L'Asile
de Bienhoa et les progrès de l'assistance aux aliénés
en Indo-Chine
Par le Docteur
Sonn
Ancien interne des asiles de la Seine
Médecin des asiles publics d'aliénés
Dans
leur rapport au Congrès de Tunis en 1912, Reboul et Régis
ont insisté sur la situation pénible des aliénés
de l'Indo-Chine et l'absence de tout système d'assistance pour
cette catégorie de malades.
Depuis cette époque, de grands progrès ont été
réalisés.
les aliénés indo-chinois sont hospitalisés et traités
par les méthodes thérapeutiques modernes.
Commencée en septembre 1914, la construction de l'asile de Bienhoa
était terminée en 1918. Les premiers malades ont été
admis en janvier 1919. L'asile reçoit les malades des deux sexes
qui viennent de tous les pays de l'Union indo-chinoise.
L'asile de Bienhoa, situé à 4 kilomètres du chef-lieu
en bordure de la route coloniale n°1, occupe un terrain surélevé
et couvre une superficie d'environ 20 hectares.
Il comprend de nombreux pavillons avec de vastes cours entourées
de massifs de verdure et de palissades. Un petit ruisseau le traverse
et y entretient une agréable fraîcheur. Des vases chinois
et des statuettes bouddhiques ornent les parterres. L'abondance des fleurs,
le tracé rectiligne des allées, la grande propreté
que le personnel entretient dans tout l'asile, donnent au visiteur une
impression favorable.
En décembre 1929 l'asile hospitalisait 468 aliénés,
répartis dans 13 pavillons de traitement, dont 3 sont destinés
aux malades européens.
Le personnel médical se composait à la même date,
d'un médecin directeur et d'un médecin résident.
Le médecin-directeur, outre ses occupations à l'Asile, est
chargé de diverses fonctions (service médical de la province;
détachement de tirailleurs; escadrille n°2; service médical
des fonctionnaires et colons du poste), situation fâcheuse qui ne
lui permet pas de se consacrer exclusivement aux malades de l'asile.
Le personnel secondaire se compose d'agents sans instruction spécialisée
(surveillants et surveillantes) et d'agents spécialisés
(infirmiers). Ceux-ci sont d'ailleurs encore en trop petit nombre.
Les malades reçoivent une nourriture substantielle et variée.
leur alimentation est supérieure à celle que reçoivent
les malades des asiles de France. le riz, le poisson frais, le poisson
sec, la viande de porc ou de buf, les ufs de cane, le nuoc-mam,
les légumes verts et le thé-annamite, sont les principales
denrées composant la ration ordinaire.
La proportion des aliénés travailleurs est d'environ 1/3
de l'effectif; on cultive dans l'exploitation agricole de l'asile le paddy,
le tabac et les cultures vivrières indigènes (maïs,
patates, manioc, haricots). 4.820 kilogs de paddy ont été
récoltés en 1929. L'asile possède en outre 400 hévéas
qui pourraient être mis prochainement en saignée.
Le vêtement se compose d'une veste et d'un pantalon dont la forme
varie suivant le sexe. la coiffure est un chapeau annamite.
Les locaux permettent d'établir une sélection suffisante.
Le pavillon où est installée l'infirmerie, de dimensions
trop restreintes, doit être prochainement agrandi. Il y aurait également
lieu de construire de nouveaux quartiers pour européens.
Il existe une installation hydrothérapique, mais son éloignement
des divers quartiers de traitement rend l'utilisation assez peu pratique.
la réorganisation de ce service était à l'étude
à la fin de 1929.
Les malades européens couchent dans des lits métalliques;
les malades indigènes ont à leur disposition des lits en
bois, sauf dans les quartiers cellulaires où les lits sont en maçonnerie;
175 malades environ couchent encore sur des nattes.
L'asile possède un laboratoire, mais celui-ci ne fonctionne pas
normalement, faute de personnel. les examens sont pratiqués à
l'Institut Pasteur de Saïgon.
L'asile possède tout ce qui est nécessaire pour traiter
les malades par les méthodes thérapeutiques modernes. En
1929, plusieurs cas de paralysie générale ont été
traités par la malariathérapie.
Tel que je viens de le décrire rapidement, malgré les imperfections
signalées ci-dessus, l'Asile de Bienhoa est un asile moderne qui
permet de réaliser, dans de bonnes conditions, l'hospitalisation
et le traitement des malades mentaux. Il me paraît pouvoir être
comparé sans désavantage, à l'asile d'Ambohidratimo
(Madagascar) qui est loin d'avoir une aussi grande activité, et
même à plusieurs asiles des départements français,
si du moins ceux-ci sont restés tels que je les ai connus il y
a 3 ou 4 ans.
Le transfert à Bienhoa des malades provenant des régions
éloignées de l'Union Indo-chinoise entraîne des frais
élevés. Il est pour les malades une cause de grande fatigue.
Ceux-ci ne peuvent être visités par leurs parents, ces voyages
étant trop fatigants et trop coûteux.
Pour toutes ces raisons, il y aurait intérêt à créer,
en Indochine, de nouveaux établissements psychiatriques.
Un asile est actuellement en cours de construction au Tonkin, à
Bac-Giang. il sera vraisemblablement mis en service vers la fin de 1930.
Il recevra les malades du Nord-Annam et du Laos. Il restera cependant
nécessaire, à mon avis, d'envisager la création d'un
autre asile au Cambodge. A Bienhoa les aliénés cambodgiens
se trouvent dans un milieu dont ils ignorent la langue et les usages.
Ils y sont ainsi placés dans des conditions morales fâcheuses
qui ont une répercussion défavorable sur leur traitement;
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L'Aliéniste
Français, novembre 1930, n°9, pp. 274-275
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