L'insulinothérapie
de la Cure de Sakel au « choc humide
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Insulin
shock therapy Sakel Treatment
Insulinkomatherapie
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Le
premier traitement biologique de la psychose, spécifique et efficace
La
technique du coma insulinique ou choc hypoglycémique dans le traitement
de la psychose a été exposée par son inventeur, Manfred
Sakel (1900-1957), dans trois publications entre 1933 et 1936.
Après l'Autriche, la méthode est appliquée en Suisse,
par le docteur Max Müller (1894-1980) à l'hôpital cantonal
de Münsingen, près de Berne (Müller qui, fin 1938 ou
début 1939, applique -sans grand succès- la cure au danseur
Vaslav Nijinski, auparavant traité par Sakel lui-même à
Vienne), puis en France par le docteur Rondepierre après avoir
appris la méthode chez Müller, par le docteur Paul Cossa
à Nice dès 1936, et à la Clinique de Sainte-Anne (Paris)
dans le service d'Henri Claude.
La
méthode de Sakel consiste à provoquer un coma (éventuellement
des convulsions) par injection d'insuline.
L'insuline avait été isolée du pancréas en
1921 par les Canadiens Banting et Best.
Parmi les pionniers de son utilisation médicale en psychiatrie, il convient de citer le Suisse Hans Steck à Cery (Suisse),
qui prescrit le produit pour lutter contre le refus de nourriture dans
la catatonie, comme sédatif dans le delirium tremens, et surtout
dans les agitations catatoniques (J.-N. Missa, p.100-101).
C'est également pour cet effet sur l'agitation que Sakel en entreprit
l'expérimentation, et en constatant que le coma provoqué
pouvait très favorablement influencer l'évolution des déments
précoces.
Très vite, la méthode va donc être utilisée dans le traitement
des psychoses, mais à doses faibles et généralement
en association aux hydrates de carbone pour éviter l'hypoglycémie.
Comme pour bien d'autres thérapeutiques psychiatrique,
la découverte de Sakel fut, comme il l'a écrit lui-même,
fortuite et empirique. Elle est étayée par une hypothèse
considérée aujourd'hui comme simpliste : des agents
toxiques affaiblissent le métabolisme de certaines des cellules
cérébrales du schizophrène; le coma provoque la régénérescence
des cellules dysfonctionnelles ou la destruction des connexions neuronales
pathologiques et, de ce fait, en améliore le fonctionnement.
La pratique a démontré tout l'intérêt thérapeutique
de la méthode, en un temps où n'existait aucun autre traitement
biologique des troubles psychotiques. Ce qui a permis de parler de l'ouverture d'une
ère thérapeutique nouvelle avec la cure de Sakel.
Elle sera encore une étape importante dans la spécialisation
du corps infirmier en psychiatrie, dont le rôle dans la cure est
sans doute aussi important que l'effet biologique du produit.
Les indications classiques étaient la schizophrénie (démence
précoce) et plus généralement toutes les psychoses
chroniques, accessoirement certains états maniaques et mélancoliques.
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Le
guide thérapeutique du médecin praticien
J. Trabaud et J.-R. Trabaud.
Volume V : Les Maladies Nerveuses et Mentales
Paris, Vigot, 1940, pp.242-243
La
démence précoce
Insulinothérapie.
- Recourir à la méthode de l'hypoglycémie provoquée.
Doser la glycémie.
Pour une glycémie de 1,12 donner 60 et 70 unités d'insuline
abaissant la glycémie à 0,50 - 0,36.
Avec une glycémie de 1,02, 30 unités peuvent suffire.
Donc agir par tâtonnement en administrant des doses successives
de 15 unités par exemple que l'on fixera chez le malade et
que l'on injectera en une fois pour le traitement.
Dès le seuil convulsif ou même dès la perte
de conscience, arrêter la marche des phénomènes
par injection intraveineuse de 20-30 cc. de sérum sucré
tenu prêt à l'avance. Le sujet reprend conscience immédiatement.
Si le sujet retombe dans le coma, reprendre l'injection sucrée.
Pratiquer cette méthode avec un personnel exercé en
clinique ou à l'hôpital chez un sujet à veines
accessibles.
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Le
protocole ici proposé est le plus simple. On peut y ajouter que
le sujet doit être placé autant que possible dans une chambre
seule, dans une semi-obscurité, « avec un linge sur les yeux
dans la phase d'endormissement » (P. Cossa) et surtout, présence
permanente d'un(e) infirmier(ère), pour la surveillance somatique
du malade, ses constantes (température, pouls, rythme respiratoire)
et son comportement.
Mais le rôle essentiel du personnel infirmier dans la cure l'est
tout autant pour maintenir une atmosphère de « sollicitude
intelligente, de calme et de bien-être moral » (H. Claude),
rassurante avant l'endormissement, maternante et psychothérapeutique
au réveil.
Une hypersudation (jusqu'à un litre de sueur excrétée)
précède l'endormissement : ce « choc humide »
a pu être un objectif en soi, afin d'éviter le coma et ses
risques éventuels.
La survenue d'une crise comitiale, qui est une manifestation possible
et non une complication du choc insulinique, n'a pas semblé à
la plupart des praticiens devoir être recherchée : il n'y
aurait pas de corrélation entre sa survenue et les résultats
thérapeutiques.
Le malade doit être réveillé après une heure
à une heure et demie de sommeil, en administrant une solution sucrée
tiède par sonde nasale (ou dans une boisson si le choc n'est pas
allé jusqu'au sommeil). Au besoin, si le réveil ne se produit
pas en une demi-heure, il convient d'injecter par voie veineuse du sérum
glucosé (très lentement).
Après resucrage, des frissons apparaissent : il est alors bon de
pratiquer une friction alcoolisée de tout le corps, de changer
draps et couverture et de réchauffer à l'aide de bouillottes.
Puis, toujours sous surveillance infirmière, est proposé
au malade un repas riche en hydrates de carbone.
Le réveil correspond à une phase de régression affective
intense à laquelle succède souvent une période d'expansion
euphorique. C'est un moment de choix pour établir avec le malade
une relation psychothérapeutique.
Une cure peut comprendre une trentaine à une cinquantaine de séances,
à raison de trois par semaine.
Les accidents les plus graves sont l'dème aigu du poumon,
et le coma prolongé, soit hypo- soit hyper-glycémique, soit
lié à une atteinte neurologique survenue lors de la phase
hypoglycémique, dont des cas mortels ont été décrits.
Des variantes de la cure type ont été proposées :
association du choc insulinique au cardiazol ou à l'électrochoc,
technique du coma prolongé (jusqu'à douze heures pour Cossa),
et à l'inverse « choc humide » (insulinothérapie
à faible dose, évitant la phase de coma), également
appelé « petite insuline ».
La méthode parait avoir permis de transformer le pronostic d'environ
la moitié des syndromes schizophréniques. Cossa parle de
quatre chances sur dix de guérison, et deux à trois de présenter
une amélioration notable, « pourvu qu'on intervienne avant
six mois »...
Renouveau de l'intérêt porté au malade, innovation
thérapeutique, intensité du contact verbal et proximité
de la relation physique accompagnant un processus de régression
physique et psychologique, choc physiologique, effet neurobiologique...
le ou les facteurs ayant permis à la méthode d'obtenir des
résultats incontestés ne semblent pas aujourd'hui encore
établis.
L'insulinothérapie conservera tout son intérêt après
l'arrivée des électrochocs, et ne sera supplantée
que par les neuroleptiques dans le courant des années 1960, voire
1970 (cf P. Juillet, « La cure de Sakel est-elle dépassée
? » suivi de « La place actuelle de l'insulinothérapie
à doses modérées en psychiatrie », Annales
médico-psychologiques, 1980, 138, n°2; 164-179).
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Pour en savoir
plus, voir notamment :
- Manfred Sakel, « Historique de l'origine du traitement de la schizophrénie par le choc insulinique ». L'Encéphale, avril 1938, 33, 1; 153-164
- Paul Cossa, Thérapeutique neurologique et psychiatrique.
Paris, Masson, 1945 (pp. 342-358 : « La cure de Sakel par le coma
insulinique »)
- Cyril Koupernik, Livre blanc de la psychiatrie française,
1965, L'Évolution psychiatrique, T.XXX, fasc.II-1, pp. 211-212
- Jean-Noël Missa, Naissance de la psychiatrie biologique : histoire
des traitements des maladies mentales au XXe s. Paris, PUF, 2006; XIII-378
p. (« Le coma insulinique », pp.97-139) |
Michel
Caire, 2011-2018
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