L'ELLÉBORE
A
l'ellébore a été depuis l'Antiquité attribuée
la vertu de guérir la folie : le nom de cette plante viendrait
du sémitique helibar (ou helebar, ou hellebar),
qui signifie "remède contre la folie".
On propose également pour hellébore deux autres étymologies :
- l'une, assez improbable : hellos, jeune cerf, et bora, nourriture, pâture
- l'autre, généralement admise, helein, "faire
mourir" et bora, nourriture, c'est-à-dire "la
nourriture qui fait périr", en référence à
l'extrême toxicité de la plante, qui a été
à l'origine de graves accidents.
La légende veut que les filles de Prtus, roi d'Argos, qui
se croyaient changées en vaches, aient guéri en buvant le lait de chèvres nourries d'ellébore noir.
Et l'ellébore a acquis le statut de spécifique de
la folie, dont La Fontaine et Molière ont contribué à perpétuer le mythe.
Voici ce qu'en dit un médecin parisien au milieu du XIXème siècle :
« Les anciens employèrent deux
espèces d'ellébore, le noir et le blanc; tous deux étaient
administrés dans les affections nerveuses contre les hallucinations,
les vésanies, mais chacun avec une attribution spéciale,
en raison de ses propriétés.
« Le noir, comme il résulte de ce passage de Celse, où
il s'appuie de l'autorité d'Asclépiade et d'Héraclide,
était administré dans toutes les affections tristes, où
l'on voulait agir sur les intestins, et à l'aide d'une révulsion
puissante, déterminer un mouvement violent dans l'économie,
capable d'en changer l'équilibre: "In Tristitia veratrum dejectiones".
« Dans les manies gaies, les délires sans fièvre, les
démences accidentelles, "insania..., in hilaritate",
affections que les anciens considéraient comme moins tenaces et
moins dangereuses: "Neque ignorate oportet, leviorem esse morgum,
cum risu quam serio insanientium", ils se bormaient au syrmaïsme,
et n'administraient que l'ellébore blanc: "in hilaritate,
album ad vomitum excitandum" (lib.3, cap.2).
« C'est ce fréquent usage de l'ellébore dans les affections
mentales et dans celles des centres nerveux, qui donna lieu au proverbe
Navigare ad Anticyras. Soit que l'ellébore fourni par cette contrée
fût beaucoup préférable à celle de la Thessalie
et de la Sicile, soit plutôt que les modes de traitement dont l'ellébore
faisait partie importante fussent mieux dirigés dans cette ville
que partout ailleurs, les malades de toutes les régions du monde
ancien y affluaient sans cesse.
« Le mode de préparation et l'administration semble en effet
être beaucoup dans le succès de la médication (...)
L'ellébore s'administrait en infusion vineuse ou acqueuse, en décoction
ou en extrait (Antyllus, Hérodote, Actuarius); quelquefois même,
si les malades avaient trop de répugnance pour son odeur vireuse
et sa saveur fragrante, on l'enrobait dans des substances alimentaires:
"Idque si in potione non accipit, pani adjiciendum est" (Celse, lib.3).
« (...) L'on devait diminuer les tempéraments pléthoriques
par des émissions sanguines, le régime et l'exercice, avant
d'arriver à l'administration de l'ellébore. Quant à
toutes les constitutions cachectiques, il fallait les dissuader de l'elléborisme;
elles n'eussent pas eu la somme de forces nécessaire pour suffire
à la réaction puissante où devait arriver l'économie,
afin de se débarrasser et de la substance ingérée,
et des éléments morbifiques que l'on supposait occasionner
la maladie: "Medicamentum ne dederis decoloribus..." (Hippocrate).
« (Chez les anciens, l'on n'excitait) le vomissement qu'après
avoir garni l'estomac (...) et si le vomissement tardait à se manifester,
mais sans accidents notables, afin de la hâter, l'on se bornait
à faire exercer le malade circulairement; on lui titillait la luette
avec une plume ou on lui introduisait dans la gorge un gant de peau enduit d'huile.
« Mais les circonstances de l'elléborisme étaient rarement
aussi bénignes. Souvent alors une chaleur âcre s'emparait
de la gorge et de l'estomac; une salivation abondante d'abord, suivie
de près de vomissements glaireux, s'écoulait ensuite; les
aliments et l'ellébore étaient rejetés ensuite, puis
de la pituite et de la bile, et enfin de la bile pure.
« Dans les premiers instants, la face était vultueuse, les
temporales gonflées; le pouls, abaissé et déprimé,
devenait lent et irrégulier. Mais, une fois le vomissement opéré,
la circulation se rétablissait dans son état normal, la
face pâlissait, et tout rentrait progressivement dans l'ordre.
« Ces symptomes, tout importants qu'ils étaient, constituaient
les phénomènes les plus ordinaires; ils n'appelaient qu'une
simple surveillance. Souvent aussi il y avait perte de connaissance, état cérébral manifeste, alarmant, spasme du larynx, menace d'asphyxie, trismus; l'habitude du corps prenait une teinte livide, comme chez les apoplectiques. C'est alors qu'après avoir écarté les dents avec des coins, sollicité la luette, introduit des drastiques dans l'intestin inféreiur, soit à l'état de lavement, soit à l'état solide, on en revenait aux frictions irritantes avec l'huile de cyprès, au massage des membres inférieurs et de l'abdomen, à l'action des cadres suspendus, et même au moyen terrible du bernage, après lequel, s'il était sans résultat, il n'y avait plus rien à espérer. » |