Les cimetières des fous

La plupart des établissements psychiatriques, et notamment les hôpitaux urbains, avait recours aux cimetières municipaux pour inhumer ceux des nombreux malades qui y terminaient leurs jours.

Mais quelques-uns disposaient d'un enclos particulier. Ainsi, l'hôpital psychiatrique de Cadillac en Gironde, Saint-Alban en Lozère, l'hôpital de Fains (Meuse), Lesvelec (E.P.S.M. du Morbihan), Leyme dans le Lot, Vauclaire, à Montpon-Menesterol en Dordogne, Perray-Vaucluse autrefois connu sous le nom d'Asile de Vaucluse, l'hôpital de La Roche-Gandon en Mayenne, l'hôpital psychiatrique d'Evreux.


Le Cimetière des oubliés de Cadillac

L'hôpital de CADILLAC en Gironde disposait autrefois d'un cimetière d'un millier de places, disposées autour d'un carré d'une centaine d'Anciens Combattants.

Ce cimetière a été implanté sur une parcelle de vignes achetée en 1920 par la commune de CADILLAC et attenante au cimetière communal sis au "Quartier St Martin".

L'Arrête préfectoral décidant de cet achat évoque "l'état des décès des six dernières années" établit dès 1918 par le Conseil Municipal, et précise : "considérant que vu le grand nombre des décès survenus à l'Asile d'Aliénés de CADILLAC, le cimetière actuel est devenu insuffisant et que son agrandissement s'impose par mesure d'hygiène publique", il est juste que cet établissement prenne à sa charge les frais d'acquisition du terrain nécessaire.

C'est donc bien le nombre massif de décès en rapport avec la Grande guerre qui motive cette décision, et c'est sans doute la raison pour laquelle un carré central de 100 tombes est consacré aux Anciens combattants "mutilés du cerveau", comme le spécifie une plaque. Le nombre total des sépultures y avoisine les 900, mais s'avère difficile à préciser, trois rangées ayant été bouleversées et laissées en l'état.

Pour Caminarem, Martine BAJOLLE

Sur le même thème, lire le très beau texte : Les croix en fer, d'Erwan Tanguy.

Il faut aussi écouter Soixante-quatre, la Chanson à la mémoire des mutilés du cerveau de Cadillac... de Bleu Origine.

L'excellent site Chemins de mémoire consacre plusieurs pages à ce cimetière, qui sort de l'oubli, et les tombes de ces « mutilés de la face et du cerveau » de la Première Guerre mondiale :

- Le Cimetière des "gueules cassées" de Cadillac (33)

- Les gueules cassées et les oubliés (Liste nominative de "gueules cassées" et parcours de ces hommes avant leur admission à l'hôpital).


Le texte de la communication passionnante de Michel Bénézech devant la Société Française d'Histoire de la Médecine, intitulée « Heur et malheur du cimetière des aliénés de Cadillac-s/Garonne » a été publié dans la revue : Histoire des Sciences médicales, 2008, n°1, pp.71-80.

Une vidéo où l'on peut voir et entendre Bénézech, réalisée par Dominique-Emmanuel Blanchard, est en ligne sur le site Dailymotion :
« Ouvert en 1922 le cimetière des fous de Cadillac (Gironde) devrait faire place à un parking dans le cadre de la construction d’un complexe prison-hôpital psychiatrique. Cette affaire nous est racontée par Michel Bénézech, spécialiste de renommée internationale en matière de psychiatrie criminelle et, ici, défenseur de la sauvegarde du “cimetière des fous”. »


Des photographies du Carré des fous faites par Stephan Ferry, photographe, créateur, ont été exposées en 2008 au château de Cadillac.

Le «carré des fous»

L’exposition «Le carré des fous», qui comprend trente photographies noir et blanc, sera présentée au château de Cadillac du 26 octobre au 30 novembre (vernissage le 25 octobre, à 17 heures).
Elle est consacrée à un lieu encore méconnu, bien que librement accessible au public :  le cimetière des aliénés de Cadillac, ensemble de quelque neuf cents tombes disposées entre l’UMD Boissonnet et le cimetière communal.

La décision, survenue en 1920, d’inhumer les indigents et les aliénés à l’écart du cimetière communal n’est sans doute pas étrangère à cette méconnaissance, non plus qu’au sentiment d’abandon qui règne aujourd’hui parmi les croix en fer.
Le «carré des fous», comme on le nommait autrefois, véhicule une mythologie qui lui est propre, constituée de préjugés, de fantasmes et de peurs sans nombre ; le plus souvent fondés sur une ignorance que ne parvient pas seule à expliquer l’existence d’un haut mur de séparation. Car ce mur est doté d’une ouverture, et rien n’interdit de la franchir.

En 2004, j’ai décidé d’aller y voir de plus près, muni du seul outil qui me semblait approprié pour témoigner de ce qu’est vraiment cet étrange cimetière : un appareil photographique. Au cours des quatre dernières années, j’ai effectué de très nombreuses visites au «carré des fous». Peu à peu, je me suis imprégné de l’atmosphère si singulière qui s’y est installée, de ce curieux sentiment de fragile quiétude qui se dégage du vaste ensemble de sépultures désolées.

Elles ne sont certes guère engageantes ces lugubres enfilades de croix rouillées, mais elles ne parviennent pas à faire totalement oublier que l’endroit ne recèle finalement que des dépouilles d’hommes (et de femmes) dont le seul tort fut de perdre un jour la raison. Le passage du temps, la sinistre réputation du lieu, les préjugés, n’ont finalement pas réussi à priver le «carré des fous» de son humanité. Fragmentaire, ténue, fragile, elle subsiste ; touchante dans sa simplicité.

A travers ma recherche photographique, j’ai cherché à restituer tout à la fois cette fragilité et cette humanité, qui font du «carré des fous» un lieu de mémoire à part entière.

S. Ferry


Avril 2009. Création de l'Association

LES AMIS DU CIMETIERE DES OUBLIES DE CADILLAC SUR GARONNE

Objet : Sauvegarde, préservation et valorisation du cimetière des oubliés sis au lieu dit quartier Saint Martin entre le cimetière communal et l’unité pour malades difficiles Boissonnet, avenue Jean Caussil - 33410 CADILLAC. Inscrire le cimetière des oubliés dans son histoire mémorielle, organiser toutes manifestations, mettre en oeuvre tous moyens de communication.
Siège social : 37, rue des écoles, 33410 Béguey.

Déclaration en date du 1er avril 2009, sous-préfecture de Langon, Gironde (Aquitaine). Annonce n°623 parue le 11 avril 2009 (n°20090015)

En décembre 2009, une très bonne nouvelle : par lettre du 4 décembre 2009, le Directeur des Affaires Culturelles de la Région Aquitaine informe le professeur Bénézech, président de l'association, que la Commission régionale du patrimoine et des sites a proposé une inscription partielle du site du Cimetière des Oubliés (mur de clôture et trois carrés de sépultures). Une réunion sera prochaînement organisée afin de décider de l'emprise de cette protection.

...

Assemblée générale de l'Association

LES AMIS DU CIMETIERE DES OUBLIES DE CADILLAC SUR GARONNE

L’association des Amis du cimetière des Oubliés de CADILLAC-sur-Garonne, qui compte un an d’existence et totalise à ce jour plus de 30 adhérents, vient de tenir son Assemblée Générale régulière, dans une salle gracieusement mise à disposition par la Mairie de BEGUEY.

Le contexte :
Peut-être convient-il de rappeler les circonstances de sa création ? Au début était l’état d’abandon, voire de désolation, de ce lieu, dénoncé depuis longtemps : il y a été quelque peu remédié courant 2009 ! S’y est ajoutée dès 1999 la mise en œuvre une procédure de reprise des tombes rapidement accompagnée de l’hypothèse d’une possible réaffectation de l’espace libéré à une autre usage : en l’occurrence voierie et stationnement : ce en rapport avec la création d’une prochaine structure sur le site limitrophe de l’Unité des Malades Difficiles dite de BOISSONNET, et avec les plaintes, bien réelles et récurrentes, des personnels de cette unité quant à leurs difficultés de stationnement.
Ces hypothèses n’étaient nullement démenties par les élus de la commune ! Même, l’option affirmée dans la presse locale de la « priorité aux vivants » tendait à les confirmer...

Bilan
 :
C’est de cette conjoncture qu’est née l’Association des Amis du cimetière des Oubliés persuadée que « les cités des morts doivent continuer à accueillir l’attention des vivants », comme le déclare Michel THOMAS PENETTE*, qui propose « une Route des cimetières d’Europe ». Ce afin de stimuler la curiosité des vivants, leur raconter les destins tant collectifs qu’individuels qui jalonnent notre histoire commune et permettent de mieux l’appréhender.

L’assemblée générale a permis de confirmer les caractéristiques de ces destins, le Pr M. BENEZECH déclarant « on peut y refaire l’histoire de l’Europe et des mouvements de populations. A la lumière de ses dernières recherches il a évoqué le caractère cosmopolite de la population, victime des déplacements imposés l’impact des grands conflits mondiaux, échouée à l’asile où elle est décédée dans la première moitié du XXème siècle ; parmi elle, un grand nombre de militaires, tirailleurs originaires d’Afrique Noire notamment, inhumés dans ces parcelles de façon aléatoire, sans mention distinctive ni prise en considération de leur statut, ce qui a pu leur valoir le nom d’ « Oubliés de la République » ! En rapport avec ces mouvements de population, toutes les religions sont représentées. On peut une nouvelle fois affirmer que la préservation de ce cimetière « constitue un véritable enjeu collectif où le devoir de mémoire rejoint l’apprentissage de la citoyenneté partagée ».
Le Président M. BENEZECH a rappelé à l’occasion du bilan moral tant les différentes actions d’information et sensibilisation menées auprès du public que les démarches engagées auprès des administrations concernées, et notamment :

- Du Ministère des Anciens Combattants pour ce qui concerne le carré dit des « Mutilés du cerveau », mais aussi les autres combattants anonymes dispersés de façon aléatoire dans les différents carrés ; l’enquête annoncée par les services du Ministère est toujours en cours, et l’Amicale des Anciens Combattants de CADILLAC reste vigilante ;

- De la DRAC, avec constitution d’un dossier de demande de protection du site au titre des monuments historiques. La proposition positive de la CRPS concernant les murs et trois carrés à définir attend toujours d’être validée par le Préfet. La position défavorable de l’élu de la commune à l’encontre de cette proposition viendrait elle retarder, voire compliquer une procédure d’ordinaire ?

Il a été rappelé que l’association a globalement rencontré un écho positif, et bénéficie du soutien tant d’associations tant locales : Association de Sauvegarde des Site et Monuments Baurechais (BAURECH), Histoire de la bastide (BORDEAUX), que nationales, AFIF (Association Française d’Information Funéraire, PARIS), également de personnalités : Michel SUFFRAN, écrivain, Richard ZEBOULON, photographe, André CHABOT (ethnographe funéraire, « La Mémoire Nécropolitaine »), F. ZARZANA, écrivain et homme de théâtre italien, qui se propose de venir à CADILLAC courant mai pour rencontrer l’Association.
De nombreux blogs ont relayé, avec l’action de l’association, l’histoire de CADILLAC et de son cimetière.

Enfin, -et leurs sollicitations discrètes ne sont pas de moindre importance !-, il arrive que des descendants et ayants droit d’ « oubliés » se manifestent auprès de l’Association à propos d’un parent disparu...

Quels projets ?
- Concernant le site du cimetière lui-même, sa préservation et sa valorisation, l’organisation de la réunion tripartite prévue pour définir l’emprise des carrés protégés, dépend. de la décision du préfet ;

- Le travail de recherche et de réflexion entrepris au sein de l’association, qu’il concerne « les Oubliés » ou plus largement la problématique funéraire, se poursuit ;

- Le travail de sensibilisation, d’information, de communication à l’adresse du public reste à l’ordre du jour ; notamment de nouvelles conférences du Pr. BENEZECH sont actuellement programmées ; de même les relations avec les partenaires associatifs ;

- D’autres pistes se dessinent, notamment de contacts à initier vis-à-vis de nouveaux partenaires :

x représentants des Associations d’Anciens Combattants, en particulier des « tirailleurs indigènes », ou « force noire » ;

x partenaires européens centrés sur les problématiques du deuil, de la mémoire et de la préservation des espaces funéraires : l’Institut central de culture funéraire (Zentralinstitut und Museum für Sepulkralkultur) de KASSEL, l’A.S.C.E. (Association for significant cemeteries in Europe) dont le but est de « promouvoir les cimetières européens comme une part fondamentale de l’héritage de l’humanité ».

On ne peut pas permettre la disparition de ce lieu, à haute valeur symbolique : c’est ce qu’a une nouvelle fois affirmé l’association des Amis du cimetière des Oubliés qui reste bien déterminée à faire entendre sa cause.

Martine BAJOLLE, secrétaire de l’Association

*Directeur de l’Institut européen des itinéraires culturels.


Par arrêté en date du 26 avril 2010, le Cimetière dit Cimetière des Oubliés à CADILLAC (Gironde) est inscrit au titre des monuments historiques

merci à M. Dominique Schmitt
, préfet de région,


Saint-Alban

Le cimetière des fous

Ce cimetière enfanté par la lune
Entre deux vagues de ciel noir
Ce cimetière archipel de mémoire
Vit de vents fous et d'esprits en ruine

Trois cents tombeaux réglés de terre nue
Pour trois cents morts masqués de terre
Des croix sans nom corps du mystère
La terre éteinte et l'homme disparu

Les inconnus sont sortis de prison
Coiffés d'absence et déchaussés
N'ayant plus rien à espérer
Les inconnus sont morts dans la prison

Leur cimetière est un lieu sans raison

Paul Eluard, Asile de Saint-Alban, 1943

Dernier poème des Souvenirs de la maison des fous, parus dans Messages en juin 1944 et datés de Sainte-Anne pour dépister les recherches, incorporés dans Le lit, la table (éd. des trois collines, Genève, 1944), réédité avec des dessins de G. Vuillamy (Vuille, Paris, 1945) : ce poème a été « inspiré par le comble de la ségrégation, la ségrégation des aliénés dans la mort » {Lucien Bonnafé, « Anniversaire. La leçon de Paul Eluard ». L'Information psychiatrique 1962, II; 900]

Deux photos de ce cimetière sur le site Cyclotourisme Aubenas Vals
Et un article illustré sur le blog AKELA le Cri du Loup et sur la page AKELA Vague à l'âme


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