Joseph Tissot,
dit frère Hilarion
Comtat Venaissin 14 juillet 1780 - Paris 28 avril 1864
C'est peu après avoir entrepris des études de médecine
à Paris que Joseph(-Xavier) Tissot découvre le monde de la médecine
mentale, à l'occasion de son hospitalisation à la Maison de Charenton, a-t-on longtemps affirmé. On admet aujourd'hui que c'est non pas Joseph, mais son frère qui fut interné.
Il y séjournera plus de quatre ans, de 1810 à 1814: de Coulmier
en est alors encore le directeur, Royer-Collard
le médecin en chef et Sade y vit ses dernières années.
Plus tard, Tissot se retire à la Trappe d'Aiguebelle où
il découvre la vie de saint Jean-de-Dieu et prend le nom de frère
Hilarion.
Il mène ensuite une vie d'ermite à Rochegude dans la Drôme.
Au printemps 1819, sa rencontre avec Paul de Magallon, décide définitivement
de sa vocation: servir les aliénés, et pour cela restaurer l'Ordre
de la Charité, qui a disparu sous la Révolution.
Frère Hilarion s'engage ainsi comme simple infirmier à
l'hôpital Saint-Lazare de Marseille, avant d'être exclu de l'Ordre.
Puis, il entreprend un long périple au cours duquel, entre 1821 et 1827,
grâce à son extraordinaire pouvoir de persuasion, il fonde neuf
hospices ou asiles d'aliénés en Lozère, dans l'Ain, le
Rhône, le Nord, en Bretagne et en Auvergne, en Corrèze.
En mai 1827, il ouvre deux maisons à Paris pour les idiots et les aliénés,
l'une rue Saint-Hippolyte, l'autre rue de la Glacière, qui seront très
héphémères.
Trois ans plus tard (1830), il fonde encore l'asile de Clermont-Ferrand (Puy
de Dôme), qui ne pourra subsister faute de ressources, comme l'année
suivante l'asile de La Cellette (Corrèze). Leyme (Lot) semble être
en 1835 sa dernière réalisation. Ces établissements abritent
encore pour la plupart de nos jours des services de soins psychiatriques.
Ce personnage hors du commun intervient lors des discussions préparatoires
à la loi du 30 juin 1838, qu'il estime néfaste, notamment en ce
qu'elle place les asiles d'aliénés privés sous le contrôle
de commissions de surveillance laïques. Infatigable polémiste, il
s'affirme aussi comme l'un des opposants les plus résolus des magnétiseurs,
émules de Mesmer.
Frère Hilarion est l'auteur de très nombreuses publications, dont
certaines s'avèrent assez peu cohérentes.
Voici comment G. Lenôtre rapporte dans son Napoléon, Croquis
de l'Épopée (1932) la visite d'Armand Marquiset, secrétaire
général de la préfecture du département de la Lozère,
à ce curieux religieux, qui semblait apprécier un certain apparat:
Ce Marquiset «entendit parler d'un religieux, le père Hilarion,
dont les paysans des environs de Mende prononçaient le nom avec une vénération
empreinte d'une terreur superstitieuse. Marquiset se renseigna auprès
du capitaine de gendarmerie: «Qu'est-ce que ce père Hilarion? Que
savez-vous de lui?» Le gendarme, très ému, se pencha vers
le secrétaire général et lui dit tout bas à l'oreille:
«C'est l'Empereur!» La plupart des villageois de la Lozère
et bon nombre des citadins de Mende croyaient fermement que, échappé
de Sainte-Hélène, il s'était mué en père
Hilarion.
«Marquiset décida son préfet à l'accompagner à
l'asile. Quand le cortège s'approcha du manoir où le moine vivait
dans la société des fous, on le vit apparaître en robe de
bure, à cheval, escorté d'une douzaine de religieux également
montés et qui tous paraissent être d'habiles cavaliers. En l'apercevant
à la tête de cet état-major de soutanes, ses visiteurs s'arrêtèrent
stupéfaits: c'était l'Empereur. L'Empereur à trente-deux
ou trente-cinq ans, l'âge du couronnement, même profil de médaille,
même front olympien...
«Le plus fou des hôtes du manoir paraissait être le généreux
capucin qui présidait le collège d'hallucinés: sa conversation
était du ton de la mailleure société; ses manières
excellentes, ses gestes vifs et gracieux, son tact, son esprit, l'élégance
simple de sa parole décelaient un homme du monde; mais soit qu'il voulut
mystifier ses hôtes de passage, soit plutôt pour esquiver les questions
indiscrètes sur son passé, ses ressources, sa famille et son véritable
nom, il extravaguait par moments et jouait le démonomane... il prétendait
que grâce à des relations avec Lucifer, il avait visité
l'enfer; il décrivit ce séjour de désolation avec une effarante
minutie de détails et semblait si convaincu que nul n'en mettait en doute
l'authenticité...» (cité par G. Bollotte, "Les
châteaux de frère Hilarion", L'Information Psychiatrique,
8, 1966; 723-733)
Voir aussi la thèse de médecine de Claire Favrot Meunier, La vie et l'uvre
de Joseph-Xavier Tissot, dit Frère Hilarion (1780-1864), fondateur d'hospices
d'aliénés dans la première partie du XIXe siècle.
Contribution à l'histoire du mouvement aliéniste (Paris V
Cochin Port-Royal, 1997, et l'ouvrage d'Olivier Bonnet, Faire la biographie d'un charlatan ? Frère Hilarion, fondateur d'asiles d'aliénés au XIXème sicècle. éd. Comité historique du Centre-Est, 2002.
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