SAINT-ALBAN
(Lozère)
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![]() À propos d'une réalisation d'assistance psychiatrique à Saint-Alban L'article
qui suit a été publié dans l'Évolution Psychiatrique
en 1952 (III; pp.579-582), rubrique "L'actualité psychiatrique",
sous la signature d'Henri
Ey.
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« Ce
n'est pas comme à la recherche du pittoresque, en journaliste ou
en touriste, que l'on découvre quelque part dans l'aridité
et la dureté de ce paysage du "pays des neiges" l'asile
entouré de ses classiques murailles, cet asile un peu plus pauvre
que les autres, aussi rébarbatif et, dans certains de ses aspects
de vieux château délabré, plus rocailleux et plus
triste même que les autres. Rural, entre-croisant dans ses espaces
dénivelés les images juxtaposées d'une cour de ferme,
de clinique chirurgicale, d'une galerie d'aérium, de chambre de
cure de sommeil, d'une place de village, d'une belle installation de service
de cure libre, d'un laboratoire ou d'un clair service d'accueil, etc.
l'Hôpital Psychiatrique de SAINT ALBAN avec ses installations modernes
nichées dans des bâtiments hétéroclites est
à ce point de vue "baroque". |
« D'accord
avec l'administration représentée aux temps héroïques
de la création de SAINT ALBAN par des Médecins-Directeurs
de la trempe de P. BALVET ou BONNAFÉ, d'accord avec une Préfecture
et un Conseil Général clairvoyants et sages, c'est la Ligue
d'Hygiène Mentale qui administre la Société des Malades.
C'est dire qu'en grande partie ce sont les malades eux-mêmes (qui
font partie ou sont délégués de la Ligue) qui administrent
leur société. Ce sont eux qui font appliquer le règlement
intérieur de chaque section, qui organisent la vie collective et
notamment veillent sur les circuits économiques des produits du travail.
La création d'ateliers coopératifs permet à
chaque groupement d'exercer une activité laborieuse et lucrative
réelles. La psychothérapie de groupe s'enracine ainsi dans
une forme de société qui n'est plus un simulacre :
"L'objet fabriqué, écrivait récemment le Dr. TOSQUELLES dans une de ses constructions, n'a pas de valeur thérapeutique en soi, mais il est par contre investi de valeurs affectives, économiques et sociales qu'il importe d'essayer d'aider le malade à découvrir. Cette découverte ou prise de conscience d'autrui est le but de l'ergothérapie. Toute ergothérapie doit essayer de s'ouvrir vers une socialthérapie où les diverses formes de la vie de groupe doivent être rendues possibles". « Ces ateliers de la ligue sont pour ainsi dire situés entre deux autres types d'ergothérapie : l'une administrative "comme est et doit être" dit encore le Dr. TOSQUELLES, la simple "thérapeutique d'engagement" (destinée à éveiller l'intérêt) souvent inutilisable dans ses produits - et l'autre d'entr'aide à valeur économique investie seulement dans l'intérieur du groupe et pour ses intérêts culturels, ludiques ou économiques (vêtements, oréparation de fêtes, aménagement de l'habitat, etc.). Pour parvenir à ses fins la socialthérapie coopérative est réglée à SAINT ALBAN par des dispositions règlementaires particulières. On sait que dans la plupart des établissements on se heurte à la règle du règlement modèle qui prescrit que "tout le travail des malades appartient à l'établissement". Cette règle a été ainsi complétée: "à l'exception du travail fait avec des outils et matériaux appartenant aux malades eux-mêmes". Or ces outils et matériaux leur sont fournis par la Ligue dont ils sont membres. De même le pécule des malades travailleurs est versé à la Ligue et, récemment, la part des vieillards économiquement faibles qui selon la loi doit être consacrée à l'achat de douceurs et objets personnels, est venue accroître le capital de l'entreprise commune. |
« On
comprend que sous cette "administration" quasi autonome de leurs
relations sociales fondamentales, les malades se sentent "valorisés"
et "personnalisés". Et tout, dans le genre de vie qu'ils
mènent, renforce cette lutte contre l'anéantissement de l'individu
par la névrose ou la psychose. Toute la vie quotidienne est sans
cesse animée (fêtes patronales, concours, kermesses, veillées,
promenades (parfois fort loin de Saint Alban), etc...). Le Club Paul BALVET
est le centre de toutes ces activités où le personnel joue
son rôle.
(note) L'œuvre est magnifiquement servie par la Communauté des Sœurs de Saint François Régis et le personnel infirmier, l'un et l'autre à la dévotion du chef de service qui a su passionner les plus réfractaires et potentialiser les plus maladroits. « Un exemple typique de cette solidarité et de cette émulation dans l'action valorisatrice est constitué par les obsèques d'un malade décédé qui ont retrouvé là leur valeur de rite social. Alors que dans tous les établissements similaires du monde entier l'enterrement d'un malade est pour ainsi dire "clandestin" et "honteux", ici c'est la communauté aussi totale que possible qui y assiste (comme dans un village où le défunt est né et où sa mort aurait rassemblé autour d'elle le "clan" tout entier). et même si par malheur c'est à la suite d'un suicide que le malade est mort, de ce suicide il est discuté ouvertement et librement dans toutes les réunions du club. Celles-ci sont d'ailleurs concrétisées dans un "journal intérieur". Certes dans la plupart des services psychiatriques il existe un journal, mais à SAINT ALBAN s'il y a aussi un journal à usage externe -le journal banal et somme toute qui fait plutôt partie de "simulacre psychothérapique" que d'une psychothérapie de groupe approfondie- il y a surtout le journal à usage interne qui au cours des "veillées" est élaboré par les malades eux-mêmes en toute liberté et ensuite repris par les médecins qui s'emploient à "l'abréaction" de tous les conflits personnels que le journal reflète. Psychodrame quotidien, catharsis de tous les instants, péripéties de transferts et d'identification salutaires, chaque aspect de la vie sociale du groupe est utilisé, exploité et dirigé. |
« La vue panoramique de cette cité serait incomplète si on ne précisait pas que toutes les thérapeutiques biologiques (chocs, insuline, cures de sommeil, lobotomies, etc...) et même certaines explorations techniques très poussées (radiologie, électroencéphalographie, laboratoire de biochimie, etc...) sont à la base même du système thérapeutique et constituent l'arsenal de cette société en marche vers la "guérison". Car la "guérison" c'est le mot d'ordre, l'alpha et l'oméga de toute l'entreprise. Tout, en gros et en détail, est subordonné à elle. Mon service est à peu près de la même importance numérique et du même type de recrutement que celui du Dr. TOSQUELLES; je sais ce que peuvent coûter d'efforts des résultats comme ceux que j'y obtiens, aussi est-ce avec admiration que j'ai pu constater les résultats thérapeutiques supérieurs obtenus à SAINT ALBAN. Car si à première vue on peut redouter que la socialthérapie ne cristallise le malade dans une vie sociale réduite et aisée mais fermée, il suffit de connaître ces résultats pour être rassuré sur ce point et se convaincre de la valeur de récupération sociale de l'ensemble du système. |
« Telle
est, présentée sous son aspect schématique, l'œuvre
gigantesque qui a été entreprise et réalisée
à SAINT ALBAN. C'est pour nous tous non pas une "expérience"
au sens d'une conjecturale tentative, mais une expérience au sens
d'une magistrale leçon.
Docteur Henri Ey |
Michel
Caire, 2009-2010 |