Juifs
en psychiatrie sous l'Occupation L'hospitalisation des Juifs en psychiatrie sous Vichy dans le département de la Seine |
Résumé L'auteur présente l'état actuel de ses recherches sur cette question jusqu'ici peu étudiée, dans un département dont les spécificités doivent être prises en compte. L'étude d'une cinquantaine de dossiers médicaux et divers documents inédits permettent de préciser les conditions dans lesquelles les personnes persécutées en raison des lois raciales et hospitalisées en psychiatrie ont été protégées. Pour ce qui concerne leurs biens, il apparaît que le système destiné à protéger les malades mentaux au cours de leur placement en hôpital psychiatrique a été détourné, et utilisé pour spolier les malades « se disant Juifs ou supposés tels ». |
Si,
pendant les trois ans de danger majeur -entre l'été 1941
et l'été 1944 (2 juin 1941 : 2ème Loi portant Statut
des Juifs, 20 août 1941 : Drancy devient camp d'internement juif,
31 juillet : le dernier convoi pour Auschwitz part de Drancy, pour Buchenwald
le 17 août)- de nombreux Juifs ont été cachés
dans les hôpitaux psychiatriques, ou y ont été simplement
gardés alors que leur état mental ne le justifiait pas ou
ne le justifiait plus, le fait doit apparaître par de nombreuses
sorties à partir de septembre 1944.
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Les spécificités du département de la Seine
Les
premiers résultats ici présentés ne sauraient être
généralisés à l'ensemble de la France, ni
même à la partie du territoire national soumise au Reich
allemand, ne serait-ce que du fait des spécificités du département
de la Seine, et de l'établissement dont nous avons étudié
les archives :
Ainsi, la petite-fille
d'une malade habitant Paris écrit au médecin en février
1943 : « étant israélite, il m'est difficile de quitter
le département de la Seine pour lui rendre visite » (Archives
de Maison-Blanche, décès 1943, 2ème section, dr.
Schenda M. Veuve G.). Cette
petite-fille sera déportée à Auschwitz
par le convoi n°61 du 28 octobre 1943.
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Cinquante dossiers L'étude
des dossiers, classés par année de sortie, transfert ou
décès, a porté sur les années 1943, 1944 et
1945, et pour ces deux dernières années uniquement sur les
dossiers des personnes entrées avant la Libération. Certaines
d'entre elles y avaient été admises avant le début
des persécutions raciales, et même pour quelques unes avant-guerre. |
Sauvées par l'internement ? Plusieurs
de ces personnes ont sans nul doute été protégées
volontairement, et auraient été déportées
si elles étaient sorties avant août 1944 : un ou plusieurs
proches, parent au premier ou au deuxième degré, d'une très
grande majorité d'entre elles a disparu à Auschwitz.
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Le cas de Fanny P., 43 ans, Juive roumaine naturalisée française Autre
exemple d'hospitalisation qui permet à une malade, grâce
à la protection du médecin, d'échapper à la
mort : Fanny P., 43 ans, Juive roumaine naturalisée française.
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Troubles mentaux La
lecture des dossiers ne peut permettre de savoir avec certitude qui était
malade et qui ne l'était pas, ne l'était plus ou ne l'était
plus assez pour justifier son maintien à l'hôpital, en d'autres
termes qui a été sauvé par l'asile et qui l'a été
par la maladie. |
« MALADE supposée JUIVE » Dans
l'un des dossiers consultés a été conservé
un curieux imprimé (Archives de Maison-Blanche, 2ème section,
Sorties 1944, Mme B., entrée le 4 avril 1944) intitulé «
MALADE supposée JUIVE » :
Les
Juifs hospitalisés en psychiatrie sous Vichy ont-ils été
protégés des spoliations, en particulier grâce aux
mesures prévues par les règlements spécifiques et
la loi du 30 juin 1838, ou en ont-ils été victimes, comme
les autres Juifs ?
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La loi du 30 juin 1838 : protection des personnes et protection des biens L'hôpital
psychiatrique traditionnel a une double vocation, garantie par la loi
du 30 juin 1838 : la protection des personnes et la protection de leurs
biens. |
La finalité du recensement des juifs hospitalisés en psychiatrie Trois
documents consultés au Centre de Documentation Juive Contemporaine
(17, rue Geoffroy-l'Asnier 75004 Paris) laissent deviner la finalité
de ce recensement :
Le
préfet de police renvoie au Commissariat Général
aux Questions Juives, service de Jacques Ditte, directeur du Statut des
personnes :
Le
troisième document est la copie d'une lettre, non datée,
traitant de cette même question de la restitution de bijoux aux
malades juifs hospitalisés (Fonds C.G.Q.J., CCXXXV-62 (C.D.J.C.),
1 p.) :
Il
semble que ce document fasse suite à ceux des 2 et 26 septembre
1941. |
La
Mission d'étude sur les spoliations des Juifs de France, dont le
rapport final a été déposé en 2000, était
chargée d'« étudier les conditions dans lesquelles
les biens (...) appartenant aux Juifs de France ont été
confisqués, ou d'une manière générale, acquis
par fraude, violence ou vol, tant par l'occupant que par les autorités
de Vichy entre 1940 et 1944 ». |
Michel Caire, « L'hospitalisation des Juifs en psychiatrie sous Vichy dans le département de la Seine ». Histoire des Sciences Médicales, T. XLII, n°4, 2008; 349-358 (Société française d'Histoire de la médecine (Paris), séance du 19 janvier 2008) 2008-2019 |