Nécrologie
Dr Bécoulet
[Annales médico-psychologiques 1905, I, p.162-163]
« Nous avons le vif regret d'annoncer la mort du Dr Bécoulet, médecin-directeur honoraire des asiles d'aliénés, membre correspondant de la Société médico-psychologiques, décédé, il y a quelques mois, dans sa soixante-sixième année.
Bécoulet, Auguste-Stanislas, né à Gray (Haute-Saône), le 27 octobre 1838, est mort à Dole le 3 juin 1904.
Etudiant en médecine à Strasbourg, il avait débuté dans le service des asiles comme interne à l'asile de Bailleul.
C'est là, dans le service de Broc, qu'il recueillit les observations originales utilisées par lui dans sa thèse inaugurale intitulée : "Quelques considérations sur l'emploi de l'opium dans la manie", thèse qu'il soutint à Strasbourg en 1866. La même année, il était nommé médecin-adjoint à l'asile d'Auxerre.
En mars 1869, il publia dans les Annales médico-psychologiques un travail sur l'emploi du bromure de potassium dans la folie épileptique, travail basé sur des observations originales.
Au mois d'août 1870, il était nommé médecin en chef du service des hommes à l'asile de Maréville, en remplacement de Broc, son ancien chef de service, mais il ne put prendre immédiatement possession de son nouveau poste. La Lorraine était envahie; il ne put traverser les lignes allemandes et il prit du service pendant la guerre dans les ambulances d'Auxonne. Il arriva à Maréville dès que les communications furent rétablies, après la guerre.
Il publia en novembre 1872, en collaboration, dans les Annales médico-psychologiques, une note sur le cysticerque du cerveau avec observation curieuse recueillie dans son service. Il publia ensuite plusieurs articles dans la Revue médicale de l'Est, notamment un travail sur la lypémanie et la stupidité.
Le 23 février 1874, il fut nommé, par arrêté ministériel, directeur-médecin de l'asile de Dôle et peu de temps après, il entreprit la reconstruction du vieil asile de Dôle. Les novelles constructions s'élevèrent sur le domanie de Saint-Ylie, situé à 3 kilomètres de Dôle et acheté en 1873. Les travaux entrepris ne l'empêchaient pas de s'occuper de travaux scientifiques, et, en janvier 1882, il publiait dans les Annales médico-psychologiques une étude sur le no-restraint.
Dans la séance du 27 février 1882, il fut élu membre correspondant de la Société médico-psychologiques. M. Moreau (de Tours), rapporteur, après avoir exposé l'œuvre de Bécoulet, s'exprimait ainsi : "Il me paraît superflu, messieurs, d'insister plus longuement sur les nombreux titres que notre confrère présente à l'appui de sa candidature, et c'est avec un véritable étonnement que nous avons appris qu'il ne faisait pas partie des nôtres."
Par décret en date du 7 juin 1884, il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur.
Des infirmités le contraignirent de prendre sa retraite avant qu'il n'eût terminé son œuvre à l'asile de Dôle. Sa mise à la retraite date du 30 novembre 1893. Les hommes avaient été transférés de l'asile de Dôle au nouvel asile; mais les femmes ne le furent qu'en 1895.
J'ai personnellement beaucoup connu Bécoulet, et nos relations amicales dataient de l'époque où il vint comme médecin en chef à Maréville. Je voyais alors avec quelle exactitude et quelle conscience il faisait son service. C'était en même temps le plus aimable des confrères, avec lequel on travaillait agréablement et qui savait être un joyeux compagnon. Jamais il ne s'est départi de cette affabilité. Quand il quitta Auxerre, il y laissa de bons amis qui se souvenaient toujours de lui.
Je me rappelle les bons moments passés avec Bécoulet quand il vint à Rouen, au cours d'un voyage d'études, avec M. l'architecte Ruffier, et quand j'allai le voir à Dôle. Ses infirmités ne modifièrent pas son caractère. Ceux qui l'ont connu dans les derniers temps de sa vie ont conservé le même souvenir de lui. Plein d'humour et de philosophie, il aiamit recevoir ses jeunes confrères et leur faisait le plus aimable accueil.
Dans les dernières années il ne pouvait plus sortir que dans une petite voiture et il se faisait traîner souvent jusqu'à Saint-Ylie où son asile l'attirait toujours.
Ses obsèques dont nous lisons le compte rendu dans L'Avenir du Jura, ont eu lieu au milieu d'une affluence considérable.
Au cimetière, M. le Dr Bierry, directeur administratif de l'asile Saint-Ylie a prononcé quelques paroles sur la tombe de celui qui fonda l'établissement. Il a fait ressortir le dévouement aux intérêts de Dôle et surtout la bienfaisance pour les déshérités qui étaient comme le fond du caractère du Dr Bécoulet. En termes émus, il a adressé un adieu confraternel au médecin qui n'eut jamais d'autre souci que de remplir avec son cœur sa noble mission.
Le Dr Billon, ancien interne et ami de Bécoulet, a voulu lui rendre un dernier hommage et s'est exprimé en ces termes : "Comme ancien collaborateur du Dr Bécoulet, qui, après avoir été mon chef et mon premier maître en médecine mentale, voulut bien depuis lors, pendant plus de vingt ans, m'appeler son ami, je veux apporter au bord de cette tombe un dernier hommage de respectueuse admiration à celui qui, tout en vouant sa vie aux plus déshérités des malades, pratiqua si bien le culte de l'amitié. On vient de vous rappeler avec éloquence la tâche écrasante qui fut le but et la raison d'être de son existence, ce vaste et superbe asile de Saint-Ylie dont il dota la région sans demander un centime aux contribuables, avec la précieuse collaboration de celui qui l'a précédé de quelques mois à peine dans cet enclos du dernier sommeil.
Pour moi qui fus son modeste compagnon dans les années les plus enfiévrées de sa vie de travail, au milieu de cette geôle des Carmes privée d'air et de lumière, j'ai pu comprendre la grandeur de la tâche à laquelle il s'était voué, en digne successeur du maître Pinel : donner un peu de joie de vivre, du soleil, aux malheureux dont la raison a sombré sur les écueils de la vie, tristes épaves échouées dans ces refuges du désespoir et de la souffrance, mais aussi de la pitié et du dévouement.
Médecin et consolateur, le Dr Bécoulet le fut au plus haut degré, car il possédait cette philosophie souriante et résignée qui est l'apanage du vrai médecin et qui, dans ses derniers jours, lui fit envisager la mort avec sérénité. Au sens antique du mot, il a bien rempli sa carrière, et mérité que les hommes gardent son souvenir.
Dans une vallée du Péloponèse, au bord de la route qui conduit à Lacédémone, on montre au voyageur une pierre sur laquelle était gravée cette inscription que les Latins nous ont traduite ainsi : Sta, viator, heroem calcas. A l'exemple des anciens, je voudrais que sur la tombe du Dr Bécoulet, fussent gravés ces mots : Arrête, passant, ici repose un homme de bien."
A. Giraud.
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