Psychiatrie et littérature L'asile maupassantien, point de départ du récit |
Guy de Maupassant, Mademoiselle Cocotte [Gil Blas, 20 mars 1883] « Nous
allions sortir de l'Asile quand j'aperçus dans un coin de la cour
un grand homme maigre qui faisait obstinément le simulacre d'appeler
un chien imaginaire. Il criait, d'une voix douce, d'une voix tendre :
"Cocotte, ma petite Cocotte, viens ici, Cocotte, viens ici, ma belle"
en tapant sur sa cuisse comme on fait pour attirer les bêtes. Je
demandai au médecin : |
« Le
docteur Marrande, le plus illustre et le plus éminent des aliénistes,
avait prié trois de ses confrères et quatre savants, s'occupant
de sciences naturelles, de venir passer une heure chez lui, dans la maison
de santé qu'il dirigeait, pour leur montrer un de ses malades.
|
Guy de Maupassant, La chevelure [Gil Blas, 13 mai 1884] « Les
murs de la cellule étaient nus, peints à la chaux. Une fenêtre
étroite et grillée, percée très haut de façon
qu'on ne pût pas y atteindre, éclairait cette petite pièce
claire et sinistre; et le fou, assis sur une chaise de paille, nous regardait
d'un œil fixe, vague et hanté. Il était fort maigre
avec des joues creuses et des cheveux presque blancs qu'on devinait blanchis
en quelques mois. Ses vêtements semblaient trop larges pour ses
membres secs, pour sa poitrine rétrécie, pour son ventre
creux. On sentait cet homme ravagé, rongé par sa pensée,
par une Pensée, comme un fruit par un ver. Sa Folie, son idée
était là, dans cette tête, obstinée, harcelante,
dévorante. Elle mangeait le corps peu à peu. Elle, l'Invisible,
l'Impalpable, l'Insaisissable, l'Immatérielle Idée minait
la chair, buvait le sang, éteignait la vie. Quel mystère
que cet homme tué par un Songe ! Il faisait peine, peur et
pitié, ce Possédé ! Quel rêve étrange,
épouvantable et mortel habitait dans ce front, qu'il plissait de
rides profondes, sans cesse remuantes ?
|
Guy de Maupassant, Madame Hermet [Gil Blas, 18 janvier 1887] « Les
fous m'attirent. Ces gens-là vivent dans un pays mystérieux
de songes bizarres, dans ce nuage impénétrable de la démence
où tout ce qu'ils ont vu sur la terre, tout ce qu'ils ont aimé,
tout ce qu'ils ont fait recommence pour eux dans une existence imaginée
en dehors de toutes les lois qui gouvernent les choses et régissent
la pensée humaine. |
Guy de Maupassant, La vie errante, Paris, G. V. éditeur, Nouvelle librairie de France, « Collection nationale des grands auteurs », 1990 [1890] pp. 145-148
: |
Documents recueillis par Julie Froudière, docteur ès lettres de l'Université de Nancy 2010 Michel Caire, 2010-2011 ©
|