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Albert (Ernest Moïse) CRÉMIEUX
Marseille (Bouches-du-Rhône) 18 mai 1895 / Marseille (Bouches-du-Rhône) 24 août 1963

Neuro-psychiatre, spécialiste en psychiatrie infantile.
Membre titulaire de la Société médico-psychologique et de L'Evolution Psychiatrique


Interne des hôpitaux en 1920, docteur en médecine en 1922.

Crémieux avait combattu pendant la Grande Guerre sur le front d'Orient puis au 54ème R.I. comme médecin (Croix de Guerre 1914-1918. Promu chevalier de la Légion d'honneur le 13 décembre 1938). Il est de nouveau mobilisé en 1939 et fait la campagne de France en 1940. Membre de la Légion Française des Combattants.

En octobre 1942, il est rapporteur du sujet de psychiatrie sur l'anorexie mentale au Congrès de Montpellier.

Arrêté par la Gestapo comme Juif le 11 avril 1944, Albert Crémieux est déporté de Drancy le 29 du même mois par le convoi n° 72, avec ses parents Edouard et Edith, qui mourront tous les deux à Auschwitz. Albert sera ensuite transféré à Buchenwald, où il est libéré en 1945, un an jour pour jour après son arrestation.

De retour de captivité, il reprend ses activités professionnelles.
Crémieux avait été chargé de cours d'hygiène mentale à la Faculté de médecine de Marseille dans l'entre-deux-guerres; après guerre, il y enseigne la neuro-psychiatrie et la prophylaxie mentale. Rapporteur au Congrès de Londres en 1948 ("L'agressivité de l'enfant"), associé à un rapport sur le trouble du caractère chez l'enfant au Congrès mondial de psychiatrie de 1950. En 1952, il est reçu au concours d'agrégation de Neurologie et Psychiatrie. Crémieux devient ainsi Professeur de Neuro-Psychiatrie à la Faculté de médecine de Marseille.
On lui doit plusieurs importantes publications sur la psychopathologie infantile (voir ci-dessous).

Jacques Boudouresques, La Presse Médicale, 72, n° 3, 18 Janvier 1964 (pp.185-186)

NÉCROLOGIE

Albert CRÉMIEUX (1895-1963)  

Le Professeur ALBERT CRÉMIEUX est mort le 24 Août 1963.
J'ai eu le bonheur de le rencontrer, lors de mes premiers pas dans la Neurologie, dans une atmosphère de travail sans relâche, sous l'œil sévère quelquefois mais le plus souvent bienveillant du Professeur Henri Roger.

Ce n'est pas sans une émotion sincère et profonde que j'évoque le souvenir déjà lointain de cette première rencontre, dans les murs sans élégance de la salle Peyssonnel, contrastant avec la majestueuse façade de notre Hôtel-Dieu qui représentait alors le centre de l'activité hospitalière de Marseille.

Je fus frappé par son élégance, par la finesse de ses traits, par sa physionomie pleine d'éloquence, par son regard d'une sérénité rêveuse, tour à tour vif et tendre, sensible et doux, mais surtout par sa simplicité, et le jeune externe que j'étais se sentait toujours ému quand le hasard le mettait en sa présence.

Mais il savait aplanir les difficultés et l'amitié naissait sans effort. J'avais trouvé un ami.

Les années ont passé sans que nous en ayons eu même conscience, mais ni le temps ni les épreuves de la vie n'ont pu ébranler la sincérité de nos sentiments.

ALBERT CRÉMIEUX est né le 18 Mai 1895 à Marseille. Sa mère était la sœur de Robert Padova, véritable savant. Son père, Edouard Crémieux, de vieille souche provençale, était un des maîtres de l’école Provençale. Elève de Guindon à l'Ecole des Beaux-Arts de Marseille, plus tard élève de Cormon à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, en même temps que Van Gogh et Toulouse-Lautrec, il devait représenter la peinture provençale dans tout son éclat.

Avec de telles origines, ALBERT CRÉMIEUX ne pouvait que réussir dans la vie. Il fit ses études secondaires au lycée Thiers, où il eut pour condisciple notamment Marcel Pagnol, Marcel Brion, Yves Bourde, Fernand Avierinos ...

Alors qu'il commençait ses études de médecine, il fut mobilisé sur le front d'Orient comme infirmier. Plus tard, sur le front français, comme médecin de bataillon au 54e Régiment d'Infanterie; il devait subir l'atteinte des gaz de combat.

Il recevait pour ses mérites la Croix de Guerre et plus tard fut fait officier de la Légion d'Honneur.

En 1920, il concourut brillamment à l'Internat des Hôpitaux.

Il soutint sa thèse devant la Faculté de Montpellier, en 1922, sur «L'hypotension du liquide céphalo-rachidien », qui lui valut un prix.

Il devait s'orienter vers la neuro-psychiatrie. Ses travaux furent nombreux, pleins d'intérêt, et son effort incessant fut couronné en 1952 par un brillant concours d'agrégation en neuro-psychiatrie.
En 1958, il devait succéder dans la chaire de Clinique de Neurologie et de Psychiatrie à notre ami le Professeur Poursines.

Les travaux d'ALBERT CRÉMIEUX ne peuvent être tous énumérés : il a présenté plus de trois cents communications portant sur des sujets divers de neuro-psychiatrie. Il est l'auteur de trois belles monographies: «L'enfant devenu délinquant », «Les crises nerveuses de l'enfant », «Les difficultés alimentaires de l'enfant: l'anorexie mentale infantile et juvénile ».

Il fut chargé d'importants rapports par différents Congrès scientifiques: à Montpellier, en 1942, «Les anorexies mentales »; à Londres, en 1948, où le Congrès international de la Santé mentale lui confia la direction et la coordination du rapport régional sur «L'agressivité de l'enfant ». La section de Psychiatrie du Congrès mondial de Psychiatrie (Paris, 1950, sous la présidence du Professeur Heuyer) l'associa au rapport sur «Le pronostic des troubles du caractère chez l'enfant suivant l'étiologie ». Il apporta une remarquable contribution à des ouvrages classiques. Il inspira de nombreuses thèses.

Nous avons tous admiré les qualités d'esprit d'ALBERT CRÉMIEUX, son sens intuitif lui permettant d'aborder avec un égal bonheur les problèmes neurologiques et psychiatriques.

Son enseignement était servi par une pensée toujours claire et très imagée, qui rendait vivants et compréhensifs les problèmes de prime abord les plus ardus, dont il savait dégager les éléments essentiels. Il lui était facile de rendre clair par les mots ce qui était obscur dans la pensée. Il était d'ailleurs un causeur et un discoureur remarquable, maître de ses paroles et de leur choix: son éloquence était naturelle. Son caractère était fait de droiture, de sincérité, de conscience.

Sa bonté était sans limite. Les malades qui inondaient ses consultations hospitalières ne partaient jamais sans être rassurés et confiants dans l'avenir. A chacun il donnait le meilleur de lui-même et il n'est pas actuellement de malade, d'homme, de femme et même d'enfant qui n'évoque son souvenir sans une émotion souvent mal contenue.

Il ne pensait jamais laidement ou bassement. Il était éloigné de tout mal et n'abandonnait jamais sa souriante indulgence, même quand dans certaines circonstances il prenait parfois une attitude raide et tendue.

Il était plein de mesure, courageux, et il savait défendre ceux qu'il aimait. Sa sensibilité à leur égard était toujours prête à se manifester avec une force, une violence toute intérieure et persévérante. Avec de telles qualités, il menait admirablement son service de la Timone qui représentait pour lui une grande famille. Il témoignait beaucoup d'égard à chaque personne du service, avec de justes nuances pour chacune. Il était courtois, aimable pour tous.

Mais la personnalité d'ALBERT CRÉMIEUX s'est révélée dans toute sa force, dans toute sa grandeur, au cours d'une période particulièrement sombre et dramatique où il fut déporté pendant de nombreux mois aux camps d'Auschwitz-Monowitz et de Buchenwald avec son père et sa mère, qu'il ne devait plus revoir. C'est lui et les hommes comme lui qui ont montré qu'« entre toutes les valeurs de l'esprit, les plus fécondes sont celles qui naissent de la communion et du courage ».

Après cette épreuve, ALBERT CRÉMIEUX est resté silencieux, gardant pour lui-même les lourdes peines qui emplissaient son cœur, et il n'a jamais parlé de ses mérites inscrits dans la souffrance.
Sorti de cette nuit qui paraissait sans fin, ALBERT CRÉMIEUX dans un magnifique élan, a su regarder la vie en face, sans amertume. Il osait encore espérer et nous a donné l'exemple le plus saisissant: celui de poursuivre une carrière déjà féconde.

Ebranlé dans sa santé depuis sa déportation, son état s'étai aggravé ces derniers mois. Tout effort était difficile. Il ne voulait jamais laisser paraître sa fatigue. Cependant, me confiait-il quelquefois: « Ah que la vie me paraît dure à passer, mon cher ami! » Le chemin est, en effet, long quand la santé devient fragile.
Ce courage, cette persévérance, cette abnégation lui permettaient de cacher tant qu'il le pouvait ses malaises et ses souffrances.
Ses derniers jours furent un calvaire admirablement surmonté J'étais auprès de lui quand se déclarèrent les premiers symptômes de la maladie qui devait l'emporter.
Il fut courageux dans la mort comme dans la vie, et alors que son regard était déjà dans l'au-delà, les quelques paroles prononcées avec difficulté étaient toujours confiantes et empreintes de bonté.
Il a voulu nous quitter tout à fait dépouillé des honneurs et des pompes officielles, et il nous a donné, là encore, la marque de sa parfaite simplicité.

ALBERT CRÉMIEUX est un exemple de sincérité, de conscience et de courage. Il est aussi une leçon d'indulgence et de charité

Madame Albert Crémieux, Monsieur et Madame Henri Crémieux trouveront dans leur chagrin une consolation : le souvenir que laisse à tous ALBERT CRÉMIEUX, celui d'un « Homme de Bien ».

Voir aussi l'article publié dans les Annales médico-psychologiques en novembre 1963, pp.567-568

BIBLIOGRAPHIE

L'enfant devenu délinquant. Etude médico-sociale et psychologique. Comité de l'enfance déficiente, Impr. du "Petit Marseillais", 1945; 176 p. (avec Mendel Schachter et Mlle S. Cotte)

Introduction à l'étude de la neuro-psychiatrie infantile. S.l., s.n., 1946; 16 p. (extrait de "Marseille Médical" n° 1, janvier. 1946)

Les crises nerveuses de l'enfant. Aubanel, 1949; 78 p.

Les difficultés alimentaires de l'enfant. Les anorexies mentales infantiles et juvéniles. Paris, Presses universitaires de France, 1954 ; 89 p.

Les Anorexies mentales. Rapport de psychiatrie : Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France... 43e session. Montpellier, 28-30 octobre 1942. Paris, Masson, 1942


Michel Caire, 2011
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