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Cornélia QUARTI
Albino (Italie) 7 avril 1923 / Paris 10 septembre 1984


Psychiatre d'origine Italienne,
Résistante anti-fasciste sous le régime de Mussolini en Italie

C. Quarti est née à Albino, dans la province de Bergame en Lombardie.

Son foyer familial fut un important centre de résistance pour l'organisation clandestine Giustizia e Libertà et les Corpo Volontari della Libertà, engagés dans la lutte contre le régime fasciste.

Cornelia elle-même, qui avait obtenu sa qualification d'infirmière, s'est engagée jeune comme partisane sous le pseudonyme de Mimma, s'occupant en particulier de soigner les résistants blessés et de l'exfiltration des prisonniers de guerre. Elle est arrêtée en février 1943, sans que la police ne l'identifie comme résistante. En 1944, elle effectue des missions en Suisse et en Italie en tant qu'agent de la "Special Force" alleata.

A la Libération, Cornelia "Mimma" Quarti rejoint le comité de rédaction de L'Italia Libera. Elle reprend ensuite ses études et obtient son doctorat en médecine à Milan, en 1949. Elle exerce alors pendant deux ans comme médecin à l'ospedale neuropsichiatrico di Bergamo.

Puis elle décide de poursuivre son cursus en France et d'approfondir ses connaissances en psychiatrie. C'est ainsi qu'elle devient médecin assistante à l'hôpital psychiatrique de Villejuif, dans le service du Dr Marcel Montassut [1897-1975].

C'est là que, le 24 octobre 1951, en présence de son chef de service, de son collègue Léon Chertok [1911-1991] lui-même ancien résistant et qui deviendra l'un des meilleurs spécialistes de l'hypnose médicale, du docteur Jean Lassner [1913-2007], anesthésiste et du docteur Henri Laborit [1914-1995], chirurgien militaire, C. Quarti se prète à l'auto-expérimentation d'un produit précédemment testé au Val-de-Grâce et qui avait semblé à Laborit avoir des qualités dignes d'intérêt dans le domaine psychiatrique : elle accepte de se faire administrer deux ampoules de chlorpromazine par voie parentérale.

Quarti, alors âgée de 28 ans et qui avait déjà donné en bien d'autres circonstances des preuves de son courage, se laisse donc administrer le produit en perfusion, et relatera son expérience dans un texte à lire en regard de ce que Chertok lui-même publiera [sur ce premier essai en "monothérapie" de ce qui deviendra le premier neuroleptique, le Largactil, voir notre livre Soigner les fous. Histoire des traitements médicaux en psychiatrie].

L'intense malaise lipothymiqe ressenti en fin de séance par Cornélia était d'autant plus impressionnant qu'il était inattendu. Il conduira Montassut à refuser que la substance soit prescrite aux malades de son service. « Un coup raté » écrira plus tard Chertok : l'année suivante, les effets antipsychotiques de la molécule seront mis en évidence à Sainte-Anne, pour la plus grande gloire du docteur Pierre Deniker et du professeur Jean Delay.

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« Les découvertes se font aux frontières ».
Concours Médical, 4 novembre 1967, 89, 44, p.7164

« Dr Cornelia Quarti, 28 ans
Neuropsychiatre
Centre de Médecine Psychosomatique Villejuif (Seine)
9 novembre 1951

Expérience personnelle avec goutte à goutte intraveineux de sérum glucosé à 5% de chlorpromazine (dose ?), en présence des Drs H. Laborit, Montassut, Lassner, Chertok
.










(Fin de l'injection)
(Le sujet se retrouve seul)

Commentaire
Aucune modification subjective ne se fait sentir jusqu'à 18 h où je commence à avoir l'impression que je deviens de plus en plus faible, que je m'en vais. C'est très pénible et angoissant.

A 12h10, un des assistants essaye de profiter de cet état pour m'hypnotiser. Je rassemble toute mon énergie pour lui crier (me semble-t-il) : « Non, vous m'ennuyez ». En fait, l'enregistrement sur dictafil de l'expérience retransmet une voix faible et monocorde. A 12h45, voulant me dresser sur le lit, l'injection terminée, je ressens un malaise plus prononcé de type lipothymique. L'assistance remarque que je suis extrêmement pâle, le nez pincé. Une tachypnée importante apparaît aussitôt. Je fais mon possible pour décrire mon état, dont j'ai parfaite conscience.

A 12h55, je sens un besoin urgent d'uriner et me rend chancelant à la garde-robe. On me ramène à demi en syncope. Je suis oppressée, extrêmement angoissée.

A 13 h apparaît une modification affective importante, que l'entourage remarque immédiatement : la sensation pénible de mort imminente disparaît pour faire place à une détente euphorique. Je me sens toujours mourir, mais cela me laisse indifférente. Je commence à parler plus abondamment, bien que ma voix soit encore plus faible, très éteinte. J'ai envie de plaisanter, je me sens incapable de m'irriter de quoi que ce soit; irrésistiblement optimiste et pleine d'affection pour tout le monde. Tout en étant très présente au milieu de ceux qui m'entourent, je suis de plus en plus envahie par une sensation très grande de détachement de moi-même et des autres. Mes perceptions sont normales, mais leur teinte a changé; tout est comme en sourdine, tamisé.

A 14h30 environ, après un moment d'affolement par le fait de me retrouver seule, je me sens devenir très calme et une grande fatigue m'envahit.

A 15 h, bien qu'allongée, j'éprouve une forte sensation syncopale. On vient me chercher pour me ramener chez moi. Ma parole est devenue difficile, dysarthrique; je ne trouve plus mes mots; je parle un peu comme si j'étais ivre.

Dans la soirée, je me sens toujours très fatiguée et dois rester allongée car je suis continuellement lipothymique. La difficulté de l'élocution continue. J'ai bon appétit, dors bien la nuit.

La lassitude et les troubles de la parole persistent pendant quelques jours pour disparaître progressivement.

Les modifications affectives durent une semaine environ, mais deviennent plus complexes que le simple déficit ressenti pendant et immédiatement après l'expérience. Contrairement à ma manière d'être habituelle, je ressens une jovialité très grande, avec facilité aux calembours (ceci assez évocateur de la "moria" frontale), une insouciance complète, une certaine diminution du "self control". L'humeur est d'une égalité parfaite dans l'euphorie que n'affectent plus du tout les petits traumatismes de la vie quotidienne... Bref, mon caractère, de type "secondaire" a montré pendant une semaine environ des notes très nettes de "primarité" euphorique
. »


Cette expérience s'était tenue dans le Centre de médecine psychosomatique annexé au service de Montassut. Le docteur Quarti dirige ensuite à l'hôpital de Vaugirard (Paris) un service de médecine psychosomatique annexé au service du docteur Chatelain. Nommée professeur agrégée, elle publie un grand nombre d'études sur cette nouvelle spécialité, la psychosomatique.

Son ouverture d'esprit, son éclectisme lui font expérimenter, non pas cette fois sur elle-même mais sur ses patients, les traitements les plus divers à disposition des médecins de son temps, parmi lesquels la cordiamine associé aux électrochocs, la carbonarcose, les antidépresseurs IMAO, mais aussi la psychochirurgie avec Marc-Richard Klein [1908-1988], neurochirurgien de l'hôpital des Enfants-Malades (Paris).

Ses deux derniers ouvrages, adressés au grand public, Profession parent et Le grand livre des parents, auront un succès international.

Décédée à Paris, Cornelia Quarti repose -comme elle l'avait demandé- à Scanzorosciate, petit village lombard, auprès de sa mère Maria Taino.


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Travaux

- C. Quarti, E. Amisano, « Sul metodo terapeutico dell'associazione elettro-shock coramina ad alte dosi ». Rassegna di Studi Psichiatrici, 1er novembre 1949, 38, 8; 776-782

- Contribution à l'étude de l'action des barbituriques sur le système nerveux et le psychisme (Etude physiologique et clinique. Considérations pathogéniques à propos de la narco-analyse). Paris, s.l., 1950, 82 p. dactyl. [Diplôme Assistant Etranger, Paris, 1950, n°97, 29 juin 1950]

- « Contribution à l’étude de l’électro-narcose ». La Presse Médicale, 3 février 1951, T.59, p.125

- C. Quarti, J. Renaud, « Prospettiva psicosomatica ». Rassegna di Studi Psichiatrici (Siena), Tome XLI, fasc. 6, nov. 1952; 1149-1150

- C. Quarti, J. Renaud, [Intérêt thérapeutique de l'électronarcose : effets sur le système nerveux central]. La Presse Médicale 1953, 61(83); 1797-1800

- C. Quarti et J. Renaud, « Essai de classification physiopathologique des maladies psychosomatiques ». L'Evolution psychiatrique juillet 1953, n°3; 503-517

- C. Quarti, J. Renaud, [medicina psicosomatica] Rassegna di Studi Psichiatrici, Tome XLII, fasc. 2, dec. 1953; 368-375

- C. Quarti, J. Renaud, « Medicina psicosomatica e dottrina cortico-viscerale ». Rassegna di Studi Psichiatrici 1954, 43(2): 212-220

- C. Quarti, « Medicina Psicosomatica e Chirurgia ». Minerva Medica 1955, 46(9); 265-270

- C. Quarti, J. Renaud, « La carbonarcose ; thérapeutique biologique des maladies fonctionnelles ». Anesthésie et Analgésie, mai 1955, 12(2):286-305

- C. Quarti, J. Renaud, Charles-Louis Chatelin, « Les dyskinésies biliaires psychosomatiques. Approche clinique et données thérapeutiques ». La Semaine des Hôpitaux 1955, 31(35); 2033-2044

- Robert Klein, C. Quarti, J. Renaud (de Paris), « La leucotomie transorbitaire. Données anatomo-physiologiques et technique opératoire ». Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Bordeaux, septembre 1956 ; 533-541

- R. Klein, C. Quarti, J. Renaud et J. Scharff (de Paris), « Données cliniques et considérations psychologiques à propos de 15 cas de leucotomie transorbitaire. ». Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Bordeaux, septembre 1956 ; 542-558

- R. Klein, C. Quarti, J. Renaud et J. Scharff (de Paris), « La leucotomie transorbitaire est-elle un traitement de l’hypocondrie ? ». Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Bordeaux, septembre 1956 ; 559-562

- C. Quarti, J. Renaud, Ch. Debray [travail du service de Gastro-entérologie du professeur Charles Debray, Hôpital Bichat], « Etude des répercussions intestinales de l'émotion par la sigmoïdographie ». Journal of Psychosomatic Research, mar 1957, 2(1); 1-22

- J. Renaud, C. Quarti, et R. Klein, (de Paris), « La leucotomie transorbitaire. Ses indications et ses résultats basés sur 75 cas ». Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Lille, juillet 1960 ; 448-453

- C. Quarti, J. Renaud, [La notion d'"agressologie physiologique". Un exemple important : l'émotion comme phénomène psychosomatique]. Agressologie, novembre 1960, 1:345-62

- C. Quarti, J. Renaud, [sur le niamide] Gazette Médicale de France, 10 septembre 1961

- C. Quarti, J. Renaud, « La signification psychopharmacologique en médecine psychosomatique d'un nouvel inhibiteur de la mono-amine-oxydase ». Gazette médicale de France, octobre 1961, 68, 17;1959-1960 & 1963-1966

- C. Quarti, J. Renaud, « Note préliminaire sur un nouveau traitement des constipations par réflexe conditionnel ». La Clinique, janvier 1962 (Paris, France) 57:577-583

- C. Quarti, J. Renaud, [Habitudes, moyens d'agression et de défense]. Agressologie: Revue Internationale de Physio-biologie et de Pharmacologie appliquées aux effets de l'agression, septembre 1962, 3:677-97

- J. Renaud, C. Quarti, A. Netter, « Le G 33 040 en médecine psychosomatique ». Agressologie, septembre 1962, 3:737-751

- C. Quarti, J. Renaud, « Note préliminaire sur un nouveau traitement des constipations par réflexe conditionnel ». La Clinique, Novembre 1962, 57:577-582

- C. Quarti, J. Renaud, « La pathologie des habitudes en médecine psychosomatique ». Agressologie, Janvier 1963, 4:13-34

- J. Renaud, C. Quarti, [Aspects psychosomatiques des douleurs pelviennes]. Vie Médicale, août 1963, 44; 1097-1105

- C. Quarti, J. Renaud, « La physiopathologie des habitudes et ses corollaires thérapeutiques ». Agressologie, novembre 1963, 4; 563-590

- C. Quarti, M.D., J. Renaud, M.D., A New Treatment of Constipation by Conditioning: A Preliminary Report [Translated ad adapted by Moneim A. El-Meligi, Ph.D.]. January 1964, In book: Conditioning Techniques in Clinical Practice and Research [dir. Cyril M. Franks], pp.219-227

- C. Quarti, J. Renaud, « Le problème des suicidants tel qu'il se pose dans un hôpital non spécialisé ». Agressologie, novembre 1966, 7(6) :535-547

- C. Quarti, « Naissance des phénothiazines ». Le Concours Médical, 4 novembre 1967, 89, 44; 7164-7169

- C. Quarti, J. Renaud, « Le N-Acétyl 2-cis-crotonyl carbamide en gynécologie psychosomatique, médication sélective de l'émotion pathogène ». Agressologie, juillet 1968, 9(4); 549-556

- J. Renaud, C. Quarti, « Hypothèses et suggestions à propos de l'épiphyse, carrefour psychosomatique ». Agressologie, septembre 1968, 9(5); 561-569

- J. Renaud, C. Quarti, [Considérations sur le lobe orbito-frontal. De l'anatomie aux "fonctions" de l'esprit]. Agressologie, février 1969, 10(6):425-35

- (avec J. Renaud), Neuropsychologie de la douleur. Paris, Hermann, Coll. Actualités scientifiques et industrielles, 1972 ; 199 p., ill. (analyse AMP 1972, II, 296-297)

- Profession : parent. Un nouveau métier pour une société nouvelle. Avec la participation du Docteur Jacqueline Renaud. Paris, Stock, 1978, 307 p.

- Le grand livre des parents (sous la direction du Pr Cornelia Quarti). Paris, Bordas, 1981; 479 p., photos

- El gran libro de los padres. Traducido por Enrique Sordo. Barcelona, Ediciones Grijalbo, 1985 (3 vol.)

- Il grande libro dei genitori: attesa, nascita, infanzia, adolescenza, preparazione dei figli alla vita adulta, a cura di Cornelia Quarti e Ernesto Caffo, Cinisello Balsamo, Edizioni Paoline, 1987, 707 p.

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Sur Cornelia Quarti, voir :
- Judith P. Swazey, Chlorpromazine in psychiatry. A sudy of therapeutic innovation. Cambridge, MIT Press, 1974 (publication du témoignage écrit de C. Quarti, pp.117-118]

- Léon Chertok, « 30 ans après. La petite histoire de la découverte des neuroleptiques ». Annales médico-psychologiques 1982, II, 971-976 [voir aussi, du même : Mémoires. Les résistances d'un psy. Paris, O. Jacob, 2006, p.193]

- Dizionario biografico delle donne lombarde. Baldini e Castaldi, Milano, 1995

- È l'idea che fa il coraggio. Prospettive femminili sulla Resistenza bergamasca. ISREC, Istituto bergamasco per la storia della Resistenza e dell'età contemporanea.

- Sur Youtube : La Tredicesima Ora . monologo a due voci per Cornelia"Mimma" Quarti, partigiana e scienziata [Le texte est basé sur un entretien avec Cornelia Quarti réalisé par l'ISREC en 1978]

- et surtout : Yuri Bykov et Roman Bekker, « Cornelia Quarti - a member of Italian Resistance and the world's first psychiatrist to try chlorpromazine on herself ». Décembre 2018 [en russe]

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Michel Caire, 2023
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