Les textes réglementaires de la période 1936-1938

Les circulaires du 13 octobre 1937 et du 7 décembre 1938

dites chacune Circulaire Rucart


Il existe deux circulaires Rucart, du nom du ministre de la Santé publique :

- La circulaire du 13 octobre 1937 propose dans chaque département la création de dispensaires d’hygiène mentale avec consultations externes, l’institution d’un service social, l’organisation des services libres d’observation et de traitement, le développement et la modernisation des services fermés, le dépistage des enfants anormaux.
Ce texte avait été préparé sous le mandat de son prédécesseur, Henri Sellier, le premier ministre de la Santé publique. Sa mise en application se poursuivra bon an, mal an, y compris, notamment dans le département de la Seine, pendant la sombre période de l'Occupation.

- La circulaire du 7 décembre 1938, relative au régime des aliénés.

Né le 24 juillet 1893 à Coulommiers (Seine-et-Marne), Marc Rucart fut député des Vosges (radical-socialiste) de 1928 à 1942, et membre du Gouvernement : de juin 1936 à juin 1937 et en mars-avril 1938, Garde des Sceaux dans les 1er et 2ème cabinets Léon Blum, et ministre de la Santé publique dans les 3ème et 4ème cabinets Chautemps de juin 1937 à mars 1938 puis dans le 3ème cabinet Daladier, d’avril 1938 au 20 mars 1940.

Marc Rucart était un franc-maçon de haut grade, puisqu'il avait atteint le 33e degré, sommet de la hiérarchie. « Il appartenait au Droit humain, seule obédience française comportant des loges féminines » (Extrait du Dictionnaire des Parlementaires français, Jean Jolly, 1960/1977)


Circulaire du 13 Octobre 1937
relative à la réorganisation de l’Assistance psychiatrique
dans le cadre départemental

J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’à plusieurs reprises, mon attention s’est trouvée appelée sur le nombre toujours croissant des malades atteints de troubles mentaux, sur l’encombrement des établissements qui leur sont destinés, et souvent aussi sur le nombre exagéré de malades qui sont confiés aux soins d’un même médecin.

Jusqu’à ce jour, et pour des raisons très diverses, la lutte pour la prophylaxie mentale est restée sur un plan inférieur par rapport aux moyens engagés pour combattre les autres fléaux sociaux. Or, les maladies mentales, soignées précocement, sont aussi curables que les maladies physiques, et la prophylaxie leur est applicable au même titre, avec les mêmes possibilités de résultats positifs.

Je ne saurais trop insister sur l’importance thérapeutique, économique et sociale que présente le traitement précoce des psychopathies.

Faute d’avoir reçu à temps le traitement approprié à son état, un aliéné indigent, facilement curable au début de sa maladie, devient un danger pour lui-même et pour son entourage, au point de nécessiter son placement d’office dans un asile, où il reste parfois sa vie durant, imposant ainsi une charge lourde et improductive aux collectivités.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Conseil supérieur de  l’Assistance publique a été saisi de cette question, et c’est conformément aux conclusions qu’il a unanimement adoptées (Fasc. 145, 10 février 1937), que je vous prie de bien vouloir envisager, d’accord avec votre Conseil général, la réorganisation de l’Assistance aux malades mentaux de votre département, sur les bases suivantes : 

1° Création d’un dispensaire d’hygiène mentale avec consultations externes dans les centres importants ;

2° Institution d’un service social à l’aide d’assistantes spécialisées ;

3° Organisation de services libres d’observation et de traitement où des soins précoces pourront être assurés à l’aide d’un personnel médical et infirmier qualifié ;

4° Développement et modernisation des services fermés, qui, le plus souvent, existent déjà et sont soumis aux dispositions tutélaires de la loi du 30 juin 1838. 

Pour vous permettre d’apporter au Conseil général toutes précisions utiles et mettre l’Assemblée départementale en mesure de discuter utilement de cet important problème, je crois devoir commenter rapidement les différents points de ce programme.

DISPENSAIRE PSYCHIATRIQUE

Le but essentiel de ce dispensaire est un rôle de dépistage et de triage ; il s’exerce à l’aide de consultations externes organisées, suivant les circonstances locales, soit à l’hôpital psychiatrique du département, soit pour les principaux centres, par les soins de l’0ffice public d’hygiène sociale. S’intégrant ainsi dans un cadre déjà connu du public, ces consultations fonctionneront en liaison étroite avec les services d’inspection départementale d’hygiène, d’inspection médicale des écoles, des enfants assistés, des laboratoires régionaux et des œuvres privées éventuelles. Les médecins du cadre des hôpitaux psychiatriques seraient chargés du fonctionnement de ces consultations, conformément à l’article 12 du décret du 5 avril 1937. L’accord nécessaire et l’étroite collaboration de toutes ces Organisations de la protection de la santé publique, sont assurés, sous le contrôle de votre autorité, par le Comité départemental de coordination sanitaire et sociale, dans lequel, par extension de ma circulaire du 16 septembre 1937, sera appelé à siéger au moins un des médecins psychiatres du département.

SERVICE SOCIAL

L’action du dispensaire psychiatrique doit être complétée par celle d’un service social assuré par une ou plusieurs assistantes spécialisées.
Sous la direction des médecins consultants ou traitants, celles-ci feront les enquêtes, assureront les liaisons nécessaires, veilleront à la réadaptation sociale des malades en sortie d’essai, procureront un traitement plus hâtif avec de meilleures chances de guérison. 

Les Sociétés de patronage pour aliénés rendent à ce point de vue les plus grands services dans les rares départements français où elles existent.
Je vous invite à user de toute votre influence pour en favoriser la création.

SERVICES OUVERTS

Ces services, non soumis au régime légal de 1838, sont destinés à hospitaliser les malades atteints de troubles psychiques qui ne présentent pas de réactions dangereuses pour leur entourage et qui  n’élèvent pas de protestations à l’égard de leur hospitalisation. L’hospitalisation précoce des psychopathes dans de tels services, par suite de l’absence des formalités d’admission, permet une prophylaxie efficace, évite à un grand nombre de malades un internement toujours pénible et décharge les services de médecine générale de divers hôpitaux et hospices du département.

Le plus souvent, ce sera à proximité de l’hôpital psychiatrique de votre département qu’il sera le plus intéressant de placer ces pavillons libres d’observation et de traitement.

J’insiste sur ce fait que ces services publics ne pourront être confiés qu’à des médecins ayant satisfait au concours des médecins des hôpitaux psychiatriques. Vous aurez donc à m’aviser de la création de tout service ouvert de ce genre, afin que mon administration vous désigne un médecin du cadre des hôpitaux psychiatriques et que je puisse faire procéder à l’étude des règlements de ces services ouverts et les approuver.

SERVICES FERMÉS

Ces services sont soumis aux dispositions de la loi de 1838. Il apparaît indispensable que chaque département possède son ou ses établissements spécialisés : tout malade mental devant pouvoir trouver à proximité les soins spécialisés dont il a besoin. A l’exemple des Vosges, de la Haute-Saône, des Hautes-Pyrénées, de la Vienne, je serais heureux de voir les départements qui ne possèdent pas encore sur leur territoire d’hôpital psychiatrique, envisager la création de tels établissements.

Je vous rappelle, à ce sujet, que suivant les principes adoptés déjà par le Conseil supérieur de l’Assistance publique, il serait souhaitable que dans tous les établissements  chaque service, placé sous l’autorité même médecin-chef, ne comprenne pas un nombre de malades supérieur à 400, pour un mouvement d’entrées et de sorties annuelles inferieur à 200.

Des exceptions ne pourraient être spécialement autorisées que par mes soins.

Au cas où ces chiffres seraient dépassés dans les établissements de votre département, vous auriez à envisager la création des postes nécessaires, en tenant compte de l’extension des consultations et de l’organisation des Services ouverts.

ASSISTANCE AUX ENFANTS ANORMAUX

L’assistance aux enfants anormaux, arriérés et déficients est l’objet de mes préoccupations particulières. Je considère qu’on doit en amorcer la réalisation en même temps que l’organisation de la prophylaxie mentale dans le cadre de chaque département. Vous veillerez à ce qu’une organisation de dépistage des enfants déficients d’âge scolaire soit instituée par l’adjonction de consultations de neuro-psychiatrie infantile, aux consultations psychiatriques des dispensaires. Un tel organisme devrait fonctionner avec la collaboration de l’inspection médicale des écoles et avec le concours de membres de l’enseignement et d’assistantes spécialisées.

Par la suite, en dehors du développement souhaitable des classes de perfectionnement dont le fonctionnement dépend du Ministère de éducation nationale, il y aura lieu d’étudier la possibilité de la création de services libres médico-pédagogiques départementaux ou interdépartementaux.

Je sais que beaucoup de Conseils généraux ont déjà porté leur effort dans le sens que je viens d’indiquer, et qu’un grand nombre de réalisations, dues à l’initiative de l’autorité préfectorale ou des Assemblées départementales, pourraient s’intégrer facilement dans  ce programme.

J’attache cependant le plus grand prix aux nouveaux efforts qui vont être entrepris pour réorganiser l’assistance psychiatrique dans votre département, et vous voudrez bien me faire connaître les mesures déjà prises et les organismes déjà créés dans le cadre du programme adopté par le Conseil supérieur de l’Assistance publique, indiquant également quelles propositions il vous semblera possible de faire au Conseil général pour compléter l’organisation éventuellement existante.

Vous aurez, par la suite, à me tenir au courant des dispositions arrêtées par l’Assemblée départementale.

Le Ministre, Marc RUCART

Circulaire ministérielle du 5 février 1938

MINISTÈRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE Direction de l'Hygiène et de l'Assistance 1er Bureau

Le Ministre de la Santé publique, à Messieurs les Préfets.

J'ai l'honneur de porter à votre connaissance qu'un de mes prédécesseurs avait constitué une Commission chargée d'une révision du règlement modèle du 20 mars 1857, applicable au Service intérieur des hôpitaux psychiatriques.

Les travaux de cette Commission ont été soumis à l'examen du Conseil supérieur de l'Assistance publique et ont abouti à la rédaction du nouveau règlement type que je vous adresse ci-joint, et qui doit se substituer au règlement actuellement en vigueur.

Vous voudrez bien, en conséquence, inviter les Commissions de surveillance des Hôpitaux psychiatriques départementaux et les Commissions administratives des Hôpitaux psychiatriques autonomes de votre département, à examiner d'urgence les modifications qu'il y a lieu d'apporter aux règlements actuels, pour les mettre en harmonie avec les dispositions nouvelles.

Il est évident que le texte dont il s'agit constitue uniquement un modèle, dont les Administrations hospitalières intéressées et les Préfectures devront s'inspirer dans la plus large mesure, mais qui laisse place chaque fois que cela sera nécessaire aux adaptations commandées par des situations particulières. Cependant le soin avec lequel il a été procédé à la rédaction du nouveau texte, la compétence particulière des organismes qui ont été appelés à l'examiner me donnent l'assurance que ce règlement peut être appliqué, sans aucune modification, aux Hôpitaux psychiatriques départementaux et autonomes.

En ce qui concerne les Asiles privés faisant fonction d'Hôpitaux psychiatriques publics, il importe que les dispositions nouvelles reçoivent l'application la plus étendue et il conviendra de veiller en conséquence, à ce que les directions de ces établissements adoptent toutes celles de ces dispositions qui sont compatibles avec le caractère privé des Asiles. Elles devront être avisées par vos soins que l'approbation des traités passés par votre département pour le placement des aliénés pourra dorénavant être subordonnée à l'approbation des dispositions essentielles du nouveau règlement, et non seulement de celles qui visent des prescriptions légales ou réglementaires, mais celles aussi qui se rapportent au confort de malades, au régime alimentaire et à la qualité des soins médicaux et matériels.

Quant aux quartiers d'hospices, ils sont tenus, bien entendu, de respecter la nouvelle rédaction et je vous prie d'inviter les Commissions administratives des Hôpitaux ou Hospices qui possèdent de tels quartiers à réviser leurs règlements actuels.

Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 30 juin 1838, le règlement intérieur de tout établissement consacré « en tout ou en partie » au traitement des aliénés doit être soumis à mon approbation.

Vous aurez donc à me faire parvenir dès que possible et au plus tard dans un délai de six mois, le règlement remanié, compte tenu des prescriptions nouvelles. En m'accusant réception de la présente circulaire, vous voudrez bien me donner immédiatement l'assurance que la transmission du nouveau texte a été faite aux organismes intéressés et qu'ils ont été invités à mettre aussitôt à l'étude les modifications du règlement en vigueur.

Le règlement du 20 mars 1857 était accompagné d'un commentaire donnant, article par article, toutes précisions utiles sur les dispositions édictées.

J'ai pensé qu'il serait inutile de procéder de la même manière. La plupart des modifications apportées au texte de 1857 s'expliquent d'elles-mêmes.

Je me bornerai donc à citer les modifications ou précisions les plus importantes, en reproduisant les termes mêmes du rapporteur devant le Conseil supérieur.

« La Commission s'est efforcée de remplir sa tâche, par diverses addictions ou modifications au texte ancien.

« 1° Elle a modernisé le règlement de 1857, en le mettant en accord avec les modifications survenues dans les lois ou dans la vie depuis 1857 ;

« 2° Elle a accentué le caractère médical du règlement en établissant, un ensemble de prescriptions plus précises et meilleures quant au régime intérieur, à l'hygiène, à l'organisation médicale;

« 3° Elle a perfectionné le service médical en donnant un rôle plus actif aux médecins dans la vie de l'asile et en essayant d'améliorer le personnel médical subalterne ;

« 4° Elle a enfin apporté divers perfectionnements à l'organisation administrative. »
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« Mais il est évident que c'est surtout dans le domaine thérapeutique qu'il était important de préparer un règlement moderne, mieux en harmonie avec les progrès accomplis par la science mentale.
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« Il n'est pas possible d'énumérer toutes les extensions du rôle des médecins. Les innovations du projet de règlement correspondent à bon droit à l'idée que le traitement des maladies mentales ne comporte pas seulement quelques mesures médicales définies mais s'étend à tout le régime de vie et que l'alimentation, le travail, le droit à disposer du pécule, de lire, d'écrire, etc., sont autant de circonstances susceptibles d'avoir une influence, bonne ou mauvaise, sur la maladie, et, comme telles, relèvent de l'autorité du médecin.
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« Pour le directeur, en premier lieu, elle a maintenu des pouvoirs administratifs importants, sans extension notable. Néanmoins, corrélativement à la diminution de son intervention dans le domaine médical, il voit son autorité et son pouvoir de contrôle augmenter, en ce qui touche le personnel administratif et sur le personnel médical.

« Il continue à intervenir, avec les médecins, pour diverses questions d'organisation des services médicaux.
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« La Commission de surveillance, d'autre part, est appelée à donner son avis dans les questions nouvelles ajoutées au règlement de 1857, pour la fixation du nombre des infirmiers, pour la désignation du médecin suppléant, pour la nomination du chirurgien et du pharmacien.

« Il y a cependant un point important pour lequel le nouveau règlement a introduit toute une série de dispositions nouvelles : il s'agit de l'administration provisoire. Le règlement de 1851 contient à ce sujet une lacune grave que, dès 1912, le Conseil supérieur de l'Assistance publique voulait combler. De nouveaux articles réparent cette omission Il et règlent de façon précise les droits, les devoirs et la comptabilité de l'administrateur provisoire.

« Si aucun changement important n'est à signaler pour le receveur, sauf l'interdiction de cumuls, il faut noter enfin que, pour l'économe, le règlement nouveau établit avec plus de précision les règles de sa gestion et de ses congés, l'astreint à la résidence et surtout l'oblige à fournir un cautionnement.
 
« Ainsi, la Commission spéciale n'a pas modifié d'une façon notable le règlement de 1857 pour l'organisation administrative des asiles et s'est bornée à introduire les additions rendues nécessaires pour maintenir cette organisation en accord avec les importantes modifications apportées à l'organisation médicale.

« Ce maintien général de l'organisation administrative du règlement de 1857 s'explique par différents motifs, il fallait d'abord respecter l'organisation générale de la loi de 1838 et de l'ordonnance de 1839, ensuite et surtout la réforme à accomplir portait beaucoup moins sur l'organisation administrative dont les cadres et la répartition d'attributions répondent toujours aux nécessités actuelles, que sur l'organisation médicale.

« C'est, on l'a vu, sur cette organisation que l'effort a porté ; elle avait, en effet, été un peu négligée dans le règlement de 1857 et, de toute façon, elle ne correspondait absolument plus aux progrès de la médecine mentale.

« Dans le domaine, évidemment un peu restreint, d'un règlement type du service intérieur des asiles, avec le double souci de respecter les lois et règlements en vigueur et de laisser à chaque asile la marge de liberté nécessaire, la Commission s'est efforcée de mettre le règlement en accord cc avec les traitements modernes des maladies mentales en rendant, à tous les points de vue, le médecin maître de son service, en fixant les prescriptions nouvelles destinées à améliorer la situation des malades, au point de vue notamment des dortoirs, de la nourriture, du travail, des distractions et du pécule et au point de vue du personnel appelé à les soigner ».

Le Ministre : Marc Rucart


Michel Caire, 2012
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