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Auguste (Stanislas) Bécoulet
Gray (Haute-Saône) 27 octobre 1838 / Dole (Jura) 3 juin 1904

Médecin des asiles publics d'aliénés. Fondateur et premier directeur médecin en chef de l'asile de Saint-Ylie [Jura].
Membre de la Société médico-psychologique élu le 27 février 1882, chevalier de la Légion d'honneur, décret du 7 juin 1884.

Fils d'Auguste Marie Antoine Louis Bécoulet, négociant, et de Pierre Françoise Claude Célestine Dody, Auguste fait ses études de médecine à la Faculté de médecine de Strasbourg.

Après avoir exercé un an comme interne dans le service d'Alexis Broc [1836-1882] à l'asile d'aliénés de Bailleul, Bécoulet prend le 17 juillet 1866 un poste de médecin adjoint à l'asile du département de l'Yonne (Auxerre).

Le 31 juillet 1870, il est nommé médecin en chef à Maréville, et le 23 février 1874, prend la direction de l'asile du Jura à Dole, dont il conduira la réinstallation à Saint-Ylie.

En 1884, le directeur médecin en chef rédige une petite notice sur le transfert de l'Asile à St Ylie qui expose les grandes lignes de ce grand projet, nécessité par l'inadéquation de la « maison des aliénés de Dole » -aussi connu sous son ancien nom d'asile des Carmes- aux besoins nouveaux en matière de traitement des aliénés [cet établissement comprenait non seulement l'hospice des aliénés, mais aussi une maison de protection pour les femmes enceintes désirant cacher leur grossesse] :

« L'accroissement constant de la population hospitalisée dans l'Asile départemental de Dôle avait nécessité en 1852, l'achat du Jardin Mailly où, en 1864, on avait commencé à élever les constructions qui devaient constituer la division des hommes.
En 1868, le conseil Général du Jura autorisait un emprunt de 170.000 francs, destiné à l'achèvement complet de ces constructions.
Mais, dès 1873, il était devenu évident que l'accroissement des malades (leur chiffre était déjà de 429) ne pouvait se concilier avec les ressources qu'offrait l'Asile ainsi modifié.
En outre, l'habitation au milieu de la ville, au voisinage de la Caserne, les conditions déplorables au point de vue de l'hygiène, de l'ancien bâtiment des Carmes où se trouvaient la Division des femmes et les services généraux, imposaient la nécessité d'une transformation complète.
Aussi en 1873, le Conseil Général convoqué en session extraordinaire décidait l'achat de la propriété de St Ylie, qui fut acquise au prix de 178.000 francs; En 1876, dans sa séance du 10 mai, il décidait qu'un emprunt de 700.000 francs serait fait par souscription publique pour régler le prix de cette acquisition et construire les pavillons destinés à la Division des hommes. Mais avec cette clause expresse : " Que cet emprunt ne pourrait être contracté que dans l'intérêt de l'Asile des Aliénés du Jura, et que ce serait sur les ressources de cet établissement que seraient prélevées les sommes nécessaires au paiement des intérêts et de l'amortissement du dit emprunt" (Rapport de Mr Brugnon, 10 mai 1876).
Avant de s'engager dans cette voie, le Conseil Général avait mûrement réfléchi, la discussion avait duré trois ans et ce n'est qu'à vue des antécédents et des résultats obtenus qu'il s'était décidé. En effet, au moment de l'achat de St Ylie, la situation de l'Asile, au point de vue des terrains bâtis ou exploités, était la suivante : Terrains occupés par l'Asile, 2 hect. 32 ares, 40 cent. Exploitation maraîchère de la Bedugue, 2 hect. 64 a. 94 c. C'est avec ces modestes ressources cependant que l'Asile avait fait face aux annuités de l'emprunt de 170.000 francs (1868) qui devait d'éteindre et qui, en effet, a été éteint en 1881.
En 1862, les ressources de l'Asile devenaient libres il s'agissait alors de faire face aux exigences du contrat, souscrit le 10 mai 1876, par le Conseil Général. Nous pouvons dire aujourd'hui que les prévisions ont été largement dépassées.
En effet : En 1873, l'Asile possédait comme il est établi plus haut, 4 hectares, 97 ares, 34 centiares. Aujourd'hui, il possède 107 hectares, 71 ares 34 centiares qui se décomposent ainsi : [St Ylie, Domaine de Sarcus, Choisey, ...] [...]
Le Département est en train de se créer avec sa seule signature morale, un Etablissement de premier ordre
. »

La fin de la carrière d'Auguste Bécoulet -et de sa vie de célibataire- est assombrie par un sévère handicap qui fera, comme le relève son ancien collègue Albert Giraud 1884-1910 dont on lira ci-après l'éloge nécrologique, que « dans les dernières années il ne pouvait plus sortir que dans une petite voiture » : Bécoulet fut atteint du Mal de Pott, qui est une tuberculose vertébrale ou spondylodiscite, en un temps où il n'existait pas de traitement anti-tuberculeux efficace.


C'est donc le médecin adjoint de l'asile, le bisontin Léon Guillemin 1852-1898 qui a la charge presque entière de l'établissement, qui comprend plus de 800 malades.

Le successeur de Bécoulet comme directeur médecin de l’asile, Hippolyte Chaussinand 1853-1933, nommé le 3 novembre 1893, est installé le 1er décembre 1893. A cette date, l'ancien médecin adjoint, Léon Guillemin a pris depuis peu ses fonctions de médecin en chef de l'asile de Montdevergues. Les pavillons de la division des femmes avaient débuté l'année précédente, tandis que quatre cents hommes aliénés avaient déjà été transférés. Bécoulet n'eut donc pas le bonheur d'inaugurer le nouvel asile achevé

Son décès, survenu le 3 juin 1904 en son domicile rue du Faubourg de Besançon n°4, est déclaré par son confrère et ami Albert Billon -qui lui aussi prononcera son éloge- et un autre Dolois, employé au cadastre.

A la toute fin de sa carrière, Bécoulet a en charge le tristement célèbre Vacher dit l'éventreur, qui, avant son transfert à Saint-Egrève, séjourne à Saint-Ylie du 7 juillet au 21 décembre 1893 et pour lequel il rédige les certificats de 24 heures et de Quinzaine. Mais c'est son adjoint Guillemin qui rédige le 12 septembre le rapport médico-légal. Plus tard, dans des lettres écrites à la prison de Belley et celle de Lyon, Vacher évoquera ce séjour, se montrant très critique à l'égard de Bécoulet et des personnels soignants de l'asile du Jura [tous mes remerciements à Roger Métivier, lecteur attentif de l'ouvrage de Marc Renneville, Vacher l'éventreur. Archives d'un tueur en série, Jérôme Millon éd., 2019, ainsi que de notre site].


Nécrologie
Dr Bécoulet

[Annales médico-psychologiques 1905, I, p.162-163]

« Nous avons le vif regret d'annoncer la mort du Dr Bécoulet, médecin-directeur honoraire des asiles d'aliénés, membre correspondant de la Société médico-psychologiques, décédé, il y a quelques mois, dans sa soixante-sixième année.

Bécoulet, Auguste-Stanislas, né à Gray (Haute-Saône), le 27 octobre 1838, est mort à Dole le 3 juin 1904.

Etudiant en médecine à Strasbourg, il avait débuté dans le service des asiles comme interne à l'asile de Bailleul. C'est là, dans le service de Broc, qu'il recueillit les observations originales utilisées par lui dans sa thèse inaugurale intitulée : "Quelques considérations sur l'emploi de l'opium dans la manie", thèse qu'il soutint à Strasbourg en 1866. La même année, il était nommé médecin-adjoint à l'asile d'Auxerre.

En mars 1869, il publia dans les Annales médico-psychologiques un travail sur l'emploi du bromure de potassium dans la folie épileptique, travail basé sur des observations originales.

Au mois d'août 1870, il était nommé médecin en chef du service des hommes à l'asile de Maréville, en remplacement de Broc, son ancien chef de service, mais il ne put prendre immédiatement possession de son nouveau poste. La Lorraine était envahie; il ne put traverser les lignes allemandes et il prit du service pendant la guerre dans les ambulances d'Auxonne. Il arriva à Maréville dès que les communications furent rétablies, après la guerre.

Il publia en novembre 1872, en collaboration, dans les Annales médico-psychologiques, une note sur le cysticerque du cerveau avec observation curieuse recueillie dans son service. Il publia ensuite plusieurs articles dans la Revue médicale de l'Est, notamment un travail sur la lypémanie et la stupidité.

Le 23 février 1874, il fut nommé, par arrêté ministériel, directeur-médecin de l'asile de Dôle et peu de temps après, il entreprit la reconstruction du vieil asile de Dôle. Les novelles constructions s'élevèrent sur le domanie de Saint-Ylie, situé à 3 kilomètres de Dôle et acheté en 1873. Les travaux entrepris ne l'empêchaient pas de s'occuper de travaux scientifiques, et, en janvier 1882, il publiait dans les Annales médico-psychologiques une étude sur le no-restraint.

Dans la séance du 27 février 1882, il fut élu membre correspondant de la Société médico-psychologiques. M. Moreau (de Tours), rapporteur, après avoir exposé l'œuvre de Bécoulet, s'exprimait ainsi : "Il me paraît superflu, messieurs, d'insister plus longuement sur les nombreux titres que notre confrère présente à l'appui de sa candidature, et c'est avec un véritable étonnement que nous avons appris qu'il ne faisait pas partie des nôtres."

Par décret en date du 7 juin 1884, il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur.

Des infirmités le contraignirent de prendre sa retraite avant qu'il n'eût terminé son œuvre à l'asile de Dôle. Sa mise à la retraite date du 30 novembre 1893. Les hommes avaient été transférés de l'asile de Dôle au nouvel asile; mais les femmes ne le furent qu'en 1895.

J'ai personnellement beaucoup connu Bécoulet, et nos relations amicales dataient de l'époque où il vint comme médecin en chef à Maréville. Je voyais alors avec quelle exactitude et quelle conscience il faisait son service. C'était en même temps le plus aimable des confrères, avec lequel on travaillait agréablement et qui savait être un joyeux compagnon. Jamais il ne s'est départi de cette affabilité. Quand il quitta Auxerre, il y laissa de bons amis qui se souvenaient toujours de lui.

Je me rappelle les bons moments passés avec Bécoulet quand il vint à Rouen, au cours d'un voyage d'études, avec M. l'architecte Ruffier, et quand j'allai le voir à Dôle. Ses infirmités ne modifièrent pas son caractère. Ceux qui l'ont connu dans les derniers temps de sa vie ont conservé le même souvenir de lui. Plein d'humour et de philosophie, il aiamit recevoir ses jeunes confrères et leur faisait le plus aimable accueil.

Dans les dernières années il ne pouvait plus sortir que dans une petite voiture et il se faisait traîner souvent jusqu'à Saint-Ylie où son asile l'attirait toujours.

Ses obsèques dont nous lisons le compte rendu dans L'Avenir du Jura, ont eu lieu au milieu d'une affluence considérable.

Au cimetière, M. le Dr Bierry, directeur administratif de l'asile Saint-Ylie a prononcé quelques paroles sur la tombe de celui qui fonda l'établissement. Il a fait ressortir le dévouement aux intérêts de Dôle et surtout la bienfaisance pour les déshérités qui étaient comme le fond du caractère du Dr Bécoulet. En termes émus, il a adressé un adieu confraternel au médecin qui n'eut jamais d'autre souci que de remplir avec son cœur sa noble mission.


Le Dr Billon, ancien interne et ami de Bécoulet, a voulu lui rendre un dernier hommage et s'est exprimé en ces termes : "Comme ancien collaborateur du Dr Bécoulet, qui, après avoir été mon chef et mon premier maître en médecine mentale, voulut bien depuis lors, pendant plus de vingt ans, m'appeler son ami, je veux apporter au bord de cette tombe un dernier hommage de respectueuse admiration à celui qui, tout en vouant sa vie aux plus déshérités des malades, pratiqua si bien le culte de l'amitié. On vient de vous rappeler avec éloquence la tâche écrasante qui fut le but et la raison d'être de son existence, ce vaste et superbe asile de Saint-Ylie dont il dota la région sans demander un centime aux contribuables, avec la précieuse collaboration de celui qui l'a précédé de quelques mois à peine dans cet enclos du dernier sommeil.

Pour moi qui fus son modeste compagnon dans les années les plus enfiévrées de sa vie de travail, au milieu de cette geôle des Carmes privée d'air et de lumière, j'ai pu comprendre la grandeur de la tâche à laquelle il s'était voué, en digne successeur du maître Pinel : donner un peu de joie de vivre, du soleil, aux malheureux dont la raison a sombré sur les écueils de la vie, tristes épaves échouées dans ces refuges du désespoir et de la souffrance, mais aussi de la pitié et du dévouement.

Médecin et consolateur, le Dr Bécoulet le fut au plus haut degré, car il possédait cette philosophie souriante et résignée qui est l'apanage du vrai médecin et qui, dans ses derniers jours, lui fit envisager la mort avec sérénité. Au sens antique du mot, il a bien rempli sa carrière, et mérité que les hommes gardent son souvenir.

Dans une vallée du Péloponèse, au bord de la route qui conduit à Lacédémone, on montre au voyageur une pierre sur laquelle était gravée cette inscription que les Latins nous ont traduite ainsi : Sta, viator, heroem calcas. A l'exemple des anciens, je voudrais que sur la tombe du Dr Bécoulet, fussent gravés ces mots : Arrête, passant, ici repose un homme de bien."
A. Giraud. »


Michel Caire, 2022
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