Modalités de séquestration des aliénés
de la Révolution à 1838


Le changement de régime initié en 1789 s'accompagne de l'abrogation générale des règlements et lois régissant la séquestration des aliénés d'esprit.

La première mesure législative est l'abolition des lettres de cachet.

Un Comité des lettres de cachet avait été créé au sein de l'Assemblée nationale par décret du 23 décembre 1789, et chargé d'inspecter les maisons de force et de détention.

Un premier décret en janvier 1790 enjoignit à toutes les personnes chargées de la garde de prisonniers détenus par lettre de cachet d'envoyer à l'Assemblée nationale un état certifié des différents prisonniers.

Puis fut promulgué le décret du 16 mars ordonnant la mise en liberté des personnes détenues “par lettres de cachet ou par ordres du pouvoir exécutif”.

Il y a toutefois à ce principe de mise en liberté une exception de taille, et qui nous intéresse particulièrement: celle qui concerne les personnes détenues d'ordre du roi pour cause de démence :
l'article 9 de la loi prévoit leur examen par des médecins, dont l'avis déterminera leur devenir :

- soit leur élargissement si elles ne sont pas ou ne sont plus aliénées,

- soit dans le cas contraire leur admission dans un hôpital où elles seront soignées.



Décret de l'Assemblée Constituante du 12-16 mars 1790
Abolition des lettres de cachet

Art.IX. Dans l'espace de six semaines à partir du présent décret, toutes personnes détenues dans les châteaux, maisons religieuses, maisons de force, maisons de police ou autres prisons quelconques, par lettres de cachet ou par ordre des agents du pouvoir exécutif, à moins qu'elles ne soient également condamnées, décrétées de prise de corps ou qu'il y ait contre elles plainte en justice à l'occasion d'un crime important, peine afflictive, ou renfermées pour cause de folie, seront remises en liberté.

Les personnes détenues pour cause de démence seront, pendant l'espace de trois mois, à compter du jour de la publication du présent décret, à la diligence de nos procureurs, interrogées par les juges dans les formes usitées, et, en vertu de leurs ordonnances, visitées par les médecins qui, sous la surveillance des directoires de district, s'expliqueront sur la véritable situation des malades, afin que, d'après la sentence qui aura statué sur leur état, ils soient élargis ou soignés dans les hôpitaux qui seront indiqués à cet effet.


L'intention du législateur était très louable, mais elle ne sera guère suivie d'effet, faute notamment d'établissement de traitement adapté.

Les moyens d'assurer un examen médical approfondi n'étaient pas non plus assurés (vu le faible nombre de docteurs en médecine, et plus encore de médecins compétents dans le domaine de l'aliénation d'esprit), et il est permis de penser que peu de détenus bénéficièrent ne serait-ce que d'une simple visite.

Le décret du 26 mars 1790 de cette même Assemblée nationale, plus prudent, précisa “qu'il est nécessaire de prolonger la détention de ceux qui sont enfermés pour cause de folie, assez longtemps pour connaitre s'ils doivent être mis en liberté en dernier ressort, ou soignés dans les hôpitaux établis, inspectés et dirigés avec cette vigilance, cette prudence et cette humanité qu'exige leur situation.”

Par ailleurs, la très grande majorité des aliénés détenus l'était en vertu d'autres ordres qu'une lettre de cachet: ils devront attendre encore pour que l'on s'intéresse à leur sort.



Décret des 16-24 août 1790
sur l'organisation judiciaire

Titre XI- Des juges en matière de police

Article 3- Les objets de police confiés à l'autorité des corps municipaux sont: (...)
6e- Le soin d'obvier ou de remédier aux évènemens fâcheux qui pourroient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté, et par la divagation des animaux malfaisants ou féroces


Décret-Loi des 19-22 juillet 1791
relatif à l'organisation d'une police municipale et correctionnelle

Titre Ier
Article 15- 3 Ceux qui laisseront divaguer des insensés ou furieux, ou des animaux malfaisants seront indépendamment des réparations ou indemnités envers les parties lésées, condamnés à une amende qui ne pourra être au dessous de 40 sous, ni excéder 50 livres et si le délit est grave à la détention de police municipale; la peine sera doublée en cas de récidive.


Circulaire du ministre de l'Intérieur à Messieurs les Préfets des départemens.
30 frimaire an 12 (17 septembre 1804)
Réclusion d'insensés

"J'ai remarqué, Monsieur, dans les comptes analytiques des Préfets, que plusieurs ont fait, de leur propre autorité, arrêter des insensés, pour être, sur leur ordre, enfermés dans des maisons de force.

Je crois devoir, pour prévenir cet abus, vous rappeller les principes et les règles de cette matière.

Suivant la loi du 22 juillet 1791, conforme à ce sujet aux anciens réglemens, les parens des insensés doivent veiller sur eux, les empêcher de divaguer, et prendre garde qu'ils ne commettent aucun désordre. L'autorité municipale, suivant la même loi, doit obvier aux inconvéniens qui résulteraient de la négligence avec laquelle les particuliers rempliraient ce devoir.

Les furieux doivent être mis en lieu de sûreté. Mais ils ne peuvent être détenus qu'en vertu d'un jugement que la famille doit provoquer.

La loi du 8 germinal an 11 indique, avec beaucoup de détails, la manière dont on doit procéder à l'interdiction des individus tombés dans un état de démence ou de fureur. C'est aux tribunaux seuls qu'elle confie le soin de constater cet état.

Les lois qui ont déterminé les conséquences de cette infirmité, ont pris soin qu'on ne pût arbitrairement supposer qu'un individu en est atteint; elles ont voulu que sa situation fut établie par des preuves positives, avec des formes précises et rigoureuses.

En substituant à ces procédés réguliers une décision arbitraire de l'Administration, on porte atteinte à la liberté personnelle et aux droits civils de l'individu que l'on fait détenir; on donne lieu à des tiers intéressés de soutenir, les uns, que les actes faits par un homme ainsi détenu sont nuls, parce qu'il est dans un état de démence constatée; les autres, que de tels actes sont valides, parce qu'il n'y a de démence reconnue que celle qui est régulièrement constatée.

L'Administration n'est pas plus fondée à remettre en liberté et en possession de leur état, des individus détenus comme insensés par ordre de justice; d'abord, parce qu'il ne lui appartient point de suspendre l'effet des décisions judiciaires, et, de plus, parce que l'état civil des individus n'est ni mis à sa disposition, ni placé sous sa surveillance.

Je vous invite, Monsieur, à vous conformer à ces principes. Vous devez veiller avec soin à ce que les autorités qui vous sont subordonnées ne s'en écartent jamais"


CODE PENAL du 12 février 1810
(Texte en vigueur lors de son abrogation en 1994 )

Deuxième partie (réglementaire) Livre IV -  Contraventions de police et peines Chapitre II - Contraventions et peines Section II - Deuxième classe

Article R. 30
Seront punis d’une amende depuis 250 F jusqu’à 600 F inclusivement :
(…) 7° Ceux qui auraient laissé divaguer des fous ou des furieux étant sous leur garde, ou des animaux malfaisants ou féroces ; ceux qui auront excité ou n’auront pas retenu leurs chiens, lorsqu’ils attaquent ou poursuivent les passants, quand même il n’en serait résulté aucun mal ni dommage


L'INTERDICTION

Le jugement d'interdiction (justice civile) est un préalable à l'admission de toute personne dans un établissement d'aliénés jusqu'à la loi du 30 juin 1838, hors cas d'urgence. A Paris, l'admission en urgence a lieu dans une section dite de traitement. Si ce traitement s'avère inefficace, la personne est transférée dans une section dite des incurables, par principe après que l'interdiction soit prononcée. En théorie tout du moins, car la longueur de l'information judiciaire conduit souvent à la translation de la personne avant prononcé du jugement.


Michel Caire, 2006-2010
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