Docteur Sonn Mam
[L'Information psychiatrique 1966, 5; 459-461]
« Le docteur Sonn Mam, ancien interne des hôpitaux psychiatriques de la Seine et directeur de l'hôpital psychiatrique du Cambodge, est décédé le samedi 22 janvier 1966.
On trouvera ci-dessous la biographie de notre regretté collègue, rédigé par ses compatriotes.
Premier docteur en médecine du royaume et premier psychiatre de l'Indochine, natif du pays, fondateur en 1940 et directeur jusqu'en janvier 1966 de l'hôpital psychiatrique du Cambodge, à Takhmau près Phnom Penh, après avoir été, en France, interne des hôpitaux psychiatriques de la Seine, médecin-chef de l'asile de Leyme, près de Cahors dans le Lot, médecin résident puis médecin directeur de l'hôpital psychiatrique de l'Indochine, à Bien Hoa près de Saigon, le réputé docteur Sonn mam, doyen puis doyen honoraire de la faculté royale de médecine de Phnom Penh, entré dans sa soixante-dix septième année, arrivait, le samedi 22 janvier 1966, au terme d'une longue et féconde carrière. Carrière de médecin, de psychiatre et surtout d'homme de cœur et de dévouement, ne laissant que des amis, de nombreux amis et de fervents regrets.
Dimanche 30 janvier 1966, en fin d'après-midi, au monastère Botum Vaddey, en présence des premières personnalités du royaume; de S. E. Monsieur l'ambassadeur de France, de sa famille conduite par S. E. Son Vœunsai, son premier fils, et de la foule très dense de ses amis et connaissances, Samdech chef de l'Etat, lui rendait un ultime et solennel hommage.
Après avoir déposé au pied de son cercueil le grand cordon et la plaque de grand-croix de l'Ordre Royal du Cambodge, dignité qui lui était conférée à titre posthume, Samdech enflammait le cordon de poudre qui, dans un nuage de fumées grises, allait, en émettant un bref, lugubre et déchirant concert de gémissements, suivi des notes funèbres de l'harmonie moderne et de l'orchestre traditionnel, communiquer le feu au bûcher sur lequel reposait, pour y être consumée, sa dépouille mortelle.
Une fin sereine à l'issue d'une longue et belle carrière
Jusqu'aux premières atteintes, en novembre, du mal -cancer du poumon- qui l'emporta, le docteur Sonn mam avait su goûter et apprécier toutes les joies et les satisfactions que le monde peut donner. Il n'en ignorait point pour autant les ombres et les misères et savait toutes les larmes qu'il fait couler. Près de soixante années passées à soulager ceux qui souffrent et les approches de ce monde, triste et incohérent, de la démence les lui avaient largement révélées.
C'est donc sans appréhension, sans regrets et en parfaite connaissance qu'il s'en détacha, ce samedi 22 janvier, après avoir quitté l'hôpital Préah Ket Méaléa, où il avait passé une dizaine de jours, et être venu habiter chez l'aîné de ses nombreux enfants, S.E. Sonn Vœunsai, ambassadeur du Cambodge en France, au numéro 18 de la rue Oknha Mèn.
Il s'en alla entouré des siens et des moines que, dès la veille, il avait appelés à son chevet pour lui redire les vanités et l'impermanence de ce monde d'où il s'évada en toute sérénité, à 8 h 20, au début de la matinée.
Phnom Penh où il s'éteignit l'avait vu naître le 29 octobre 1890, dans la trente et unième année du règne de Sa Majesté Norodom. Ayant terminé ses études primaires supérieures au collège Sisowath, il entrait à l'école de médecine de Hanoï d'où il sortir en 1910, nanti de son diplôme de médecin.
Il exerça quelques temps au Cambodge, envoyé dans les localités les plus lointaines de la capitale. Humoriste à sa manière, il voulut conserver le souvenir des premières étapes de sa carrière en donnant le nom de celles-ci aux premiers enfants qui lui naquirent : Sonn-Vœunsai, déjà cité, né en 1912 à Phnom Penh, son père étant à Vœunsai près de la frontière du Laos, dans Stung Trèng, Sonn Pailin, inspecteur de la police royale à Stung Trèng né en 1914, également à Phnom Penh, son père étant alors à Pailin, la cité des pierres précieuses, près de la frontière thaïlandaise, dans Battambang.
Sonn Raphaël, son troisième fils, naquit en 1916, lui-même étant en France, au dépôt des troupes d'outre-mer de Saint-Raphaël, près de Fréjus dans le Var, jeune médecin engagé volontaire pour la durée de la guerre depuis le début du conflit qui, de 1914 à 1918, allait donner au monde un avant-goût des affrontements planétaires du vingtième siècle.
Docteur et psychiatre réputé
La paix revient Sonn Mam décide de poursuivre ses études à la faculté de médecine de Paris. En 1923, il se classe septième des douze candidats au concours des internes en médecine des hôpitaux psychiatriques de la Seine.
Quatre années plus tard, en 1927, étant docteur depuis 1925, il se classe deuxième des cinq candidats au concours du médicat des hôpitaux psychiatriques de France. Il est alors nommé médecin-chef de l'asile de Leyme dans le Lot.
En 1928 il obtient le diplôme de médecin légiste de l'institut de médecine légale et de psychiatrie.
Mais l'Indochine dont il sera le premier psychiatre -le vietnamien Nguyen Anh n'obtiendra qu'en 1947 les titres du docteur Sonn-Mam- réclame ses services. D'abord médecin résident à l'hôpital psychiatrique de Bien Hoa, de 1928 à 1930, il en est médecin directeur durant près de six années, de 1933 à 1939 après avoir été, de 1930 à 1933, à la tête du service de triage des aliénés à l'hôpital de Choquan près Saigon.
En 1940, à la fin du règne de Sa Majesté Sisowath Monivong, le docteur Sonn Mam revenait mettre au service du royaume sa compétence et son dévouement. D'après ses plans, l'hôpital psychiatrique de Takhmau est construit. En hommage à ses maîtres éminents, les Pinel, Clérambault, Esquirol, Magnan..., il donne leurs noms aux pavillons du nouvel établissement. Et, vingt-cinq années durant, il se consacre à ses malades, lesquels viennent de toutes les provinces du royaume où nul n'ignore son nom.
Sa réputation dépasse même les frontières du Cambodge et l'on cite encore des familles qui lui amenèrent leurs malades du Vietnam et de la Thaïlande, de Saigon et de Bangkok.
A son tour il enseigne. Dès sa fondation, en 1946, l'école royale de médecine l'a comme professeur. Devenue faculté, elle l'a comme doyen de 1963 à 1965. Le docteur Tiounn Thœun, sorti comme lui de la faculté de Paris, lui succédant il demeure doyen honoraire.
Ce n'est que l'année dernière qu'il eut comme adjoint, à l'hôpital de Takhmau, un psychiatre, celui qui aujourd'hui lui succède comme directeur de l'établissement, le jeune et aimable docteur Chamrœun Sam Eun, arrivé depuis une année de Paris nanti des diplômes de neuro-psychiatrie et d'électro-encéphalographiste.
La personnalité du défunt lui valut d'assurer de hautes fonctions en sus de ses activités professionnelles. C'est ainsi qu'il fut directeur du service de santé, d'avril 1945 à février 1948. De février 1948 à février 1949 il détint le portefeuille de ministre de la santé publique, du travail et de l'action sociale.
En mai 1950, du 9 au 31, il fut ministre des Affaires étrangères, des travaux publics et des communications. La même année il fut par intérim président du conseil, ministre des Affaires étrangères, ministre de la Santé, du travail et de l'action sociale.
Il retrouve, en mars 1951, le titre de ministre de la Santé, du travail et de l'action sociale, titre qu'il cumule, jusqu'en octobre 1951, avec celui de vice-président du conseil des ministres. Après cette date et jusqu'en avril 1952 il est ministre de la santé publique et des Affaires étrangères. D'avril à juin 1952, il conserve seulement le portefeuille de la santé publique.
En reconnaissance de ses services éminents, Samdech Chef de l'Etat, l'avait élevé à la dignité de grand officier de l'Ordre Royal du Cambodge et à celle de grand-croix du Monisaraphon et lui avait décerné la médaille d'or du Règne.
Le défunt était également officier de la Légion d'honneur, commandeur de l'Ordre de la santé publique et chevalier du Dragon d'Annam.
Etant en France, ses études achevées et ses diplômes obtenus, le docteur Sonn Mam avait acquis de surcroît la nationalité française et l'avait conservée. Son nationalisme n'en était aucunement affecté. Ses compatriotes, comme lui-même foncièrement fidèles à leurs amitiés et plus attachés aux sentiments du cœur qu'aux titres et autres étiquettes qui marquent l'homme mais ne le changent point, ne s'en trouvaient pas davantage gênés.
Parmi les frères et sœurs que laisse le défunt, il convient de citer ses frères, le conseiller du royaume Tong Ourn Mam, ancien magistrat et ancien ministre de la justice, et M. le professeur agrégé de médecine (de la faculté de médecine de Paris), Tip Mam, médecin-commandant et médecin-chef de l'hôpital militaire Préah Monivong de Phnom Penh, dont l'épouse, née Ieam Saorin, secrétaire d'Etat à l'action sociale et au travail, est également professeur agrégé (anatomo-pathologiste) de la faculté de médecine de Paris. »
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