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L'ASSISTANCE AUX ALIÉNÉS DANS LE DÉPARTEMENT DE LA
SEINE EN 1860
La longue
période de réflexion et de recherche, avant et surtout à partir de la
Loi du 30 juin 1838 (1), concernant les principes d'établissement et d'organisation
des asiles d'aliénés en France, avait conduit à déterminer nombre de modèles
théoriques, et à créer quelques établissements en province.
La situation du Département de la Seine était particulièrement critique :
Paris accusait un retard de plus de vingt ans par rapport à nombre de
départements (2). Cette période allait devoir laisser place à Paris à
l'ère des réalisations.
Avant d'aborder la question de la constitution et des travaux de la commission
spéciale qui a élaboré le projet de création des asiles d'aliénés dans
ce département, dont Sainte-Anne, il semble utile de présenter cette situation.
(1) Article
10: "Chaque département est tenu d'avoir un établissement public
spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés, ou de traiter,
à cet effet, avec un établissement public ou privé, soit de ce département,
soit d'un autre département."
(2) En 1866, une vingtaine d'asiles avaient été édifiés depuis la promulgation
de la loi.
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I-
LA SITUATION DES ALIÉNÉS A PARIS EN 1860
La conjugaison
de plusieurs facteurs propres à Paris mettait en évidence la nécessité
de dégager rapidement des solutions :
1/ Accroissement
du nombre des aliénés
- En premier lieu, l'augmentation de la population asilaire avait suivi
celle de la population générale :
. cet accroissement très sensible (près de deux millions d'habitants en
1860 contre un million en 1836 et un million et demi en 1856) était lié
au développement rapide de l'urbanisation parisienne et à l'immigration
qui avait suivi.
. parallèlement, le nombre d'aliénés parisiens présents dans les asiles
passait de 2306 en 1836 à 3506 en 1856 (1), puis à 4056 en 1860 (2).
- On peut aussi considérer le rôle joué par les conditions de vie propre
aux débuts de l'ère industrielle, avec l'importance grandissante de certains
facteurs pathogènes.
- La facilité avec laquelle les placements - tous d'office - étaient effectués
jouait également un rôle déterminant, par suite, comme l'indique Girard
("Etude pratique sur les maladies nerveuses et mentales"), de
l'adoption à Paris de cette doctrine « que tout aliéné, quelque inoffensif
qu'il paraisse, peut être dangereux dans un moment donné, et que dans
une grande ville comme la capitale, on ne peut laisser errer sur la voie
publique aucun homme capable d'y apporter le plus léger trouble ou attenter
d'une manière quelconque à la sécurité du chef de l'Etat.
»
(1) Rapport du Directeur de l'Administration de l'A.P. Nombre d'aliénés présents au
31 décembre.
(2) Rapport Girard de Cailleux. Nombre au 20 mars 1860 (1635 hommes,
2421 femmes; 2368 dans les hôpitaux de la Seine, 1688 en province).
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Déjà, en
1842, dans un rapport au Conseil Général des hôpitaux, Ulysse Trélat,
demandant qu'on élève des constructions nouvelles, indiquait que les services
de la Seine étaient « devenus insuffisants depuis que les aliénés
sont recherchés avec plus d'attention dans le sein de la population raisonnable
qu'ils troublent et qu'ils exposent. »
Citons aussi, parmi bien d'autres, Renaudin (1864) : « A Paris, plus
que partout ailleurs, l'aliéné est un corps étranger, dont l'asile est
le refuge nécessaire. »
Dans le même ouvrage, Girard relevait deux autres causes de cet accroissement :
. l'extension de l'assistance publique au traitement des idiots, des imbéciles
et des débiles;
. le rôle joué par la division du service des aliénés entre deux autorités
dont le point de vue est différent: d'un côté le Préfet de Police, "qui
ordonne la séquestration, mais qui, n'ayant point à s'occuper des frais
de séjour ni d'entretien de la personne placée, n'est par conséquent nullement
intéressé à restreindre le nombre des séquestrations", de l'autre,
le Préfet de la Seine, qui paye la dépense.
2/ Encombrement
et insuffisance des services parisiens
Les structures d'accueil restaient inchangées depuis le début du siècle
(alors qu'en 1801 n'étaient comptés que 946 aliénés). Les aliénés des
classes aisées étaient répartis dans différentes maisons privées, et les
autres à la Salpétrière pour les femmes et à Bicêtre pour les hommes (1).
(1) Sous
l'Ancien Régime, les "fous incurables" étaient enfermés à Bicêtre,
à La Salpétrière et aux Petites Maisons (Pensionnat, ancien Hospice des
Ménages), et les "fous curables" entassés à l'Hôtel-Dieu, salle
Saint-Louis pour les hommes et salle Sainte Martine ou Sainte Geneviève
pour les femmes.
De 1802 à 1807, des malades femmes avaient aussi été reçues à Charenton.
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Girard, étudiant
les résultats obtenus dans le département 25 ans après la loi de 1838,
et cherchant « s'il ne serait pas possible de faire mieux et à meilleur
compte », dresse un sombre tableau; il paraît intéressant de rapporter
ici le résumé qu'il fait de l'état du service des aliénés de Bicêtre et
de la Salpétrière.
« En résumé, le service des aliénés de Bicêtre et de la Salpétrière
est placé dans des conditions qui, relativement bonnes par rapport aux
temps antérieurs, sont insuffisantes et appellent des réformes radicales.
Les diverses sections consacrées au traitement de ces infortunés, dans
les deux asiles, sont défectueuses et trop souvent vicieuses, sous le
double rapport architectonique et médical. Les quartiers qui les constituent,
de même que les éléments qui les composent, manquent d'unité et de coordination.
Plusieurs d'entre eux n'offrent aux malheureux qui les habitent ni sûreté
ni salubrité.
Les dortoirs sont encombrés, les classifications incomplètes. Les agités
sont insuffisamment disciplinés, les moyens de contrainte encore trop
multipliés; le nombre des gâteux trop élevé; le service médical incomplet;
la surveillance difficile et mal organisée; le travail insuffisant.
Si la nourriture y est excellente, si le coucher est bon, les vêtements
laissent considérablement à désirer et demandent une nouvelle organisation:
celle des trousseaux.
Enfin, il existe dans ces deux asiles un mélange fâcheux et contraire
à la loi : il constitue un abus grave qu'il importe de faire cesser le
plus tôt possible.
Déjà, au commencement du siècle, le Conseil Général des hôpitaux a réalisé
un progrès important en éloignant pour toujours des hospices de Bicêtre
et de la Salpétrière les criminels qui y séjournaient.
Que l'Administration poursuive son uvre en séparant encore pour
les placer dans des asiles spéciaux, les aliénés, les infirmes et les
vieillards.
Qu'elle n'oublie pas que cette confusion illogique et contraire aux principes
de la science semble établir une fausse analogie entre ces trois ordres
de situations qui sont bien distinctes (...).
Enfin, il faut à l'aliéné des conditions exceptionnelles de calme, d'espace,
de ventilation, de vue, de distraction, de promenades, de travail, de
traitement que n'offre pas le séjour dans une grande ville, et que peut
seul présenter un établissement spécial.
C'est à dire que je considère Bicêtre et la Salpétrière comme étant impropres
au service des aliénés, et que je conclus à l'organisation de ce service
dans des asiles nouveaux, créés en vue de cette destination spéciale. »
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Ces critiques acerbes sont largement partagées: on peut citer Berthier, médecin-chef
à Bourg, qui conclut, après sa visite des deux hôpitaux : « Ils sont
entachés de vices constitutionnels, ils font honte à notre pays. »
ou Semelaigne : « La capitale rougit pour ainsi dire d'elle-même .»
3/ Contrats avec les asiles départementaux
La solution proposée devant cette carence et la pléthore d'aliénés internés,
consistant à passer des contrats entre le département de la Seine et les
asiles de province à partir de 1844 (1) avait fait surgir plus de problèmes
qu'elle n'en avait réglés.
On comptait en 1860 environ 1600 aliénés de la Seine, soit plus du tiers,
traités dans ces établissements (2).
Les inconvénients liés à cette situation étaient multiples: d'abord ceux
liés à cet exil forcé, tant pour les familles que pour les malades eux-mêmes;
le maintien des contacts, reconnu déjà comme essentiel, était rendu impossible
du fait des distances (les asiles d'accueil étant répartis sur la totalité
du territoire français), et la réinsertion dans le milieu d'origine très
difficile.
(1) En 1844, 401 aliénés de la Salpétrière et de Bicêtre furent envoyés dans
les asiles de Saint-Venant (Pas-de-Calais), Lille (Nord), Armentières
(Nord), Maréville (Meurthe) et Fains (Meuse).
(2) Au 1er janvier 1860, 4041 aliénés: 2366 dans les deux asiles de
la Seine ( 962 hommes et 1404 femmes), 1593 dans des asiles sous traités
(570 hommes et 1023 femmes) et 82 dans des asiles sans contrat (50 hommes
et 32 femmes).
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Les sorties étaient donc exceptionnelles :
Entre 1844 et 1859, sur 3267 aliénés envoyés en province, 168, soit 5%,
étaient sortis (103 considérés comme guéris, les autres n'étant qu'améliorés
ou simplement retirés);
Dans le même laps de temps, à Paris, sur 23.051 aliénés traités, on comptait
11.185 sorties, soit 48,5% (7348 guéris).
Cette situation était compliquée par le double intérêt qu'avaient les
asiles provinciaux à les retenir: ils bénéficiaient de leur travail, et
du prix de pension versée par l'Administration de la Seine (qui n'avait
plus aucun contrôle).
Cette solution devait être transitoire; nous verrons qu'elle continuera
à être utilisée bien longtemps après la création des asiles de la Seine.
Très critique, Girard de Cailleux, bien que nécessairement partial puisque
son étude devait conduire à justifier de l'urgence de la réforme, insistait
sur la situation dramatique que devaient endurer les exilés : dans la
presque totalité des 16 asiles concernés par les contrats en 1863
- les classifications étaient insuffisantes ou inexistantes: épileptiques
confondus avec les "malades mentaux simples", ce qui était contraire
à l'ordonnance du 18 décembre 1839, malades agités trop nombreux et mêlés
entre eux et avec les semi-paisibles;
- étaient notés: la proportion trop élevée des malades malpropres, l'abus
général des moyens de contrainte, la mauvaise tenue des cahiers de visite,
l'état des vêtements "insuffisants, déchirés et malpropres",
le mauvais équilibre du régime alimentaire, la surveillance souvent insuffisante
ou incomplète, la mauvaise organisation du travail et des "exercices
intellectuels et moraux"...
Même si Girard reconnaissait l'existence d'exceptions, le rapport édité fin 62 était accablant.
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Dans ce long
rapport imagé, Girard dit pouvoir citer des asiles où il a trouvé « des
aliénés étendus et fixés sur de la paille au moyen de liens attachés à
des entraves, aux manches de leurs camisoles, et au sommet du dos, rappelant
sous une autre forme les tortures de Procuste. »
En conclusion, il écrit : « Il semble qu'on a inscrit pour les malheureux
exilés de la Seine, sur le frontispice de leur lugubre demeure, ce fameux
vers de Dante : "Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate !" »
A Paris ou
en province, les asiles d'aliénés se valent; La solution serait la création
d'un service spécial des aliénés de la Seine, la construction et l'organisation
des asiles propres au département, service auquel il faudrait donner « une
unité de pensée, d'intérêt, de responsabilité, de pouvoir et d'action. »
Au milieu du Second Empire, les conditions allaient être favorables pour
remédier à ces déficience: d'une part la stabilité politique et l'expansion
économique rapide au cours de cette période d'ordre, d'autre part la présence
d'Eugène HAUSSMANN comme Préfet de la Seine et sa collaboration avec Girard
de Cailleux, qui serait déterminante.
Les deux hommes s'étaient connus à Auxerre, où Henri Girard avait été
nommé en 1840 médecin-directeur de l'asile d'aliénés et Haussmann préfet
de l'Yonne en 1850 (1).
(1) Nommé
le 20 juin 1840 à Auxerre, Girard était auparavant Chef de Clinique médicale
à l'Ecole de médecine de Lyon, et avait publié des travaux de démographie
psychiatrique remarqués.
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Ils avaient
pu apprécier leurs qualités mutuelles d'organisateurs et de réformateurs
au cours du travail de restructuration de l'asile (1).
Nommé Préfet de la Seine en 1853, Haussmann créa sept ans plus tard le
poste d'Inspecteur Général du service des aliénés de la Seine, et y nomma
Girard de Cailleux. (2)
(1) Politiquement
proche d'Haussmann, Girard avait par ailleurs profité de l'appui de l'influent
Préfet de la Seine en 1860, lorsqu'il avait demandé et obtenu la reconnaissance
officielle du nom de Girard de Cailleux.
(2) Il est indéniable que le Préfet avait une vision originale, voire
progressiste, de l'aliénation mentale, qu'il considérait, écrira F. Barrot,
"non pas seulement comme un danger public qu'il faut écarter mais
encore, et particulièrement, comme une infirmité et une maladie qu'il
faut secourir".
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II-
L'ENQUÊTE; LES TRAVAUX DE LA COMMISSION SPÉCIALE
Le 27 décembre
1860, Haussmann crée par arrêté une commission chargée d'étudier « l'amélioration
et les réformes à opérer dans le service des aliénés du Département de
la Seine. »
Il s'en attribue la présidence, nomme le Sénateur Ferdinand Barrot vice-président
et rapporteur, et Girard de Cailleux secrétaire.
Les autres membres sont : deux sénateurs, Herman et Amédée Tayer, le Procureur
Général près la Cour Impériale Chaix-d'Est-Ange, le docteur Véron député
de Sceaux, Marchand Conseiller d'État, le Baron Dubois Doyen de la Faculté
de Médecine et Husson Directeur de l'Administration Générale de l'Assistance
Publique.
Se réunissant chaque semaine, du 15 février au 10 juin 1861, ils consultent
de nombreux aliénistes « sur les améliorations à introduire, soit
pour le mode de recrutement des médecins, soit pour le bien-être des malades »
et sur le projet de construction à Paris « d'un grand hôpital de clinique
des maladies mentales et de plusieurs autres établissements dans la banlieue »,
et visitent les établissements.
Le 18 mars, ils s'entretiennent avec Lélut et Moreau de Tours; le 15 avril
à la Salpétrière, ils visitent les cinq quartiers et entendent Baillarger,
Mitivié, Trélat et Falret; le 22, ils sont à Bicêtre, entendent Marcé
et Delasiauve (qui fait l'intérim de Voisin), puis visitent la Ferme Sainte-Anne.
Le 24 avril, ils se déplacent à Auxerre, dont l'asile ne peut que mériter
les éloges des visiteurs membres de la commission, dont Girard et Haussmann.
La dernière visite sera pour la Colonie de Fitz-James, succursale de l'asile
privé de Clermont (Oise).
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Le 25 novembre
1861, soit dix mois seulement après le début de l'enquête, la réunion
de clôture se tient, et le rapporteur Ferdinand Barrot présente le projet.
Les questions traitées sont donc : l'organisation générale des asiles,
le type de ces asiles, leur capacité d'hébergement, les catégories d'aliénés
à y recevoir, le traitement à mettre en uvre et la nature des pouvoirs
auxquels ils seront soumis.
En résumé, la commission propose la création d'asiles spéciaux pour les
aliénés du Département, avec administration directe par l'autorité départementale
:
- Un asile central à Paris,
- Un bureau d'admission annexé à cet asile,
- Des asiles "satellites" situés hors Paris,
- Des établissements rattachés aux asiles, mais séparés, destinés à recevoir
des pensionnaires à des prix déterminés,
- Des asiles spéciaux pour les épileptiques et les idiots.
De plus, le rapport propose « que la direction des asiles réunisse
dans les mêmes mains s'il y a lieu l'autorité administrative et l'autorité
médicale »; prévoit « l'application des aliénés à des travaux
divers » et « que soit adopté le système des secours à domicile
pour les aliénés dans tous les cas où la résidence dans sa famille ne
présentera aucun danger pour la tranquillité publique. »
En ce qui concerne le type d'asile à créer, la réponse fut trouvée sans
problème : l'exemplarité de l'asile d'Auxerre - dont son système de pavillons
isolés permet une classification méthodique et rationnelle - a frappé
les commissionnaires, au point qu'il va être retenu comme modèle :
« La commission a rapporté de sa visite à l'asile d'Auxerre des impressions
tellement favorables que, dans une de ses délibérations, elle a cru pouvoir
proposer l'organisation de cet établissement comme le type dont il serait
le plus convenable de se rapprocher pour la création des asiles du département
de la Seine. »
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Des projets
exposés dans ce programme, celui de la décentralisation géographique est
un des plus originaux; on l'avait vu discuté à la fin du XVIIIe siècle
pour les hôpitaux généraux (1).
Il avait même eu un début d'application avec la translation de l'Hospice
des Incurables Femmes de la rue de Sèvres à Ivry, dans un établissement
de 2000 lits.
Il était convenu d'en finir avec l'accumulation des aliénés à l'intérieur
de Paris; seraient établis :
- Une dizaine d'asiles périphériques, extra-muros, à moins de vingt kilomètres
de Paris (2), (auxquels viendraient s'ajouter les asiles spéciaux pour
épileptiques et idiots;)
Chacun de ces asiles serait prévu pour recevoir au maximum 600 aliénés,
soit 300 femmes et 300 hommes, normes proposées par Girard (les mêmes
que celles recommandées par Parchappe dans son ouvrage de 1851; l'ancien
Inspecteur Général voyait son travail de synthèse largement utilisé, sans
être jamais cité).(3)
(1) Repris
au XIXe siècle, en particulier par l'architecte F. C. Gau (1790-1853),
qui propose en 1832 de remplacer l'Hôtel-Dieu par une petite infirmerie
parisienne et quatre hôpitaux en dehors de Paris.
On sait que l'Hôtel-Dieu sera reconstruit sur place par Gilbert et Diet
sous le Second Empire, « l'Empereur, malgré les objections bruyantes
de certains organes autorisés de la Science, voulut conserver l'Hôtel-Dieu
au centre de la Ville dans la vieille Cité, berceau de Paris, à côté,
à l'ombre de Notre-Dame, et l'opinion publique était visiblement avec
lui » écrit Haussmann dans ses "Mémoires".
(2) Eu égard aux problèmes de locomotion de l'époque: la vingtaine
de kilomètres représente la distance maximale pouvant être parcourue en
une étape par les chevaux, assurant donc des rapports faciles entre les
aliénés et leur famille, et le transport des aliénés eux-mêmes.
(3) « Ce chiffre permet une division convenable par catégories
une surveillance administrative complète, une comptabilité facile à contrôler
et un service médical suffisamment vigilant ! »(F. Barrot).
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Le nombre
d'aliénés internés en 1860 (20 mars) étant estimé à 4056, la capacité
des asiles est déterminée en fonction d'une augmentation prévisible de
2000; il était évidemment hors de question, ne serait-ce que pour des
motifs économiques (prix des terrains) de construire un seul établissement
pour 6000 aliénés.
- Un seul asile intra muros, central, sur l'emplacement de la Ferme Sainte-Anne.
Un autre emplacement, à Issy, avait d'abord été retenu, puis abandonné:
les terrains de la Ferme étaient vastes, et offraient un grand avantage
car dans une situation plus accessible aux élèves de la Faculté de médecine,
permettant donc d'y établir une Clinique pour l'étude des maladies mentales
(1).
La position originale de cet établissement est clairement exposée :
- Un lieu "de réception, d'examen et de classement des individus
réputés aliénés": le Bureau central d'examen;
- L'Asile, véritable centre expérimental, « où seraient admis tous
les types d'aliénation mentale, mais surtout les cas de folie aigus et
récents », à vocation thérapeutique et d'enseignement, présenté en
ces termes dans le rapport de la commission :
« En se préoccupant tout
à la fois du soulagement des malades et des progrès de la Science, la
Commission a émis l'avis qu'un asile central devrait être fondé à l'intérieur
de Paris (2); placé au milieu du courant intellectuel de la capitale,
desservi par les maîtres les plus éminents de la science, offrant à l'étude
toutes les variétés de l'aliénation mentale, cet asile serait le véritable
foyer de la science aliéniste. Là seraient accueillies avec prudence les
méthodes les plus actives; là se concentrerait le grand et pratique enseignement
de l'art de guérir ou de soulager les malades. »
(1) « à
proximité des Ecoles et des Académies, pour satisfaire aux besoins scientifiques »
comme le souhaitait Haussmann (séance du 25 mars).
(2) Il ne pourra donc l'être que dans un faubourg, entre l'ancien mur
d'octroi et les fortifications.
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On peut remarquer
ici le pendant de la décentralisation géographique: la centralisation
médicale, qui sera doublée de la centralisation administrative.
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III-
FINANCEMENTS ET DÉCRETS
Les conclusions
de la commission spéciale présentaient un projet limité par un problème
économique : le financement principal était constitué par une somme de
10 millions, rentrée de l'avance faite à la Caisse de la Boulangerie (1).
La commission, dès sa première séance, avait ainsi proposé que, "sur
les huit ou dix asiles à construire, on commencerait par l'hôpital des
cliniques et par deux autres", et Ferdinand Barrot écrivait dans
son rapport : "L'uvre sera successive (...), c'est l'asile
central qui serait d'abord fondé; il sera le point de départ de l'organisation
générale; les asiles extérieurs viendront à leur tour au fur et à mesure
des besoins, et en se conformant au meilleur emploi des ressources".
Le coût de la réalisation de la douzaine d'établissements évalué à 70
millions représentait une charge trop lourde pour le Département.
Les conclusions de la commission sont reprises dans une première délibération
le 20 décembre 1861 de la Commission Départementale, puis ratifiées sous
forme d'avant-projet un an plus tard - au vu du mémoire d'Haussmann du
8 décembre - le 20 décembre 1862 par le Conseil Général de la Seine, dans
les mêmes termes :
Trois asiles seraient créés :
- sur l'emplacement de la Ferme Sainte-Anne,
- sur le domaine de Vaucluse, près d'Epinay sur le chemin d'Orléans (110
hectares).
- sur le domaine de Ville-Evrard près de Neuilly sur Marne (288 hectares).
(1) Dans
ses "Mémoires", Haussmann précise que la question de la réorganisation
du service des aliénés put être abordée en 1860 à l'occasion de cette
rentrée.
Fondée par Haussmann en 1853 pour régulariser le prix du blé, fonction
de la qualité et de la quantité des récoltes, la Caisse de la Boulangerie
n'avait plus sa raison d'être après ouverture du pays au Libre-échange.
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Ces emplacements
choisis étaient « assez vastes pour qu'une fructueuse activité remplace
l'emploi des moyens de crcition, pour que l'aliéné retrouve dans
l'asile tous les éléments de la vie ordinaire, et pour que les avantages
de la colonie soient réunis à ceux d'une maison de traitement. » (E.
Renaudin)
Le 23 avril 1863, le corps législatif adoptait un projet de loi autorisant
le Département de la Seine à affecter la somme des 10 millions à la création
de ces trois asiles d'aliénés (somme « qui pourrait être élevée à
15 millions si besoin »; loi du 9 mai 1863).
D'autre part, le financement était assuré par l'attribution d'une portion,
à concurrence de cinq millions, du produit de l'imposition extraordinaire
de 10 centimes (loi du 7 juillet 1856), « qui ne serait pas nécessaire
au service de l'emprunt de 50 millions. »
Les décrets du 30 juillet pour Sainte-Anne, et du 3 octobre 1863 pour
Vaucluse et Ville-Evrard, déclaraient d'utilité publique la création des
trois premiers établissements, et autorisaient l'acquisition des terrains.
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DÉCRET IMPERIAL DU 30 JUILLET 1863
Napoléon,
vu la délibération prise par le Conseil Général
du Département de la Seine, session de 1862, et tendant à
la création d'Asiles publics d'aliénés; la loi du
9 mai qui a affecté à cette entreprise le montant d'une
créance de 10 millions sur la Caisse de la Boulangerie; le plan
indicatif des immeubles à acquérir;
avons décrété et décrétons ce qui suit:
Article premier:
Est déclarée d'utilité publique la création
à Paris d'un asile clinique pour le traitement des maladies mentales:
le dit-asile devant être établi sur les terrains et dépendances
de la ferme Sainte-Anne;
en conséquence le Préfet de la Seine est autorisé
a acquérir soit à l'amiable soit par voie d'expropriation
1° les propriétés de la ferme Sainte-Anne appartenant
à l'Administration Générale de l'Assistance Publique
2° les terrains enclavés dans ladite propriété
et teintés en jaune sur le plan ci-joint.
Article 2:
Il sera pourvu au paiement de ces acquisitions au moyen des ressources
déterminées par la loi du 9 mai dernier.
Article 3:
Notre ministre, etc...
Fait à Vichy le 30 juillet 1863,
Napoléon
Par l'Empereur: Le ministre Secrétaire d'Etat au Département
de l'Intérieur, Boudet.
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