Intolérance au Largactil®

coll. particulière

La découverte des effets antipsychotiques du premier neuroleptique date du printemps 1952. Ses auteurs J. Delay et P. Deniker publiaient peu après les premiers résultats thérapeutiques du produit expérimenté à Sainte-Anne et dont le nom vient de sa « large action » sur les symptômes psychotiques : le Largactil®.

Dès les mois qui suivent, plusieurs hôpitaux psychiatriques obtiennent des échantillons du nouveau produit et l'administrent à leurs malades.

Apparaissent vite quelques effets secondaires chez certains malades (hypotension orthostatique, sécheresse de la bouche, syndrome parkinsonien, photosensibilisation).

Mais, plus inattendus, d'autres incidents touchent le personnel soignant, principalement dans les services où le Largactil® est administré en cures continues et à un grand nombre de malades : asthme, et surtout dermites eczématiformes dont le point de départ est généralement localisé aux doigts de la main droite, et peuvent s'étendre aux avant-bras, au cou, à la face.

Cet eczéma est déclenché par la manipulation de comprimés, d'ampoules, mais aussi de la literie de malades en traitement, ou par le simple contact avec ces malades. On rapporte le cas où une infirmière sensibilisée présente des manifestations d'intolérance au contact de collègues qui viennent de pratiquer des injections. Entrer dans la pièce où sont préparés les médicaments peut même suffire à déclencher une poussée au niveau des paupières.

Rebelles aux antihistaminiques, les troubles disparaissent spontanément en quelques jours par l'éloignement. Fait notable, on ne signale aucun de ces accidents chez les malades, qu'ils soient ou non en cure.

Certains services décident de réserver le traitement à une seule équipe d'infirmières, dont l'insensibilité au produit a été préalablement prouvée. Et des précautions strictes sont prises lors du remplissage des seringues et de l'exécution des injections : port de gants en caoutchouc, de lunettes, de masque chirurgical. Un accoutrement singulier dans un pavillon d'H.P. ...

Début 1956, le Directeur des Affaires Sociales, qui prend l'affaire très au sérieux du fait du nombre d'arrêts de travail, adresse une note aux directeurs des hôpitaux psychiatriques de la Seine pour recenser les cas et en examiner les implications «au regard de la législation sur les maladies professionnelles».

Cependant, l'administration du produit se poursuit, vu les résultats positifs chez les malades neuroleptisés, et les manifestations d'intolérance, somme toute banales, diminuent peu à peu, en nombre et en intensité, pour disparaître quelques mois plus tard.

C'est à Pierre Bailly-Salin que l'on doit l'hypothèse la plus originale, dont on ne peut que donner ici la conclusion en renvoyant les lecteurs à son article « Allergies au Largactil dans les années 55 : une histoire oubliée » paru dans l'Information psychiatrique en 1998 (74, 5; 493-499) : les réactions d'intolérance des infirmières, sur qui seules reposait la vie quotidienne dans les unités de soins, auraient pu traduire le désarroi dans lequel les plongeait l'arrivée sans préparation et sans ménagement de ces produits miracles, qui risquaient de les reléguer au rôle secondaire de distributrice de médicaments. Une crainte qui s'est vite révélée infondée.


Michel Caire 2011
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