Émile
Zola, L'assommoir, Paris, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », 1975 [1877]
p. 697-699
:
Le surlendemain, lorsque Gervaise se présenta pour avoir des nouvelles,
elle trouva le lit vide. Une sœur lui expliqua qu’on avait
dû transporter son mari à l’asile Sainte-Anne, parce
que la veille, il avait tout d’un coup battu la campagne. Oh !
un déménagement complet, des idées de se casser la
tête contre le mur, des hurlements qui empêchaient les autres
malades de dormir. Ça venait de la boisson, paraissait-il. La boisson,
qui couvait dans son corps, avait profité, pour lui attaquer et
lui tordre les nerfs, de l’instant où la fluxion de poitrine
le tenait sans forces sur le dos. La blanchisseuse rentra bouleversée.
Son homme était fou à cette heure ! La vie allait devenir
drôle, si on le lâchait. Nana criait qu’il fallait le
laisser à l’hôpital, parce qu’il finirait par
les massacrer toutes les deux.
Le dimanche seulement, Gervaise put se rendre à Sainte-Anne. C’était
un vrai voyage. Heureusement, l’omnibus du boulevard Rochechouart
à la Glacière passait près de l’asile. Elle
descendit rue de la Santé, elle acheta deux oranges pour ne pas
entrer les mains vides. Encore un monument, avec des cours grises, des
corridors interminables, une odeur de vieux remèdes rances, qui
n’inspirait pas précisément la gaieté. Mais,
quand on l’eut fait entrer dans une cellule, elle fut toute surprise
de voir Coupeau presque gaillard. Il était justement sur le trône,
une caisse de bois très propre, qui ne répandait pas la
moindre odeur ; et ils rirent de ce qu’elle le trouvait en
fonction, son trou de balle au grand air. N’est-ce pas ? on
sait bien ce que c’est qu’un malade. Il se carrait là-dessus
comme un pape, avec son bagou d’autrefois. Oh ! il allait mieux,
puisque ça reprenait son cours.
– Et la fluxion ? demanda la blanchisseuse.
– Emballée ! répondit-il. Ils m’ont retiré
ça avec la main. Je tousse encore un peu, mais c’est la fin
du ramonage.
Puis, au moment de quitter le trône pour se refourrer dans son lit,
il rigola de nouveau.
– T’as le nez solide, t’as pas peur de prendre une prise,
toi !
Et ils s’égayèrent davantage. Au fond, ils avaient
de la joie. C’était par manière de se témoigner
leur contentement, sans faire de phrases, qu’ils plaisantaient ainsi
ensemble sur la plus fine. Il faut avoir eu des malades pour connaître
le plaisir qu’on éprouve à les revoir bien travailler
de tous les côtés.
Quand il fut dans son lit, elle lui donna les deux oranges, ce qui lui
causa un attendrissement. Il redevenait gentil, depuis qu’il buvait
de la tisane et qu’il ne pouvait plus laisser son cœur sur
les comptoirs des mastroquets. Elle finit par oser lui parler de son coup
de marteau, surprise de l’entendre raisonner comme au bon temps.
– Ah ! oui, dit-il en se blaguant lui-même, j’ai
joliment rabâché !… Imagine-toi, je voyais des
rats, je courais à quatre pattes pour leur mettre un grain de sel
sous la queue. Et toi, tu m’appelais, des hommes voulaient t’y
faire passer. Enfin, toutes sortes de bêtises, des revenants en
plein jour… Oh ! je me souviens très bien, la caboche
est encore solide… À présent, c’est fini, je
rêvasse en m’endormant, j’ai des cauchemars, mais tout
le monde a des cauchemars.
Gervaise resta près de lui jusqu’au soir. Quand l’interne
vint, à la visite de six heures, il lui fit étendre les
mains ; elles ne tremblaient presque plus, à peine un frisson
qui agitait le bout des doigts. Cependant, comme la nuit tombait, Coupeau
fut peu à peu pris d’une inquiétude. Il se leva deux
fois sur son séant, regardant par terre, dans les coins d’ombre
de la pièce. Brusquement, il allongea le bras et parut écraser
une bête contre le mur.
– Qu’est-ce donc ? demanda Gervaise, effrayée.
– Les rats, les rats, murmura-t-il.
Puis, après un silence, glissant au sommeil, il se débattit,
en lâchant des mots entrecoupés.
– Nom de Dieu ! ils me trouent la pelure !… Oh !
les sales bêtes !… Tiens bon ! serre tes jupes !
méfie-toi du salopiaud, derrière toi !… Sacré
tonnerre, la voilà culbutée, et ces mufes qui rigolent !…
Tas de mufes ! tas de fripouilles ! tas de brigands !
Il lançait des claques dans le vide, tirait sa couverture, la roulait
en tapant contre sa poitrine, comme pour la protéger contre les
violences des hommes barbus qu’il voyait. Alors, un gardien étant
accouru, Gervaise se retira, toute glacée par cette scène.
Mais, lorsqu’elle revint, quelques jours plus tard, elle trouva
Coupeau complètement guéri. Les cauchemars eux-mêmes
s’en étaient allés ; il avait un sommeil d’enfant,
il dormait ses dix heures sans bouger un membre. Aussi permit-on à
sa femme de l’emmener. Seulement, l’interne lui dit à
la sortie les bonnes paroles d’usage, en lui conseillant de les
méditer. S’il recommençait à boire, il retomberait
et finirait par y laisser sa peau. Oui, ça dépendait uniquement
de lui. Il avait vu comme on redevenait gaillard et gentil, quand on ne
se soûlait pas. Eh bien ! il devait continuer à la maison
sa vie sage de Sainte-Anne, s’imaginer qu’il était
sous clef et que les marchands de vin n’existaient plus. [...]
Il était très traqueur au fond, il ne se souciait pas de
finir à Bicêtre. Mais, sa passion l’emportait, le premier
petit verre le conduisait malgré lui à un deuxième,
à un troisième, à un quatrième ; et,
dès la fin de la quinzaine, il avait repris sa ration ordinaire,
sa chopine de tord-boyaux par jour.
pp. 744-746 :
Coupeau grognait, n’ayant même plus l’idée d’allonger
des claques. Il perdait la boule, complètement. Et, vraiment, il
n’y avait pas à le traiter de père sans moralité,
car la boisson lui ôtait toute conscience du bien et du mal.
Maintenant, c’était réglé. Il ne dessoûlait
pas de six mois, puis il tombait et entrait à Sainte-Anne ;
une partie de campagne pour lui. Les Lorilleux disaient que monsieur le
duc de Tord-Boyaux se rendait dans ses propriétés. Au bout
de quelques semaines, il sortait de l’asile, réparé,
recloué, et recommençait à se démolir, jusqu’au
jour où, de nouveau sur le flanc, il avait encore besoin d’un
raccommodage. En trois ans, il entra ainsi sept fois à Sainte-Anne.
Le quartier racontait qu’on lui gardait sa cellule. Mais le vilain
de l’histoire était que cet entêté soûlard
se cassait davantage chaque fois, si bien que, de rechute en rechute,
on pouvait prévoir la cabriole finale, le dernier craquement de
ce tonneau malade dont les cercles pétaient les uns après
les autres.
Avec ça, il oubliait d’embellir ; un revenant à
regarder ! Le poison le travaillait rudement. Son corps imbibé
d’alcool se ratatinait comme les fœtus qui sont dans des bocaux,
chez les pharmaciens. Quand il se mettait devant une fenêtre, on
apercevait le jour au travers de ses côtes, tant il était
maigre. Les joues creuses, les yeux dégoûtant, pleurant assez
de cire pour fournir une cathédrale, il ne gardait que sa truffe
de fleurie, belle et rouge, pareille à un œillet au milieu
de sa trogne dévastée. Ceux qui savaient son âge,
quarante ans sonnés, avaient un petit frisson, lorsqu’il
passait, courbé, vacillant, vieux comme les rues. Et le tremblement
de ses mains redoublait, sa main droite surtout battait tellement la breloque,
que, certains jours, il devait prendre son verre dans ses deux poings,
pour le porter à ses lèvres. Oh ! ce nom de Dieu de
tremblement ! c’était la seule chose qui le taquinât
encore, au milieu de sa vacherie générale ! On l’entendait
grogner des injures féroces contre ses mains. D’autres fois,
on le voyait pendant des heures en contemplation devant ses mains qui
dansaient, les regardant sauter comme des grenouilles, sans rien dire,
ne se fâchant plus, ayant l’air de chercher quelle mécanique
intérieure pouvait leur faire faire joujou de la sorte ; et,
un soir, Gervaise l’avait trouvé ainsi, avec deux grosses
larmes qui coulaient sur ses joues cuites de pochard.
Le dernier été, pendant lequel Nana traîna chez ses
parents les restes de ses nuits, fut surtout mauvais pour Coupeau. Sa
voix changea complètement, comme si le fil-en-quatre avait mis
une musique nouvelle dans sa gorge. Il devint sourd d’une oreille.
Puis, en quelques jours, sa vue baissa ; il lui fallait tenir la
rampe de l’escalier, s’il ne voulait pas dégringoler.
Quant à sa santé, elle se reposait, comme on dit. Il avait
des maux de tête abominables, des étourdissements qui lui
faisaient voir trente-six chandelles. Tout d’un coup, des douleurs
aiguës le prenaient dans les bras et dans les jambes ; il pâlissait,
il était obligé de s’asseoir, et restait sur une chaise
hébété pendant des heures ; même, après
une de ces crises, il avait gardé son bras paralysé tout
un jour. Plusieurs fois, il s’alita ; il se pelotonnait, se
cachait sous le drap, avec le souffle fort et continu d’un animal
qui souffre. Alors, les extravagances de Sainte-Anne recommençaient.
Méfiant, inquiet, tourmenté d’une fièvre ardente,
il se roulait dans des rages folles, déchirait ses blouses, mordait
les meubles de sa mâchoire convulsée ; ou bien il tombait
à un grand attendrissement, lâchant des plaintes de fille,
sanglotant et se lamentant de n’être aimé par personne.
pp. 781-794
:
Ma foi, Gervaise ne se dérangea pas. Il connaissait le chemin,
il reviendrait bien tout seul de l’asile ; on l’y avait
tant de fois guéri, qu’on lui ferait une fois de plus la
mauvaise farce de le remettre sur ses pattes. [...] Pourtant, le
lundi, comme Gervaise avait un bon petit repas pour le soir, un reste
de haricots et une chopine, elle se donna le prétexte qu’une
promenade lui ouvrirait l’appétit. La lettre de l’asile,
sur la commode, l’embêtait. La neige avait fondu, il faisait
un temps de demoiselle, gris et doux, avec un fond vif dans l’air
qui ragaillardissait. Elle partit à midi, car la course était
longue ; il fallait traverser Paris, et sa gigue restait toujours
en retard. Avec ça, il y avait une suée de monde dans les
rues ; mais le monde l’amusait, elle arriva très gentiment.
Lorsqu’elle se fut nommée, on lui en raconta une raide :
il paraît qu’on avait repêché Coupeau au Pont-Neuf ;
il s’était élancé par-dessus le parapet, en
croyant voir un homme barbu qui lui barrait le chemin. Un joli saut, n’est-ce
pas ? et quant à savoir comment Coupeau se trouvait sur le
Pont-Neuf, c’était une chose qu’il ne pouvait pas expliquer
lui-même.
Cependant, un gardien conduisit Gervaise. Elle montait un escalier, lorsqu’elle
entendit des gueulements qui lui donnèrent froid aux os.
– Hein ? il en fait, une musique ! dit le gardien.
– Qui donc ? demanda-t-elle.
– Mais votre homme ! Il gueule comme ça depuis avant-hier.
Et il danse, vous allez voir.
Ah ! mon Dieu ! quelle vue ! Elle resta saisie. La cellule
était matelassée du haut en bas ; par terre, il y avait
deux paillassons, l’un sur l’autre ; et, dans un coin,
s’allongeaient un matelas et un traversin, pas davantage. Là-dedans,
Coupeau dansait et gueulait. Un vrai chienlit de la Courtille, avec sa
blouse en lambeaux et ses membres qui battaient l’air ; mais
un chienlit pas drôle, oh ! non, un chienlit dont le chahut
effrayant vous faisait dresser tout le poil du corps. Il était
déguisé en un-qui-va-mourir. Cré nom ! quel
cavalier seul ! Il butait contre la fenêtre, s’en retournait
à reculons, les bras marquant la mesure, secouant les mains, comme
s’il avait voulu se les casser et les envoyer à la figure
du monde. On rencontre des farceurs dans les bastringues, qui imitent
ça ; seulement, ils l’imitent mal, il faut voir sauter
ce rigodon des soûlards, si l’on veut juger quel chic ça
prend, quand c’est exécuté pour de bon. La chanson
a son cachet aussi, une engueulade continue de carnaval, une bouche grande
ouverte lâchant pendant des heures les mêmes notes de trombone
enroué. Coupeau, lui, avait le cri d’une bête dont
on a écrasé la patte. Et, en avant l’orchestre, balancez
vos dames !
– Seigneur ! qu’est-ce qu’il a donc ?…
qu’est-ce qu’il a donc ?… répétait
Gervaise, prise de taf.
Un interne, un gros garçon blond et rose, en tablier blanc, tranquillement
assis, prenait des notes. Le cas était curieux, l’interne
ne quittait pas le malade.
– Restez un instant, si vous voulez, dit-il à la blanchisseuse ;
mais tenez-vous tranquille… Essayez de lui parler, il ne vous reconnaîtra
pas.
Coupeau, en effet, ne parut même pas apercevoir sa femme. Elle l’avait
mal vu en entrant tant il se disloquait. Quand elle le regarda sous le
nez, les bras lui tombèrent. Était-ce Dieu possible qu’il
eût une figure pareille, avec du sang dans les yeux et des croûtes
plein les lèvres ? Elle ne l’aurait bien sûr pas
reconnu. D’abord, il faisait trop de grimaces, sans dire pourquoi,
la margoulette tout d’un coup à l’envers, le nez froncé,
les joues tirées, un vrai museau d’animal. Il avait la peau
si chaude, que l’air fumait autour de lui ; et son cuir était
comme verni, ruisselant d’une sueur lourde qui dégoulinait.
Dans sa danse de chicard enragé, on comprenait tout de même
qu’il n’était pas à son aise, la tête
lourde, avec des douleurs dans les membres.
Gervaise s’était rapprochée de l’interne, qui
battait un air du bout des doigts sur le dossier de sa chaise.
– Dites donc, monsieur, c’est sérieux alors, cette
fois ?
L’interne hocha la tête sans répondre.
– Dites donc, est-ce qu’il ne jacasse pas tout bas ?…
Hein ? vous entendez, qu’est-ce que c’est ?
– Des choses qu’il voit, murmura le jeune homme. Taisez-vous,
laissez-moi écouter.
Coupeau parlait d’une voix saccadée. Pourtant, une flamme
de rigolade lui éclairait les yeux. Il regardait par terre, à
droite, à gauche, et tournait, comme s’il avait flâné
au bois de Vincennes, en causant tout seul.
– Ah ! ça, c’est gentil, c’est pommé…
Il y a des chalets, une vraie foire. Et de la musique un peu chouette !
Quel Balthazar ! ils cassent les pots, là-dedans… Très
chic ! V’là que ça s’illumine ; des
ballons rouges en l’air, et ça saute, et ça file !…
Oh ! oh ! que de lanternes dans les arbres ! Il fait joliment
bon ! Ça pisse de partout, des fontaines, des cascades, de
l’eau qui chante, oh ! d’une voix d’enfant de chœur…
Épatant les cascades !
Et il se redressait, comme pour mieux entendre la chanson délicieuse
de l’eau ; il aspirait l’air fortement, croyant boire
la pluie fraîche envolée des fontaines. Mais, peu à
peu, sa face reprit une expression d’angoisse. Alors, il se courba,
il fila plus vite le long des murs de la cellule, avec de sourdes menaces.
– Encore des fourbis, tout ça !… Je me méfiais…
Silence, tas de gouapes ! Oui, vous vous fichez de moi. C’est
pour me turlupiner que vous buvez et que vous braillez là-dedans
avec vos traînées… Je vas vous démolir, moi,
dans votre chalet !… Nom de Dieu ! voulez-vous me foutre
la paix !
Il serrait les poings ; puis, il poussa un cri rauque, il s’aplatit
en courant. Et il bégayait, les dents claquant d’épouvante :
– C’est pour que je me tue. Non, je ne me jetterai pas !…
Toute cette eau, ça signifie que je n’ai pas de cœur.
Non, je ne me jetterai pas !
Les cascades, qui fuyaient à son approche, s’avançaient
quand il reculait. Et, tout d’un coup, il regarda stupidement autour
de lui, il balbutia, d’une voix à peine distincte :
– Ce n’est pas possible, on a embauché des physiciens
contre moi !
– Je m’en vais, monsieur, bonsoir ! dit Gervaise à
l’interne. Ça me retourne trop, je reviendrai.
Elle était blanche. Coupeau continuait son cavalier seul, de la
fenêtre au matelas, et du matelas à la fenêtre, suant,
s’échinant, battant la même mesure. Alors, elle se
sauva. Mais elle eut beau dégringoler l’escalier, elle entendit
jusqu’en bas le sacré chahut de son homme. Ah ! mon
Dieu ! qu’il faisait bon dehors, on respirait ! [...]
Le lendemain, en se levant, elle se promit de ne plus aller là-bas.
À quoi bon ? Elle ne voulait pas perdre la boule, à
son tour. Cependant, toutes les dix minutes, elle retombait dans ses réflexions,
elle était sortie, comme on dit. Ça serait curieux pourtant,
s’il faisait toujours ses ronds de jambe. Quand midi sonna, elle
ne put tenir davantage, elle ne s’aperçut pas de la longueur
du chemin, tant le désir et la peur de ce qui l’attendait
lui occupaient la cervelle.
Oh ! elle n’eut pas besoin de demander des nouvelles. Dès
le bas de l’escalier, elle entendit la chanson de Coupeau. Juste
le même air, juste la même danse. Elle pouvait croire qu’elle
venait de descendre à la minute, et qu’elle remontait. Le
gardien de la veille, qui portait des pots de tisane dans le corridor,
cligna de l’œil en la rencontrant, pour se montrer aimable.
– Alors, toujours ! dit-elle.
– Oh ! toujours ! répondit-il sans s’arrêter.
Elle entra, mais elle se tint dans le coin de la porte, parce qu’il
y avait du monde avec Coupeau. L’interne blond et rose était
debout, ayant cédé sa chaise à un vieux monsieur
décoré, chauve et la figure en museau de fouine. C’était
bien sûr le médecin en chef, car il avait des regards minces
et perçants comme des vrilles. Tous les marchands de mort subite
vous ont de ces regards-là.
Gervaise, d’ailleurs, n’était pas venue pour ce monsieur,
et elle se haussait derrière son crâne, mangeant Coupeau
des yeux. Cet enragé dansait et gueulait plus fort que la veille.
Elle avait bien vu, autrefois, à des bals de la mi-carême,
des garçons de lavoir solides s’en donner pendant toute une
nuit ; mais jamais, au grand jamais, elle ne se serait imaginé
qu’un homme pût prendre du plaisir si longtemps ; quand
elle disait prendre du plaisir, c’était une façon
de parler, car il n’y a pas de plaisir à faire malgré
soi des sauts de carpe, comme si on avait avalé une poudrière.
Coupeau, trempé de sueur, fumait davantage, voilà tout.
Sa bouche semblait plus grande, à force de crier. Oh ! les
dames enceintes faisaient bien de rester dehors. Il avait tant marché
du matelas à la fenêtre, qu’on voyait son petit chemin
à terre ; le paillasson était mangé par ses
savates.
Non, vrai, ça n’offrait rien de beau, et Gervaise, tremblante,
se demandait pourquoi elle était revenue. Dire que, la veille au
soir, chez les Boche, on l’accusait d’exagérer le tableau !
Ah bien ! elle n’en avait pas fait la moitié assez !
Maintenant, elle voyait mieux comment Coupeau s’y prenait, elle
ne l’oublierait jamais plus, les yeux grands ouverts sur le vide.
Pourtant, elle saisissait des phrases, entre l’interne et le médecin.
Le premier donnait des détails sur la nuit, avec des mots qu’elle
ne comprenait pas. Toute la nuit, son homme avait causé et pirouetté,
voilà ce que ça signifiait au fond. Puis, le vieux monsieur
chauve, pas très poli d’ailleurs, parut enfin s’apercevoir
de sa présence ; et, quand l’interne lui eut dit qu’elle
était la femme du malade, il se mit à l’interroger,
d’un air méchant de commissaire de police.
– Est-ce que le père de cet homme buvait ?
– Oui, monsieur, un petit peu, comme tout le monde… Il s’est
tué en dégringolant d’un toit, un jour de ribote.
– Est-ce que sa mère buvait ?
– Dame ! monsieur, comme tout le monde, vous savez, une goutte
par-ci, une goutte par-là… Oh ! la famille est très
bien !… Il y a eu un frère, mort très jeune
dans des convulsions.
Le médecin la regardait de son œil perçant. Il reprit,
de sa voix brutale :
– Vous buvez aussi, vous ?
Gervaise bégaya, se défendit, posa la main sur son cœur
pour donner sa parole sacrée.
– Vous buvez ! Prenez garde, voyez où mène la
boisson… Un jour ou l’autre, vous mourrez ainsi.
Alors, elle resta collée contre le mur. Le médecin avait
tourné le dos. Il s’accroupit, sans s’inquiéter
s’il ne ramassait pas la poussière du paillasson avec sa
redingote ; il étudia longtemps le tremblement de Coupeau,
l’attendant au passage, le suivant du regard. Ce jour-là,
les jambes sautaient à leur tour, le tremblement était descendu
des mains dans les pieds ; un vrai polichinelle, dont on aurait tiré
les fils, rigolant des membres, le tronc raide comme du bois. Le mal gagnait
petit à petit. On aurait dit une musique sous la peau ; ça
partait toutes les trois ou quatre secondes, roulait un instant ;
puis ça s’arrêtait et ça reprenait, juste le
petit frisson qui secoue les chiens perdus, quand ils ont froid l’hiver,
sous une porte. Déjà le ventre et les épaules avaient
un frémissement d’eau sur le point de bouillir. Une drôle
de démolition tout de même, s’en aller en se tordant,
comme une fille à laquelle les chatouilles font de l’effet !
Coupeau, cependant, se plaignait d’une voix sourde. Il semblait
souffrir beaucoup plus que la veille. Ses plaintes entrecoupées
laissaient deviner toutes sortes de maux. Des milliers d’épingles
le piquaient. Il avait partout sur la peau quelque chose de pesant ;
une bête froide et mouillée se tramait sur ses cuisses et
lui enfonçait des crocs dans la chair. Puis, c’étaient
d’autres bêtes qui se collaient à ses épaules,
en lui arrachant le dos à coups de griffes.
– J’ai soif, oh ! j’ai soif ! grognait-il
continuellement.
L’interne prit un pot de limonade sur une planchette et le lui donna.
Il saisit le pot à deux mains, aspira goulûment une gorgée,
en répandant la moitié du liquide sur lui ; mais il
cracha tout de suite la gorgée, avec un dégoût furieux,
en criant :
– Nom de Dieu ! c’est de l’eau-de-vie !
Alors, l’interne, sur un signe du médecin, voulut lui faire
boire de l’eau, sans lâcher la carafe. Cette fois, il avala
la gorgée, en hurlant, comme s’il avait avalé du feu.
– C’est de l’eau-de-vie, nom de Dieu ! c’est
de l’eau-de-vie !
Depuis la veille, tout ce qu’il buvait était de l’eau-de-vie.
Ça redoublait sa soif, et il ne pouvait plus boire, parce que tout
le brûlait. On lui avait apporté un potage, mais on cherchait
à l’empoisonner bien sûr, car ce potage sentait le
vitriol. Le pain était aigre et gâté. Il n’y
avait que du poison autour de lui. La cellule puait le soufre. Même
il accusait des gens de frotter des allumettes sous son nez pour l’empester.
Le médecin venait de se relever et écoutait Coupeau, qui
maintenant voyait de nouveau des fantômes en plein midi. Est-ce
qu’il ne croyait pas apercevoir sur les murs des toiles d’araignée
grandes comme des voiles de bateau. Puis, ces toiles devenaient des filets
avec des mailles qui se rétrécissaient et s’allongeaient,
un drôle de joujou ! Des boules noires voyageaient dans les
mailles, de vraies boules d’escamoteurs, d’abord grosses comme
des billes, puis grosses comme des boulets ; et elles enflaient,
et elles maigrissaient, histoire simplement de l’embêter.
Tout d’un coup, il cria :
– Oh ! les rats, v’là les rats, à cette
heure !
C’étaient les boules qui devenaient des rats. Ces sales animaux
grossissaient, passaient à travers le filet, sautaient sur le matelas,
où ils s’évaporaient. Il y avait aussi un singe, qui
sortait du mur, qui rentrait dans le mur, en s’approchant chaque
fois si près de lui, qu’il reculait, de peur d’avoir
le nez croqué. Brusquement, ça changea encore ; les
murs devaient cabrioler, car il répétait, étranglé
de terreur et de rage :
– C’est ça, aïe donc ! secouez-moi, je m’en
fiche !… Aïe donc ! la cambuse ! aïe donc !
par terre !… Oui, sonnez les cloches, tas de corbeaux !
jouez de l’orgue pour m’empêcher d’appeler la
garde !… Et ils ont mis une machine derrière le mur,
ces racailles ! Je l’entends bien, elle ronfle, ils vont nous
faire sauter… Au feu ! nom de Dieu ! au feu. On crie
au feu ! voilà que ça flambe. Oh ! ça s’éclaire,
ça s’éclaire ! tout le ciel brûle, des
feux rouges, des feux verts, des feux jaunes… À moi !
au secours ! au feu !
Ses cris se perdaient dans un râle. Il ne marmottait plus que des
mots sans suite, une écume à la bouche, le menton mouillé
de salive. Le médecin se frottait le nez avec le doigt, un tic
qui lui était sans doute habituel, en face des cas graves. Il se
tourna vers l’interne, lui demanda à mi-voix :
–Et la température, toujours quarante degrés, n’est-ce
pas ?
–Oui, monsieur.
Le médecin fit une moue. Il demeura encore là deux minutes,
les yeux fixés sur Coupeau. Puis, il haussa les épaules,
en ajoutant :
– Le même traitement, bouillon, lait, limonade citrique, extrait
mou de quinquina en potion… Ne le quittez pas, et faites-moi appeler.
Il sortit, Gervaise le suivit, pour lui demander s’il n’y
avait plus d’espoir. Mais il marchait si raide dans le corridor,
qu’elle n’osa pas l’aborder. Elle resta plantée
là un instant, hésitant à rentrer voir son homme.
La séance lui semblait déjà joliment rude. Comme
elle l’entendait crier encore que la limonade sentait l’eau-de-vie,
ma foi ! elle fila, ayant assez d’une représentation.
Dans les rues, le galop des chevaux et le bruit des voitures lui firent
croire que tout Sainte-Anne était à ses trousses. Et ce
médecin qui l’avait menacée ! Vrai, elle croyait
déjà avoir la maladie. [...]
Ce jour-là, à Sainte-Anne, le corridor tremblait des gueulements
et des coups de talon de Coupeau. Elle tenait encore la rampe de l’escalier,
qu’elle l’entendit hurler :
– En v’là des punaises !… Rappliquez un
peu par ici, que je vous désosse !… Ah ! ils veulent
m’escoffier, ah ! les punaises !… Je suis plus
rupin que vous tous ! Décarrez, nom de Dieu !
Un instant, elle souffla devant la porte. Il se battait donc avec une
armée ! Quand elle entra, ça croissait et ça
embellissait. Coupeau était fou furieux, un échappé
de Charenton ! Il se démenait au milieu de la cellule, envoyant
les mains partout, sur lui, sur les murs, par terre, culbutant, tapant
dans le vide ; et il voulait ouvrir la fenêtre, et il se cachait,
se défendait, appelait, répondait, tout seul pour faire
ce sabbat, de l’air exaspéré d’un homme cauchemardé
par une flopée de monde. Puis, Gervaise comprit qu’il s’imaginait
être sur un toit, en train de poser des plaques de zinc. Il faisait
le soufflet avec sa bouche, il remuait des fers dans le réchaud,
se mettait à genoux, pour passer le pouce sur les bords du paillasson,
en croyant qu’il le soudait. Oui, son métier lui revenait,
au moment de crever ; et s’il gueulait si fort, s’il
se crochait sur son toit, c’était que des mufes l’empêchaient
d’exécuter proprement son travail. Sur tous les toits voisins,
il y avait de la fripouille qui le mécanisait. Avec ça,
ces blagueurs lui lâchaient des bandes de rats dans les jambes.
Ah ! les sales bêtes, il les voyait toujours ! Il avait
beau les écraser, en frottant son pied sur le sol de toutes ses
forces, il en passait de nouvelles ribambelles, le toit en était
noir. Est-ce qu’il n’y avait pas des araignées aussi !
Il serrait rudement son pantalon pour tuer contre sa cuisse de grosses
araignées, qui s’étaient fourrées là.
Sacré tonnerre ! il ne finirait jamais sa journée,
on voulait le perdre, son patron allait l’envoyer à Mazas.
Alors, en se dépêchant, il crut qu’il avait une machine
à vapeur dans le ventre ; la bouche grande ouverte, il soufflait
de la fumée, une fumée épaisse qui emplissait la
cellule et qui sortait par la fenêtre ; et penché, soufflant
toujours, il regardait dehors le ruban de fumée se dérouler,
monter dans le ciel, où il cachait le soleil.
– Tiens ! cria-t-il, c’est la bande de la chaussée
Clignancourt, déguisée en ours, avec des flafla…
Il restait accroupi devant la fenêtre, comme s’il avait suivi
un cortège dans une rue, du haut d’une toiture.
– V’là la cavalcade, des lions et des panthères
qui font des grimaces… Il y a des mômes habillés en
chiens et en chats… Il y a la grande Clémence, avec sa tignasse
pleine de plumes. Ah ! sacredié ! elle fait la culbute,
elle montre tout ce qu’elle a !… Dis donc, ma biche,
faut nous carapater… Eh ! bougres de roussins, voulez-vous
bien ne pas la prendre !… Ne tirez pas, tonnerre ! ne
tirez pas…
Sa voix montait, rauque, épouvantée, et il se baissait vivement,
répétant que la rousse et les pantalons rouges étaient
en bas, des hommes qui le visaient avec des fusils. Dans le mur, il voyait
le canon d’un pistolet braqué sur sa poitrine. On venait
lui reprendre la fille.
– Ne tirez pas, nom de Dieu ! ne tirez pas…
Puis, les maisons s’effondraient, il imitait le craquement d’un
quartier qui croule ; et tout disparaissait, tout s’envolait.
Mais il n’avait pas le temps de souffler, d’autres tableaux
passaient, avec une mobilité extraordinaire. Un besoin furieux
de parler lui emplissait la bouche de mots, qu’il lâchait
sans suite, avec un barbotement de la gorge. Il haussait toujours la voix.
– Tiens, c’est toi, bonjour !… Pas de blague !
ne me fais pas manger tes cheveux.
Et il passait la main devant son visage, il soufflait pour écarter
des poils. L’interne l’interrogea :
– Qui voyez-vous donc ?
– Ma femme, pardi !
Il regardait le mur, tournant le dos à Gervaise.
Celle-ci eut un joli trac, et elle examina aussi le mur, pour voir si
elle ne s’apercevait pas. Lui, continuait de causer.
– Tu sais, ne m’embobine pas… Je ne veux pas qu’on
m’attache… Fichtre ! te voilà belle, t’as
une toilette chic. Où as-tu gagné ça, vache !
Tu viens de la retape, chameau ! Attends un peu que je t’arrange !…
Hein ? tu caches ton monsieur derrière tes jupes. Qu’est-ce
que c’est que celui-là ? Fais donc la révérence,
pour voir… Nom de Dieu ! c’est encore lui ! D’un
saut terrible, il alla se heurter la tête contre la muraille ;
mais la tenture rembourrée amortit le coup. On entendit seulement
le rebondissement de son corps sur le paillasson, où la secousse
l’avait jeté.
– Qui voyez-vous donc ? répéta l’interne.
– Le chapelier ! le chapelier ! hurlait Coupeau.
Et, l’interne ayant interrogé Gervaise, celle-ci bégaya
sans pouvoir répondre, car cette scène remuait en elle tous
les embêtements de sa vie. Le zingueur allongeait les poings.
– À nous deux, mon cadet ! Faut que je te nettoie à
la fin ! Ah ! tu viens tout de go, avec cette drogue au bras,
pour te ficher de moi en public. Eh bien ! je vas t’estrangouiller,
oui, oui, moi ! et sans mettre des gants encore !… Ne
fais pas le fendant… Empoche ça. Et atout ! atout !
atout !
Il lançait ses poings dans le vide. Alors, une fureur s’empara
de lui. Ayant rencontré le mur en reculant, il crut qu’on
l’attaquait par-derrière. Il se retourna, s’acharna
sur la tenture. Il bondissait, sautait d’un coin à un autre,
tapait du ventre, des fesses, d’une épaule, roulait, se relevait.
Ses os mollissaient, ses chairs avaient un bruit d’étoupes
mouillées. Et il accompagnait ce joli jeu de menaces atroces, de
cris gutturaux et sauvages. Cependant, la bataille devait mal tourner
pour lui, car sa respiration devenait courte, ses yeux sortaient de leurs
orbites ; et il semblait peu à peu pris d’une lâcheté
d’enfant.
– À l’assassin ! à l’assassin !…
Foutez le camp, tous les deux. Oh ! les salauds, ils rigolent. La
voilà les quatre fers en l’air, cette garce !…
Il faut qu’elle y passe, c’est décidé…
Ah ! le brigand, il la massacre ! Il lui coupe une quille avec
son couteau. L’autre quille est par terre, le ventre est en deux,
c’est plein de sang… Oh ! mon Dieu, oh ! mon Dieu,
oh ! mon Dieu…
Et, baigné de sueur, les cheveux dressés sur le front, effrayant,
il s’en alla à reculons, en agitant violemment les bras,
comme pour repousser l’abominable scène. Il jeta deux plaintes
déchirantes, il s’étala à la renverse sur le
matelas, dans lequel ses talons s’étaient empêtrés.
– Monsieur, monsieur, il est mort ! dit Gervaise, les mains
jointes.
L’interne s’était avancé, tirant Coupeau au
milieu du matelas. Non, il n’était pas mort. On l’avait
déchaussé ; ses pieds nus passaient, au bout ;
et ils dansaient tout seuls, l’un à côté de
l’autre, en mesure, d’une petite danse pressée et régulière.
Justement, le médecin entra. Il amenait deux collègues,
un maigre et un gras, décorés comme lui. Tous les trois
se penchèrent, sans rien dire, regardant l’homme partout ;
puis, rapidement, à demi-voix, ils causèrent. Ils avaient
découvert l’homme des cuisses aux épaules, Gervaise
voyait, en se haussant, ce torse nu étalé. Eh bien !
c’était complet, le tremblement était descendu des
bras et monté des jambes, le tronc lui-même entrait en gaieté,
à cette heure ! Positivement, le polichinelle rigolait aussi
du ventre. C’étaient des risettes le long des côtes
un essoufflement de la berdouille, qui semblait crever de rire. Et tout
marchait, il n’y avait pas à dire ! les muscles se faisaient
vis-à-vis, la peau vibrait comme un tambour, les poils valsaient
en se saluant. Enfin, ça devait être le grand branle-bas,
comme qui dirait le galop de la fin, quand le jour paraît et que
tous les danseurs se tiennent par la patte en tapant du talon.
– Il dort, murmura le médecin en chef.
Et il fit remarquer la figure de l’homme aux deux autres. Coupeau,
les paupières closes, avait de petites secousses nerveuses qui
lui tiraient toute la face. Il était plus affreux encore, ainsi
écrasé, la mâchoire saillante, avec le masque déformé
d’un mort qui aurait eu des cauchemars. Mais les médecins,
ayant aperçu les pieds, vinrent mettre leurs nez dessus d’un
air de profond intérêt. Les pieds dansaient toujours. Coupeau
avait beau dormir, les pieds dansaient. Oh ! leur patron pouvait
ronfler, ça ne les regardait pas, ils continuaient leur train-train,
sans se presser ni se ralentir. De vrais pieds mécaniques, des
pieds qui prenaient leur plaisir où ils le trouvaient.
Pourtant, Gervaise, ayant vu les médecins poser leurs mains sur
le torse de son homme, voulut le tâter elle aussi. Elle s’approcha
doucement, lui appliqua sa main sur une épaule. Et elle la laissa
une minute. Mon Dieu ! qu’est-ce qui se passait donc là-dedans ?
Ça dansait jusqu’au fond de la viande ; les os eux-mêmes
devaient sauter. Des frémissements, des ondulations arrivaient
de loin, coulaient pareils à une rivière, sous la peau.
Quand elle appuyait un peu, elle sentait les cris de souffrance de la
moelle. À l’œil nu, on voyait seulement les petites
ondes creusant des fossettes, comme à la surface d’un tourbillon ;
mais, dans l’intérieur, il devait y avoir un joli ravage.
Quel sacré travail ! un travail de taupe ! C’était
le vitriol de l’Assommoir qui donnait là-bas des coups de
pioche. Le corps entier en était saucé, et dame ! il
fallait que ce travail s’achevât, émiettant, emportant
Coupeau, dans le tremblement général et continu de toute
la carcasse.»Les médecins s’en étaient allés.
Au bout d’une heure, Gervaise, restée avec l’interne,
répéta à voix basse :
– Monsieur, monsieur, il est mort…
Mais l’interne, qui regardait les pieds, dit non de la tête.
Les pieds nus, hors du lit, dansaient toujours. Ils n’étaient
guère propres, et ils avaient les ongles longs. Des heures encore
passèrent. Tout d’un coup, ils se raidirent, immobiles. Alors,
l’interne se tourna vers Gervaise, en disant :
– Ça y est.
La mort seule avait arrêté les pieds.»
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