Hermann Simon et la psychothérapie à l'asile |
L'expérience de Gütersloh que son auteur, Hermann Simon, expose en 1929 dans son ouvrage intitulé Aktivere Krankenbehandlung in der lrrenanstalt, c'est-à-dire Une thérapeutique plus active à l’asile, fut une référence essentielle pour les pionniers français de la psychothérapie institutionnelle, au premier rang desquels Tosquelles.
« J'avais passé les Pyrénées à pied avec une serviette dans laquelle il y avait une grammaire anglaise, le livre d'Hermann Simon et les rapports que j'avais été dans l'obligation de rédiger chaque mois sur les services psychiatriques de l'armée de la République » [François Tosquelles].
Le mouvement d’hygiène mentale en Allemagne, par P. Schiff
« Le docteur Hermann Simon, directeur de l’asile de Gütersloh, est l’auteur de la véritable révolution asilaire que constitue la « thérapeutique par le travail » telle qu’elle est appliquée aujourd’hui dans maints asiles. M. Simon en a fait l’hommage à ses devanciers français d’il y a un siècle, Pinel, Ferrus, etc., mais l’extension qu’il a donnée à cette méthode, son application, on peut dire à l’ensemble d’un effectif asilaire lui donnent figure d’initiateur.
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Hermann
SIMON
Psychiatre
allemand, souvent considéré en France comme le fondateur de l’ergothérapie moderne et l'inspirateur des pionniers de la psychothérapie institutionnelle française.
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Les perspectives de la psychothérapie ne sont pas les mêmes à l'asile que pour les malades non internés auxquels on pense, à peu près exclusivement, lorsqu'on parle de psychothérapie. D'une façon générale l'asile n'héberge que les plus grands malades, ceux que leur affection a conduits ou menace de conduire à brève échéance à de graves conflits avec l'extérieur et qui ne sont plus accessibles aux modes de traitements libres.
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Il est pratiquement impossible, de résumer en quelques pages ce que le traitement asilaire devrait être, ce qu'il peut être et comment il peut être organisé (H. SIMON, « Aktivere Krankenbehandlung in der lrrenanstalt », 1 vol., Berlin 1929, de Gruyter, édit.). Nous ne pouvons qu'aborder ici les grandes lignes de la question.
Les prédications morales et tout ce qui leur ressemble, les efforts tendant à persuader le malade de l'inutilité de son attitude et de ses discours, ne servent absolument à rien. Ils ne conduisent qu'à des échanges de propos sans efficacité, voire nuisibles, parce qu'ils excitent encore davantage le malade au lieu de le calmer d'autant plus que la partie saine du duo - médecin ou infirmier - ne garde guère elle-même son calme. Des incidents regrettables sont souvent la conséquence de ces discussions verbales. Un seul mot dit mal à propos suffit parfois à entretenir des états d'agitation qui durent des semaines, notamment chez les psychopathes particulièrement labiles. L'art du médecin et son expérience doivent lui faire vite reconnaître de tels sujets et lui permettre d'éviter les terrains dangereux. Certes, le médecin, et aussi l'infirmier, doivent être pour le malade des personnes avec qui il se sente en confiance, auxquels il puisse parler de ce qui l'émeut et le préoccupe; et le médecin doit considérer comme étant une de ses tâches les plus utiles tout effort tendant, par une confiance réciproque, à rapprocher le malade des conditions normales de vie. Mais les relations entre malade et médecin doivent être ordonnées, dirigées non par ce qu'il y a de morbide chez le malade, mais par ce qu'il y a chez lui de sain et de normal ou par le médecin lui-même. Aucun mélancolique n'a jamais été guéri de sa dépression par des exhortations affectueuses, aucun paranoïaque n'abandonne après discussion verbale, après concession verbale, la moindre parcelle de son délire, aucun catatonique ne renonce dans ces conditions à son négativisme. Avec le malade mental, toute discussion sur ce qu'il y a de morbide en lui est absolument inutile; tout ce qu'on peut obtenir par la discussion, c'est que le malade s'attache encore plus à sa maladie, considérée comme intéressante. Par contre, nous pouvons être pour le malade extrêmement utiles si nous savons nous servir de la conversation dirigée sur des sujets qui ne touchent pas au délire, qui sont susceptibles d'autre part d'intéresser et de fortifier les éléments restés sains de la personnalité du malade. J'en viens à l'action elle-même. Partout et toujours, la force des faits est plus forte que la force des mots. Quand les observations, les exemples et les directives sont impuissantes à conduire au but désiré ou se montrent sans espoir, alors seulement il nous appartient d'empêcher le malade de persévérer dans une conduite qui nuit à lui-même et à son entourage; nous devons l'habituer à un comportement meilleur. Nous devons procéder comme procède une maman clairvoyante, qui éduque son enfant et fait de lui un homme ordonné et « convenable ». Il nous faut empêcher le malade de quitter constamment sa chaise et de marcher sans arrêt dans la salle, gênant les autres; il nous faut l'empêcher de remuer les mains sans cesse de façon stéréotypée, de se balancer sans arrêt, de collectionner, de se comporter malproprement à table, de souiller ses vêtements. Nous n'y arriverons que si nous évitons pareillement la menace et la trop grande bonté. Faire travailler le malade est ici d'un secours puissant; sans le travail, nos efforts seront vains, car ce serait une gageure que de vouloir obtenir d'un malade instable et agité qu'il se tienne toute une journée sur sa chaise, inactif et immobile. Attention, patience et persévérance infatigables, voilà nos meilleures armes dans ce combat de tous les instants, qui souvent dure des semaines et des mois, et doit être poursuivi, au milieu de mille incidents et de mille obstacles, jusqu'à la victoire finale. C'est en mettant en œuvre les possibilités inconscientes du malade, le substratum mécanique de toute habitude et de tout entraînement que nous devons progresser. Apprendre et s'éduquer par l'exercice et l'habitude sont des fonctions en grande partie indépendantes des capacités mentales supérieures, comme nous le voyons chez les animaux, chez le ver de terre comme chez le chien, chez le nourrisson comme chez l'homme adulte, chez le paralytique général le plus obtus comme chez le catatonique le plus négativiste. Mais il y a là un obstacle, qui se fait terriblement sentir dans nos asiles, tels qu'ils sont actuellement organisés : l'entraînement et l'habitude se font aussi bien dans le mauvais que dans le bon sens; c'est tout l'art de la psychothérapie que de les diriger dans la bonne voie. Dans toute vie en société, dans toute communauté policée, le bien du plus grand nombre doit être la condition du bien de chacun, son intérêt même. Nous avons précédemment indiqué comment, à l'asile, les troubles dus à la communauté pouvaient et devaient être évités dans la mesure du possible; les supprimer complètement est hors de nos moyens. Il faut nous y résigner; mais le devoir devient alors absolu de séparer de la communauté les malades dont l'agitation et la malfaisance sont irréductibles (paranoïaques, certains catatoniques...); l'isolement (pas plus d'une demi-heure), les bains, etc., interviendront ici à juste titre. Au pire, on obtiendra par les médicaments sédatifs le repos indispensable. Il est bien entendu qu'on ne recourra qu'avec modération et prudence à ces mesures extrêmes. Dans notre service, nous en venons beaucoup plus rarement à ces procédés aujourd'hui qu'autrefois. Les réprimandes violentes, la grossièreté, les menaces n'aboutissent à rien du tout à l'asile; elles ne font que rendre le malade plus agité et lui donnent pour ainsi dire le droit de répondre sur le même ton, plus aigu même encore. Ce sont d'ailleurs là des préceptes qu'on trouve dans le plus élémentaire des recueils concernant le traitement des malades mentaux. Nous avons parlé plus haut de la signification que nous attribuons à la réaction logique du milieu et à la notion de responsabilité spéciale qui en résulte pour chacun. Dans la mesure où sa personnalité est indemne, nous devons développer chez le malade le sentiment de sa responsabilité, le rendre attentif et sensible aux conséquences de ses actes. La logique saine prend à l'asile son point de départ dans le fait que le comportement calme et policé de chacun comporte pour lui plus d'agréments que son contraire, comme il en est dans la vie normale. Nous devons aller plus loin encore et récompenser le malade de ses efforts en dosant, pour ainsi dire, en proportion de son comportement, ses commodités, sa liberté, par exemple en le plaçant dans des quartiers de plus en plus libres, en le faisant participer à des fêtes, à des concerts, à des représentations théâtrales, en améliorant son ordinaire en proportion de sa bonne volonté au travail. Inversement, tout comportement antisocial du malade sera suivi, pour lui, de la privation de tels ou tels avantages. Il faut ainsi rendre la marche vers l'amélioration aussi facile que possible pour le malade. Seul l'homme qui fait effort s'améliore. Mais s'efforcer suppose tendre à la réalisation de certains vœux. Si nous voulons que nos malades fassent des progrès, il nous faut provoquer chez eux des désirs, des appétances; susciter de leur part des vœux qui soient réalisables, mais réalisables à condition qu'ils y « mettent du leur ». Et sur la voie qui leur a été suggérée, il nous faudra encore, à chaque instant, les encourager et les aider. Nous ne devons pas négliger ce qui est foncièrement utile aux malades pour des considérations purement subjectives et sentimentales. Ce qui est profitable au malade n'est pas toujours, loin de là, ce qui, dans le moment donné, lui fait plaisir ou lui paraît agréable. Encore une fois, il y a analogie ici avec ce qui se passe chez les enfants, et nos malades, dans beaucoup de cas, nous serons reconnaissants, le moment venu, de ce que, à une date donnée, nous aurons su leur imposer contre leur gré. Il ne faut rien concéder à la maladie, mais lutter contre elle; seule cette attitude est logique et fructueuse. Il est bien entendu que nous parlons de lutte contre la partie morbide du malade, non contre le malade même. Maintenir longtemps un malade à l'asile Sous le régime du « no restraint » est illogique, car c'est renoncer aux moyens de lutter contre ce qui reste de morbide chez le malade et se refuser, à priori, à tout effort psychothérapique. Nous sommes partisan d'un « no restraint » conditionnel. Il faut d'abord libérer le malade de la domination sans frein de ses instincts, de ses tendances, de ses habitudes mauvaises, de ses attitudes morbides; après seulement, on dosera sa liberté et sa réadaptation progressive au milieu normal. Les forces mises en œuvre pour libérer le malade de ses troubles antisociaux sont justement celles qui, de façon constructive, peuvent servir à le réadapter au milieu ambiant. Encore une fois, le travail réglé et l'éducation agissent ici comme les deux leviers principaux. Si nous voulons aller plus loin, il nous faut, comme en présence d'un enfant à l'école, porter peu à peu et de plus en plus haut les aspirations du malade; toujours, nous devons le maintenir au degré le plus élevé de tension utile. Il ne faut pas éviter au malade, au moins de façon durable, toutes les difficultés, aplanir devant lui tous les obstacles. Une vie trop facile à l'asile est, pour le malade, un grand mal. Il est extrêmement important, en dehors même du travail, d'occuper sans cesse son esprit, par des lectures, des conversations, des causeries. A cet égard l'éducation physique est un bon adjuvant, que de plus en plus on loue avec raison. Peut-être même est-il possible d'influencer par ces méthodes des symptômes que nous sommes habitués à considérer comme la conséquence directe de la maladie: M. Kehrer, récemment, a posé la question de savoir s'il n'était pas possible d'améliorer, par l'entraînement, la dissociation schizophrénique. Je réponds nettement par l'affirmative; non seulement la dissociation des schizophrènes, mais encore leurs idées délirantes et leurs illusions sensorielles sont amendables par les méthodes que je préconise. Tout au moins en est-il ainsi dans un grand nombre de cas. Certes, les idées délirantes paranoïdes et les hallucinations ne disparaissent pas en général complètement; mais le malade est beaucoup moins dominé par elles. Récemment encore nous avons accordé la sortie à un malade qui paraissait guéri dans ces conditions. La question se pose de savoir s'il s'agit là de guérisons, durables; on peut admettre que les illusions sensorielles sont, pour le moins, favorisées par les états d'excitation et qu'elles régressent en quelque sorte d'elles-mêmes lorsqu'on est parvenu à se rendre maître de l'agitation. En tous les cas, c'est surtout pour les délirants que j'estime dangereuses les conversations prenant pour thème la maladie, Notre seule chance de guérir les délirants est, à mon avis, de faire le silence sur leur délire et de dévier constamment Ieurs préoccupations vers des terrains neutres ou « logiques ». On peut espérer que, de même que les sujets normaux oublient les choses dont ils n'ont plus à s'occuper, de même les délirants oublieront, au moins partiellement, leurs préoccupations morbides. Il s'agit donc, non plus de lutter directement contre l'élément morbide, mais de le refouler par une méthode substitutive. Il nous est impossible d'insister davantage ici sur ce point. En résumé, nous sommes encore incapables d'influencer directement les causes profondes des maladies mentales. Mais la psychothérapie peut beaucoup sur le tableau clinique; elle peut modifier considérablement, dans tel cas donné, les réactions du malade et son comportement social. Elle modifie du même coup les conditions de la vie asilaire et permet d'escompter la suppression future des quartiers dits d'agités. Elle rend inutiles ou bien rarement utiles les mesures de contention. Elle diminue la durée de l'internement et permet l'utilisation plus rapide, au point de vue social, de beaucoup de malades considérés autrefois comme définitivement perdus pour la collectivité. Les bases d'une telle psychothérapie sont l'attention scrupuleuse, la prudence, le calme; elle exige du médecin et du personnel infirmier de grandes qualités. Mais les efforts sont largement récompensés. On pourra nous objecter que nous ne faisons que répéter des vérités premières. Nous retrouvons, de fait, les idées, que nous venons d'énoncer ici et là dans les écrits psychiatriques du siècle passé, notamment dans le petit livre de Kraepelin : Hundert Jahre Psychiatrie, Berlin 1918. Mais les vérités sont toujours bonnes à répéter, surtout lorsque, pour évidentes qu'elles soient, il est difficile d'obtenir qu'on se conforme à leur leçon, parce que ne pas en tenir compte est moins pénible et plus conforme à la triste loi du moindre effort. |
Michel
Caire, 2014 |