaché aux établissement destinés au traitement de cette maladie ; ce médecin juge que l'isolement est nécessaire et urgent ; il est parent ou allié du chef de l'établissement.
La famille devra appeler un second médecin pour faire le certificat d'admission : je suis médecin en chef de Charenton, et un certificat qui constatera la nécessité et l'urgence d'admettre un aliéné dans cette maison sera suspect et sans valeur. Il en sera de même des médecins des autres établissements publics. On conduit à St-Venant, à Armentières, un aliéné pour consulter les médecins de ces établissements. Ces médecins jugent qu'il y a urgence de faire entrer les malades dans les maisons confiées à leurs soins. Le malade ne pourra être admis ; mais il n'y a pas d'autre médecin dans le pays ; que fera sa famille ?

Si le médecin signataire du certificat est parent ou allié au second degré inclusivement des chefs ou des propriétaires des établissements, le malade sera refusé. Cette précaution est tout au moins injurieuse. Le chef d'un établissement malhonnête homme, qui voudrait abuser de sa position, aurait le soin de faire faire le certificat par tout autre que par un parent. Cette disposition est dans le bill anglais. Plusieurs motifs qui n'existent point en France ont dû la faire adopter en Angleterre, où les fous sont généralement admis dans des maisons privées.

Le dernier paragraphe de cet article VIII porte qu'en cas d'urgence, les chefs d'établissements publics pourront admettre sans certificat médical. Tel aliéné, très calme, presque raisonnable, court les plus grands dangers et peut compromettre l'existence de ceux qui l'entourent, et même l'ordre public, s'il n'est promptement isolé. Mais cette disposition fâcheuse ne peut être appréciée par tout le monde. Voilà un exemple qui prouve qu'il faut bien consentir à un peu d'arbitraire dans la conduite à tenir à l'égard de quelques aliénés. Si cette vérité est applicable dans les établissements publics, pourquoi ne le serait-elle pas dans les établissements privés, en exigeant d'eux les mêmes déclarations qu'on exige des premiers ?

Le paragraphe IV ne désigne pas suffisamment le lieu d'où sont les préfets, les sous-préfets, les maires auxquels devront être envoyés les bulletins d'admission. Ce lieu est sans doute celui où l'établissement existe ; mais cela n'est pas clairement énoncé. Dans les vingt-quatre heures après l'admission, le médecin doit rédiger un certificat qui sera envoyé à l'autorité avec le bulletin d'entrée. Rarement ce certificat pourra-t-il exprimer l'état mental de l'aliéné : l'appréciation de cet état est souvent très difficile ; l'admission le modifie presque toujours, et suspend la manifestation du délire pendant un temps plus ou moins long. Si l'on n'accorde trois jours d'examen, le médecin sera exposé à se tromper fréquemment.

Si une personne qui a déjà été aliénée ou qui a une folie intermittente ressent les préludes d'un nouvel accès, ne pourra-t-elle se présenter spontanément dans une maison privée et y être admise sans être obligée de révéler à un tiers le nouveau malheur qui la menace ; peut-être il lui suffira de peu de jours passés dans le calme et le repos, assistés de bons conseils pour conjurer l'accès ; j'ai vu tel malade qui n'avait que le temps d'arriver dans une maison d'où il était déjà sorti plusieurs fois, et l'accès eût éclaté, si des démarches obligées eussent retardé son admission.

ARTICLE 9

Dans les trois jours de la réception du bulletin d'admission d'un aliéné dans un établissement privé, le préfet enverra un ou plusieurs hommes de l'art pour visiter la personne désignée dans le bulletin et pour constater son état mental. Cela se fait dans le département de la Seine depuis 1809.
Cela a suffi pour prévenir les admissions arbitraires ; il était désirable que cette sage mesure fût généralisée par tous les établissements du royaume, et fit disparaître les obstacles administratifs qui variaient dans chaque département et faisaient obstacle au libre et facile placement des aliénés. Ce .même paragraphe se termine par les mots suivants : « Il (le préfet) pourra leur (les hommes de l'art) adjoindre une personne qu'il désignera. »
C'est encore une prescription du bill de 1828 que Monsieur le commissaire de la Chambre des Pairs semble vouloir faire entrer par amendement dans la loi française.
Si les hommes de l'art n'ont pas la confiance du préfet pourquoi les choisir ?
S'ils ont sa confiance pourquoi une adjonction superflue et blessante ?

ARTICLE 10

Le préfet notifiera administrativement les noms, prénoms, profession, etc., de l'aliéné nouvellement admis : 1° au procureur du roi du domicile de l'aliéné ; 2° au procureur du roi de l'arrondissement où est situé l'établissement.
A quelle fin la notification au procureur du roi du domicile ? Que pourra ce procureur du roi souvent très éloigné ? Il ne préviendra pas l'isolement puisqu'il ne sera informé qu'après ; il ne surveillera point l'établissement, puisque c'est la mission des autorités locales. Cette notification dans bien des cas sera la source d'accidents fâcheux et même graves en révélant dans une ville, dans une contrée, une maladie que la famille a intérêt à cacher ; cet intérêt n'est pas toujours un préjugé : une jeune personne est prise tout à coup de manie ; dans leur tendre sollicitude son père et sa mère transportent la malade au loin, soit pour soustraire son état à ses concitoyens, soit pour la conduire auprès des médecins qui doivent la guérir ; rendue à la santé, cette jeune personne rentre dans le domicile paternel.
La loi lui apprend que dans le pays qu'elle habite l'on est officiellement instruit qu'elle a été folle ; cette révélation peut empoisonner le reste de sa vie, l'expose à une convalescence orageuse, et peut-être aux récidives.
Mais cette communication au procureur du roi du domicile sera, dit-on, ensevelie dans le secret : qui le croira ? La crainte que le secret ne soit révélé produira des effets semblables.

ARTICLE 11

§ II. Le médecin sera tenu de consigner sur le registre des admissions, une fois au moins tous les mois, les changements survenus dans l'état mental de chaque malade. Quel peut être le but de cette prescription ? Si cette inscription est laconique, elle est inutile ; si elle est détaillée, c'est un long travail imposé au médecin. Cette inscription, ou mieux cette annotation faite aujourd'hui, se trouvera fausse le lendemain. Elle oblige le médecin déjà chargé de tant d'écritures, à un travail mensuel indépendamment de celui qu'il fait tous les jours en recueillant des notes sur chaque malade, pour y recourir dans l'occasion. C'est un devoir de conscience utile au succès de sa pratique. L'inscription mensuelle ne profitera à personne, ni au malade, ni au médecin, ni à l'autorité. Ces notes seront faites par des subalternes.

ARTICLE 13

Toute personne placée dans un établissement d'aliénés, cessera d'y être retenue dès que les médecins de l'établissement estimeront qu'elle est guérie ; dès que sa sortie sera requise par sa famille, le curateur, par l'époux ou l'épouse, par un des ascendants ou descendants, un des frères ou sœurs, et à défaut de parents, par toute autre personne à ce autorisé par le conseil de famille.

En Allemagne, avant de rendre un aliéné à la liberté et au libre exercice de ses droits civils, le convalescent obtient le séjour provisoire dans sa famille afin d'essayer ses forces intellectuelles et affectives. Cette sage précaution prévient les récidives, des accidents graves et des malheurs irréparables. Souvent un aliéné paraît guéri, mais il ne serait pas prudent de le laisser seul livré à lui-même. La loi devrait exiger qu'à sa sortie il fût remis entre les mains et sous la surveillance temporaire de ses parents. Au reste, cette précaution est applicable d'après le présent article aux aliénés réclamés, pourquoi ne le serait-elle pas à ceux qui doivent sortir dès que le médecin a constaté la guérison ?

ARTICLE 16

« Le préfet pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées volontairement dans des établissements d'aliénés. »

Et si l'aliéné se trouve dans les conditions prévues dans le 2e paragraphe de l'article XIV, l'ordre du préfet serait-il immédiatement exécutoire ?
Cette faculté donnée au préfet aura de déplorables inconvénients. Je pourrais rapporter des faits constatant des meurtres et des suicides commis par des aliénés tranquilles en apparence, dont l'administration avait ordonné la sortie. Le préfet peut être trompé par le rapport des individus qui réclament la liberté d'un aliéné pour abuser de sa situation mentale. Il est des individus qui s'offriront pour faire cesser l'isolement et qui rançonneront celui dont ils auront surpris la confiance. Au moment où j'écris, les tribunaux ont à prononcer sur la validité du testament d'un aliéné, qui depuis plusieurs années était dans la maison de Charenton ; un parent a obtenu sa sortie et s'est fait déclarer légataire universel de l'aliéné, qui s'est brûlé la cervelle le lendemain de la rédaction du testament.

Les sorties ordonnées par le préfet devraient être toujours précédées de l'avis motivé du médecin, sauf au préfet, sur sa responsabilité de passer outre ; l'expérience des malheurs arrivés après des sorties prématurées ou ordonnées par l'autorité mal informée devrait laisser au médecin et au directeur de l'établissement un temps moral pour éclairer le préfet sur le véritable état du malade et sur l'opportunité ou les dangers de sa sortie. Les médecins sont instruits d'une multitude de particularités, et souvent de beaucoup de secrets qui devraient influer toujours sur les déterminations de l'autorité relatives à la mise en liberté de ces malades.

ARTICLE 18

Pourquoi ne pas laisser dans tous les cas au maire du domicile le pouvoir d'ordonner l'isolement, à la charge par lui d'en référer aussitôt au préfet. L'intervention du préfet sera souvent dans les campagnes d'une grande difficulté pour les familles pauvres et une occasion de dépenses. Un père de famille obligé de travailler tous les jours, sera forcé de traverser son département pour aller réclamer du préfet l'ordre de faire entrer son fils aliéné, dans un établissement.
Outre la perte du temps avant d'effectuer l'isolement, et du produit journalier de son travail, ne perdra-t-il pas le produit du travail de ses autres enfants occupés à soigner le malade ? Voilà une perte immense que préviendrait l'ordre du maire du domicile, qui d'ailleurs serait plus que le préfet en mesure de juger de la nécessité de l'isolement et de l'état d'indigence de l'aliéné et de sa famille.

ARTICLE 21

Les procureurs du roi seront informés de tous les ordres donnés en vertu des articles XV, XVI, XVII et XVIII. Ce premier paragraphe offre une omission qui paraît le rendre incomplet. Il ne désigne pas le lieu qui est soumis à la juridiction des procureurs du roi auxquels doivent être faites les notifications.

§ 2. Ces ordres seront notifiés au maire du domicile des personnes soumises au placement, qui en donnera immédiatement avis aux familles, mais les familles n'habitent pas toujours la même commune que l'aliéné ; souvent elles sont dispersées. J'ai signalé les dangers de ces notifications, p. 31, art. IX.

§ 3. Il en sera rendu compte au ministre de l'intérieur. A quelle fin ce compte sera-t-il rendu ? Ces communications transmises de divers départements causeront des frais, s'égareront dans des cartons sans avoir de but utile. Espère-t-on en retirer des documents ? Que l'on ne s'y fie point, ils n'offriront de positif que le nom, l'âge, le sexe des aliénés admis et la date de leur sortie. Tous autres éléments de statistique, ne sauraient offrir quelque confiance. Ils ne sauraient être profitables qu'entre les mains des médecins qui les auront recueillis à l'aide du temps et de l'observation.

§ 4. Toutes requêtes, toutes réclamations adressées au président du tribunal civil et au procureur du roi ne pourront être supprimées ou retenues par les chefs d'établissements, sous les peines portées au titre III ci-après.
Ce paragraphe ne désigne pas suffisamment quel est le tribunal auquel appartiennent les présidents et les procureurs du roi ; c'est sans doute le tribunal auquel ressort la commune où est situé l'établissement. Le même paragraphe suscitera bien des embarras et bien des anxiétés au président du tribunal et au procureur du roi, si toutes les requêtes et toutes les réclamations des aliénés d'un établissement un peu nombreux leur sont adressées. Le législateur ignore qu'il est des aliénés qui du matin au soir rédigent des enquêtes, des réclamations et des protestations ; les unes sont illisibles ; les autres sont inintelligibles ; enfin quelques-unes sont rédigées de manière à en imposer ; elles tourmenteront les magistrats qui, ne connaissant pas l'état mental des malades, pourront croire à un isolement injuste.

Les chefs qui voudront se débarrasser des tracasseries incessantes, provoquées par ces écrits, refuseront aux malades les moyens d'écrire. Si les malades se plaignent de ce refus aux visiteurs institués par la loi, à qui s'en prendront ceux-ci ? Accuseront-ils les chefs ? Ordonneront-ils de laisser écrire les réclamants ? Mais les chefs auront mille motifs pour se justifier ; mieux que tout autre ils peuvent apprécier ce qu'il convient d'accorder ou de refuser aux malades. En effet il est nuisible à tel ou tel aliéné de le laisser fatiguer son cerveau à écrire et surtout à écrire dans le sens des idées qui le dominent. Qui sera le juge ? Ce ne peut être le visiteur ; il ne connaît point assez l'état mental des malades ; il n'est pas responsable. Il n'est pas de chef qui ne puisse rendre inexécutable cet article sans compromettre sa responsabilité.

ARTICLE 34

« Les significations à faire à une personne placée dans un établissement d'aliénés devront, à peine de nullité, être faites : 1e à son domicile. » Pourquoi cette signification au domicile de l'aliéné ? Ce domicile sera quelquefois abandonné des siens ; on y trouvera personne pour recevoir cette signification, ou elle sera reçue par des subalternes, par des portiers qui ne manqueront pas de la communiquer à tous les voisins : ne suffit-il pas de l'adresser au directeur de l'établissement, à l'administrateur provisoire et au procureur du roi. La loi publiée à Genève sur les aliénés se contente de ces deux dernières significations.

Les occasions d'enfreindre les nombreuses obligations de la présente loi se présenteront si souvent, et les infractions seront si fréquentes que son application ne tardera pas à tomber en désuétude. Les peines imposées sont si graves qu'elles découragent tout homme honorable. On craindra de se mettre à la tête des établissements privés d'aliénés. Ces établissements, qui ont rendu plus d'une sorte de service à ces malades, tomberont entre les mains des spéculateurs et seront confiés à des agents responsables, chacun sait quelle est l'humanité et la délicatesse des spéculateurs.

Si j'avais à exprimer ma pensée, je dirais : tout ce qui est relatif à l'ordre public, à l'intérêt matériel des aliénés, est prévu dans le projet de loi ; mais on n'a pas tenu assez compte des droits de la famille dont on ne ménage pas la susceptibilité en multipliant les moyens de divulgation d'une maladie que chacun veut tenir cachée pour soi et pour les siens. Si c'est un préjugé il mériterait plus de ménagements dans l'intérêt des malades eux-mêmes. Les lois se brisent quelquefois contre les préjugés.

CONCLUSION

Après avoir pourvu à ce que les établissements fussent assez nombreux pour recevoir les aliénés dont l'admission est réclamée ; après avoir défendu de placer les aliénés dans les prisons ; après avoir assigné des fonds pour subvenir aux dépenses qu'entraîné l'aliéné indigent ; après avoir pourvu à l'administration des biens de l'aliéné sans recourir aux longueurs et à la publicité de l'interdiction ; la loi eût satisfait aux espérances et aux vœux des hommes qui se sont le plus occupés du sort de ces malheureux malades ; en généralisant pour tous les établissements les mesures d'admission et de surveillance ordonnées et mises en pratique dans le département de la Seine dans le but de prévenir tout abus relatif à la violation de la liberté individuelle sous prétexte de folie.
Cette loi, puisée dans les mœurs et les habitudes de la population de la capitale, aurait pour elle la sanction de quarante ans d'application.


[1] Mémoire au ministre de l'intérieur sur le sort des aliénés, 1818.
[2] Mémoire sur l'isolement des aliénés 1832. Voyez ce Mémoire dans mon ouvrage, Des Maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, Paris 1838, T. 2e.

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Adéodat Faivre, Examen critique du projet de loi sur la séquestration des aliénés (Lyon, 1838)

PROJET DE LOI

TITRE PREMIER

ARTICLE PREMIER

Chaque département sera tenu d'avoir un établissement destiné à recevoir les aliénés, ou de traiter avec un établissement public ou privé qui s'engagera à les recevoir.
Les établissements publics consacrés aux aliénés, sont placés sous la surveillance du Gouvernement.
Les établissements privés, consacrés aux aliénés, sont placés sous la surveillance de la haute police et des autorités administratives.

ARTICLE 2

Le préfet et les personnes qu'il aura spécialement désignées à cet effet, le président du tribunal, le procureur du roi et le maire de la commune, sont chargés d'inspecter les établissements d'aliénés ; ils seront admis toutes les fois qu'ils se présenteront.

ARTICLE 3

Nul ne pourra diriger ni former aucun établissement privé consacré aux aliénés, sans l'autorisation du Gouvernement.
Les établissements actuellement existants seront maintenus à la charge par ceux qui les dirigent de remplir les formalités, et de se soumettre aux obligations prévues par la présente loi.
Aucun établissement privé, consacré au traitement d'autres maladies, ne pourra recevoir les personnes atteintes d'aliénation mentale.

ARTICLE 4

Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations énoncées en l'article précédent, les cas où elles pourront être retirées, et les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés.


TITRE SECOND

§ 1 - Des Placements volontaires

ARTICLE 5

Les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements désignés dans les articles 1 et 2, lorsqu'ils recevront une personne atteinte d'aliénation mentale, se feront remettre, 1° une demande d'admission écrite et signée par la personne qui fera effectuer le placement, et si cette personne ne sait pas écrire, reçue par le maire ou le commissaire de police chargé d'en donner acte.
2° Un certificat de médecin constatant l'état mental de la personne à placer, et indiquant les particularités de la maladie et les causes, si elles sont connues. Ce certificat devra être délivré quinze jours au plus avant sa remise.
3° L'acte de naissance, le passeport, ou tout autre pièce propre à constater l'individualité de la personne.
4° S'il existe un jugement d'interdiction, un extrait de ce jugement.
Les établissements publics peuvent se dispenser d'exiger, avant l'admission, la production du certificat du médecin.
Il sera fait mention de toutes les pièces dans un bulletin d'entrée qui sera envoyé dans ces vingt-quatre heures, avec un certificat du médecin de l'établissement, au préfet de police, à Paris, au préfet ou sous-préfet, dans les départements, et aux maires dans les communes autres que les chefs-lieux d'arrondissement ou de département. Le sous-préfet et le maire en feront immédiatement l'envoi au préfet.

ARTICLE 6

Dans les trois jours de la réception du bulletin, le préfet chargera un ou plusieurs hommes de l'art de visiter la personne désignée dans le bulletin, à l'effet de constater son état mental et d'en faire rapport sur-le-champ.

ARTICLE 7

Dans le même délai, le préfet notifiera administrativement les nom, profession et domicile de la personne placée, et les causes de la maladie et du placement, 1° au procureur du roi de l'arrondissement de la situation de l'établissement ; 2° au procureur du roi de l'arrondissement du domicile de la personne.

ARTICLE 8

Toute personne placée dans un établissement d'aliénés, cessera d'y être retenue aussitôt que les médecins de l'établissement estimeront que la guérison est obtenue, ou que la famille demandera qu'elle lui soit rendue.

ARTICLE 9

Dans les vingt-quatre heures de la sortie, les chefs, directeurs ou les préposés responsables de l'établissement, en donneront avis aux autorités désignées dans le deuxième paragraphe de l'article 5.

ARTICLE 10

Le préfet pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées dans les établissements d'aliénés.


§ 2 - Des Placements ordonnés par l'autorité

ARTICLE 11

Le préfet de police, à Paris, et, dans les départements, les préfets pourront ordonner d'office le placement dans un établissement public d'aliénés de toutes personnes interdites ou non interdites, dont l'état d'aliénation compromettrait la sûreté publique.

ARTICLE 12

En cas de danger éminent attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police, à Paris, et les maires dans les départements, peuvent ordonner, à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, les mesures provisoires nécessaires, à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures, au préfet qui statuera sans délai.

ARTICLE 13

Aucun ordre de placement ne pourra avoir d'effet pour plus de six mois ; dans la quinzaine qui précédera l'expiration de ce délai, une nouvelle visite sera ordonnée, conformément à l'article 6, et le préfet décidera si l'ordre doit être renouvelé. En cas d'expiration du délai, sans que l'ordre ait été renouvelé, la personne placée cessera d'être retenue.

ARTICLE 14

Le préfet pourra décerner, à l'égard des personnes placées dans un établissement d'aliénés, conformément à l'article 5, et dont l'état mental pourrait compromettre la sûreté publique, un ordre spécial, à l'effet d'empêcher qu'elles ne sortent de l'établissement sans son autorisation, si ce n'est pour être placées dans un autre établissement : les chefs, directeurs ou préposés responsables, seront tenus de se conformer à cet ordre.

ARTICLE 15

Les procureurs du roi, seront informés de tous les ordres qui seront donnés en vertu des articles précédents, dans la forme et le délai énoncés en l'article 7.
Il en sera également donné avis au ministre de l'intérieur. Cet ordre sera notifié au domicile des personnes qui seront comprises, et au maire de ce domicile.

ARTICLE 16

Aussitôt que les médecins penseront que la sortie peut être ordonnée, il en sera référé au préfet qui statuera sans délai.

ARTICLE 17

Les établissements publics d'aliénés, sont tenus de recevoir les personnes qui leur sont adressées, en vertu d'un ordre de placement donné par le préfet.
Les hospices civils seront tenus de recevoir provisoirement les personnes qui leur seront adressées, en vertu des articles 11 et 12 de la présente loi, jusqu'à ce qu'elles soient dirigées sur l'établissement spécial destiné à les recevoir, aux termes de l'article 1er, ou pendant le trajet qu'elles font pour s'y rendre.
Les aliénés ne pourront être déposés en aucun autre lieu, dans la commune où il existe des hospices.

ARTICLE 18

La dépense du transport, de l'entretien, du séjour et du traitement des personnes placées dans les hospices ou établissements publics d'aliénés, sera réglée d'après un tarif arrêté par le préfet. Cette dépense sera à la charge des personnes placées ; à défaut à la charge de ceux auxquels il peut être demandé des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil.
S'il y a contestation sur l'obligation de fournir des aliments ou sur leur quotité, il sera statué par le tribunal, à la diligence de l'administration désignée en exécution des articles 21 et 22.
Le recouvrement des sommes dues sera poursuivi et opéré à la diligence de l'administration de l'enregistrement.

ARTICLE 19

Au défaut ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées en l'article précédent, il sera pourvu à cette dépense sur les centimes variables du département, sans préjudice du concours de la commune du domicile de l'aliéné, d'après les bases préposées par le conseil général, sur l'avis du préfet et approuvé par le Gouvernement.
Les hospices seront tenus à une indemnité proportionnée au nombre des aliénés dont le traitement ou l'entretien étaient à leur charge, et qui seront placés dans un établissement public d'aliénés.
En cas de contestation, il sera statué par le conseil de préfecture.

ARTICLE 20

Toute personne placée ou retenue dans un établissement d'aliénés, et tout parent de cette personne pourront, à quelque époque que ce soit, se pourvoir devant le tribunal qui, après les vérifications nécessaires, ordonnera, s'il y a lieu, sa sortie immédiate.
Les personnes qui auront demandé le placement, et le procureur du roi, peuvent se pourvoir aux mêmes fins. La décision sera rendue, sur simple requête, à la chambre du conseil, elle ne sera pas motivée.

ARTICLE 21

Les chefs, directeurs ou préposés responsables, ne pourront, sous les peines portées en l'article 120 du Code pénal, retenir une personne placée dans un établissement d'aliénés, dès que sa sortie aura été ordonnée par le préfet, aux termes de l'article 12, ou par le tribunal, aux termes des articles précédents, ou bien que cette personne se trouvera dans le cas énoncé par l'article 10, ou par le dernier paragraphe de l'article 13.

ARTICLE 21 BIS

Les commissions administratives des hospices et établissements d'aliénés, exerçant à l'égard des personnes non interdites qui y seront placées, les fonctions de tutelle établies à l'égard des enfants admis dans les hospices par l'article 1er de la loi du 15 pluviôse an 13. Cette tutelle sera gratuite et garantie conformément à l'article 5 de la même loi.
Néanmoins, les familles pourront toujours recourir, à l'égard de ces personnes, aux dispositions des articles suivants :

ARTICLE 22

Sur la demande des parents de l'époux, de l'épouse, ou sur la provocation d'office du procureur du roi, le président du tribunal civil pourra nommer un administrateur provisoire aux biens de toute personne non interdite, placée dans un établissement privé, ou dans un établissement public non dirigé par une commission administrative, ou de surveillance.

ARTICLE 23

Les significations à faire à une personne placée dans un établissement d'aliénés, devront, à peine de nullité, être faites au domicile de l'administrateur provisoire, ou, à défaut, à la personne du chef, directeur, ou préposé responsable de l'établissement, qui visera l'original.

ARTICLE 24

Le président, à la requête de la partie la plus diligente commettra un notaire pour représenter les personnes énoncées en l'article précédent, dans les inventaires, comptes, partages, liquidations dans lesquels elles seraient intéressées.

ARTICLE 25

Les pouvoirs conférés en exécution des articles précédents, cesseront de plein droit, dès que la personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue.

ARTICLE 26

Si la personne décède dans l'établissement, sans que son interdiction ait été prononcée ni provoquée, les actes qu'elle aura faits pendant qu'elle y était, pourraient être attaqués pour cause de démence.


DISPOSITIONS GÉNÉRALES

ARTICLE 27

Les contraventions aux dispositions des articles 3, 5 et 14 de la présente loi, et au règlement rendu en vertu de l'article 4, seront punies d'un emprisonnement de cinq jours à un an, et d'une amende de 50 F à 3 000 F, ou de l'une ou l'autre de ces peines.
Il pourra être fait application de l'article 463 du Code pénal.


EXAMEN CRITIQUE DU PROJET DE LOI
SUR LA SÉQUESTRATION DES ALIÉNÉS

Un projet de loi sur la séquestration des aliénés a été voté par MM. les Députés, et vient d'être présenté à la Chambre des Pairs.
A la lecture des règlements qu'il renferme, on s'aperçoit aisément que la plupart ont été adoptés sous l'empire d'une erreur irréfléchie relativement aux dangers que court la liberté individuelle dans les établissements consacrés au traitement de l'aliénation mentale.

On peut même affirmer, que dans ce projet, toute autre pensée est accessoire à cette préoccupation principale.

S'agit-il, par exemple, de résoudre les questions importantes qui s'élèvent sur l'interdiction des aliénés, de réformer les articles très imparfaits du Code civil qui ont trait à cette matière ? Le projet de loi se tait... Toutefois, nous devons savoir gré à nos législateurs de ne point avoir empiré le mal déjà existant, en admettant sans restriction les dispositions au moins étranges qui leur avaient été proposées par l'ancien ministère.
S'agit-il encore de régulariser l'espèce de surveillance que certains établissements pourraient mériter ? Il n'est pas un des articles du projet de loi qui ait manifestement pour objet le bien-être matériel et moral des malades. Si, à l'avenir, les autorités administratives et judiciaires auront acquis un droit légal d'inspection sur tous les établissements publics ou privés, ce ne sera point pour s'enquérir de la manière dont les aliénés y sont tenus, ni pour savoir jusqu'à quel point on y observe scrupuleusement les lois de l'hygiène et d'une bienveillante hospitalité, ou bien, si l'on daigne s'en occuper, ce ne sera que secondairement, c'est-à-dire qu'après s'être assuré que tous les malades renfermés dans l'établissement sont bien réellement malades et dignes d'y figurer.

Ainsi donc, à part un petit nombre d'élus, tous les Députés ont écouté la discussion du premier objet ministériel, avec la conviction bien arrêtée d'avance que le premier de leurs devoirs était de mettre un terme, par une bonne loi, aux abus déjà existants, et d'en prévenir beaucoup d'autres pour l'avenir.

Aussi se sont-ils empressés d'entasser articles sur articles pour rendre impossibles des crimes dont il est fort remarquable que personne ne s'est jamais plaint depuis cinquante ans.

Dans la première partie de cet opuscule, je m'attacherai à démontrer que la plupart des articles du projet de loi gêneront le placement, et par conséquent la guérison des malades, blesseront les familles dans leur secret et dans leur honneur, rempliront mal le but que les législateurs se proposent, et deviendront une source de désordre et d'insubordination dans les maisons de fous. Je ferai voir que deux de ces articles donnent à MM. les préfets des attributions manifestement exagérées et jusqu'à certain point dangereuses pour la liberté individuelle ; enfin, je m'expliquerai, en peu de mots, sur tout ce que la loi contient d'injuste, à l'égard des chefs d'établissement.

Dans la seconde partie, j'invoquerai le raisonnement et l'expérience à l'appui de cette vérité, que les séquestrations injustes prétextées par la folie, sont non seulement difficiles, mais encore impossibles. J'indiquerai les précautions de police au moyen desquelles on pourrait aisément rassurer, à cet égard, les esprits les plus timorés. Enfin, je terminerai en faisant sentir à mes lecteurs que les abus sont inséparables de toutes les institutions humaines, et qu'il serait aussi absurde que dangereux de chercher à prévenir ceux qui sont rares, chimériques, par d'autres d'autant plus criants qu'ils seraient de tous les jours et applicables à une multitude de personnes.

PREMIÈRE PARTIE

Le savant Esquirol, dans un mémoire lumineux qu'il publia en 1832, sur l'isolement et l'interdiction des aliénés, disait, avec raison, que la mesure salutaire par laquelle on les soustrait subitement à leurs habitudes, à leurs entourages, devait être libre et dégagée de toute entrave, puisque le sort des malades, leur avenir dépendent fort souvent de la promptitude et de l'opportunité de leur séquestration ; il voulait (ce sont ses expressions), qu'il n'y eût pas plus de difficulté à faire transporter un aliéné dans un hospice ou dans un établissement privé, qu'à faire entrer un blessé ou un fiévreux dans un hôpital. Enfin, il faisait des vœux pour que leur honneur fut ménagé, et pour qu'une catastrophe, souvent passagère, ne devînt pas la fable de toute une ville par de vaines formalités.

Or, il ne me sera pas difficile de démontrer que le projet de loi dont il est question, présente précisément les deux inconvénients prévus par M. Esquirol.

Ainsi, par exemple, l'article 5 de la loi s'exprime ainsi :
« Les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements désignés dans les articles 1er et 2e, lorsqu'ils recevront une personne atteinte d'aliénation mentale, se feront remettre 1° une demande d'admission écrite et signée par la personne qui fera effectuer le placement ; si cette personne ne sait pas écrire, reçue par le maire ou le commissaire de police chargé d'en donner acte ; 2° un certificat du médecin constatant l'état mental de la personne à placer, et indiquant les particularités de la maladie et ses causes, si elles sont connues. Ce certificat devra être délivré quinze jours, au plus, avant sa remise ; 3° l'acte de naissance, le passeport ou toute autre pièce propre à constater l'individualité de la personne ; 4° S'il existe un jugement d'interdiction ; un extrait de jugement.
Les établissements publics pourront se dispenser d'exiger, avant l'admission, la production du certificat du médecin.
Il sera fait mention de toutes les pièces, dans un bulletin d'entrée qui sera envoyé, dans les vingt-quatre heures, avec un certificat du médecin de l'établissement, au préfet de police à Paris, au préfet ou sous-préfet dans les départements, et aux maires dans les communes, autres que les chefs-lieux d'arrondissement ou de département. Le sous-préfet et le maire en feront immédiatement l'envoi au préfet. »

Rien, en apparence, de plus facile à remplir que ces formalités ; et cependant, dans la pratique, il se présentera une foule de cas où leur exécution sera tout-à-fait impossible.

Ainsi, dans les maisons de fous, on les amène souvent de très loin ; le voyage a été provoqué par une nécessité subite, imprévue ; on est parti à la hâte ; les personnes qui accompagnent l'aliéné ont eu à peine le temps de prendre des passeports pour elles-mêmes. Elles n'ont point songé qu'il en fût besoin pour le malade ; celui-ci, d'ailleurs, n'était point en état d'être présenté à la mairie ; on a oublié son acte de naissance ; on ne s'est point imaginé qu'un certificat de médecin fût nécessaire pour constater une maladie, qui, le plus souvent, n'est que trop visible aux yeux de tous ; en un mot, toutes les pièces voulues par l'article 5 du projet de loi ne sont point présentes, et cependant le malade arrive à la porte de l'établissement.

Si l'on s'en tient strictement à la lettre de la loi, je demande ce que devra faire le directeur en pareille occasion ? S'il reçoit tout simplement l'aliéné comme cela se pratique tous les jours à présent, selon toutes les règles du bon sens, et de l'humanité, il deviendra passible des peines très graves, portées par l'article 27 du projet de loi ; si pour ne compromettre ni sa bourse, ni sa liberté, il refuse sa porte au malade, que fera-t-on de celui-ci ? Le conduira-t-on dans une auberge ou dans une prison ? Et si ce malade est furieux, difficile à contenir, disposé au suicide, l'exposera-t-on à toute sorte de péril ? Donnera-t-on ses extravagances ou ses emportements, en spectacle à la multitude ? Le privera-t-on enfin de l'isolement et du traitement qui lui sont immédiatement nécessaires, jusqu'à ce que l'on se soit procuré toutes les pièces nécessaires à son admission ? Et encore, faut-il se rappeler que dans une auberge, le malade serait tenu, selon les règlements de la police, d'exhiber un passeport ; s'il n'en a pas, que deviendra-t-il donc ?

On voit clairement, que l'article 5 du projet de loi, ne sera point toujours exécutable, car cette loi ne sera certainement pas connue du public. Personne en France n'y a pris garde, si ce n'est quelques personnes intéressées à la connaître, les chefs d'établissements, par exemple, qui en ont compris sur-le-champ toute la portée, et qui se verront, si elle passe sans amendement à la Chambre des Pairs, dans l'alternative de désobéir, ou de refuser impitoyablement l'entrée dans leur maison à des infortunés qui ont le besoin le plus pressant de leur protection, et de leurs soins.

Il n'est pas rare de voir amener dans les hospices des aliénés vagabonds dont on ne connaît ni le nom, ni le domicile ; ils sont ramassés ça et là, ou sur les grands chemins, par la gendarmerie, ou dans les rues des grandes villes, par la police. Que fera-t-on de ces gens-là, en attendant que l'on se soit procuré leur acte de naissance, ou leur passeport ? Je sais bien qu'en vertu de l'article 11, le préfet de police à Paris, et dans les départements, les préfets, ou même les maires, pourront, d'office ordonner le placement de ces individus dans un établissement d'aliénés, s'ils compromettent la sûreté publique. Mais les abandonnera-t-on, s'il n'y a que leur sûreté personnelle de compromise ? Les laissera-t-on se jeter à la rivière, se pendre, se mutiler comme cela ne se voit que trop souvent, le tout par respect pour la liberté individuelle ? Et, dans tous les cas possibles, sera-t-il interdit aux personnes compatissantes de les retirer chez elles, de les conduire dans un hospice, de les soustraire promptement, soit à leur propre fureur, soit aux insultes de la populace ? Vaudra-t-il mieux les délaisser en attendant l'autorisation d'un maire ou d'un préfet ?
On voit, d'après cet exposé, combien les exigences de l'article 5 du projet de loi, sont gênantes, pour ne pas dire absurdes ; ne serait-il pas beaucoup plus simple que la loi autorisât les chefs d'établissements à recevoir, purement et simplement, les malades qui leur sont présentés, quittes à remplir plus tard certaines formalités rassurantes pour la société comme pour les individus. Pourquoi ne confierait-on pas à des citoyens connus le droit de s'emparer d'un aliéné, de le conduire directement dans un hospice, sous leur propre responsabilité ?
Quand un maçon tombe d'un toit, on ne conteste pas aux passants le droit de le ramasser, de le porter à l'hôpital ; pourquoi les fous seraient-ils privés du même privilège et ne participeraient-ils pas au bienfait de la commisération publique ?

A la lecture de pareilles dispositions, on s'imaginerait que MM. les députés ne se sont nullement doutés de la nécessité d'administrer à certains aliénés, qui ne le sont que depuis quelques jours, les secours les plus prompts, les plus efficaces, et cependant il n'en est point ainsi ; tous ont été suffisamment avertis et plusieurs ont paru fort bien comprendre cette vérité. Ainsi, par exemple, M. Vivien, rapporteur de la commission, après avoir cherché à rassurer ceux de ses collègues qui ne trouvaient pas encore assez de garanties pour la liberté individuelle dans les articles de la loi, s'est exprimé ainsi :

« On avait voulu, par une légitime préoccupation des intérêts de la liberté individuelle, ajouter à ces garanties dans certaines circonstances. Et particulièrement dans l'établissement de Charenton, le règlement portait qu'aucun individu ne pourrait y être placé sans une réquisition du maire de son domicile. Eh bien ! un mois après que ce règlement était mis à exécution, le ministre de l'intérieur était obligé de donner au chef de la maison l'autorisation de recevoir les malades avant que la réquisition du maire eût été produite. Vous savez, en effet, que quand une personne se trouve frappée de cette effroyable maladie, les premiers soins à prendre c'est de la placer dans les conditions qui peuvent améliorer sa situation. On a déjà dit, et ceux de nos collègues qui exercent la profession médicale, ont déclaré, avec tous les autres médecins, que l'isolement était le premier remède à employer à l'égard d'une personne frappée d'aliénation mentale. Le retard qui serait occasionné par la nécessité de recourir à certaines formalités, nuit à la situation de ces individus, risque de compromettre leur état et de faire dégénérer une aliénation qui n'aurait pas un caractère de gravité déterminé, en une fureur violente et parfois mortelle. C'est par cette considération qu'on a toujours pensé qu'il ne fallait pas, dans un intérêt exagéré pour la liberté individuelle qui n'est pas compromise, établir des formalités qui pourraient nuire à l'intérêt sacré de la santé. »

Et un peu plus loin le même orateur ajoute :

« C'est dans un grand nombre de circonstances, hors de son domicile et loin de sa famille, qu'un individu se trouve frappé d'aliénation. Voulez-vous qu'une personne qui se trouvera temporairement à Paris (c'est un cas qui se présente très fréquemment et dont j'ai eu moi-même l'expérience dans les fonctions que j'ai remplies), voulez-vous que cette personne qui se trouvera dans un hôtel garni, par exemple, ne puisse, avant qu'on ait assemblé le conseil de famille, être renfermée dans un établissement où elle recevrait les secours que sa situation exige ?
Remarquez que votre proposition irait bien plus loin ; car elle empêcherait un individu malade d'être reçu dans un hôpital ou un hospice, par exemple, pour une fièvre chaude dont il serait atteint. On peut aujourd'hui l'y faire entrer librement. Cependant l'admission, dans ce cas, approche de la séquestration ; c'en est une véritable pour l'individu qui est ainsi renfermé.
Et pourtant je le répète, il arrivera tous les jours que des individus, dans la situation que je viens d'indiquer, sont transportés dans un hospice, à la requête de personnes généreuses qui prennent sur elles la responsabilité d'une telle mesure.
A côté des attentats qu'on suppose et dont la prévision est contredite par l'expérience, qu'il me soit permis de dire que la plupart du temps ce sont des amis de l'humanité, des personnes généreuses qui viennent, par ce moyen, au secours des malades. Voulez-vous ôter ainsi à l'humanité les moyens qu'elle a de s'exercer, et empêcher de donner à ceux qui souffrent les secours dont ils ont besoin ? »

Après avoir lu de semblables passages, on s'étonne, à bon droit, de deux choses, la première : c'est qu'il se soit trouvé une classe d'individus assez prévenue pour n'être pas satisfaite des excellentes raisons de M. Vivien, et la seconde, que M. Vivien lui-même, ou plutôt la commission dont il était l'organe, n'ait pas senti combien, dans la loi qu'il défendait, on avait dépassé les limites de la prudence et de la sagesse.
S'il est vrai, comme l'avoue M. Vivien, que la loi n'ait à prévenir que des attentats supposés et dont la prévision est contredite par l'expérience, cette loi est tout-à-fait inutile.
Si elle est inutile, je demande à quoi sert cet appareil de précautions tracassières ?

Passons à l'examen des articles 6, 7, 9, et 13.

Voici comment ils sont conçus :

ARTICLE 6

Dans les trois jours de la réception des bulletins, le préfet chargera un ou plusieurs hommes de l'art de visiter la personne désignée dans le bulletin, à l'effet de constater son état mental, et d'en faire rapport sur-le-champ.

ARTICLE 7

Dans le même délai, le préfet notifiera administrativement les nom, profession et domicile de la personne placée, et les causes de la maladie et du placement.
1° Au procureur du roi de l'arrondissement de la situation de l'établissement ;
2° Au procureur du roi de l'arrondissement du domicile de la personne.

ARTICLE 9

Dans les vingt-quatre heures de la sortie, les chefs, directeurs ou les préposés responsables de l'établissement en donneront avis aux autorités désignées dans le deuxième paragraphe de l'article 5.

ARTICLE 13

Aucun ordre de placement ne pourra avoir d'effet pour plus de six mois. Dans la quinzaine qui précédera l'expiration de ce délai, une nouvelle visite sera ordonnée conformément à l'article 6, et le préfet décidera si l'ordre doit être renouvelé. En cas d'expiration du délai, sans que l'ordre ait été renouvelé, la personne placée cessera d'être retenue. »

Quand on fait des lois, on devrait, avant tout, prendre la peine d'en examiner scrupuleusement les avantages et les inconvénients, et pour cela se supposer momentanément à la place des parties intéressées que l'on va atteindre et peut-être compromettre gravement.
Or, c'est un point que MM. les Députés paraissent avoir tout-à-fait négligé. N'est-il pas étonnant que dans une assemblée dont plusieurs médecins illustres faisaient partie, il ne se soit pas levé un seul homme pour réclamer l'attention et le bon sens de la Chambre, en faveur des familles affligées par l'aliénation mentale ?
Malheureusement l'attention des meilleurs esprits était alors détournée par les embarras d'un long interrègne ministériel...

Quel est, en effet, le premier intérêt des familles ? Celui de garder le secret, de dissimuler au public un malheur qui tire d'autant plus à conséquence, que le plus souvent la folie est héréditaire. Ce n'est pas sans raison ni par l'effet d'un aveugle préjugé que l'on cherche à cacher une telle maladie... Il est certain qu'elle peut compromettre essentiellement les générations présentes et à venir.
Or, je le demande, comment le secret sera-t-il gardé si, au terme de la loi, on est obligé,

1° De le révéler à un maire, à un sous-préfet, à un préfet et à un ou deux procureurs du roi ;

2° De soumettre le malade, dans les trois jours de sa réception, à la visite d'un ou de plusieurs hommes de l'art désignés par le préfet, à l'effet de constater son état mental, et d'en faire rapport sur-le-champ, le tout au mépris bien manifeste du certificat récemment délivré par le médecin ordinaire de l'aliéné ou de sa famille ;

3° De procéder, au bout de six mois, à une nouvelle visite de médecin, laquelle étant omise, la séquestration du sujet ne pourra être discontinuée sans encourir les peines stipulées dans l'article 27.

Ainsi, dans toutes ces dispositions, on trouve également compromis les intérêts des malades, le secret et l'honneur de leurs familles.
Et d'abord les intérêts des malades.

S'il est vrai que le calme et l'isolement soient des conditions essentielles à leur guérison, il faudrait, surtout au début de leur maladie, qu'ils pussent en jouir sans trouble. Cet isolement doit être tel que l'aliéné n'ait de rapport qu'avec le médecin chargé de le guérir, et avec quelques surveillants indispensables à son service et à sa sûreté. Comme il s'agit de le réduire à une retraite aussi absolue que possible, et de lui épargner les émotions morales, même les plus légères, on éloigne scrupuleusement de sa présence, non seulement les indiscrets et les curieux, mais encore ses parents et ses amis les plus intimes. Quel trait de ressemblance y a-t-il, je le demande, entre cette séquestration telle que l'art la conçoit et la prescrit, et cette visite d'un ou plusieurs médecins qui viendront la troubler par un interrogatoire, par un examen intempestifs ? Pour décider, quoi ? Un fait constaté depuis peu de jours par un de leurs confrères : savoir qu'un malade est malade, et qu'un fou est bien réellement fou.

A qui persuadera-t-on que de pareilles visites soient toujours inoffensives ? Je sais tout aussi bien qu'un autre qu'elles ne peuvent produire ni bons, ni mauvais effets chez certains individus dépourvus de tout discernement et de toute raison, perdus de folie ; mais il s'en faut de beaucoup que tous ceux que l'on amène dans les établissements, soient dans cet état. La plupart sont encore susceptibles des impressions les plus vives.
Combien ne voit-on pas de malheureux qui se croient en butte aux persécutions de la police, aux poursuites de la justice humaine qu'ils s'imaginent avoir méritées par des crimes chimériques ?
Combien n'en voit-on pas qui, timides, méfiants, misanthropes s'émeuvent à l'approche de visages inconnus, et voient dans toutes les personnes qui les abordent, des ennemis, des persécuteurs, des assassins ? Combien d'autres qui recherchent avec ardeur les occasions de s'électriser par des conversations ou des déclamations exaltées.

Enfin, d'autres, encore bien plus à plaindre, ont la conscience intime de leur position morale ; ils ont cherché d'eux-mêmes une retraite profonde pour dissimuler leur maladie au reste des hommes. Ils voudraient rentrer sous terre pour y cacher l'excès de leur misère et de leur désespoir !...

La raison dit que de tels malades doivent être isolés, et que cet isolement doit être complet. Mais il ne le sera point s'il est troublé par les visites prescrites en vertu des articles 6 et 13 de la loi. Ces malheureux, dont un bon nombre ne demande qu'à vivre en paix, vivront-ils en paix réellement s'ils savent qu'ils seront visités régulièrement tous les six mois, par des médecins qui leur seront inconnus, et inopinément par toutes les autorités constituées d'un département, selon le bon plaisir de celles-ci ?

Encore un mot sur les visites semestrielles voulues par l'article 13.
Il est impossible de rien concevoir de plus onéreux pour les malades, de plus fâcheux à leur repos et en même temps de plus opposé à leur guérison.
Encore une fois, je ne parle que des aliénés pour qui tout n'est pas perdu ; car le gouvernement disposera bien, comme il voudra, de la masse inerte des idiots, des imbéciles et des furieux incurables.
Mais, si l'on songe aux intérêts de tous ceux qui sont susceptibles de guérison, ce sera tout autre chose.
Quoi ! Au moment ou dans des établissements bien tenus on entoure les malades des précautions les plus délicates, pour consolider une guérison qui commence à peine, on verra de par la loi, bouleverser, dans un jour, toute l'économie d'un système suivi avec persévérance pendant plusieurs mois ! Les interrogatoires déjà faits, en vertu de l'article 6, seront renouvelés d'une manière bien plus fâcheuse encore avec des personnes à peu près guéries, dont il faudrait, pour tant de raisons, respecter la convalescence ! On les fera comparaître, chaque trimestre expirant, devant un jury d'invention nouvelle qui aura mission de constater leurs faiblesses, leurs souffrances morales ou même, pour quelques uns, leur opprobre, et d'en faire froidement le rapport à M. le préfet ! En vertu de cette loi, l'homme chargé de leur direction se verra contraint de décliner, en leur présence peut-être, les motifs pour lesquels on prolonge leur isolement. Rien n'est plus pitoyable qu'un pareil système. Si c'est là ce que l'on appelle de la liberté, je ne comprends plus rien à la valeur de ce mot !

Si les articles 6 et 13 du projet de loi sont nuisibles aux malades, ils ne le sont pas moins à leurs familles ; car, par une inflexible loi de la nature, les uns et les autres sont solidaires.
Or, conçoit-on rien de plus cruel pour une famille désolée par une humiliante catastrophe, que la nécessité de la laisser constater administrativement tous les six mois, et de révéler à tant d'inconnus une plaie honteuse que l'on voudrait cacher à tout prix.

Je pourrais appeler, à l'appui de mon opinion, une foule de faits des plus significatifs ; je me bornerai à en citer quelques-uns.


PREMIERE OBSERVATION

Une jeune femme, atteinte d'une maladie de matrice, présente des symptômes d'hystérie qui se compliquent d'aliénation mentale ; elle devient capricieuse, bizarre, emportée, brise ses vitres, ses meubles ; elle injurie et frappe son mari et ses domestiques, elle babille sans cesse, s'imagine qu'elle a fait quinze ou vingt enfants, au nombre desquels elle compte le petit Napoléon ; elle assure, d'ailleurs, qu'elle va accoucher encore ; elle se met au lit, crie comme une femme en couche, envoie chercher son médecin et ne souffre plus que celui-ci la quitte.

Après avoir pris patience pendant un mois, son mari l'amène par ruse dans ma maison de santé : après quinze jours d'un traitement purement hygiénique, elle guérit. Quinze jours plus tard, elle retourne chez elle ; pendant un mois elle ne donne aucun signe de folie, mais alors elle tombe dans un état de mélancolie qui l'inquiète d'autant plus, que quelques idées de suicide lui passent par la tête ; elle prend son parti et demande à rentrer chez moi ; ce qui se fait le même jour. Sa mélancolie se dissipe, ses idées de suicide l'abandonnent ; finalement, elle rentre chez elle, où elle est aujourd'hui fort tranquille, très raisonnable, et d'autant plus gaie, que son mari n'a mis dans sa confidence que moi et son médecin ordinaire.

Rentrée dans le monde, elle en fait l'ornement, autant par son esprit que par sa beauté.

Son mari n'a été gêné par aucune loi ; il a placé et retiré sa femme quand il l'a jugé à propos. Plus tard, celle-ci est rentrée dans mon établissement sans autre formalité que son bon vouloir. Je demande s'il eut été fort agréable pour elle d'en faire part à M. le maire, à M. le préfet et à M. le procureur du roi, de subir dans les trois premiers jours de son entrée chez moi, la visite de MM. les médecins délégués par M. le préfet. Dans cette hypothèse, elle eut été contrainte de leur dire les motifs de la détermination fort raisonnable qu'elle avait prise spontanément ; ou bien il aurait fallu, qu'au mépris du secret que je lui avais promis, je déclarasse moi-même ce motif à ceux de mes confrères qui seraient venus la visiter, et que ceux-ci en fissent le rapport au préfet ; et ce rapport aurait passé par les mains de MM. les commis, soit à la mairie, soit à la préfecture, soit au cabinet de M. le procureur du roi, et cette dame n'eut pas été maîtresse de rester chez moi, ni moi de la garder sans une autorisation en forme !... Conçoit-on quelque chose de plus odieux ?

DEUXIEME OBSERVATION

Une dame, âgée de vingt-six ans, mère de deux enfants, en fait un troisième et prend une fièvre muqueuse à la suite de sa couche ; elle tombe dans le délire ; la fièvre muqueuse passe, le délire subsiste ; il est visiblement entretenu par l'influence funeste qu'exercent sur la malade, et ses entourages et les secours maladroits dont on la prévient ; son isolement est décidé, on l'amène dans ma maison de santé ; le changement d'air, l'habitation de la campagne, l'éloignement des siens, la présence de nouveaux visages suffirent pour opérer sur elle la diversion la plus heureuse. Au bout d'un mois elle était guérie, sans autres remèdes que des soins assidus et une hygiène bien réglée ; deux mois plus tard, elle est rentrée chez elle et se porte bien aujourd'hui, bien qu'elle ait fait un quatrième enfant qu'elle a nourri avec succès.
Voilà une guérison qui, semblable à la précédente, s'est faite rapidement et secrètement ; personne n'a su dans le monde que Mad. B. fût entrée dans ma maison de santé. Eut-il été juste que pour une maladie aussi courte et de si peu d'importance, on eût obligé la malade à des déclarations superflues pour son entrée et sa sortie, et à une visite médicale qui aurait eu pour résultat de l'humilier profondément après sa guérison.

TROISIEME OBSERVATION

Une dame nerveuse, sanguine, accoutumée à la gestion des grandes affaires, d'un caractère irascible, a la douleur de voir périr une fille chérie de la phtisie pulmonaire ; sa tête ne peut résister à un coup aussi douloureux, elle tombe dans un état de mélancolie habituel, interrompu de temps en temps par de violents accès de manie ; la malade, après deux ans révolus, n'est point incurable, tant s'en faut, la médecine a encore de bonnes raisons pour espérer une guérison complète ; mais enfin la prolongation de son isolement sera nécessaire pendant un temps plus ou moins long dont il n'est pas possible d'assigner le terme. Elle vit dans ma maison de santé, ayant le sentiment intime de sa position, raisonnant très bien à ce sujet et comprenant parfaitement qu'il y aurait péril pour elle si elle rentrait trop tôt au sein de sa famille.

Il faut dire qu'elle tient singulièrement à n'être vue que par les personnes qu'elle ne peut pas se passer de voir, ce qui est assurément très juste et très raisonnable.

Eh bien ! si le projet de loi est converti en loi, il faudra donc que le mari de cette dame ait le désagrément d'obtenir une autorisation administrative pour remplir, envers sa femme, un devoir sacré, un devoir qui n'est déjà que trop douloureux pour lui !... Et, si la guérison de cette dame se faisait attendre, il faudrait encore que son état mental fut constaté, aussitôt après la promulgation de la loi, par des médecins qu'elle n'aurait jamais vus, et qu'au bout de six mois ils la visitassent encore pour bien s'assurer si son mari, qui fait de si pénibles sacrifices pour elle, ne serait pas, par hasard, son persécuteur et son bourreau !...
Ces quelques exemples, choisis parmi tant d'autres analogues, suffiront, sans doute, pour éclairer les législateurs de bonne foi qui seront appelés à prononcer en dernier ressort sur la destinée des aliénés et de leurs familles.
C'est ici le moment de démontrer que les visites semestrielles, contre lesquelles je m'élève pour tant de motifs, auront encore le double inconvénient de remplir fort mal le but que les législateurs se sont proposés, et d'apporter le trouble et l'indiscipline dans les établissements de fous.

Et d'abord, quel est le but de ces visites, sinon de prévenir la détention inutile des malades guéris ?

Mais on n'a point pris en considération que l'homme de l'art qui sera appelé à vérifier l'état mental de certaines personnes, ne pourra le faire qu'en consultant le médecin de la maison ou les chefs d'établissements eux-mêmes. Pour constater avec connaissance de cause la position des aliénés, il ne suffit pas d'une visite, même de deux à trois heures, renouvelée tous les six mois ; il faut vivre familièrement avec eux, comme le font les chefs d'établissements, ou tout au moins les visiter tous les jours, comme le font les médecins d'hôpitaux. Comment donc se pourrait-il qu'un homme de l'art, dont les apparitions n'auront lieu que de loin en loin, puisse, par ses propres lumières, prononcer sur la guérison réelle, ou seulement apparente des sujets qui lui seront présentés.

Il y a des fous qui ne déraisonnent jamais dans leurs discours et dont les actes seuls sont frappés au coin de l'extravagance ; il y en a d'autres dont la folie ne se révèle que lorsqu'ils mettent la plume à la main pour faire des lettres ou des mémoires ; d'autres, avec lesquels on peut vivre pendant plusieurs jours, ou même plusieurs semaines, sans qu'il soit possible à un homme qui n'est pas prévenu, de démêler les erreurs de leur jugement, parce que leur délire roule sur des sujets qui, pour n'être pas vrais, n'en sont pas moins fort vraisemblables.

Il en est d'autres encore (ce sont ceux qu'on appelle fous raisonnants) qui savent fort bien dissimuler leurs travers et modérer leur verbiage lorsqu'ils y sont fortement intéressés, ou seulement quand ils aperçoivent de nouvelles figures.

Enfin, chacun a entendu parler de la folie intermittente : ceux-ci sont raisonnables le jour et délirent pendant la nuit ; ceux-là jouissent de leurs facultés pendant des jours, des semaines et des mois entiers, et retombent ensuite misérablement dans le délire.

Je demande ce que fera le médecin chargé, par M. le préfet, de constater ces faits divers ? Si c'est un homme éclairé, il ne s'en rapportera pas à lui-même, il sera forcé de consulter et le médecin, et le directeur, et les surveillants de l'établissement ; de faire enfin, une façon d'enquête, à moins qu'il ne se mette lui-même en permanence dans les maisons de santé ou dans les hospices, pour y faire précisément ce que font les directeurs et les médecins. Il est donc plus clair que le jour, qu'il ne pourra prononcer, d'après lui-même, que dans les cas évidents, et que dans les cas douteux, son intervention sera tout-à-fait inutile.

J'ai dit que non-seulement ces visites semestrielles manqueraient le but que le législateur se propose, et je crois l'avoir démontré ; il me reste à faire ressortir leurs inconvénients en tant qu'elles nuiront à la discipline des établissements d'aliénés.

Jusqu'à présent, en effet, on avait cru que, dans un établissement public ou privé, le médecin qui gouverne les malades, qui les connaît et les a suivis avec assiduité, devait être l'arbitre suprême de leur destinée, décider de l'opportunité de leur sortie ou de la prolongation de leur isolement ; il importe même beaucoup, selon les auteurs les plus expérimentés, que les aliénés aient eux-mêmes cette idée de leur médecin et qu'ils croient que leur sort dépend exclusivement de sa volonté. Medicus ordinarius instituti inspectoribus et custodibus imperet et coram œgrotantibus ut despota compareat ; nisi enim maniaci persuasi sint omnem eorum sortem a medici uno arbitrio pendere, de cura actum est. (Joseph Frank, Praxéos Med. univers. Part. II, vol. XI. pag. 411.)

Si les malades s'attendent à être visités tous les six mois par des étrangers, cette influence sera perdue ou, tout au moins, fort compromise ; ils comprendront bien vite que leur liberté ne dépend plus du jugement de leur médecin ordinaire. Quand celui-ci leur contestera leur guérison ou qu'il voudra prendre avec eux le ton de l'autorité, ils en appelleront à la visite semestrielle ; de là naîtront infailliblement des conflits. En un mot, le médecin se verra menacé, à la moindre contradiction, d'une autorité étrangère et évidemment supérieure à la sienne, puisqu'elle pourra réformer ses jugements. Personne, en effet, n'est plus disposé que les aliénés à chercher au dehors des points d'appui à l'esprit de mutinerie qui leur est naturel.

Parmi les causes de troubles que la nouvelle loi apportera, sans doute, dans les maisons de santé, j'aurais dû, peut-être, signaler, en première ligne, le 1er § de l'article 20 :
« Toute personne, est-il dit, placée ou retenue dans un établissement d'aliénés, et tout parent de cette personne, pourront, à quelque époque que ce soit, se pourvoir devant le tribunal qui, après les vérifications faites, ordonnera, s'il y a lieu, la sortie immédiate. »

Cet article autorise formellement tous les aliénés à se pourvoir par-devant les tribunaux, aussi souvent que bon leur semblera, c'est-à-dire, tous les mois, tous les quinze jours, tous les huit jours ; il n'y aura pas de raison pour que cela finisse et pour que les tribunaux en obtiennent la paix. Pour mon compte, j'ai dans ma maison de santé un aliéné fort disposé à exercer la patience des juges ; il plaidera, si l'on veut bien l'entendre, contre ses enfants, contre moi, contre tout le genre humain.

En vérité, il faut n'avoir aucune connaissance des fous pour leur concéder la faculté indéfinie des réclamations judiciaires.

Avant de passer outre, je dois attirer l'attention de mes lecteurs, sur la disposition de l'article 7 dont bien certainement MM. les Députés n'ont pas senti toutes les conséquences. Je rappelle comment il est conçu.
« Dans le même délai (c'est-à-dire dans les trois jours de réception du bulletin) le préfet notifiera administrativement les noms, profession et domicile de la personne placée, et les causes de la maladie et du placement.
1° Au procureur du roi de l'arrondissement, de la situation de l'établissement ;
2° Au procureur du roi de l'arrondissement du domicile de la personne placée. »

Nous avons déjà vu dans l'article 5, que le certificat du médecin, nécessaire à l'admission de l'aliéné, devait indiquer les particularités de la maladie, et ses causes, si elles étaient connues. Nous avons vu pareillement, que toutes ces pièces devraient être transmises dans les 24 heures, avec un certificat du médecin de l'établissement, soit au préfet de police à Paris, soit aux préfet, sous-préfet ou maires dans les départements, et nous nous sommes demandé s'il était bien conforme aux lois sévères que la discrétion impose aux médecins, de divulguer ainsi des mystères qu'importe à eux seuls de connaître.

Croit-on en effet qu'un homme bien pénétré de ses devoirs, se décidera volontiers à transmettre certains détails confidentiels, dont il est dépositaire, à toute la hiérarchie, soit administrative, soit judiciaire d'un ou deux départements? Consentira-t-il bénévolement à déclarer que M. ou Mad. A ou B sont devenus fous par des excès de libertinage ou d'ivrognerie, par l'abus du mercure, par des habitudes solitaires, etc. Divulguera-t-il plus volontiers la nature et les particularités de certaines maladies mentales, telle que le satyriasis ou la nymphomanie ?... Ne serait ce pas là violer, de la manière la plus flagrante, les secrets des malade et de leurs familles, les froisser dans leur honneur ?

Mais, dira-t-on, les médecins en seront quittes pour éluder la loi, en se servant, pour tous, d'une formule à peu près banale, qui n'en compromettra aucun.

Si ce résultat inévitable avait été aperçu par MM. les Députés, sans doute ils l'auraient prévenu en supprimant une disposition à laquelle la conscience des médecins ne se conformera qu'autant qu'ils le jugeront à propos.
Les articles 10 et 11 du projet de loi ont élevé quelques débats dan la Chambre des Députés. L'article 11 donne au préfet de police, à Paris et dans les départements aux préfets le pouvoir d'ordonner, d'office, le placement de toute personne interdite ou non interdite, dont l'aliénation mentale compromettrait la sûreté publique.

D'autre part, l'article 10 donne aux préfets la faculté d'ordonner, sans aucune formalité, la sortie immédiate des personnes placées dans les établissements d'aliénés.

Au premier coup d'œil, il semble que l'article 11 soit entaché d'un vernis d'arbitraire inquiétant pour la liberté individuelle. On ne conçoit pas bien pourquoi ni comment MM. les préfets pourront se passer de la notoriété publique, ou d'un certificat de médecin pour faire séquestrer un sujet dont la folie leur paraîtrait troubler la société ; on convient qu'une telle séquestration ne pourrait pas durer longtemps, puisqu'en vertu de l'article 15, le préfet serait obligé d'en faire part, soit au procureur du roi, soit au ministre de l'intérieur, soit au domicile du sujet séquestré, soit enfin au maire de ce domicile. Mais la défiance qui grossit le péril, fait observer que la détention illégale, si elle avait lieu, n'en serait pas moins un fait pour celui qui l'aurait subie ; qu'elle pourrai être le résultat d'une erreur commise par le préfet, ou de sa mauvaise humeur et que, dans l'un et l'autre cas, le préfet pourrait toujours échapper à toute poursuite, par une fin de non-recevoir, en alléguant, par exemple, qu'il s'est trompé ou qu'il a été trompé.

Je crois que pour échapper à toute critique et pour calmer les craintes (sans doute exagérées des ennemis de l'arbitraire), il eût été plus équitable et plus prudent de limiter les pouvoirs des préfets, comme celui
de leurs subordonnés ; c'est-à-dire de ne leur accorder la faculté dont il s'agit, que moyennant une attestation de médecins, ou la notoriété publique.

L'article 10, qui accorde à la même autorité le pouvoir de faire sortir, à son gré et sans contrôle, les personnes placées dans les établissements d'aliénés, n'est ni plus juste, ni plus raisonnable que le précédent. On se demande quelle a pu être, à cet égard, la pensée des législateurs, quelles sont les circonstances singulières, bizarres, dans lesquelles un préfet pourra se passer du consentement des familles et des certificats de médecins, attestant la guérison des fous pour leur rendre la liberté, sans information, sans enquête.
On voudrait savoir quelle est l'espèce d'infaillibilité qu'une pareille disposition lui suppose.
Il faut en convenir, tout cela contraste singulièrement avec les autres articles d'une loi rédigée exprès, pour protéger la liberté individuelle, et de la part d'une Chambre qui a toujours affecté d'être si chatouilleuse à cet égard.
On a pu s'apercevoir que je ne me suis point attaché, dans la discussion des articles, à les suivre, pas à pas, avec une minutieuse exactitude. Je me suis borné, à critiquer les dispositions de la loi qui m'ont paru les plus hostiles aux malades et à leurs familles, non pour faire systématiquement de l'opposition, ce qui, j'ose le dire, n'entre point dans mon caractère, mais par un esprit de justice et de conviction.

Ce rôle de désintéressement étant rempli, me sera-t-il permis de faire entrevoir en peu de mots tout ce que la loi adoptée par MM. les Députés renferme d'injuste à l'égard des chefs d'établissements qui ont consacré leur fortune et toute leur existence, au service des aliénés.

L'article 1er de la loi dit :
« Les établissements privés consacrés aux aliénés, sont placés sous la surveillance de la haute police et des autorités administratives. »

Ainsi donc ce sera sous la surveillance de la haute police que les maisons de santé seront placées désormais !...
Or, il faut savoir ce que c'est que la surveillance de la haute police.
Pour cela, il suffit d'ouvrir le Code pénal, article 11.
« La surveillance spéciale de la haute police (comme l'amende et la confiscation), sont des peines communes aux matières criminelles et correctionnelles. »
Ceux qui, d'ordinaire, sont soumis à la surveillance de la haute police, sont les diffamateurs des autorités, les déserteurs, les provocateurs publics aux crimes et délits, les séditieux, les mendiants, les vagabonds, les prisonniers, les teneurs de maisons publiques, les repris de justice et les forçats libérés.
Et remarquez bien qu'aux termes précis du Code pénal, la surveillance de la haute police est une peine ; or, la peine suppose le délit. Le délit n'existant pas encore, que je sache, la peine n'est pas seulement une absurdité, c'est une criante injustice.
N'eût-il pas été plus poli et tout aussi efficace de dire simplement que les maisons de santé seraient placées, à l'avenir, sous la surveillance des autorités administratives ?

Enfin, aux termes de l'article 4.
« Des règlements d'administration publique détermineront les conditions auxquelles seront accordées les autorisations annoncées en l'article précédent, les cas où elles pourront être retirées, et les obligations auxquelles seront soumis les établissements autorisés. »
Quels peuvent être les règlements d'administration publique dont il s'agit, les conditions auxquelles seront accordées les autorisations ? Quels seront les cas où celles-ci pourront être retirées ? Ce sont autant de questions inquiétantes par leur élasticité, dont on chercherait vainement la solution dans la rédaction nébuleuse de l'article 4.
On ne sait, en effet, ni si ces règlements, ni si ces conditions seront imposées par les préfets ou par le ministre de l'intérieur. Dans le premier cas, chaque département pourrait être affligé de règlements et de conditions, non seulement différents, mais encore opposés.

Dans le second cas, la loi laisserait à M. le ministre de l'intérieur, l'exorbitante faculté de créer des embarras de toute sorte aux propriétaires actuels des établissements d'aliénés.
Il est évident que l'article 4 est beaucoup trop facultatif pour les autorités administratives. La loi doit être complète ; il faut qu'elle ne laisse rien à l'interprétation, et qu'elle articule clairement les conditions auxquelles les établissements déjà existants devront se soumettre pour n'être point ruinés. Avec plus de franchise, on saurait plus vite à quoi s'en tenir.

SECONDE PARTIE

Nous vivons dans un siècle où les hommes sont plus passionnément que jamais épris de la liberté individuelle.
Il n'y a pas d'effet sans cause.
L'étrange abus que l'on a fait de ce mot de liberté, a porté ses fruits. On s'est accoutumé si complaisamment à l'entendre, que les personnes mêmes qui ne conçoivent pas la liberté absolue comme possible, et qui détestent le plus cordialement les crimes qui ont été commis en son nom, s'inquiètent parfois d'elles-mêmes, et trouvent fort bon que certain article de la Charte consacre leur inviolabilité personnelle.

A force de déclamations contre la bastille, les lettres de cachet, les détentions arbitraires et autres abus attribués à l'ancien régime, les hommes les plus prévenus contre ces vieilles récriminations, ont fini par y croire, et s'imaginent qu'on ne saurait s'entourer de trop de précautions pour prévenir le retour de pareilles injustices.

Aujourd'hui on se persuade généralement qu'à défaut de lettres de cachet, il serait aisé à une famille de se débarrasser, par un détestable complot, de l'un de ses membres, sous prétexte de folie. Et comme l'amour de la liberté est aussi ombrageux de sa nature, que l'imagination humaine est habile à se créer des épouvantails chimériques, on s'est arrêté à cette supposition que les maisons de fous pourraient bien être autant de petites bastilles capables de remplacer celle que la colère des Parisiens abattit le 14 juillet. Les têtes se sont échauffées ; on a donné pour raison ce qui était en question ; il est demeuré convenu sans examen et sans enquête que les hospices et les maisons de santé renfermaient très certainement un grand nombre de victimes des passions humaines. Sans s'arrêter à des discussions oiseuses, on a conçu la chose comme certaine, et, dès lors, chacun s'est récrié sur la nécessité de mettre ordre à de semblables abus.

Ne nous laissons point entraîner par le torrent ; soumettons ce préjugé au creuset du raisonnement et de l'expérience.

Et d'abord du raisonnement.
Il suffit, en effet, d'un peu de réflexion pour s'apercevoir qu'il ne peut être ni si facile, ni si vulgaire qu'on le croit communément, de séquestrer pour tout de bon, un citoyen, sous prétexte de folie.
Pour mettre à exécution un pareil projet, il faudrait supposer d'abord l'étonnante conspiration de toute une famille ou de plusieurs personnes perverses qui s'entendissent pour cela comme un seul homme.
La difficulté serait encore de trouver un chef d'établissement sinon assez corrompu pour se prêter à une pareille conspiration, du moins assez imprudent pour compromettre, par un tel acte, sa réputation, celle de sa maison, tout son avenir ; assez aveugle, ou plutôt assez fou lui-même pour braver les périls sans nombre auxquels il s'exposerait. Je demande, en effet, quel est l'intérêt pécuniaire qui pourrait balancer, dans l'esprit d'un chef d'établissement, les peines portées par le Code pénal, contre les auteurs et fauteurs d'arrestations illégales et de séquestrations de personnes. (Code pénal, liv. III, titre II, section v, art. 341 et suiv.).

Mais dans les cas très peu probables où un chef d'établissement consentirait à courir de pareilles chances, il trouverait lui-même des obstacles invincibles à son projet, parmi ses propres subordonnés. Ceux-ci, en effet, ont des yeux et des oreilles ; on ne leur persuadera jamais qu'un homme est fou quand il ne l'est pas. Les premiers ils se récrieront contre une injustice aussi nouvelle pour eux, quand ils la toucheront au doigt et à l'œil.
A quel homme d'expérience persuadera-t-on qu'il soit si facile de s'assurer de la discrétion d'un certain nombre d'employés ou de domestiques ? Achèteront-ils le secret par des largesses ; mais c'est une manière peu sûre d'enchaîner des langues naturellement disposées à contrôler les actions du maître ; et d'ailleurs ces largesses n'auront qu'un temps ; les domestiques n'épousent pas les intérêts de ceux auxquels ils louent leurs services ; et s'ils s'en vont, quel est l'imprudent qui pourra compter sur eux ? Ne raconteront-ils pas, à la première occasion, ce qu'ils auront vu, ce qu'ils auront fait, et même, par un effet naturel de leur indiscrétion, les actes injustes dont ils se seront rendus complices pour de l'argent, ces actes dussent-ils les compromettre eux-mêmes ?

Il est donc bien vrai qu'une séquestration injuste dans une maison de santé, n'est pas possible, puisqu'il faudrait supposer pour cela un ensemble de circonstances qui ne s'est jamais rencontré et qui ne se rencontrera jamais.
L'expérience, en effet, vient, dans cette occasion, à l'appui du raisonnement ; je ne sache pas que depuis un demi-siècle, il soit arrivé un seul fait de cette nature qui puisse être prouvé d'une manière péremptoire, et qui ait donné lieu à une réclamation sérieuse devant les tribunaux.

Ainsi donc, un crime dont la possibilité répugne en théorie, doit être réputé impraticable. Comment se fait-il qu'au milieu des iniquités qui se débordent de toute part, celle que l'on cherche à prévenir par le projet de loi, soit inouïe ; si elle est inouïe, ne doit-on pas en conclure qu'elle est impossible.
M. Schauenburg, par exemple, cherchant à réfuter le préjugé commun défendu par M. de Larochefoucault, dit formellement :
« Il y aurait de la niaiserie à admettre la supposition de pareil fait... Il faudrait qu'on trompât les surveillants, le directeur et le médecin de la maison, pour faire jeter à l'instant même, l'homme que l'on amène, dans une loge de furieux, ou dans un préau d'incurables. Les choses ne se passent pas de la sorte, on examine toujours l'individu avant de lui assigner un pareil placement. »
Séance du 7 avril, page 804 du Moniteur.

Remarquez que M. Schauenburg s'exprimant ainsi, parle comme membre d'un comité de surveillance d'un établissement d'aliénés.
M. Poule réfutant, à cet égard, M. Lavielle et M. Isambert s'exprime ainsi : « L'honorable M. Isambert, qui a parlé de bastilles, de lettres de cachet, peut donc se rassurer, car ce qu'il redoute ne se présentera jamais. L'expérience du passé doit nous tranquilliser pour l'avenir, et je terminerai par un fait bien remarquable, c'est que pendant l'espace de quarante ans, il n'y a pas eu un seul exemple d'atteinte portée à la liberté individuelle, dans la séquestration ou l'isolement des aliénés. Ne perdons jamais de vue que les aliénés sont des malades, et que le premier devoir de la société est de veiller à leur guérison. »
Séance du 8 avril, page 818 du Moniteur.

On a bien entendu ce défi de M. Poule, jeté, pour ainsi dire, à ses contradicteurs les plus ardents. Qu'en est-il résulté ? Rien. Quelle réponse lui a-t-on faite ? Aucune. Cependant les zélés défenseurs de la liberté individuelle devaient avoir leurs poches pleines de faits péremptoires, accablants. Si chacun est resté muet à son interpellation, n'est-ce pas une preuve que la vérité se manifeste aussi bien par le silence des uns, que par la parole des autres ?
Mais, dira-t-on, si les dispositions voulues par le projet de loi ne sont pas admises, quelles garanties les citoyens auront-ils contre les séquestrations arbitraires ? Et qui pourra répondre que les aliénés, bien guéris, ne seront pas retenus injustement, soit dans les maisons de santé soit dans les hospices ?

Puisqu'on attache tant d'importance à prévenir des abus qui n'existent pas ; puisque l'on s'obstine à croire, en dépit de l'expérience et du sens commun, que les maisons de santé et les hospices renferment véritablement des personnes qui n'y devraient pas être, je consens que l'on prenne quelques précautions à cet égard ; mais je voudrais que ces précautions fussent d'une exécution facile, et qu'elles ne devinssent vexatoires pour personne.
Pourquoi la protection des aliénés, dont les procureurs du roi ou les présidents du tribunal civil devraient être les tuteurs nés, est-elle soustraite par la nouvelle loi à leur juridiction pour être soumise à celle des maires et des préfets ?
N'est-il pas plus naturel, que la surveillance de ces infortunés soit confiée à l'ordre judiciaire ? C'est ainsi que les choses se pratiquent aujourd'hui, et certainement elles n'en vont pas plus mal ; je voudrais donc :

1° Que l'admission des aliénés dans les établissements publics ou privés, fut dégagée de toute entrave et se fît aussi librement que possible.

2° Que, dans l'espace de trois jours, cette admission fut régularisée par un certificat d'un docteur en médecine ou en chirurgie, certificat qui serait annexé au bulletin d'admission du malade et envoyé immédiatement au procureur du roi de l'arrondissement où est situé l'établissement.

3° Que si le malade était d'un arrondissement autre que celui où est situé l'établissement, le procureur du roi de celui-ci, signifiât à son confrère de l'arrondissement où demeure le malade, son bulletin d'admission ainsi que les causes du placement mentionné dans le certificat.

4° Que pour plus de sûreté, MM. les procureurs du roi, ou leurs substituts fussent dans l'obligation de visiter de temps en temps, tous les six mois, par exemple, les établissements d'aliénés, soit publics, soit privés.

5° Que les directeurs fussent tenus de leur représenter un registre dans lequel le nom des malades, leurs demeures, la nature de leur aliénation serait indiquée, ainsi que le progrès de leur maladie, vers le bien ou le mal.

6° Que chaque établissement, privé d'aliénés, eût un médecin responsable, et que, dans tous les établissements possibles, le médecin fût présent aux visites du procureur du roi, pour lui donner les explications et les détails dont il pourrait avoir besoin.

7° Que si, dans ses visites, le procureur du roi trouvait quelque chose de douteux dans les motifs qui ont déterminé la séquestration de tel ou tel sujet, ou bien, si cette séquestration excitait des murmures, des réclamations publiques, il lui fût loisible de faire visiter le malade, soit par le médecin de sa famille, soit par des médecins attachés à des établissements publics d'aliénés, autres que celui où est actuellement le sujet dont la maladie est en question. Dans les villes comme Lyon et Paris, où, par une sage institution, il existe des médecins assermentés près les cours et tribunaux, ceux-ci pourraient être chargés de la même mission, de telle sorte, que le procureur du roi pourrait éclaircir sa conscience de trois manières différentes, ensemble ou séparément.

De cette manière, le placement des aliénés ne serait point clandestin, et cependant on respecterait, comme il doit l'être, le secret domestique. Car les procureurs du roi ou les présidents de première instance, par la nature toute paternelle de leurs fonctions, obtiendraient facilement la confiance des intéressés ; on sait qu'ils sont accoutumés à la discrétion que leur impose la gravité de leur ministère.
Le dirai-je, il n'en est pas de même, à beaucoup près, de MM. les maires et de leurs adjoints, des sous-préfets, des préfets ou de leurs secrétaires. Quand un secret aurait passé par cette longue filière administrative, il ne serait plus un secret ; autant aurait valu l'afficher.

Si ce simple projet était adopté, on y trouverait de quoi satisfaire les personnes raisonnables qui redoutent les détentions arbitraires, et il aurait le mérite de ne point offusquer d'une manière grave la juste susceptibilité des familles.
Je termine ma tâche en donnant quelque développement à une réflexion que je n'ai fait qu'indiquer en commençant, savoir : qu'il n'est point d'institution humaine qui ne présente des abus, et que cette vérité se lie tellement à l'essence des choses, qu'il faut apporter la plus sage circonspection à réformer ceux mêmes qui nous paraissent les plus flagrants, par la crainte de leur en substituer d'autres plus criants encore, et de blesser profondément les masses, en accordant un simulacre de protection aux individus.

Ce serait évidemment abuser de l'abus.
Comme il n'existe pas une des facultés de l'homme, dont il ne puisse se servir pour mal faire, il faudrait, pour être conséquent au principe qui a dicté le projet de loi que je combats, que tous les actes de la vie humaine fussent soumis au plus rigoureux contrôle.
A toute force, il se pourrait qu'un individu quelconque fût retenu forcément dans son domicile, sous prétexte de fièvre ou de tout autre accident un peu durable, tel qu'une entorse, une fracture ; la chose n'est peut-être pas inouïe ; pour mon compte, je la conçois comme possible. Que faire pour prévenir une pareille atteinte à la liberté individuelle ? Rien de mieux assurément que d'obliger les familles à faire, à M. le préfet, la déclaration des maladies dont tel ou tel des leurs pourra être affligé ; sur quoi M. le préfet enverra une commission médicale pour constater si le fait est vrai, et si c'est bien de son bon gré que le malade garde les arrêts dans sa chambre[1] .
On a vu des parents dénaturés refuser la nourriture à leurs enfants les tenir prisonniers, les accabler des plus mauvais traitements ; en conclura-t-on que, pour prévenir de pareils délits, il serait bon de sou mettre le régime intérieur des familles au contrôle de la médecine et de la police.

On ne contestera pas qu'il ne meure tous les ans, en France, quelques individus empoisonnés clandestinement par des scélérats bien sûr de n'avoir rien à démêler plus tard avec la police. Eh bien ! pour prévenir ces attentats secrets, faudra-t-il faire ouvrir juridiquement tous les cadavres, et soumettre leurs entrailles aux recherches anatomiques et aux analyses chimiques des Orfila et des Baruel ?

On voit qu'en tirant les dernières conséquences des meilleurs principes, on finit par tomber dans l'absurde. J'admets, pour un moment, que quelques personnes aient été réellement détenues sans motifs, dans des maisons d'aliénés, on ne me contestera pas que de pareils faits ne soient très rares à cause de leur difficulté. Mais est-ce une raison suffisante pour qu'aussitôt qu'un homme a perdu la tête il n'appartienne plus à sa famille, et qu'il tombe comme un bien abandonné, dans le domaine de l'administration publique ? Est-ce une raison pour qu'il ne soit plus permis de l'isoler, de le traiter, de le guérir, enfin, sans la permission d'un préfet, et surtout sans donner à un malheur affreux une publicité aussi redoutable pour le malade que pour ses entourages ?...

Espérons que les familles maltraitées par le fléau toujours croissant de l'aliénation mentale, ne mettront point en vain leur confiance dans l'esprit de sagesse et de maturité qui préside constamment aux délibérations de MM. les Pairs. Nul doute qu'ils ne prennent en considération, et qu'ils ne pèsent attentivement la discussion qui précède, et les principes de pure équité qui ont servi de base à cet opuscule.

[1] En relisant avec attention la discussion relative au projet de loi, je me suis assuré qu'un de nos honorables (M. Duchesne), dans sa sollicitude pour la liberté individuelle avait fait à la Chambre la proposition suivante : « Tous parents, époux ou tuteur qui voudra retenir enfermé dans son propre domicile une personne atteinte d'aliénation mentale, devra s'y faire autoriser, à Paris par le préfet de police, dans les départements par le préfet ou le sous-préfet, sur le vu d'un certificat de médecin, constatant l'état mental de cette personne. » Il faut dire, pour l'honneur de la Chambre, que les appréhensions naïves de M. Duchesne n'ont point été partagées par elle, et que son amendement a été rejeté à une grande majorité.

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Michel Caire 2010
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