Hermann Simon et la psychothérapie à l'asile


L'expérience de Gütersloh que son auteur, Hermann Simon, expose en 1929 dans son ouvrage intitulé Aktivere Krankenbehandlung in der lrrenanstalt, c'est-à-dire Une thérapeutique plus active à l’asile, fut une référence essentielle pour les pionniers français de la psychothérapie institutionnelle, au premier rang desquels Tosquelles.

« J'avais passé les Pyrénées à pied avec une serviette dans laquelle il y avait une grammaire anglaise, le livre d'Hermann Simon et les rapports que j'avais été dans l'obligation de rédiger chaque mois sur les services psychiatriques de l'armée de la République » [François Tosquelles].

Recherches 1975 n°17, p.84


La parution du livre d'H. Simon est ainsi annoncée en France par Paul Schiff, dans la revue L'Hygiène mentale :

Le mouvement d’hygiène mentale en Allemagne, par P. Schiff

« Le docteur Hermann Simon, directeur de l’asile de Gütersloh, est l’auteur de la véritable révolution asilaire que constitue la « thérapeutique par le travail » telle qu’elle est appliquée aujourd’hui dans maints asiles. M. Simon en a fait l’hommage à ses devanciers français d’il y a un siècle, Pinel, Ferrus, etc., mais l’extension qu’il a donnée à cette méthode, son application, on peut dire à l’ensemble d’un effectif asilaire lui donnent figure d’initiateur.

Cette méthode ne constitue d’ailleurs qu’une des initiatives de M. Simon en vue d’une Thérapeutique plus active à l’asile : c’est le titre de l’ouvrage nouvellement paru (Hermann SIMON, Aktivere Krankenbehandlung in der lrrenanstalt, 1 vol. de 167 pages, Walter de Gruyter et Cie éditeurs, Berlin 1929), où il résume ses efforts des vingt dernières années pour lutter contre la passivité hospitalière, organiser rationnellement la vie des internés, démontrer les raisons psycho-biologiques d’une telle organisation, décrire les effets de la psychothérapie même chez de vieux schizophrènes. M. Simon a placé son livre sous l’invocation de saint Jean : « … et toutes choses ont été faites par la parole et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle ».

L’Hygiène Mentale 1929 n°8, pp.232-233


Ce journal L'Hygiène mentale, fondé par A. Antheaume et dirigé alors par Henri Claude et J. Lhermitte, peut être considéré comme l'organe de la ligue du même nom. Simon était lui-même membre du Comité directeur de la Ligue allemande pour l’Hygiène psychique - présidée par le professeur Robert Sommer, de Giessen, et dont le vice-président était Wilhelm Weygandt, professeur de psychiatrie à Hambourg.

Quatre ans plus tard parait dans cette même revue un article intitulé « La psychothérapie à l’asile », dont nous proposons le texte ci-après, où Simon synthétise ses principes thérapeutiques.

On ignore si ce texte a été traduit de l'allemand, ou écrit dans notre langue par son auteur, originaire d'un Land où les francophones étaient nombreux

Le livre lui-même de Simon, paru en 1929, n'a jamais été publié en France. On en connait une traduction dactylographiée dite de Saint-Alban, faite sous l'Occupation dans l'hôpital de la Lozère par la sœur de Paul Balvet, qui était professeur d'allemand, avec les psychiatres saint-albanais.

Indice de l'influence d'H. Simon au début de ces années 1940 parmi les psychiatres français, la dénomination de « Quartier Hermann Simon » donné par Gaston Ferdière au pavillon accueillant les malades de son service les plus aptes au travail (Isabelle von Bueltzingsloewen, L'hécatombe des fous, p.368, note 83).


Hermann SIMON
Zweibrücken (Rhénanie-Palatinat) 22 mars 1867 / 14 novembre 1947 (Gütersloh, Westphalie, Allemagne)


Psychiatre allemand, souvent considéré en France comme le fondateur de l’ergothérapie moderne et l'inspirateur des pionniers de la psychothérapie institutionnelle française.

Simon étudie la médecine à Münich, Heidelberg, Berlin et Strasbourg. En 1891, il est nommé médecin assistant à l’hôpital de Sarreguemines (alors allemand, comme Strasbourg) et cinq ans plus tard médecin-chef de l’asile d’Aplerbeck, près de Dortmund, dirigé par Backenkohler.

Il dirige ensuite l’asile de Lengerich (Westfalen) de 1902 à 1905, année où il prend la direction de l’établissement de Warstein (aujourd'hui LWL-Klinik Warstein). En 1914, il devient directeur médical du nouvel asile provincial de Gütersloh (actuellement LWL-Klinik Gütersloh), dont il a inspiré le programme et où il exerce jusqu’à sa retraite en 1934 (avec une interruption pendant les quatre années de guerre). Il reprend ensuite du service comme médecin de l'hôpital militaire de Bethel, poste qu’il abandonne en 1942, à l’âge de 75 ans.

Sur H. Simon, voir :
- Bernd Walter, « Hermann Simon, Psychiatriereformer, Sozialdarwinist, Nationalsozialist ? ». Der Nervenartz, 2002, 73, 11 ; 1047-1054

- Joseph Biéder, « Les faux-semblants : Hermann Simon (1867-1947) ». Annales médico-psychologiques, 2006, 164, 5; 451-453

- Article Hermann Simon (Arzt) de l'encyclopédie Wikipedia (en allemand)


LA PSYCHOTHÉRAPIE A L'ASILE

par

Hermann SIMON, médecin-directeur de l'asile de Gütersloh (Westphalie)

L'Hygiène mentale, janvier 1933, pp.16-28

Les perspectives de la psychothérapie ne sont pas les mêmes à l'asile que pour les malades non internés auxquels on pense, à peu près exclusivement, lorsqu'on parle de psychothérapie. D'une façon générale l'asile n'héberge que les plus grands malades, ceux que leur affection a conduits ou menace de conduire à brève échéance à de graves conflits avec l'extérieur et qui ne sont plus accessibles aux modes de traitements libres.

On trouve surtout dans les asiles des cas incurables, qui peuvent se prolonger pendant des décades. La plupart des malades ne sont pas venus volontairement vers le médecin, mais plus ou moins contre leur gré; leur attitude, tant vis-à-vis des médecins que vis-à-vis de tout ce qui concerne l'asile, s'en trouve le plus souvent irrémédiablement influencée.


Tout traitement doit être précédé d'une bonne étude du cas à traiter. Cette étude montre presque toujours qu'on ne peut confondre le tableau morbide avec la nature de la maladie.

A l'origine de la maladie, nos conceptions actuelles placent l'atteinte organique du système nerveux, atteinte qui, chez le plus grand nombre de nos malades d'asiles (les schizophrènes), doit être considérée comme d'ordre chimique-toxique. Cette atteinte est responsable de manifestations irritatives ou paralytiques, d'ordre neurologique ou mental, telles qu'insomnie, agitation, instabilité, irritabilité, illusions et hallucinations, ou bien confusion et stupeur, troubles de l'association des idées, de l'intelligence, du jugement, etc. Ces troubles résument à peu près les conséquences immédiates, élémentaires, de la lésion cérébrale primitive dans la plupart des psychoses.

Mais dans le tableau morbide en face duquel nous nous trouvons, il y a plus.

Il y a d'abord la personnalité prémorbide du malade, qui n'est pas elle-même quelque chose de simple et de stable. C'est la somme des influences héréditaires et de celles du développement et de l'évolution individuels (expérience, éducation, événements vécus, réactions entre le moi et le milieu).

Or, les qualités dites normales, jugement, volonté, maîtrise de soi, par quoi notre propre comportement s'harmonise avec le monde ambiant, sont, par, définition, touchées chez les psychotiques, d'où, pour eux, le risque de perdre les acquisitions de l'éducation et de l'expérience.

C'est ce que j'appellerai l'influence dénudante de la psychose : le voile, bienfaisant, que l'éducation et l'instruction, l'adaptation et les conventions ont tissé autour du moi, est plus ou moins soulevé et ainsi apparaît à nu la véritable personnalité avec ses creux et ses reliefs, ses faiblesses, son égoïsme, ses aspirations et ses passions non refoulées, aussi avec sa bêtise, sa brutalité, sa grossièreté, sa méchanceté, tous caractères naturellement très différents et différemment associés selon les individus.

A beaucoup de points de vue, le malade, justement parce qu'il a perdu les acquisitions de l'éducation, se rapproche, par son comportement, de l'enfant non éduqué « primitif-asocial ». Beaucoup des réactions regrettables et destructrices que nous observons chez nos malades mentaux, beaucoup de leurs erreurs et de leurs particularités, ne peuvent ainsi être mises sur le compte direct de leur affection mentale, mais représentent l'apport de la personnalité même du malade.

Une autre grande source des réactions asociales des malades mentaux est le dogme de l'irresponsabilité totale du malade mental.

Il n'est certes pas question ici de la responsabilité juridique des malades, mais de leur responsabilité dans leur comportement quotidien. Ici encore il nous faut considérer l'action réciproque de l'individu et du milieu. Cette interaction, non seulement, est d'une importance capitale en ce qui concerne l'évolution, favorable ou défavorable, du tableau clinique, mais encore elle constitue pour nous le meilleur point de départ pour toute psychothérapie.

Tout individu, homme ou bête, sain ou malade, réagit aux actions du milieu, s'y adapte ou s'en défend; mais le milieu également, notamment le milieu vivant, réagit à son tour au comportement de l'individu; individu et milieu se trouvent constamment dans un état d'équilibre, un modus vivendi, qui n'est jamais mort ou fixe, mais toujours vivant, changeant.

C'est la réaction logique du milieu ambiant au comportement d'un chacun qui donne à l'éducation humaine un rôle si décisif; mais à elle se trouve liée la responsabilité de chacun en ce qui concerne ses faits et gestes. La responsabilité consiste en ceci que tous nos actes comportent normalement des conséquences, lesquelles, selon le cas, sont pour l'individu agréables ou non, sources de sentiments de joie ou de peine qui servent à leur tour de point de départ pour les actes ultérieurs.

De la plus tendre enfance jusqu'à la mort, nous apprenons d'après nos propres expériences. Si nous enlevons à nos malades la responsabilité ainsi comprise, nous leur enlevons les bases les plus importantes qui puissent les conduire à une activité socialement réglée, « civilisée », nous leur enlevons le désir et les moyens de tout comportement réglé. Un homme, malade ou non, qui n'a pas à tenir compte des conséquences de ses actes, n'a plus aucun intérêt à se conduire de· façon calme, ordonnée et morale, à dominer ses instincts, à prendre en considération ses compagnons.

L'irresponsabilité si généralement proclamée des malades mentaux, liée avec le système trop rigidement conçu du « no-restraint », conduit nécessairement à la « liberté des fous »; et c'est la plus grande humiliation que nous puissions infliger à nos concitoyens, même malades. Non seulement nous les séparons de la communauté des hommes civilisés, mais encore, ce qui est pire, nous leur barrons la voie du retour vers la communauté sociale.

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Un autre point à considérer est celui des vices inhérents au milieu asilaire. Depuis des années, les aliénistes s'efforcent de supprimer dans les asiles tout ce qui rappelle la prison ou la caserne. Tout cela est bien; mais nous ne devons pas nous dissimuler que toutes nos améliorations ne sont que superficielles, extérieures, et faites beaucoup plus pour impressionner les visiteurs que les malades eux-mêmes. Le malade est beaucoup plus influencé par son entourage vivant que par son entourage matériel et mort; il est influencé notamment par ses compagnons, avec lesquels il doit vivre dans une intimité de tous les instants.

Dans les quartiers dits d'agités, l'atmosphère est constamment tendue, le plus minime incident provoque des querelles et des disputes; les paroles et les injures, qu'on entend jour après jour et heure après heure, dans leur forme comme dans leur fonds, sont souvent malpropres et grossières, sinon complètement dénuées de sens. Nos malades doivent supporter sans désemparer un tel milieu. Nous connaissons tous la force de l'habitude, la tendance des malades, comme celle des enfants, à imiter justement le pire; nous savons surtout comment un milieu constamment sous pression réagit sur tous ceux qui doivent vivre dans ce milieu. Si vraiment c'est le milieu qui forme les hommes, quel type d'hommes un pareil milieu peut-il former! Nous en avons tous les jours de tristes exemples.

Un tel milieu ne peut en aucune façon exercer une influence salutaire sur une personnalité malade et, par là même, doublement sensible. Tant que n'est pas rompu le cercle vicieux, par lequel le malade agité influence le milieu et le milieu agité réagit sur le malade, il ne peut être utilement question de psychothérapie.

Enfin, un autre grand défaut de l'asile est l'inactivité à laquelle sont réduits la plupart des malades. Ne se développent que les forces, les capacités qui peuvent s'exercer. Il est inutile d'insister une fois de plus sur cet aspect capital des choses.

Le traitement idéal des maladies mentales est celui qui tend à empêcher ou à réparer la lésion organique cérébrale qui est à la base de l'affection. Actuellement, la chose est impossible. Ce que nous pouvons et devons faire, c'est empêcher le malade de régresser au-dessous des hauts niveaux d'éducation qu'il a atteints; lorsque des manifestations antisociales se sont déjà produites, c'est les écarter et en empêcher le retour.

Le traitement doit d'autre part s'efforcer, au point de vue positif, de fortifier et de développer toutes les aptitudes qui, intactes encore chez le malade, peuvent être utiles pour la vie commune, dans le combat pour l'existence.

Il nous faut pour cela, à l'asile, utiliser à nouveau ces mêmes forces qui ont été utilisées chez l'enfant pour l'éducation: l'entraînement, l'habitude, l'expérience, la connaissance des réactions logiques du milieu ambiant au comportement du malade lui-même. Et il nous faut surtout écarter et éviter toutes les influences nuisibles qu'on peut grouper sous le nom de réactions illogiques du milieu.

Les principes thérapeutiques sont les mêmes, qu'il s'agisse de maladies mentales ou de maladies organiques. Les principes sont partout les mêmes en biologie et seules les circonstances changent.

Certes il est, en général, difficile pour le malade mental de se maintenir au degré de culture qu'il avait atteint avant sa maladie; mais une grande part de l'art de l'aliéniste est justement d'apprécier cette difficulté dans chaque cas particulier et d'en tenir compte lorsqu'il prend ses décisions. Le médecin ne doit pas exagérer ce qu'il y a de morbide chez son patient.

Il y a là une moyenne à prendre, une appréciation initiale, à propos de laquelle le plus expérimenté peut facilement se tromper. Un vieil adage, toujours répété, mais malheureusement toujours négligé dans la pratique asilaire, dit que toute psychothérapie doit s'adresser, non pas à la partie morbide, mais à la partie restée saine de la personnalité. C'est ce qu'il y a encore de sain chez le malade qu'il faut découvrir et cultiver, soutenir et développer.

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Il est pratiquement impossible, de résumer en quelques pages ce que le traitement asilaire devrait être, ce qu'il peut être et comment il peut être organisé (H. SIMON, « Aktivere Krankenbehandlung in der lrrenanstalt », 1 vol., Berlin 1929, de Gruyter, édit.). Nous ne pouvons qu'aborder ici les grandes lignes de la question.

D'abord, ne pas faire de mal, c'est le principe initial de toute thérapie. Il faut donc, soit écarter, soit améliorer tout ce que, plus haut, nous avons montré être nuisible aux malades à l'asile : l'inaction, le milieu asilaire actuel, la soi-disant irresponsabilité totale.

Les psychiâtres [sic] ont insisté depuis longtemps sur les bons effets du travail bien organisé et bien dosé. Mais, sauf dans quelques rares asiles, la thérapeutique par le travail ne peut être mise en' œuvre que pour un certain nombre de malades, les plus tranquilles. On la considère comme inadaptable ou impossible lorsqu'il s'agit de malades agités.

On constate cependant de plus en plus, et de tous côtés, non seulement qu'il est possible de faire travailler, de façon prudemment dosée et surveillée, la plupart des malades, mais encore que, pour tous, le travail constitue pour la cure un adjuvant de premier ordre. Grâce à lui, on peut, non pas guérir les lésions cérébrales organiques, mais fortifier, exercer les forces physiques et psychiques utiles qui demeurent, lutter dans une large mesure contre l'agitation et l'impulsivité, contre la tendance aux violenc

Mis à part ceux qui dérivent directement de la maladie organique, il n'est pour ainsi dire aucun symptôme morbide qui ne soit compatible, même dans les cas les plus graves, avec un travail bien dosé. Certes, une condition du succès est ici l'individualisation stricte des mesures prises. Sur l'organisation moderne de la thérapeutique par le travail, sur ses moyens et sa mise en œuvre dans les asiles, on a tant écrit dans ces dernières années qu'on peut se dispenser d’entrer dans les détails.


Ce que nous avons dit plus haut de l'influence du milieu fait un devoir, tant au médecin qu'au personnel infirmier, de créer autour du malade mental un milieu plus calme et réglé. Ceci est malheureusement plus facile à dire qu'à faire; mais on doit le faire et l' « impossible » n'a pas cours ici. Un premier moyen de lutter contre l'agitation est, nous venons de le rappeler, le travail bien adapté. Mais cela ne suffit pas.

Le milieu « vivant » de chacun est la somme des autres individualités qui entrent avec lui en contact; chacun est à son tour, pour les autres, une partie constitutive de leur milieu. Nous pouvons faire à chacun de nos malades une obligation de respecter le repos des autres; mais, inversement, nous avons le devoir d'assurer à chacun le minimum de repos et de tranquillité. Veiller à cela n'est pas indigne des médecins.

Toute psychothérapie est en effet avant tout une éducation (une éducation curative), c'est-à-dire une action sur la volonté et le pouvoir des malades avec, comme but, leur meilleure adaptation aux événements présents et aux nécessités de la vie en commun. La tâche est relativement facile lorsque le sujet à éduquer, ou à rééduquer, est conscient du but à atteindre : peuvent alors intervenir les formes les plus parfaites de la suggestion : la conviction par la parole et l'exemple.

Le plus souvent malheureusement manquent aux malades le jugement et la compréhension clairs; ceux du médecin et des infirmiers doivent alors y suppléer : médecin et infirmiers doivent assumer la direction spirituelle du malade comme la mère doit assumer, avec son autorité, celle de l'enfant à qui manque l'expérience.

L'autorité reste à la base de toute psychothérapie, mais une autorité fondée, non pas sur la force ou l'application de règlements draconiens, mais sur la supériorité spirituelle de celui qui l'exerce, sur sa claire vue des choses, son assurance, ses efforts adaptés au but.

Quiconque n'a pas les qualités naturelles suffisantes, ne fera jamais un bon psychothérapeute. Avant qu'on parle de psychothérapie, ce fait était bien connu que certaines personnes ont, pour ramener le calme dans un service d'agités, des qualités qui manquent totalement à d'autres. De grands psychiâtres ont eu, intuitivement, les qualités du bon psychothérapeute, tels Pinel, Reil, Jacobi, Griesinger, Conolly, Zeller.


Constater d'abord, puis réfléchir et enfin agir : tel est le processus de tout travail utile en ce monde. Pour l'aliéniste, cela peut se traduire : approfondir suffisamment les antécédents des malades et .l'origine de leur affection, étudier attentivement et de façon continue, jour et nuit, leur comportement, surtout celui des malades difficiles et agités, décomposer le tableau morbide en ses différents éléments, déduire enfin les mesures thérapeutiques utiles. Mais ceci veut dire aussi : étudier suffisamment le milieu, déceler les causes susceptibles d'agir défavorablement sur le malade et de provoquer des conflits, petits ou grands; les éviter dans la mesure importante où elles dérivent d'une attitude inadaptée et imprudente du milieu dit sain.


On obtiendra déjà beaucoup du seul fait qu'on ne traitera plus les malades mentaux comme des « fous », mais comme des sujets sains, policés, et qu'on obtiendra d'eux, en échange, qu'ils se comportent, dans la mesure de leur possibilité, de façon convenable et « réglée» vis-à-vis de leur entourage. Pas de cris, pas de gros mots: la grande majorité des malades d'asiles se met d'emblée à l'unisson lorsqu'on emploie à leur égard le ton poli habituel à la conversation, qu'on les habitue à poser leurs questions, à présenter leurs demandes posément et sans élever la voix.

Comme des enfants, il faut savoir exiger des rares malades qui ne comprennent pas, qu'ils abandonnent leur ton hautain, malpoli, excité, qu'ils, parlent et se comportent « comme des gens convenables »; presque toujours, les malades se conforment de façon immédiate et parfaite à ce genre d'observations. Pratiquement, lorsque l'état de fait sur ce point est déficient, la faute en est surtout au médecin et au personnel hospitalier.

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Médecin et infirmiers doivent savoir se taire au bon moment. Nous avons pris l'habitude, dans notre service, de répéter : « Le silence est d'argent, l'action est d'or, la parole est de fer-blanc ». Beaucoup d'ennuis, dans les asiles, proviennent de paroles malheureuses ou intempestives. Si un malade, qui fait du bruit et gêne son entourage, ne revient pas à une attitude plus calme sous l'influence d'un avertissement pertinent et donné posément, il ne sert à rien de lui tenir un long discours.

Les prédications morales et tout ce qui leur ressemble, les efforts tendant à persuader le malade de l'inutilité de son attitude et de ses discours, ne servent absolument à rien. Ils ne conduisent qu'à des échanges de propos sans efficacité, voire nuisibles, parce qu'ils excitent encore davantage le malade au lieu de le calmer d'autant plus que la partie saine du duo - médecin ou infirmier - ne garde guère elle-même son calme.

Des incidents regrettables sont souvent la conséquence de ces discussions verbales. Un seul mot dit mal à propos suffit parfois à entretenir des états d'agitation qui durent des semaines, notamment chez les psychopathes particulièrement labiles. L'art du médecin et son expérience doivent lui faire vite reconnaître de tels sujets et lui permettre d'éviter les terrains dangereux.


Certes, le médecin, et aussi l'infirmier, doivent être pour le malade des personnes avec qui il se sente en confiance, auxquels il puisse parler de ce qui l'émeut et le préoccupe; et le médecin doit considérer comme étant une de ses tâches les plus utiles tout effort tendant, par une confiance réciproque, à rapprocher le malade des conditions normales de vie.

Mais les relations entre malade et médecin doivent être ordonnées, dirigées non par ce qu'il y a de morbide chez le malade, mais par ce qu'il y a chez lui de sain et de normal ou par le médecin lui-même. Aucun mélancolique n'a jamais été guéri de sa dépression par des exhortations affectueuses, aucun paranoïaque n'abandonne après discussion verbale, après concession verbale, la moindre parcelle de son délire, aucun catatonique ne renonce dans ces conditions à son négativisme.

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Avec le malade mental, toute discussion sur ce qu'il y a de morbide en lui est absolument inutile; tout ce qu'on peut obtenir par la discussion, c'est que le malade s'attache encore plus à sa maladie, considérée comme intéressante. Par contre, nous pouvons être pour le malade extrêmement utiles si nous savons nous servir de la conversation dirigée sur des sujets qui ne touchent pas au délire, qui sont susceptibles d'autre part d'intéresser et de fortifier les éléments restés sains de la personnalité du malade.


J'en viens à l'action elle-même. Partout et toujours, la force des faits est plus forte que la force des mots. Quand les observations, les exemples et les directives sont impuissantes à conduire au but désiré ou se montrent sans espoir, alors seulement il nous appartient d'empêcher le malade de persévérer dans une conduite qui nuit à lui-même et à son entourage; nous devons l'habituer à un comportement meilleur.

Nous devons procéder comme procède une maman clairvoyante, qui éduque son enfant et fait de lui un homme ordonné et « convenable ». Il nous faut empêcher le malade de quitter constamment sa chaise et de marcher sans arrêt dans la salle, gênant les autres; il nous faut l'empêcher de remuer les mains sans cesse de façon stéréotypée, de se balancer sans arrêt, de collectionner, de se comporter malproprement à table, de souiller ses vêtements.

Nous n'y arriverons que si nous évitons pareillement la menace et la trop grande bonté. Faire travailler le malade est ici d'un secours puissant; sans le travail, nos efforts seront vains, car ce serait une gageure que de vouloir obtenir d'un malade instable et agité qu'il se tienne toute une journée sur sa chaise, inactif et immobile.


Attention, patience et persévérance infatigables, voilà nos meilleures armes dans ce combat de tous les instants, qui souvent dure des semaines et des mois, et doit être poursuivi, au milieu de mille incidents et de mille obstacles, jusqu'à la victoire finale. C'est en mettant en œuvre les possibilités inconscientes du malade, le substratum mécanique de toute habitude et de tout entraînement que nous devons progresser.

Apprendre et s'éduquer par l'exercice et l'habitude sont des fonctions en grande partie indépendantes des capacités mentales supérieures, comme nous le voyons chez les animaux, chez le ver de terre comme chez le chien, chez le nourrisson comme chez l'homme adulte, chez le paralytique général le plus obtus comme chez le catatonique le plus négativiste.

Mais il y a là un obstacle, qui se fait terriblement sentir dans nos asiles, tels qu'ils sont actuellement organisés : l'entraînement et l'habitude se font aussi bien dans le mauvais que dans le bon sens; c'est tout l'art de la psychothérapie que de les diriger dans la bonne voie.

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Dans toute vie en société, dans toute communauté policée, le bien du plus grand nombre doit être la condition du bien de chacun, son intérêt même. Nous avons précédemment indiqué comment, à l'asile, les troubles dus à la communauté pouvaient et devaient être évités dans la mesure du possible; les supprimer complètement est hors de nos moyens.

Il faut nous y résigner; mais le devoir devient alors absolu de séparer de la communauté les malades dont l'agitation et la malfaisance sont irréductibles (paranoïaques, certains catatoniques...); l'isolement (pas plus d'une demi-heure), les bains, etc., interviendront ici à juste titre. Au pire, on obtiendra par les médicaments sédatifs le repos indispensable. Il est bien entendu qu'on ne recourra qu'avec modération et prudence à ces mesures extrêmes. Dans notre service, nous en venons beaucoup plus rarement à ces procédés aujourd'hui qu'autrefois.

Les réprimandes violentes, la grossièreté, les menaces n'aboutissent à rien du tout à l'asile; elles ne font que rendre le malade plus agité et lui donnent pour ainsi dire le droit de répondre sur le même ton, plus aigu même encore. Ce sont d'ailleurs là des préceptes qu'on trouve dans le plus élémentaire des recueils concernant le traitement des malades mentaux.


Nous avons parlé plus haut de la signification que nous attribuons à la réaction logique du milieu et à la notion de responsabilité spéciale qui en résulte pour chacun. Dans la mesure où sa personnalité est indemne, nous devons développer chez le malade le sentiment de sa responsabilité, le rendre attentif et sensible aux conséquences de ses actes.

La logique saine prend à l'asile son point de départ dans le fait que le comportement calme et policé de chacun comporte pour lui plus d'agréments que son contraire, comme il en est dans la vie normale. Nous devons aller plus loin encore et récompenser le malade de ses efforts en dosant, pour ainsi dire, en proportion de son comportement, ses commodités, sa liberté, par exemple en le plaçant dans des quartiers de plus en plus libres, en le faisant participer à des fêtes, à des concerts, à des représentations théâtrales, en améliorant son ordinaire en proportion de sa bonne volonté au travail.

Inversement, tout comportement antisocial du malade sera suivi, pour lui, de la privation de tels ou tels avantages. Il faut ainsi rendre la marche vers l'amélioration aussi facile que possible pour le malade. Seul l'homme qui fait effort s'améliore. Mais s'efforcer suppose tendre à la réalisation de certains vœux. Si nous voulons que nos malades fassent des progrès, il nous faut provoquer chez eux des désirs, des appétances; susciter de leur part des vœux qui soient réalisables, mais réalisables à condition qu'ils y « mettent du leur ». Et sur la voie qui leur a été suggérée, il nous faudra encore, à chaque instant, les encourager et les aider.

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Nous ne devons pas négliger ce qui est foncièrement utile aux malades pour des considérations purement subjectives et sentimentales. Ce qui est profitable au malade n'est pas toujours, loin de là, ce qui, dans le moment donné, lui fait plaisir ou lui paraît agréable. Encore une fois, il y a analogie ici avec ce qui se passe chez les enfants, et nos malades, dans beaucoup de cas, nous serons reconnaissants, le moment venu, de ce que, à une date donnée, nous aurons su leur imposer contre leur gré.

Il ne faut rien concéder à la maladie, mais lutter contre elle; seule cette attitude est logique et fructueuse. Il est bien entendu que nous parlons de lutte contre la partie morbide du malade, non contre le malade même. Maintenir longtemps un malade à l'asile Sous le régime du « no restraint » est illogique, car c'est renoncer aux moyens de lutter contre ce qui reste de morbide chez le malade et se refuser, à priori, à tout effort psychothérapique.

Nous sommes partisan d'un « no restraint » conditionnel. Il faut d'abord libérer le malade de la domination sans frein de ses instincts, de ses tendances, de ses habitudes mauvaises, de ses attitudes morbides; après seulement, on dosera sa liberté et sa réadaptation progressive au milieu normal. Les forces mises en œuvre pour libérer le malade de ses troubles antisociaux sont justement celles qui, de façon constructive, peuvent servir à le réadapter au milieu ambiant. Encore une fois, le travail réglé et l'éducation agissent ici comme les deux leviers principaux.

Si nous voulons aller plus loin, il nous faut, comme en présence d'un enfant à l'école, porter peu à peu et de plus en plus haut les aspirations du malade; toujours, nous devons le maintenir au degré le plus élevé de tension utile. Il ne faut pas éviter au malade, au moins de façon durable, toutes les difficultés, aplanir devant lui tous les obstacles. Une vie trop facile à l'asile est, pour le malade, un grand mal.

Il est extrêmement important, en dehors même du travail, d'occuper sans cesse son esprit, par des lectures, des conversations, des causeries. A cet égard l'éducation physique est un bon adjuvant, que de plus en plus on loue avec raison. Peut-être même est-il possible d'influencer par ces méthodes des symptômes que nous sommes habitués à considérer comme la conséquence directe de la maladie: M. Kehrer, récemment, a posé la question de savoir s'il n'était pas possible d'améliorer, par l'entraînement, la dissociation schizophrénique. Je réponds nettement par l'affirmative; non seulement la dissociation des schizophrènes, mais encore leurs idées délirantes et leurs illusions sensorielles sont amendables par les méthodes que je préconise.

Tout au moins en est-il ainsi dans un grand nombre de cas. Certes, les idées délirantes paranoïdes et les hallucinations ne disparaissent pas en général complètement; mais le malade est beaucoup moins dominé par elles. Récemment encore nous avons accordé la sortie à un malade qui paraissait guéri dans ces conditions. La question se pose de savoir s'il s'agit là de guérisons, durables; on peut admettre que les illusions sensorielles sont, pour le moins, favorisées par les états d'excitation et qu'elles régressent en quelque sorte d'elles-mêmes lorsqu'on est parvenu à se rendre maître de l'agitation.

En tous les cas, c'est surtout pour les délirants que j'estime dangereuses les conversations prenant pour thème la maladie, Notre seule chance de guérir les délirants est, à mon avis, de faire le silence sur leur délire et de dévier constamment Ieurs préoccupations vers des terrains neutres ou « logiques ». On peut espérer que, de même que les sujets normaux oublient les choses dont ils n'ont plus à s'occuper, de même les délirants oublieront, au moins partiellement, leurs préoccupations morbides. Il s'agit donc, non plus de lutter directement contre l'élément morbide, mais de le refouler par une méthode substitutive. Il nous est impossible d'insister davantage ici sur ce point.

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En résumé, nous sommes encore incapables d'influencer directement les causes profondes des maladies mentales. Mais la psychothérapie peut beaucoup sur le tableau clinique; elle peut modifier considérablement, dans tel cas donné, les réactions du malade et son comportement social. Elle modifie du même coup les conditions de la vie asilaire et permet d'escompter la suppression future des quartiers dits d'agités. Elle rend inutiles ou bien rarement utiles les mesures de contention.

Elle diminue la durée de l'internement et permet l'utilisation plus rapide, au point de vue social, de beaucoup de malades considérés autrefois comme définitivement perdus pour la collectivité. Les bases d'une telle psychothérapie sont l'attention scrupuleuse, la prudence, le calme; elle exige du médecin et du personnel infirmier de grandes qualités. Mais les efforts sont largement récompensés.

On pourra nous objecter que nous ne faisons que répéter des vérités premières. Nous retrouvons, de fait, les idées, que nous venons d'énoncer ici et là dans les écrits psychiatriques du siècle passé, notamment dans le petit livre de Kraepelin : Hundert Jahre Psychiatrie, Berlin 1918.

Mais les vérités sont toujours bonnes à répéter, surtout lorsque, pour évidentes qu'elles soient, il est difficile d'obtenir qu'on se conforme à leur leçon, parce que ne pas en tenir compte est moins pénible et plus conforme à la triste loi du moindre effort.

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Michel Caire, 2014
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