Jusque
vers la fin des années 1960 dans les services les plus modernes,
les malades hospitalisés en psychiatrie étaient obligés
de porter les vêtements fournis par la maison, et de laisser les
leurs au vestiaire jusqu'à leur sortie.
La raison principale semble avoir été de prévenir les évasions,
ou à tout le moins d'être en mesure de retrouver plus aisément
les évadés...
Après l'évasion d'une malade de l'asile de Maison-Blanche
(Neuilly-sur-Marne) en septembre 1931, le Directeur des Affaires Départementales
du Département de la Seine informe le directeur que l'infirmière
responsable sera punie de cinq jours de mise à pied (en application
de l'arrêté réglementaire du 9 février 1926),
et ajoute :
« Par ailleurs, j'estime indispensable, ainsi que vous le proposez,
de rappeler au personnel qu'il doit être absolument interdit de
laisser les malades porter des effets ou des chaussures non réglementaires
et que toutes les administrées doivent être revêtues
de l'uniforme. »
La malade, que l'infirmière avait envoyé en course sans
surveillance, et surtout en robe et chaussée de souliers vernis,
avait pu passer au milieu des visiteurs du dimanche, et emprunter le
tramway sans attirer l'attention.
« Malgré mes observations répétées
et mes notes de service impératives, précisait le
directeur dans sa lettre au Préfet, trop souvent les infirmières
et même des surveillantes laissent pénétrer dans
les quartiers et conservent elles-mêmes pour des malades des effets
ou des chaussures qui réglementairement devraient être
déposés au vestiaire.
Il n'existe guère de quartiers dans lesquels ne se trouvent point
des vêtements de malades apportés par les familles. Les
tolérances sur ce chapitre peuvent entraîner des conséquences
graves et il me semble que l'attention de Mrs les Chefs de service doit
être attirée sur ce point. les évasions sont ainsi
facilitées et il paraît nécessaire de rappeler à
tous que les Administrés des Asiles doivent être revêtues
de l'uniforme prescrit par Mr le Préfet. »
En
1964 encore, les médecins-chefs de ce même hôpital
de Maison-Blanche se plaignent de la vêture imposée
aux patientes :
«
Nous attendons toujours de voir disparaître les robes ou
jupes informes, les caracos d'un autre âge, les sous-vêtements
en toile rude et de coupe pour le moins peu seyante, au profit
de robes, jupes et corsages avenants, coloriés, (...)
de sous-vêtements de texture plus fine, lavables dans nos
buanderies thérapeutiques, des chaussures et sandales,
féminines et pratiques »
Extrait d'une lettre en forme de Rapport d'Activité, signée
des docteurs Chatagnon, Mignot, Bertrand, Joyeux, Trillat, Joyeux-Quercy,
Schweich, mars 1964.
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Plus
de deux siècles auparavant, en 1754, voici la procédure
suivie à l'admission des malades -de toute catégorie-
à l'Hôtel-Dieu de Paris:
«En conséquence des Reglements, à leurs
entrées dans cet hôpital, tant homme que femme, on
les conduit dans une chambre destinée pour les recevoir,
où on les deshabille nuds comme la main, on les revêtit
au lieu et place des hardes de la maison convenables, linge, bonnets,
chaussures ensuite de quoi on les conduit dans les salles de leurs
maladies»
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Après
une période où leur a été offerte la possibilité
de se vêtir à leur gré -le début du séjour
se passant en pyjama et robe de chambre, comme dans tout hôpital-
, l'usage s'est généralisé pour la majorité
d'entre eux de garder leurs vêtements, dès le ou les premiers
jours de leur hospitalisation.
Autrefois donc, une tenue uniforme était imposée
aux aliénés. Mais il n'en a pas toujours été
ainsi.
La misère dans laquelle vivent les aliénés
des asiles publics dans la première moitié du XIXème
siècle est peut-être pire encore que celle de ce bien nommé
lumpenprolétariat (prolétariat en haillons).
Pour l'administration des hospices civils de Paris en 1833, de
bonnes raisons font penser que l'attribution de vêtements convenables
est doublement inutile : selon une idée assez courante, les fous
sont peu sensibles au froid, et ils détruisent leurs vêtements.
Ainsi, l'usage est de leur faire porter ce qui a été usé
par d'autres. Mais comment qualifier les considérations qui lui
font conclure à l'impossibilité de satisfaire aux demandes
des médecins?
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