Le
Code pénal de 1810
Article 64
Il n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était
en état de démence au temps de l'action ou lorsqu'il a été
contraint par une force à laquelle il n'a pas pu résister
Quelques commentaires :
- De même que non-lieu ne signifie pas que l'acte n'a pas
eu lieu, il n'y a ni crime ni délit ne signifie pas
que l'évènement n'a pas existé, qu'il n'y a pas eu
de victime : il n'y a ni crime ni délit punissable par la justice.
La formule n'est pas nouvelle. On la trouve notamment sous la plume de
Domat à propos de l'homicide casuel (Les Loix Civiles dans leur
ordre naturel, p.208 du T.II de l'édition de 1777) : «
L'homicide casuel est celui qui arrive sans volonté de tuer, sans
faute et sans négligence de la part de celui qui a donné
lieu à la mort d'un autre. Comme il n'y a en ce cas ni crime ni
délit, on ne peut prononcer aucune peine contre la personne qui
est accusée d'homicide ». Et Domat ajoute : « On met
au rang des homicides casuels, ceux qui sont commis par les furieux et
par les foux; quand il y a des preuves constantes que la fureur ou la
folie ont précédé l'action, et que ces infirmités
ont ôté absolument la liberté à ceux qui en
étoient attaqués. Il en est de même de l'homicide
commis par les enfans, quand on reconnoît par les circonstances,
qu'ils ne peuvent avoir formé le dessein de tuer ». La législation
d'Ancien Régime ne se différencie guère que par le
fait que ce n'est pas « au temps de l'action » que l'état
de folie ou de démence doit être attesté, mais avant
(voir plus loin).
- La force par laquelle le prévenu a pu être
contraint et à laquelle il n'a pu résister n'est pas une
force intérieure, pulsion, hallucination ou autre : il s'agit d'un
ordre, d'une menace émanant d'un tiers. Par exemple, un vol commis
sous menace de mort n'est pas punissable. Nous ne sommes plus là
dans le domaine de la psychiatrie.
- Démence est à prendre dans un sens large.
Elle recouvre toutes les pathologies mentales graves faisant perdre le
libre arbitre, autrement dénommé aliénation mentale,
folie...
Notons que les aliénistes de 1810 et en particulier Philippe Pinel
(pour qui la démence n'était qu'une des quatre formes de
l'aliénation mentale, avec la manie, la mélancolie et l'idiotisme),
ne semblent pas avoir participés à l'élaboration
du texte. Ce fut affaire de juristes plutôt que de médecins.
Démence ayant tant d'autres acceptions, les psychiatres
ont été amenés à parler d'état de
démence au sens de l'article 64 du Code pénal pour le
distinguer des autres, et en particuliers des maladies neuro-dégénératives.
- L'article 64 ne traite que de la question de l'état de démence
au temps de l'action, mais ni du problème des troubles
antérieurs à l'acte (un crime ou délit commis par
un malade mental peut donc être puni), ni de ceux qui surviennent
entre l'acte et le procès (empêchant le plein exercice des
droits de la défense), ni encore de ceux qui surviennent après
condamnation (le criminel jugé qui "devient fou").
- Une fois la décision de non-lieu prise, son bénéficiaire
est confié à l'autorité administrative : la Justice
a perdu, de la Révolution à 2008 (voir plus loin l'article 706-135 du Code de procédure pénale) le pouvoir d'ordonner l'admission
d'une personne en milieu psychiatrique (en dehors du champ d'application de l'article
D398 du Code de Procédure Pénale).
Si, comme souvent, le malade pénalement irresponsable est considéré
comme dangereux, le préfet (à partir de 1800, et précédemment
le Directoire exécutif) du département prend une mesure
d'internement (le placement d'office de la loi du 30 juin
1838, l'hospitalisation d'office de la loi du 27 juin 1990, et depuis la loi de juillet 2011, les Soins psychiatriques sur Décision du Représentant de l'Etat ou SDRE après application de l'article L122-1 du Code Pénal ou Soins sur Décision de Justice après déclaration d'irresponsabilitépénale).
Cependant, une personne acquittée pour cause de démence
par le jury d'une cour d'assise peut -bien qu'ayant été
jugée auteur d'un crime- être remise en liberté.
C'est
le cas d'un jeune étudiant en médecine qui, sous la
Restauration, avait contraint l'un de ses professeurs de la Faculté
de médecine «de souscrire, en le menaçant de
lui donner la mort au moyen de deux pistolets dits espingolles,
dont il était armé, une obligation, à son profit,
de la somme de six mille francs».
Le ministère public ne s'étant point porté
appelant de la décision du jury dans cette accusation,
et la législation ne donnant pas aux juges le pouvoir de
le faire enfermer, l'étudiant put ressortir libre du tribunal.
Le préfet avait alors la ressource d'ordonner sa «mise
en dépôt dans une maison de force» ou dans un
asile, en vertu du titre XI de la loi du 24 août 1790, dont
l'article 3 précise :
Les objets de police confiés à l'autorité
des corps municipaux sont: (...) 6e- Le soin d'obvier ou de remédier
aux évènemens fâcheux qui pourroient être
occasionnés par les insensés et les furieux laissés
en liberté, et par la divagation des animaux malfaisants
ou féroces.
L'enquête, diligentée par le préfet, n'apporta
sans doute pas d'éléments probants en faveur de la
nécessité de l'interner : deux ans plus tard, l'auteur
de cette affaire soutint sa thèse de doctorat, dans une autre
Faculté...
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Au sujet du débat issu de l'application de cet article 64, on lira
ci-dessous une autre pièce, dont certains termes ont gardé
leur actualité.
«S'occupant
depuis quelques temps d'un travail sur la criminalité dans
ses rapports avec la pénalité, (M. Dally) a cru reconnaître
que la recrudescence de la criminalité était due à
la trop grande indulgence des jurés.
Cette indulgence semble tenir à deux causes :
1° au trouble jeté dans les idées de pénalité
par les utopies des socialistes et de tous les écrivains
imbus d'une fausse philosophie de l'histoire;
2° à l'intérêt qui s'attache aux criminels,
au point que l'opinion publique trouve leurs faits et gestes plus
intéressants que le malheur de leurs victimes.
Il y a en outre une grande tendance à rendre tous les actes
criminels irresponsables. N'y aurait-il pas lieu à ce propos
de rechercher quelle est la part de ce qu'il y a de scientifique
dans cette délicate question de l'irresponsabilité?
C'est là une de ces questions qu'il est du devoir des médecins
aliénistes de contribuer à éclaircir.»
Société médico-psychologique, séance
du 26 mars 1877
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Quant à la situation des mineurs de moins de 16 ans, elle fait
l'objet de l'article 66 du Code Pénal de 1810 :
Lorsque
l'accusé aura moins de seize ans, s'il est décidé
qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté; mais
il sera, selon les circonstances, remis à ses parents,
ou conduit dans une maison de correction, pour y être
élevé et détenu pendant tel nombre d'années
que le jugement déterminera, et qui toutefois ne pourra
excéder l'époque où il aura accompli
sa vingtième année. |
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