Ministère
de lIntérieur.
Inspection Générale des Maisons dAliénés.
Le Puy (Haute Loire) le 8 octobre 1839
Monsieur
le Ministre
Quatre femmes et dix hommes aliénés sont déposés
en ce moment à lhopital Général du Puy.
Ils sont placés dans des loges séparées ou dans les
dortoirs communs aux infirmes indigens. Les loges destinées aux
aliénés dans cet hospice sont au nombre de 17. Sept placées
au nord reçoivent les femmes, sept autres établies dans
un Bâtiment à part reçoivent les hommes ; trois
autres loges placées dans une cour dentrée sont abandonnées ;
on devrait abandonner également toutes celles destinées
aux femmes, car le plus grand nombre sont de véritables cachots
et les autres y ressemblent trop pour pouvoir servir même de lieu
de dépôt dune manière convenable.
Les loges construites pour les hommes dans un bâtiment isolé,
présentent un aspect moins affligeant ; toutefois elles sont
froides, fermées par de simples volets et de fortes grilles. Elles
nont quune porte qui donne sur un passage étroit et
ne sont pourvues daucun promenoir, aussi les malades qui y sont
placés restent-ils enfermés.
Le corps de logis en question est comme le reste de lhospice, adossé
à limmense rocher qui domine et menace la ville du Puy. Le
20 septembre dernier un éboulement de ce rocher a écrasé
lextrémité de ce bâtiment qui avoisine lhospice
et deux loges ont été en partie démolies. Lun
des aliénés qui habitaient ces loges a été
enterré sous les décombres et par un bonheur inoui na
été que légèrement blessé, lautre
na point apprécié lénormité du
danger quil avait couru et sest plaint quand on est venu à
son secours, que des maçons, ses ennemis, avaient entrepris de
démolir sa loge et de le lapider ; il navait reçu
aucune blessure.
Ces aliénés paraissent traités avec assez de douceur
par les Surs et par leurs gardiens ; mais dès quils
sont agités on les enferme rigoureusement et ils ne reçoivent
les soins de la médecine qualors quil leur survient
quelquaccident. Les médecins de lhospice, hommes de
mérite, constatent au reste leur état avec beaucoup de précision ;
mais ils déclarent quil leur est impossible de donner aux
aliénés aucuns des soins que leur état réclame,
nayant pas même une baignoire à leur disposition.
Et pourtant, Monsieur le Ministre, quoiquon fasse, un bon nombre
daliénés séjournent et séjourneront
encore longtems dans les hospices ; dabord cest le lieu,
où aujourdhui, à défaut des prisons, la sûreté
publique les fait enfermer durgence. Plusieurs motifs ensuite les
y retiennent. Certains aliénés sont volontiers conservés
par les administrations hospitalières, ce sont tous ceux pour lesquels
on peut obtenir une petite pension ; quelques fois, au moment où
le Préfet, daprès les certificats des médecins,
déclare que tel aliéné doit être renvoyé,
et veut ainsi décharger le département du prix de son entretien,
par un arrangement particulier, soit avec les familles, soit avec le malade
lui-même, celui-ci reste pourtant dans lhospice ; cest
le cas de trois des individus considérés comme aliénés
que je trouve ici, les nommés Pélicier, Richard et Viscomti.
Non seulement MM. Les Préfets, jaloux de diminuer les dépenses
départementales, sappliquent à rendre à leurs
familles ou du moins à la liberté tous les aliénés
qui ont cessé dêtre dangereux pour la sécurité
publique ; mais dans le même but ils ne sempressent pas
toujours de régulariser la position dun aliéné
placé durgence dans un hospice. Ils évitent par là
quelques frais au budget départemental ; de plus en gagnant
du tems ils laissent pour lordinaire accumuler plusieurs aliénés
et les font ensuite diriger ne commun sur un établissement spécial,
ce qui rend les frais de transport beaucoup moins onéreux ;
enfin quand le département paye la pension de ces malades dans
les hospices elle y est de 60 centimes par jour, le prix de la pension
ailleurs est de 300 francs.
Ce sont ces divers motifs qui mont fait rencontrer un aliéné
dans lhospice de Brioude, qui en font séjourner quelques
uns à Issengeaux et trois à Craponne. Mr le Préfet
de la haute Loire en convenant avec moi de tous ces faits et même
en me les faisant connaître, convient également que ce sont
autant dirrégularités condamnables, mais il nose
dit-il prendre lengagement de les faire disparaître. La loi
sur les aliénés présente des applications difficiles.
Les Conseils Généraux se prêtent difficilement à
voter les fonds nécessaires à lorganisation du service.
Au reste cet administrateur me parla avec une extrême bonne foi
et les détails quil me donna expliquent suffisamment pourquoi
un bon nombre de départemens que jai parcourus sont dans
le même cas, pourquoi il y a des aliénés dans les
hospices de St Malo, de Valenciennes, de Cambray et même dans lhospice
général de Rouen si je suis bien informé.
Le nombre total des aliénés placés aux frais du département
est en définitive assez peu considérable. Il était
de 32 au 25 août dernier ; comme il y avait des demandes dadmission
non accordées, le conseil général a voté une
augmentation de huit places dont quatre pour des aliénés
agités et quatre pour des aliénés paisibles mais
indigens et incapables de se suffire. Des 32 à cette époque,
il y en avait un à Lyon (Antiquaille) 6 à Aurillac, 10 à
St Alban, 2 à Riom, les 13 autres étaient en dépôt
dans les hospices aux frais du département, plus une douzaine séjournent
aux mêmes lieux, mais inconnus à la préfecture, en
tout 44 environ.
Mr le Préfet mécontent de la contexture des certificats
quon lui envoyait de Lyon, maison des frères de St Jean de
Dieu, et se défiant dune certaine tendance à conserver
les malades, venait den ramener au Puy 4 placés dans cette
maison, ils avaient été déclarés non guéris
le 10 juillet 1839 et le nommé Barrier entrautres était
signalé comme dément furieux et incurable. Tous les quatre
après un examen du docteur Reyauld, médecin de lhospice
du Puy, le 13 août suivant, c'est-à-dire 33 jours dintervalle,
furent déclarés guéris et renvoyés de lhospice.
Un seul dentreux depuis ce tems a éprouvé une
rechute.
Mr le Préfet porte les mêmes plaintes relativement à
létablissement départemental de la Lozère et
jai sous les yeux quelques certificats du médecin de cette
maison qui sont assez incorrectement libellés ; Mr le Préfet
demande si la loi ou lordonnance Royale dont on soccupe accordent
au Préfet droit de visite dans les établissemens où
les aliénés de leur département sont placés,
quand ces établissemens appartiennent à un autre département.
Mr le Préfet voudrait que lon fût tenu de prévenir
à lavance les hospices sur lesquels on dirige en passage
un ou plusieurs aliénés ; cette mesure serait prudente.
IL sélève contre la difficulté des tutelles
par les commissions administratives. Les membres des commissions administratives
devront-ils suivre dans le lieu du domicile du malade les intérêts
de celui-ci, dans le cas où il est étranger au département ?
Je réponds par la lecture des art. 32 et 33, ils prescrivent la
nomination dadministrateurs provisoires, ces articles peut être
ont-ils besoin dêtre accordés entreux.
Je suis avec une respectueuse considération Monsieur le Ministre,
votre très humble serviteur
(Ferrus)
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