L'électroconvulsivothérapie ou sismothérapie


La méthode électro-convulsive, inventée par les Italiens Hugo Cerletti et Lucio Bini (elettroshock) à la fin des années 1930, représenta un progrès considérable en thérapeutique psychiatrique : elle remplaça le choc au Cardiazol ou cardiazolthérapie, particulièrement pénible, et constitua le seul traitement efficace des dépressions sévères (mélancoliques) jusqu'à la découverte des premiers médicaments anti-dépresseurs en 1957.

Le premier électrochoc fut pratiqué en mars 1938 à Rome par Cerletti, et les premiers résultats communiqués le 15 avril de la même année devant l'Académie de médecine italienne.

Appelée successivement électrochoc ou électrothérapie, électroplexie, sismothérapie, électronarcose, électroconvulsivothérapie (ECT), parfois thérapie électro-convulsive (TEC : l'Electroconvulsive Shock Treatment des Anglo-Saxons), elle est pratiquée par séances : au cours de chacune d'elles est déclenchée une crise comitiale par le passage d'un courant électrique à travers le cerveau, entre deux électrodes placées sur les tempes du malade.

La technique s'est peu à peu améliorée, essentiellement par une anesthésie générale brève et une curarisation (introduite en France par Jean Delay et coll. en 1948. Le curare, sous le nom d'intocostrin, était utilisé dès 1940-1941 aux U.S.A. par Abram Elting Bennet) préalable au choc.

Une curieuse variante de la méthode classique est l'électrochocthérapie intracrânienne par application directe sur le cerveau, mis au point en 1953 par Juan Negrin, du Bellevue Hospital. Cette méthode, dont on lira un résumé ci-après, prétendait « combiner à la fois les bienfaits de l'électrochocthérapie et de la psychochirurgie ». Elle a été abandonnée depuis longtemps, fort heureusement.

La sismothérapie, réservée aujourd'hui à quelques pathologies psychiatriques graves (en premier lieu la mélancolie avec risque majeur de suicide, la mélancolie stuporeuse, l'état dépressif majeur résistant au traitement antidépresseur), est une méthode incontestablement efficace dans la très grande majorité des cas.

La pratique de l'électrochoc unilatéral (du côté de l'hémisphère mineur) semble diminuer les troubles mnésiques, inconvénient principal du traitement mais le plus souvent réversibles.

L’appareil utilisé est généralement encore le sismothère de Lapipe et Rondepierre. L'intensité appliquée est de 30 à 80 mA, et la durée d’application de 0,4 à 0,8 s (une titration préalable du seuil épileptogène sous recueil électroencéphalographique est parfois réalisée).

Après avoir éliminé les quelques contre-indications -de la sismothérapie et de l'anesthésie- par un bilan clinique et paraclinique, le traitement est réalisé sous anesthésie générale et curarisation (association de méthohexital sodique et de succinylcholine par exemple), en présence d’un anesthésiste, suivi d'une phase de surveillance en salle de réveil.


L'auto-observation d'un psychiatre, le docteur Henri Bersot (Suisse), en 1942

« Les réactions provoquées par l'électrochoc ont été abondamment décrites mais toujours par l'opérateur qui les observait "du dehors", parfois par la victime elle-même, mais interviewée par l'opérateur.
« C'est pour apporter une contribution à l'observation du choc "du dedans" c'est-à-dire directement par le sujet, que nous nous sommes soumis à cette épreuve.
« Nous l'avons subie à deux reprises : avec un courant d'abord de 50 volts puis, un mois après, de 70 volts pendant 0,1 seconde. (H. Bersot)

Premier choc (50 volts). Absence simple :

« Je me couche, je sens qu'on m'applique les électrodes; demande quelle est la résistance (4 800 ohms) et commande le choc. Trois minutes après, je me trouve assis au bord de mon lit, avec la tête lourde comme si j'avais reçu un coup de massue.

« Mais je me souviens de tout ce qui a précédé le choc et suis orienté. Je dois cependant faire un gros effort de mémoire pour savoir quel travail je suis en train de faire à mon bureau. Je me lève, la tête lourde, mais pas de sensation vertigineuse, ni de nausées. Je vais faire ma visite de malades, puis descends à mon bureau.

«En somme : choc léger, dit «abortif» avec brève perte de connaissance (quinze secondes), puis apparence de conscience pendant trois minutes, où je fais certaines remarques sensées sur l'absence de sensations pénibles, pose même quelques questions sans enregistrer du tout les réponses des assistants; puis reprise véritable de conscience.
« Je me rappelle ce qui a précédé le choc. Celui-ci ne provoque aucune sensation désagréable, sinon une lourdeur de tête et un ralentissement de la mémoire qui se dissipèrent en trois ou quatre heures.»

Cette même première séance, décrite par l'opérateur

Brusque spasme généralisé avec vive rougeur du visage, état congestif général, arrêt de la respiration durant 15 secondes puis pâleur.
A la 20e seconde dit : « ça ne m'a rien fait du tout ».
Il s'assied brusquement sur le bord du lit en souriant, l'air un peu étourdi, puis il dit à la 70e seconde : « C'est comme quand on s'électrise; vous parliez, puis je n'ai plus rien entendu, et c'était passé. »
Une minute après, il demande : « Est-ce que j'ai fait une forte secousse? Est-ce que je me suis réveillé tout de suite? J'ai la tête un peu lourde. »
Il se lève et va faire la visite des malades comme d'habitude.



Second choc (70 volts), un mois plus tard. Choc convulsivant :

(deux heures après le choc) «Il paraît qu'on m'a fait un électrochoc. Je ne me souviens de rien, j'étais étonné de me trouver dans ce lit... je ne me souviens pas même de ce que j'ai fait hier et je ne sais quel jour nous sommes. C'est une amnésie rétrograde et antérograde. J'ai d'abord pensé que je m'étais évanoui en faisant la visite des malades. Je n'ai pas pensé au choc électrique; j'avais froid aux épaules, une sensation de frisson, de malaise et surtout le sentiment d'avoir dormi profondément.


«Ce qui me frappe le plus, c'est de n'avoir aucun souvenir des ordres donnés, ni de l'heure, ni de la journée, ni même des jours précédents et d'avoir beaucoup de peine à m'orienter. Je me souviens du nom de mes enfants, et de mes employés, pas de ceux de mes malades. Je me souviens qu'il y a la guerre avec l'Allemagne. Il me semble que tout ce que j'ai fait est lointain que c'est un passé plus que passé, que les évènements sont infiniment éloignés.

«Cette désorientation dans le temps m'est pénible, elle m'empêche de me souvenir, parce que de fixer les jours, rappelle les souvenirs. Mon souvenir le plus proche c'est d'être sorti en famille dimanche (soit cinq jours avant le choc, qui eut lieu un vendredi) etc... Peu à peu au cours de la journée, les souvenirs réapparaissent au fur et à mesure de l'activité journalière qui continue celle des jours précédents : souvenir des noms des malades, des thérapeutiques appliquées les jours précédents, des travaux et des recherches en cours, des visites reçues, etc.

«Au bout de huit heures, les souvenirs commencent à surgir jusque peu avant le choc mais ceux de mes faits et gestes depuis lors jusque vers la fin de la journée ne sont jamais revenus. C'est ainsi qu'une demi-heure après avoir répondu au téléphone, j'arrive à mon bureau où on me dit que j'ai parlé au téléphone. Je m'en étonne fortement : «Ce n'est pas possible... Qu'est ce que j'ai bien pu répondre? C'est curieux, on peut donc faire des choses qu'on oublie entièrement...»

«Dans l'après-midi, je me souviens vaguement de quelques-uns de mes faits et gestes de la fin de la matinée. Je ressens encore un peu de lourdeur de tête et des nausées. J'éprouve une certaine euphorie : contentement d'avoir surmonté mes appréhensions, d'avoir réalisé une expérience scientifique «du dedans» et surtout détachement de la réalité. Les soucis journaliers paraissent plus lointains, moins aigus, comme estompés. Le passé paraît plus distant, comme séparé de moi par un large fossé, moins immédiatement personnel, d'où sentiment de détachement de l'ambiance, d'indépendance, de légèreté; j'ai moins d'hésitations à me mettre à l'ouvrage; j'ai l'impression que je pourrai faire davantage de travail avec plus de facilité.

«L'avenir paraît moins sombre, moins lourd. Mon amour-propre est flatté par les mines alarmées que j'ai constatées pendant la journée autour de moi. Moi-même je n'ai pas le sentiment d'avoir couru un danger quelconque.

«Cette vague d'euphorie a subsisté les deux jours suivants; trois jours après elle était fortement atténuée. L'amnésie complète subsistait encore pour ce qui s'était passé les dix-quinze minutes avant le choc et durant les trois-quatre heures qui le suivirent.

«Au cours des trois semaines suivantes, la fixation des idées et impressions reste un peu plus difficile, les efforts de mémoire plus pénibles. A l'euphorie des premiers jours succède, à cause des difficultés, de la dépression, par moment même de la tristesse. Ce n'est qu'au bout d'un mois que je me retrouvai moi-même avec mon agilité mentale normale, ma mémoire et toutes mes facultés de travail.

«En résumé, ce second choc provoqua des réactions beaucoup plus fortes que le premier; il fut suivi d'une phase d'agitation inquiète manifestée par des interrogations répétées, un besoin de reprendre sans délai l'activité normale, puis fléchissement cardiaque, sensation de froid, pâleur, vertiges, nausées, discours et ordres donnés d'apparence si sensée que le personnel obéit, puis sommeil prolongé. Au réveil désorientation, amnésie. L'orientation, puis la mémoire apparaissent peu à peu au cours de la journée, d'abord pour les jours, puis les heures qui précédent le choc. L'amnésie reste définitive pour tout ce qui se passa dès le choc et durant les trois à quatre heures suivantes. Pendant cette période, conscience apparente, sorte «d'état second», c'est-à-dire faits et gestes raisonnables en apparence, mais oubliés au fur et à mesure.

«Impossibilité, puis difficultés décroissantes de fixer ce qui se passe. Durant la fin de la journée, puis les jours suivants, euphorie légère, le passé paraît plus lointain, le présent plus facile, l'avenir plus chargé de belles possibilités. Puis lente dépression, sensation de fatigue mentale, efforts de mémoire plus lourds, manque d'entrain. Ce n'est qu'au bout de près d'un mois que je me retrouve vraiment moi-même.

«En conclusion, le choc électrique vu du dedans est beaucoup moins anodin que vu du dehors. Les troubles de la mémoire et de la conscience qu'il provoque sont graves. Ils ne disparaissent que lentement. Pendant les heures qui suivent, l'activité du sujet est automatique, n'a que l'apparence de la conscience. Elle ne se fixe pas dans son souvenir. Enfin, on comprend que le choc agisse favorablement sur les déprimés par l'euphorie légère et la sensation d'éloignement du passé qu'il provoque.»

Second choc, décrit par l'opérateur :

Forte secousse généralisée, puis brèves phases tonique et clonique suivies d'une forte pâleur. Le sujet s'agite, s'assied sur le bord du lit : « Mais qu'est-ce que vous... qu'est-ce qu'il y a eu? »
On lui dit qu'il a subi un choc : « Comment, moi un choc, ce n'est pas possible. »
Il met son col, noue sa cravate et dit : « Je ne me souviens de rien du tout. »
Il refuse de se recoucher. « Ce n'est pas nécessaire, je suis très bien, j'ai seulement un peu de nausée et la tête lourde. »

Il se laisse étendre, le pouls est faible et lent, la pâleur extrême, le visage verdâtre. L'agitation reprend, il s'assied à tout moment : « Mais qu'est-ce qu'il y a eu. Quoi? Je me suis fait faire un choc? Pas possible... mais c'est pharamineux... Quelle heure est-il?» Puis se lève, se regarde dans la glace : « Je vais tout à fait bien, oui, je suis pâle, mais ce n'est rien. »

Il descend au rez-de-chaussée, et dit à l'infirmier : « Je suis comme un carrousel, tout tourne, je vois tout tourner. » Devant la porte de son bureau, il sort la clef mais ne parvient pas à l'utiliser. « Je ne vois plus rien du tout, je suis aveugle. Je flanche, soutenez-moi...»
Il s'affaisse, on le couche. Il refuse avec obstination une injection de coramine : « Non, non, je n'en ai pas besoin », accepte des gouttes puis recommence : « Quelle heure est-il ? Qu'est-ce que vous avez fait? J'ai eu une crise? Mais ce n'est pas possible... »

Il veut à nouveau se lever, remarque que ses clefs ne sont pas dans sa poche habituelle, contrôle, à réitérées reprises, son nœud de cravate, s'étonne encore : « Qu'est-ce que j'ai eu? Je n'ai pas eu de choc puisque ma cravate est faite... »
Il nous reconnaît nous-mêmes par nos noms, fait de visibles efforts de mémoire, récite les noms de ses quatre enfants.

Il nous ordonne de le laisser se lever : « C'est moi qui commande... » Il finit par se tranquilliser, se plaint d'une sensation de froid et de nausées. Il dort paisiblement pendant une heure, puis se lève, sort de la chambre. Il est 9 h trois quart (le choc avait eu lieu à 8 heures).
Il demande : « Qu'est-ce qui se passe? » Il n'est pas orienté dans le temps : « Je ne pourrais pas dire si nous sommes lundi ou jeudi... je ne me rappelle de rien, je ne pourrais pas dire ce que j'ai fait les jours précédents, je me rappelle le nom de mes enfants, c'est la première pensée qui m'est revenue... »

Il descend à son bureau, où il signe son courrier; il répond au téléphone à une compagnie d'assurances qui demandait des renseignements, fait venir le dossier du malade en question. A 11 heures, soit trois heures après le choc, il demande qu'on lui fasse une tasse de café et cinq minutes après, alors qu'on la lui apporte, il demande du thé.
Il reçoit ensuite la sœur d'un malade et s'entretient longuement avec elle. Il vaque normalement à ses occupations habituelles.

Cette auto-observation a été présentée au Congrès de Montpellier en 1942. Elle a été reproduite in extenso dans les actes du Congrès, ainsi que dans un ouvrage de Delmas-Marsalet (1946) et elle a été commentée dans ceux de von Baeyer (1951) et Ebtinger (1958), ainsi que par A. Bottéro dans son article de 1998 Histoire de la psychiatrie : Les débuts de la sismothérapie (consultable en ligne sur le site de l'Association pour la Neuro-Psycho-Pharmacologie).

Elle montre ce qu'un électrochoc peut provoquer chez une personne saine. Chez un malade, il n'est pas toujours aisé d'interpréter les effets du choc proprement-dits, et les modifications psychopathologiques qu'il induit.
Notons également qu'à cette époque, les électrochocs sont effectués sans curarisation ni anesthésie générale.

La première séance, qui ne provoque pas de crise de grand mal, débute par un brusque spasme déclenché par le courant électrique, phénomène toujours bien distinct des convulsions épileptiques lorsqu'elles surviennent.

Au décours de la crise comitiale du second choc, le docteur Bersot présente un état qui n'est pas sans rappeler le tableau de l'ictus amnésique, son obnubilation et la répétition de questions traduisant la perplexité du sujet. Les symptômes confusionnels post-critiques sont souvent plus marqués.

La confrontation entre le récit de Bersot et les observations de l'opérateur démontre que l'effet de choc se poursuit au-delà du retour au comportement antérieur.
Par ailleurs, on remarquera que le choc convulsivant, qui a démontré par ailleurs son effet anti-maniaque et anti-dépressif, a provoqué ici quelques fluctuations thymiques.



Une séance d'électrochoc au début des années 1950

En France, deux appareils se disputent alors le marché : le sismothère de Lapipe et Rondepierre à courant alternatif sinusoïdal, et, au Sud de la Loire, le « Delmas-Marsalet » à courant redressé (plus tard arrivera le Quarti).

Le premier a été mis au point à l'asile de Ville-Evrard en 1940 par Marcel Lapipe, électro-radiologue et Jacques Rondepierre, médecin des hôpitaux psychiatriques de la Seine, le second par le professeur Paul Delmas-Marsalet, neuro-psychiatre de Bordeaux.

Quant au Konvulsator, sismothère allemand fabriqué par Siemens, il est reparti en 1944 dans les bagages des forces d'occupation.

Paul Delmas-Marsalet classe les appareils en usage en 1943 en deux groupes principaux : ceux qui produisent du courant alternatif, et ceux qui produisent du courant continu.

I- Les appareils produisant du courant alternatif :

I-1- les "appareils empiriques" :
- L'appareil de Yasukoti et Musaka (1939), Japon
- L'appareil de Sogliani (1939), Italie
- L'appareil de Holzer (1941), Vienne, Autriche
- L'appareil de Siemens, Berlin, Allemagne
- Le montage de Patzold

I-2- Les "appareils non-empiriques", en ce qu'ils mesurent l'intensité et la résistance du crâne sous un faible voltage d'essai (les trois premiers), ou qu'ils sont basés sur la notion de wattage (Lapipe et Rondepierre) :
- L'appareil de Cerletti et Bini (1938), Italie
- L'appareil de Shepley et Mc Gregor (1939), Grande-Bretagne
- L'appareil de Purtschert et Cie (1940), Lucerne, Suisse
- L'appareil de Lapipe et Rondepierre (1941), construit par Chillaud, Paris

II- Les appareils produisant du courant continu :

- L'appareil de Delmas-Marsalet et Bramerie (1942), construit par Artex, Paris

Dans un certain nombre de services, l'électrochoc est d'ores et déjà réalisé sous anesthésie générale et curarisation : la prémédication consiste à injecter un produit à base de curare et un anesthésiant général.

La curarisation vise à supprimer le "spasme électrique" qui survient lors de la décharge, et qui se traduit par une contraction violente et subite de la musculature, à l'origine de fractures.

Elle limite la crise comitiale à sa plus simple expression : quelques faibles contractures rythmées.
Cependant, par précaution, un mors en caoutchouc, un boudin de tissu ou quelques compresses sont placées entre les dents.

Cette curarisation consiste en une injection intra-veineuse de succinylcholine (Célocurine
®), le produit en poudre étant dissous dans un soluté salé isotonique. Son effet est obtenu dans un délai de 30 à 60 secondes et dure moins de 10 minutes (la succinylcholine ou suxaméthonium est de nos jours encore utilisé : Anectine®, Célocurine®).
La résolution musculaire est complète, et la durée d'action brève. A cette même époque, J. Delay lui préférait la tubocurarine (Tubarin
® 4 cc IV).

L'anesthésie évite au malade de vivre en pleine conscience le moment souvent angoissant et pénible du déclenchement du choc, et la paralysie due au curare.
L'anesthésie est réalisée par une injection intra-veineuse de penthiobarbital sodique (Nesdonal®, aujourd'hui Pentothal® ou Thiopental®). Ce même Nesdonal® est utilisé pour des séances de narco-analyse. La concentration efficace dans le cerveau est atteinte en 30 secondes environ.

Les deux produits, Célocurine® et Nesdonal®, peuvent être mélangés -au dernier moment- dans la même seringue.

Une minute environ après l'injection, on procède à l'électrochoc : passage à travers la boite crânienne d'un courant de 50 à 100 milliampères sous un voltage de 50 à 200 volts pendant une période variable, d'un dixième de seconde à une seconde, et selon certains protocoles jusqu'à une minute (dans les années 1950).

Le malade, de préférence à jeun, a été allongé sur un lit. Les tempes sont dégraissées ("décapées") avec de l'éther, juste au dessus et en dehors des orbites.

Avant leur application, les coussinets des électrodes sont imprégnés d'une solution d'eau salée (saturée en sel de cuisine) pour faciliter le passage du courant.

Un aide maintient les électrodes sur les tempes, et le médecin donne le courant.

Une oxygénation par masque (par pression du ballon) est nécessaire (le curare provoque une paralysie musculaire, y compris au niveau des muscles respiratoires), avant et après le choc électrique. Deux à quatre minutes après le début de l'injection, après donc la crise comitiale, la respiration reprend spontanément.

Cependant, jusqu'à la fin des années 1970, l'anesthésie et la curarisation ne sont pas pratiquées partout, et les séances de convulsivothérapie sans prémédication se passent alors assez différemment.

Voici comment le docteur Jean Oulès, dans son manuel de pratique à l'usage des infirmiers intitulé Soins aux malades mentaux (8ème éd., 1960) décrit dans un chapitre écrit en collaboration avec le docteur Lucien Bonnafé, l'exécution de l'électrothérapie en ces temps héroïques :

(...) Préparation du malade :
... il faut l'aider à retirer les pièces de prothèse mobile dentaire ou oculaire, les épingles à cheveux, les broches. Desserer ceinture, cravate, corset, etc., retirer les chaussures.
Faire coucher le malade sur le lit. Celui-ci doit présenter une certaine dureté. On recommande souvent de placer un coussin plat ou un traversin mou qui s'aplatit sous la région dorso-lombaire. (...)

Exécution du choc :
Le mors en matière plastique ou tissu absorbant est mis en place entre les mâchoires (attention aux dents fragiles, se méfier des traumatismes sur les supports de bridge), vérifier que les lèvres ne sont pas pincées. Pour certains malades très opposants, on pourra n'introduire le mors que sous le premier effet du choc, mais ce n'est qu'un pis-aller médiocre. Tous les malades n'ouvrent pas la bouche sous le choc, et, de toutes façons, la manœuvre risque beaucoup d'être faite dans ce cas sans les précautions et la précision désirables.

Maintien du malade :
Pour maintenir le malade, chaque aide doit connaître exactement son rôle et les gestes qu'il a à accomplir. L'ensemble des manœuvres doit être harmonieux et ne jamais donner une impression d'improvisation.

- Un aide maintient les électrodes sur les tempes, bien écartées, bien appliquées en contact. Les électrodes sont différentes suivant les modèles; il existe des casques qui permettent l'économie d'une personne, type casque à électro-narcose.

- Un aide maintient solidement la mâchoire inférieure, en appliquant fortement la tête contre le plan du lit; ceci vise à éviter la luxation de la mâchoire, la morsure de la langue, la flexion exagérée de la tête.

- Un troisième maintient les bras, les coudes appliqués au corps, en évitant la rotation externe des bras au cours du choc.

- Un quatrième aide maintient les cuisses, saisies chacune juste au-dessus de la rotule.
La façon de maintenir un malade a une très grande importance; c'est elle qui évite les principaux inconvénients de la crise.

Durant la crise, la question du maintien du malade prête à quelques variantes. Certains préconisent de laisser les mouvements convulsifs libres au-dessous d'une certaine amplitude, de limiter les mouvements excessifs par une pression souple et élastique. D'autres préfèrent fixer rigoureusement le malade maintenu fermement contre le plan du lit.
En tous cas, il faut éviter les flexions trop prononcées et trop brusques de la colonne vertébrale (donc les flexions forcées des cuisses) et les mouvements désordonnés des bras. (...)

 

Observation sur l'électrochocthérapie intracrânienne par application directe sur le cerveau (1953-1954)

Juan Negrin, « Selected direct cerebral intracranial electroshock therapy. A Prelimanary Report »
(The Neurosurgical services of Bellevue Hospital). American Journal of Psychiatry, V.111 (2), 121, 1954 (aug.)

Proceedings of the 9th annual meeting of the Electroshock Research Association, Los Angeles, 3 mai 1953; et Confinia neurologica, Basel (Suisse), vol.13, n°5-6, 1953; 295



Une trépanation est faite à l'endroit choisi pour placer les électrodes. Un petit canal est percé dans la rondelle d'os pour permettre l'introduction de l'électrode, qui restera en communication avec le scalp.

Cette électrode est appliquée sur les aires corticales ou même dans le parenchyme.

Le disque osseux est replacé, un pansement sec est appliqué sur la plaie (au besoin, on peut ajouter un appareil plâtré).

Les électrochocs sont donnés en mettant l'extrémité de l'électrode en communication avec le courant électrique. Le malade peut aller et venir dans l'intervalle de chaque traitement.

Quand un nombre suffisant de chocs ont été donnés, la blessure crânienne est ouverte de nouveau et l'électrode est enlevée.

Negrin a laissé les électrodes en place durant quatorze semaines sans réaction fâcheuse.

Léon Marchand, qui présente la méthode dans les Annales médico-psychologiques en janvier 1955, conclut :

« Cette méthode est indiquée dans les cas où l'électrochocthérapie classique, les traitements médicamenteux et la psychothérapie n'ont donné aucun résultat. Elle est moins dangereuse que les méthodes psycho-chirurgicales et n'altère pas la personnalité. Elle a l'avantage de combiner à la fois les bienfaits de l'électrochocthérapie et de la psychochirurgie. L'auteur conseille sa méthode dans les schizophrénies, dans les psychoses chroniques, dans les névroses obsesso-impulsives, dans les psychoses maniaques-dépressives avec périodes très courtes de rémission, dans les cas de douleurs irréductibles. »


Antonin Artaud et ses électrochocs

Lors de son séjour à l'hôpital psychiatrique de Rodez alors dirigé par le docteur Gaston Ferdière, l'écrivain fut traité par électrochocs. Jacques Latrémolière, interne du service qui conduisit le traitement, cite le cas d'Antoine A. dans sa thèse de doctorat en médecine soutenue en mai 1944 à Toulouse et intitulée Accidents & incidents observés au cours de 1200 électrochocs.

Artaud est entré à Rodez le 11 février 1943. Le traitement est institué le 20 juin, et dès la troisième séance, d'intenses douleurs dorsales imposent l'interruption des électrochocs. Les examens radiologiques mettent en évidence un tassement vertébral qui impose repos au lit et traitement antalgique.

L'intensité du délire hallucinatoire et l'effet favorable des trois premiers chocs détermineront Latrémolière à pratiquer une nouvelle série de 12 électrochocs du 25 octobre au 22 novembre, suite à quoi le malade pourra « mener une vie asilaire normale et se livrer à des travaux intellectuels dont il aurait été incapable avant les chocs. »

L'observation (n°VI de la thèse) avait fait l'objet d'une communication de Ferdière et Latrémolière devant la Société médico-psychologique en décembre 1943 : « Contribution à l'étude des accidents osseux et articulaires de l'électrochoc-thérapie »
.

Bibliographie

W. von Baeyer, Die Moderne Psychiatrische Shockbehandlung. Stuttgart, G. Thieme, 1951; 160 p.

P. Balvet., A. Chaurand et F. Tosquelles, « Considérations techniques et statistiques sur 60 malades traités par électro-choc ». Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Montpellier, 1942, 347-350

A. Bottéro, Histoire de la psychiatrie : Les débuts de la sismothérapie. Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 1998; 3; 27-32

Jean Delay, L'électrochoc et la psychophysiologie. Paris, Masson, 1946

Paul Delmas-Marsalet, L'électro-choc thérapeutique et la dissolution-reconstruction. Paris, J.B. Baillière, 1943; 150(-2) p.

Paul Delmas-Marsalet, Electrochoc et thérapeutiques nouvelles en Neuro-psychiatrie. Paris, J.B. Baillière, 1946; 377 p.

René Ebtinger, Aspects psychopathologiques du post-électrochoc. Colmar, impr. Alsatia, 1958; 428 p.

M. Lapipe et J. Rondepierre, « Essais d'un appareil français pour l'électro-choc ». Société médico-psychologique, séance du 28 avril 1941. Annales médico-psychologiques 1941, II, n°1-2; 87-95

M. Lapipe et J. Rondepierre, Contribution à l'étude physique, physiologique et clinique de l'électrochoc. Paris, Maloine, 1943

Jean-Noël Missa, Naissance de la psychiatrie biologique : histoire des traitements des maladies mentales au XXe s. Paris, PUF, 2006; XIII-378 p.

M. Porot et E. Bisquerra, «Note préliminaire sur l'utilisation de l'iodure de succinyl-choline dans la curarisation des malades soumis aux électrochocs». 1954, pp. 890-895

M. Porot et E. Bisquerra, «Deux mille électrochocs sous anesthésie et succinylcholine». 1957, pp. 1110-1114

Michel Caire, 2009-2013
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