Le département de la HAUTE-LOIRE en 1839

Le premier établissement psychiatrique départemental de la Haute-Loire fut fondé à l'initiative du Révérend Père Chiron : l'Asile Sainte-Marie, à Montredon près Le-Puy-en-Velay ouvre ses portes le 2 février 1850, sous la direction de la Congrégation des Religieuses de Sainte-Marie de l’Assomption.

Auparavant, le département traitait avec les hospices de Riom (femmes), Aurillac (quartier d'hospice mixte) et Saint-Alban (asile d'aliénés de la Lozère) et, jusqu'en 1839, avec la maison des frères de Saint-Jean-de-Dieu à Lyon.

C'est de cette année 1839 que date le rapport présenté ci-après, signé de l'Inspecteur général des Maisons d'Aliénés Guillaume Ferrus.
La loi du 30 juin 1838 était bien évidemment trop récente pour être déjà appliquée dans tous les départements du royaume et dans toutes ses dispositions. Celui de la Haute-Loire semble assez représentatif des régions rurales: faute d'asile, les aliénés sont accueillis dans des hospices, où ils sont reclus dans des loges mal conçues, et des raisons de coût font qu'ils y restent parfois longtemps avant d'être conduits dans des établissements spéciaux de départements voisins.
Et là, il semble que, pour des raisons qui n'ont rien de médicales et que l'on découvrira à la lecture du document, leur séjour s'y prolonge parfois tout à fait induement.

On remarquera également que le nombre des aliénés du département est de l'ordre d'une trentaine. Comme ailleurs en France, le nombre d'internés augmentera ensuite, à mesure que les indications d'admissions s'étendront à d'autres types de troubles, en particulier déficitaires et détérioratifs.

Ferrus avait été nommé Inspecteur Général en 1835. Ses rapports de visite et réflexions généralement très pertinentes seront fort utiles aux législateurs de 1838 et aux administrateurs en charge de mettre la loi en application.

D'autres grands inspecteurs suivront, de Parchappe à Lunier, et à Raynier... Dans leur rôle de conseil de l'Administration, les membres de la Mission Nationale d'Appui en Santé Mentale pourraient être aujourd'hui considérés comme leurs lointains hétitiers...

Ministère de l’Intérieur.
Inspection Générale des Maisons d’Aliénés.
Le Puy (Haute Loire) le 8 octobre 1839

Monsieur le Ministre

Quatre femmes et dix hommes aliénés sont déposés en ce moment à l’hopital Général du Puy.
Ils sont placés dans des loges séparées ou dans les dortoirs communs aux infirmes indigens. Les loges destinées aux aliénés dans cet hospice sont au nombre de 17. Sept placées au nord reçoivent les femmes, sept autres établies dans un Bâtiment à part reçoivent les hommes ; trois autres loges placées dans une cour d’entrée sont abandonnées ; on devrait abandonner également toutes celles destinées aux femmes, car le plus grand nombre sont de véritables cachots et les autres y ressemblent trop pour pouvoir servir même de lieu de dépôt d’une manière convenable.

Les loges construites pour les hommes dans un bâtiment isolé, présentent un aspect moins affligeant ; toutefois elles sont froides, fermées par de simples volets et de fortes grilles. Elles n’ont qu’une porte qui donne sur un passage étroit et ne sont pourvues d’aucun promenoir, aussi les malades qui y sont placés restent-ils enfermés.

Le corps de logis en question est comme le reste de l’hospice, adossé à l’immense rocher qui domine et menace la ville du Puy. Le 20 septembre dernier un éboulement de ce rocher a écrasé l’extrémité de ce bâtiment qui avoisine l’hospice et deux loges ont été en partie démolies. L’un des aliénés qui habitaient ces loges a été enterré sous les décombres et par un bonheur inoui n’a été que légèrement blessé, l’autre n’a point apprécié l’énormité du danger qu’il avait couru et s’est plaint quand on est venu à son secours, que des maçons, ses ennemis, avaient entrepris de démolir sa loge et de le lapider ; il n’avait reçu aucune blessure.

Ces aliénés paraissent traités avec assez de douceur par les Sœurs et par leurs gardiens ; mais dès qu’ils sont agités on les enferme rigoureusement et ils ne reçoivent les soins de la médecine qu’alors qu’il leur survient quelqu’accident. Les médecins de l’hospice, hommes de mérite, constatent au reste leur état avec beaucoup de précision ; mais ils déclarent qu’il leur est impossible de donner aux aliénés aucuns des soins que leur état réclame, n’ayant pas même une baignoire à leur disposition.

Et pourtant, Monsieur le Ministre, quoiqu’on fasse, un bon nombre d’aliénés séjournent et séjourneront encore longtems dans les hospices ; d’abord c’est le lieu, où aujourd’hui, à défaut des prisons, la sûreté publique les fait enfermer d’urgence. Plusieurs motifs ensuite les y retiennent. Certains aliénés sont volontiers conservés par les administrations hospitalières, ce sont tous ceux pour lesquels on peut obtenir une petite pension ; quelques fois, au moment où le Préfet, d’après les certificats des médecins, déclare que tel aliéné doit être renvoyé, et veut ainsi décharger le département du prix de son entretien, par un arrangement particulier, soit avec les familles, soit avec le malade lui-même, celui-ci reste pourtant dans l’hospice ; c’est le cas de trois des individus considérés comme aliénés que je trouve ici, les nommés Pélicier, Richard et Viscomti.
Non seulement MM. Les Préfets, jaloux de diminuer les dépenses départementales, s’appliquent à rendre à leurs familles ou du moins à la liberté tous les aliénés qui ont cessé d’être dangereux pour la sécurité publique ; mais dans le même but ils ne s’empressent pas toujours de régulariser la position d’un aliéné placé d’urgence dans un hospice. Ils évitent par là quelques frais au budget départemental ; de plus en gagnant du tems ils laissent pour l’ordinaire accumuler plusieurs aliénés et les font ensuite diriger ne commun sur un établissement spécial, ce qui rend les frais de transport beaucoup moins onéreux ; enfin quand le département paye la pension de ces malades dans les hospices elle y est de 60 centimes par jour, le prix de la pension ailleurs est de 300 francs.

Ce sont ces divers motifs qui m’ont fait rencontrer un aliéné dans l’hospice de Brioude, qui en font séjourner quelques uns à Issengeaux et trois à Craponne. Mr le Préfet de la haute Loire en convenant avec moi de tous ces faits et même en me les faisant connaître, convient également que ce sont autant d’irrégularités condamnables, mais il n’ose dit-il prendre l’engagement de les faire disparaître. La loi sur les aliénés présente des applications difficiles. Les Conseils Généraux se prêtent difficilement à voter les fonds nécessaires à l’organisation du service. Au reste cet administrateur me parla avec une extrême bonne foi et les détails qu’il me donna expliquent suffisamment pourquoi un bon nombre de départemens que j’ai parcourus sont dans le même cas, pourquoi il y a des aliénés dans les hospices de St Malo, de Valenciennes, de Cambray et même dans l’hospice général de Rouen si je suis bien informé.

Le nombre total des aliénés placés aux frais du département est en définitive assez peu considérable. Il était de 32 au 25 août dernier ; comme il y avait des demandes d’admission non accordées, le conseil général a voté une augmentation de huit places dont quatre pour des aliénés agités et quatre pour des aliénés paisibles mais indigens et incapables de se suffire. Des 32 à cette époque, il y en avait un à Lyon (Antiquaille) 6 à Aurillac, 10 à St Alban, 2 à Riom, les 13 autres étaient en dépôt dans les hospices aux frais du département, plus une douzaine séjournent aux mêmes lieux, mais inconnus à la préfecture, en tout 44 environ.

Mr le Préfet mécontent de la contexture des certificats qu’on lui envoyait de Lyon, maison des frères de St Jean de Dieu, et se défiant d’une certaine tendance à conserver les malades, venait d’en ramener au Puy 4 placés dans cette maison, ils avaient été déclarés non guéris le 10 juillet 1839 et le nommé Barrier entr’autres était signalé comme dément furieux et incurable. Tous les quatre après un examen du docteur Reyauld, médecin de l’hospice du Puy, le 13 août suivant, c'est-à-dire 33 jours d’intervalle, furent déclarés guéris et renvoyés de l’hospice. Un seul d’entr’eux depuis ce tems a éprouvé une rechute.

Mr le Préfet porte les mêmes plaintes relativement à l’établissement départemental de la Lozère et j’ai sous les yeux quelques certificats du médecin de cette maison qui sont assez incorrectement libellés ; Mr le Préfet demande si la loi ou l’ordonnance Royale dont on s’occupe accordent au Préfet droit de visite dans les établissemens où les aliénés de leur département sont placés, quand ces établissemens appartiennent à un autre département.

Mr le Préfet voudrait que l’on fût tenu de prévenir à l’avance les hospices sur lesquels on dirige en passage un ou plusieurs aliénés ; cette mesure serait prudente. IL s’élève contre la difficulté des tutelles par les commissions administratives. Les membres des commissions administratives devront-ils suivre dans le lieu du domicile du malade les intérêts de celui-ci, dans le cas où il est étranger au département ?
Je réponds par la lecture des art. 32 et 33, ils prescrivent la nomination d’administrateurs provisoires, ces articles peut être ont-ils besoin d’être accordés entr’eux.

Je suis avec une respectueuse considération Monsieur le Ministre, votre très humble serviteur
(Ferrus)


La veille, notre Inspecteur Général avait envoyé de Brioude un premier rapport au ministre de l'Intérieur. L'hospice de Brioude, comme bien d'autres hospices en France, servait de dépôt provisoire des aliénés en attente d'être conduits à l'asile départemental. Cette disposition avait été précisée dans l'article 24 de la loi du 30 juin 1838 :
«Les hospices et hôpitaux civils seront tenus de recevoir provisoirement les personnes qui leur seront adressées en vertu des articles 18 et 19, jusqu'à ce qu'elles soient dirigées sur l'établissement spécial destiné à les recevoir, aux termes de l'article 1er, ou pendant le trajet qu'elles feront pour s'y rendre.
Dans toutes les communes où il existe des hospices ou hôpitaux, les aliénés ne pourront être déposés ailleurs que dans ces hospices ou hôpitaux. Dans les lieux où il n'en existe pas, les maires devront pourvoir à leur logement, soit dans une hôtellerie, soit dans un local loué à cet effet.
Dans aucun cas, les aliénés ne pourront être ni conduits avec les condamnés ou les prévenus, ni déposés dans une prison.
Ces dispositions sont applicables à tous les aliénés dirigés par l'administration sur un établissement public ou privé.»


Mais accompagner un malade de l'hospice à l'asile coûtait cher, et par souci d'économiser le budget départemental, le transfèrement n'avait lieu qu'une fois atteint un nombre suffisant d'aliénés. Ceux-ci devaient donc attendre dans des locaux inappropriés, et, peut-on supposer, sans traitement.


Ministère de l’Intérieur.
Inspection Générale des Maisons d’Aliénés.
Brioude (Haute Loire) le 7 octobre 1839

Monsieur le Ministre

Depuis plusieurs années il ne reste plus d'aliénés à demeure dans l'hospice de Brioude. Les aliénés (hommes) sont envoyés à Aurillac, les femmes à Riom, mais ils y sont provisoirement déposés dans quelques circonstances.
Aujourd'hui j'en trouve un dans cet hospice, c'est le nommé Boudon (Jacques) âgé de 30 ans. Il est atteint d'une manie rémittente héréditaire. Cet homme est né dans le village de Chabreuze, lequel fournit à lui seul presque tous les aliénés du Canton. On signale dans ce village d'une trentaine de maisons, deux familles où la folie se perpétue sans que l'on puisse en trouver d'autre cause que des alliances entre parens, ou l'hérédité directe de la maladie.
Le sieur Boudon a été placé d'urgence en dépot dans l'hospice de Brioude, par un ordre du Maire et parce qu'il troublait la tranquillité publique, il y restera probablement jusqu'à ce que l'on expédie à Aurillac un convoi d'aliénés.
Le dernier convoi est parti le 4 janvier dernier, il se composait de quatre malades, un cinquième est resté à l'hospice comme idiot et sourd muet indigent.
Depuis ce tems il n'est venu dans cet hospice que deux aliénés; quand ils séjournent ils sont placés dans une petite cour isolée, qui contient quatre loges et qui est commune aux hommes et aux femmes de telle sorte qu'il faut nécessairement tenir les uns ou les autres enfermés.
Cette nécessité produit comme on peut croire de facheux résultats; le voisinage seul des deux sexes en produirait également.
Dans tous les lieux de dépot il est urgent que les hommes et les femmes aient des cellules complètement séparées.

Je suis avec une respectueuse considération, Monsieur le Ministre, Votre très humble serviteur (Ferrus)»


Michel Caire, 2009
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