Histoire des traitements de choc en psychiatrie

Université Paris Diderot
Master 2 IPA Psychiatrie et Santé mentale

Docteur Michel Caire
Lundi 10 octobre 2022



Histoire des traitements de choc en psychiatrie

Contexte de découverte des années 30 : l'entre-deux-guerres

L'assistance psychiatrique se confond alors avec l'assistance hospitalière, le placement dans un asile d'aliénés
Désir de sortir de l'ère du nihilisme thérapeutique, du désert thérapeutique : encombrement asilaire, abandon, découragement, défaitisme.
Changer d'image (médicalisation)

Règles générales (pour tout traitement) :
Succès d'une méthode = efficacité, facilité d'emploi (dans un HP démuni en matériel : exemples de l'encéphalo-oxygénothérapie par voie intra-rachidienne, de la lobotomie chimique, etc.)
Plus tôt le traitement est mis en œuvre (cas récents), plus tôt et plus souvent est obtenue une rémission
Meilleurs résultats dans les cas aigus, et naturellement dans les troubles spontanément résolutifs
Bénéfices-risques : notion relative, évolutive
Rôle de la suggestion


Traitements en médecine mentale
= 4 catégories :

1- Pharmacologie (chimiothérapies + phytothérapies),

2- Psychothérapies,

3- Chirurgie,

4- Physiothérapies [ayant pour but de rétablir la santé par des moyens physiques, sans médicament, recourant à divers agents naturels tels que l’eau, l’air et l’électricité, mais aussi la couleur, la lumière, la chaleur = hydrothérapie, électrothérapie, thermothérapie, chromothérapie, luminothérapie, vibrothérapie, mécanothérapie = gymnastique, frictions, massages, relaxation + musicothérapie].



Les traitements en psychiatrie avant les traitements de choc
Traitements humoraux et traitements magico-religieux
Le Traitement Moral, le travail

La Clinothérapie ou Alitement continu et les bains permanents fin XIXe début XXe (-> enveloppements humides, packing) : implication du personnel soignant, relation individualisée, proximité.

Les cures de sommeil (Wetterstrand 1890 <- Bernheim, Wolff 1898 et sa Trionalkur (le trional est la première drogue chimique utilisée dans le traitement de la schizophrénie), J. Klaesi 1921 : Dauernarkose avec le Somnifène, Cloetta 1930, les Russes). Les « infirmiers du sommeil » : idem insulinothérapie.

La malariathérapie (Wagner-Jauregg 1917-1919, pyrétothérapies), en 1924 à Sainte-Anne (Dr Marie, HP moscovite, dernier cri de la science soviétique) : premier traitement à nécessiter un savoir médico-technique, accompagnement, protocole, surveillance biologique, etc. Première thérapeutique biologique (retentissement biologique)



Les traitements de choc

Traitements de choc <-> méthodes entraînant une perte de connaissance, un coma, ou bien tous les moyens perturbateurs -jusqu'à l'émotion forte- donc pas seulement la thérapeutique convulsivante rapidement dénommée sismothérapie

Sismothérapie, de seismos, ébranlement, secousse est un néologisme créé par Louis Lacroix de Lavalette en 1899 pour désigner les différents procédés mécaniques inventés pour produire les effets du massage vibratoire. Le trémoussoir de l’abbé de Saint-Pierre a été la première méthode de sismothérapie au sens étymologique du terme.

En 1939, Courbon et Perrin assimilent sous le terme de sismothérapie les procédés mécaniques que sont la précipitation dans l’eau, la rotation en l’air et la douche glacée, les procédés psychiques avec l’intimidation et la « sismothérapie parentérale » que sont le cardiazol convulsivant et l’insuline à dose comatogène.

Substances émétiques et sternutatoires (convulsions spasmodiques des vomissements incoercibles) : la violente secousse qu’elles provoquent en font un traitement de choc avant la lettre, une sismothérapie au sens étymologique.

Traitement moral perturbateur de Leuret (les fameuses douches).

Psychodysleptiques

L'Insulinothérapie ou Cure de Sakel

1ère méthode de choc proprement-dit (coma hypoglycémique)
L'insuline, hormone isolée du pancréas en 1921
Anorexie, refus de nourriture. Déprimés asthéniques dénutris. Morphinomanes (1923). Agitation (1930). Schizophrénie (Sakel, Insulinkomatherapie, 1933) : le choc réveille le schizophrène.

Suppression des associations d'idées morbides récentes, plus fragiles que les autres, destruction des cellules malades ou des connections neuronales pathologiques -> amélioration du fonctionnement des cellules saines.

Locaux (chambre seule), matériel, personnel formé et en nombre suffisant, travail d'équipe, autorisation de la famille -> mobilisation exceptionnelle de l'équipe, du malade, de la famille -> effet du produit, de l'ambiance, de la relation : idem malariathérapie + risques liés au coma -> présence infirmière permanente, intensité de la relation psychothérapique à l'endormissement et au réveil := compétence technique, aptitude relationnelle rassurante, maternante, psychothérapeutique.

30 à 50 séances, 3 à 5 par semaine. Dans la grande insuline, l'hypersudation précède le coma. Frisson après resucrage > friction puis repas riche en hydrate de carbone. Anéantissement, réveil, régression affective intense. Renaissance ou résurrection ?. Amnésie (thérapeutique ?)

Le choc humide ou petite insuline.

Convulsivothérapies

Théorie hypothétique de l'antagonisme Epilepsie-Schizophrénie Effet du sérum d'épileptique chez le schizophrène, du sérum de schizophrène chez l'épileptique

Selon que la crise est provoquée par un agent pharmacodynamique ou par un courant électrique, on parlera de pharmacoconvulsivothérapie ou d’électroconvulsivothérapie.

Pharmacoconvulsivothérapie
Camphre : Meduna, huile camphrée 1934
Cardiazol (Cardiazolthérapie) : 1934-1936 : succédané synthétique du camphre, antagoniste des barbituriques. IM latence plusieurs minutes, IV 5-15 s.
Vertige cardiazolique
Photo-choc = cardiazol + SLI (Henri Gastaut en 1948-1950)

Electroconvulsivothérapie
Electrochoc (ECT -> ESC électrostimulation corticale) : mars 1938, Cerletti et Bini.
Véritable engouement : Bénéfices-risques : facilité, innocuité (moindre danger que l'insuline), efficacité, bas coût
Succès dans les troubles susceptibles de guérir spontanément : confusions, PMD -> Indications : mélancolie, manie accessoirement Curarisation et anesthésie -> EC simulés (pseudo-électrochocs).
Utilisation chez les enfants et les adolescents, chez les toxicomanes
Sommation, accumulation, anéantissement, annihilation = chocs répétés et fréquents (-> 9/j.) + EC doubles EC ambulatoires 1941
Electro-stimulation corticale directe (EC intra-crânien : rondelle percée)
Acroagonines -> suspension de cerveau de porc ou de lapin électrochoqué
Les électrochocs non convulsivants : électro-absences ou infra-crises
Magnétosismothérapie (n'est pas la stimulation par courant continu) = stimulation magnétique transcrânienne de forte intensité à très haute fréquence -> crise [Soigner les fous, p.269]



[Psychochirurgie = autre traitement biologique inventé dans la fin des années 1930 : leucotomie 1936, lobotomie, topectomie, etc.]
[Injections intracérébrales pharmacodynamiques : 1951-1955 (novocaïne, adrénaline et acétylcholine, sérum glucosé, prostigmine, glutamate, vitamines, amphétamines, ...]

Autres méthodes dites de choc

Pneumochocs 1925-1950
Encéphalographie gazeuse exploratoire -> Pneumothérapie cérébrale, encéphalopneumothérapie thérapeutique = insufflation par voie lombaire ou injection intra-cérébrale d’air aseptisé ou d’oxygène après avoir retiré le LCR en totalité.
... s’aérer les méninges, au sens de se changer les idées ...
Indications : Epilepsie chez l'enfant (à Trousseau en ambulatoire). Psychoses puerpérales. Confusion mentale, manie et mélancolie. Schizophrénie (très discuté)


Choc acétylcholinique : Fiamberti 1939 -> 1954 et ?
La burrasca vascolare. L'acétylcholine est avec l'Adrénaline, le 1er neurotransmetteur identifié (avant la dopamine, la noradrénaline, l'adrénaline, la sérotonine, le GABA, l'histamine, etc.)
Déficit ? -> injection IV de chlorure ou bromure -> crise effondrement tensionnel, , perte de connaissance double arrêt cardiaque, collapsus, opistotonos, réveil spontané en 30 s. = « mort subite en miniature » (Michaux)
Aussi étonnant que cela puisse être, aucun décès n’a été relevé, après plusieurs dizaines de milliers de séances.
Traitement brutal et dangereux, onéreux, efficacité discutée.
Koupernik 1948 : « Faut-il expérimenter sur soi ? Je pense que oui, à partir du moment où l’expérimentation animale a écarté tout danger. C’est une décision éthique, c’est aussi une façon de mieux comprendre ce que ressent le patient, mais, surtout, reconnaissons que personne n’est mieux armé que le médecin pour analyser ce qu’il éprouve. »
Et Koupernik met en exergue un point commun à plusieurs méthodes telles que l’insulinothérapie et les convulsivothérapies : « le malade qui émergeait du coma insulinique et celui qui revenait du sommeil thérapeutique faisaient l'objet de soins intenses de la part du personnel traitant ; peut-être cette intensification des soins a-t-elle été à l'origine des améliorations que ces thérapeutiques ont pu apporter, de façon temporaire ? » L’importance de l’assistance au réveil et du traitement psychothérapeutique stricto sensu a été souvent rappelée, notamment lors du Congrès Mondial de Psychiatrie en 1950. Mais un nouveau traitement, même extraordinaire, ne produit pas toujours un effet favorable chez les psychotiques.


Pyrochoc-thérapie (Pyrochoc magnésien : Reichel et Noessen 1952... 1963)
Sulfate de magnésium IV, sensation brusque de chaleur = le malade est dévoré par le feu, assoupissement immédiat de brève durée : lève les inhibitions, meilleure réceptivité dans les névroses = méthode narcoanalytique [Soigner les fous, pp. 165-166]


Psychochoc ou Choc émotionnel thérapeutique [49-57, 117-121, 212, 412]
Choc amphétaminique [Soigner les fous, pp.243, 328, 330, 349-351, 393]
Choc colloïdal [Soigner les fous, pp.161-163, 168]
Choc hémoclasique [Soigner les fous, pp.161, 378]
Choc mescalinique [Soigner les fous, pp.311, 321, 351, 388, 411-412]



De quelques agents thérapeutiques oubliés

La peur, bénéfique, salutaire. Mais si un choc émotionnel peut guérir, il peut aussi rendre malade (bombardements, obusite,..) [Soigner les fous, pp.21, 30, 49, 56, 80, 83, 102, 108, 117-118, 143, 212]

La douleur [7, 26-28, 30, 55-56, 74, 79, 81, 83, 151, 164] Injection d'huile soufrée -> fièvre, injection de térébenthine -> abcès de fixation) [225, 232] Torpillage, injection de sulfosine, acétylcholine intra-cérébrale -> méningite aseptique (Malamud 1940),

L'amnésie (oubli) générés par des méthodes comatogènes [6-7, 186, 202, 204, 318]

L'asphyxie (mort imminente = choc de l'agonie) : immersion forcée (pré-noyade), anoxie cérébrale (inhalation d'azote pur, compression des carotides), coma insulinique, cardiazol, acétylcholine




Les traitements après les traitements de choc

Développement de la psychothérapie institutionnelle : rupture -relative- avec le système classique, où le médecin ordonne et les infirmiers exécutent.

Psychopharmacologie :
Lithium : anti-maniaque (1949) puis thymorégulateur (1963)
Neuroleptiques : anti-maniaques (1952) puis anti-psychotiques (suspensifs, comme les barbituriques dans l'épilepsie, le lithium) : 4560 RP Ste-Anne - Versus placebo à VE. Comme avec la psychochirurgie, substitution d'un syndrome neurologique (extrapyramidal) à un syndrome psychiatrique ?
Changement profond dans l'approche soignante (pour Bailly-Salin, l'allergie des débuts traduit la difficulté pour les infirmières à se vivre comme simples distributrices de médicament, à être remplacées par les médicaments).
Antidépresseurs (1957)
Benzodiazépines (1960)

Réformes des années 1960-1970 et ultérieures, facilitées par l'emploi des psychotropes, ont conduit à une externalisation des soignants en relation avec le développement de la psychiatrie hors les murs, une certaine autonomisation de la fonction infirmière - prise d'initiative, rôle propre, etc. - dans l'exercice de la psychiatrie de secteur (et divers domaines spécifiques : addictions, etc.).

Des traitements de choc aux traitements actuels :
un changement de paradigme

Traitement administré pendant une durée limitée (physiothérapies... et même initialement les neuroleptiques). Nombre de séances ou périodes d'administration limités (cure de sommeil, impaludation théraoeutique, cure de Sakel, ECT)
/
Traitement continu et prolongé, au long cours, ininterrompu (lithium, neuroleptiques dont NAP et APAP)


Perturbation (produire des symptômes) [sternutatoire, émétique, acutisation : psychodysleptiques : solanées, hachich, LSD... = psychomimétiques) pour guérir = provoque une réaction d'alarme de l'organisme
/
Régulation, équilibration, stabilisation, suspensif = réduire les symptômes, traitement de fond = vise à mettre au repos le système nerveux central et végétatif
Effet curatif des états d'agitation et des psychoses aiguës, effet suspensif dans les psychoses chroniques (antipsychotiques) et dans les troubles bipolaires (thymorégulateurs)


Traiter la maladie, guérir de la maladie / prendre soin du patient, le suivre, l'accompagner
Traitement médicinal associé à ou suivi d'une PEC psychothérapique, assistance socio-éducative, réadaptation, réinsertion, remédiation cognitive...



Michel Caire, 2022
© Les textes & images publiés sur ce site sont librement téléchargeables pour une consultation à usage privé.
Toute autre utilisation nécessite l'autorisation de l'auteur.