Un crime inexcusable

Le dimanche 3 août 1670, un crime abominable fut commis en l'église Notre-Dame de Paris : un jeune homme tenta de percer une hostie consacrée à coups d'épée. L'auteur du sacrilège, connu comme fou, fut arrêté, jugé et condamné au feu et à avoir le poing coupé. La sentence fut exécutée deux jours plus tard.

En vouloir à la Religion est l'une des exceptions qui confirment la règle de l'irresponsabilité pénale du fou sous l'Ancien Régime : la profanation des hosties, comme l'iconoclastie sont une offense commise directement contre Dieu, et l'auteur du crime de lèse-majesté divine doit être châtié, même s'il est manifestement fou.

Rappelons qu'une autre crime que rien ne peut jamais excuser est le crime de lèse-majesté humaine au premier chef, c'est-à-dire l'attentat «à la personne sacrée du Souverain» (Jousse, Traité de la justice criminelle) ou à celle des enfants de France et, par extension la conspiration contre l'État. L'un comme l'autre est punissable dès le commencement d'exécution et indépendamment du résultat, et même sa simple tentative.

Le récit qui suit est extrait du Journal d'un contemporain, Olivier Lefèvre d'Ormesson, magistrat, maître des requêtes à Paris sous Louis XIII et Louis XIV.

L'attitude du condamné telle que décrite ici montre que la folie n'était pas feinte. Après expiation du coupable, jeûnes et processions furent organisés pour réparation du sacrilège, qui donnent la mesure de l'importance que la Société d'alors attachait aux faits qui conduisirent le malheureux au bûcher.

En cette même année 1670 était « vérifié le nouveau code criminel au parlement », qui sera promulgé en septembre.

«Aoust 1670

Le dimanche 3 aoust, il fut commis à Nostre-Dame une action très horrible. Le criminel fut pris, renvoyé au Chastelet, le lundy matin, sur la compétence, et jugé. Le mardy, il fut jugé au parlement sur l'appel partoute la grand'chambre assemblée dans la Tournelle, et bruslé l'aprèsdisnée. Son histoire doit estre icy rapportée.

Ce misérable s'appeloit François Sarrazin, de Caen, aagé de vingt-deux ans, né de famille commune ; il avoit un oncle fou. Il avoit fait ses estudes aux Jésuites, mais depuis il avoit apostasié, ou plustot il s'estoit fait une religion nouvelle ; il avoit fait faire des habits singuliers de taffetas blanc avec du ruban vert, et il prétendoit s'habiller comme les Juifs l'estoient.

Il ne vouloit croire dans l'Evangile que ce que les quatre évangélistes disent esgalement, et d'une mesme manière. Sur ce principe, il s'estoit imaginé que le sacrifice de la messe estoit une idolatrie, et, pour faire connoistre son sentiment, il s'estoit résolu de faire une action mémorable.

Il estoit enfermé à Caen, comme fou, dans la maison de sa mère ; il s'en estoit eschappé et estoit parti de Caen, avoit couché le samedy dans un village proche de Paris, et le dimanche matin y estoit arrivé à sept heures, estoit allé à Nostre-Dame, avoit esté chez M. l'archevesque et avoit demandé à un ecclésiastique si M. l'archevesque diroit la messe dans l'église, ou si c'estoit dans sa chapelle en particulier, s'il y avoit du monde et s'il pourroit l'entendre.

Cet ecclésiastique luy avoit respondu incertainement ; il estoit entré dans Nostre-Dame ayant lespée au costé, avoit pénétré dans l'enceinte de l'autel de la Vierge, où il avoit ouy une esse assez dévotement en apparence, et ayant continué d'en entendre une seconde, lors de l'eslévation de l'hostie, il avoit mis l'espée à la main, avoit tasché de la frapper, et, le prestre l'ayant laissé tomber sur l'autel, il avoit frappé dessus pour la couper, avoit renversé le calice, qui n'estoit pas consacré, renversé le ciboire et respandu plusieurs hosties consacrées, et enfin avoit donné au prestres qui célébroit un coup d'espée au travers du corps, avoit aussy frappé de son espée dans le bras une femme qui s'escrioit, et seroit sorti l'espée à la main, l'effroy ayant esté extresme.

On ne songeoit point à le prendre, jusques à ce qu'estant près de l'Hostel-Dieu, un laquais de M. Boucherat, sans armes, s'estoit jeté à luy, l'avoit renversé à terre et luy avoit osté son espée. Ainsy il avoit esté arresté et conduit à l'archevesché.

Ce misérable, arresté, avoit paru d'un grand sang froid et sans emportement. Dans son procès, il a dit que son dessein estoit d'empescher une idolatrie, et qu'il vouloit faire une action mémorable, il n'a jamais voulu avouer avoir communiqué son dessein à qui que ce soit, et ainsy il a esté condamné au feu et a eu le poing coupé. M. le premier président, que l'on a dit l'avoir admirablement interrogé sur la sellette, m'a dit n'avoir jamais rien vu de pareil, ce misérable luy ayant respondu sans estonnement, mais avec une douceur, une honnesteté et une présence d'esprit extraordinaires, n'ayant rien voulu dire qui pust charger qui que ce soit.

Après sa condamnation, M. l'évesque de Bayeux l'ayant esté voir dans la prison pour tascher de le convertir, il luy avoit respondu avec douceur et des civilités sur le soin qu'il prenoit de luy, mais avoit desclaré qu'il avoit ses principes qui estoient contraires à tout ce qu'il luy disoit ; enfin n'ayant jamais voulu se reconnoistre coupable, il estoit allé au supplice sans paroistre esmu, avoit fait amende honorable devant Nostre-Dame, avoit demandé pardon à Dieu estant pécheur, mais non au roy, ne l'ayant point offensé, ny à la justice, ne la reconnoissant point ; avoit eu le poing coupé sans avoir fait le moindre cri, au contraire ayant souri se voyant le bras sans main, et ensuite avoit esté attaché au posteau et avoit esté bruslé sans qu'on l'eust ouy se plaindre.

Cette fermeté a esté estonnante, et chacun convient que cet esprit estoit capable d'exécuter tout ce qu'il auroit entrepris de plus exécrable.

L'église de Nostre-Dame fut purifiée le lundy matin, où le gouverneur et l'Hostel-de-Ville se trouvèrent. On a commencé les prières des quarante heures, et toutes les églises et communautés de Paris y doivent aller en procession.
(...)

J'oubliois que, durant le mois d'aoust, la dévotion fut grande à Nostre-Dame à l'occasion de la profanation faite au Saint-Sacrement et de l'assassinat commis en la personne d'un prestre. Par ordonnance de M. l'archevesque, on jeusna trois jours. Les paroisses et communautés religieuses y furent en procession, et enfin cette réparation finit par une procession générale, où toutes les compagnies souveraines et (les officiers) de la Ville se trouvèrent. La dévotion parut très grande, et le concours de monde fut très considérable dans l'église de Nostre-Dame. »

Journal d'Olivier Lefèvre d'Ormesson et extraits des mémoires d'André Lefèvre d'Ormesson, publiés par M. Cheruel. Paris, Impr. impériale, 1861, T. II, p.596

Louis-Sébastien Mercier, dans son Tableau de Paris (chapitre CCXXIV), évoque la même affaire :

« Le 3 Août 1670, le nommé François Sarrazin, natif de Caen en Normandie, âgé de vingt-deux ans, d'abord Huguenot, puis Catholique, mais toujours ennemi de la présence réelle, attaqua l'Hostie l'épée à la main, au moment que le Prêtre la levoit, dans l'Eglise Notre-Dame, à l'hôtel de la Sainte-Vierge. En voulant percer ladite Hostie immédiatement après la consécration, il blessa de deux coups le Prêtre, qui prit la fuite ; mais ses blessures ne furent pas dangereuses.

Aussi-tôt toutes les Messes cesserent, on dépouilla les autels de leurs ornements. L'Eglise fut fermée jusqu'au jour de la réconciliation.

Le 5 Août, François Sarrazin fit amende honorable, ayant un écriteau devant & derriere, portant ces mots : Sacrilege impie. On lui coupa le poing, & il fut brûlé vif en place de Greve. Il ne donna aucun signe de repentir, ni de regret de mourir.

« Le 12 se fit la réparation solemnelle du sacrilege commis. Il y eut une procession générale, où assisterent toutes les Cours souveraines. Toutes les boutiques, tant de la ville que des fauxbourgs, furent fermées par ordre du Sieur de la Reynie, Lieutenant de Police. Voyez la Gazette de France 1670, page 771, jusqu'à la page 796. (...)

On peut assurer (que le Parlement) ne sévira désormais d'une maniere aussi violente, que contre un nouveau François Sarrazin, si un pareil insensé se représentoit ; ce dont on doute très fort. »


Michel Caire, 2009
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