Purgatifs et émétiques

La purgation (ou purge) fit partie des méthodes thérapeutiques dites évacuantes.
Elle fut si répandue qu'elle disputait à la saignée, autre méthode évacuante, le statut de panacée.
Tandis qu'une médecine avait longtemps été synonyme de remède ou médicament, l'expression "prendre sa médecine" désigne à l'âge classique l'absorption d'un purgatif.

La purge fut l'un des plus anciens traitements de la folie. Dans cette indication, elle est en France totalement abandonnée dans la première moitié du XIXème siècle.


coll. particulière coll. particulière

Purgation, purge et purgatif viennent du latin purgo, are, nettoyer, et émétique, vient du grec emes, je vomis.

Classiquement, et en référence aux théories humorales, Purgatif désigne une substance propre à éliminer les humeurs viciées, à en nettoyer l'organisme, à le purifier.

Il est alors des purgatifs de différentes sortes:
- les cathartiques, dont certains nettoient le cerveau de la pituite, tandis que d'autres évacuent la bile, et d'autres encore l'humeur mélancolique (les mélanogogues, qui éliminent l'humeur noire), etc. : ce sont les purgatifs à proprement parler
- les émétiques (vomitifs)
- les sudorifiques, qui favorisent la transpiration
- les diurétiques ou "apéritifs".

Les plus actifs et les plus énergiques des purgatifs sont nommés drastiques, les moins violents cathartiques.

Ce n'est qu'au XVIIIème siècle que le terme purgatif prend le sens actuel, et ne désigne plus que les produits provoquant l'évacuation de l'intestin. Et ceux qui provoquent le vomissement sont alors appelés émétiques.

Mais à cette époque, les malades, et notamment les fous et les folles traitées à l'Hôtel-Dieu de Paris, sont encore purgés par le haut et par le bas (ce que font à eux-seuls les éméto-cathartiques).


Purgatifs végétaux

Les purgatifs classiques sont issus du monde végétal. Parmi les plus employés, on peut citer:
- les sénés et notamment le séné des prés, qui est la gratiole officinale,
- la scammonée,
- le turbith blanc,
- la rhubarbe officinale,
- le tamarin officinal,
- le ricin, dont les graines contiennent une huile éméto-cathartique,
- l'aloès,
- le jalap, dont on utilise la résine qui contient de la convolvuline et de la jalapine
- l'ellébore (ou hellébore), plante de la famille des renonculacées (voir ci-après)


Purgatifs minéraux

Les purgatifs d'origine minérale sont préférés aux végétaux par les médecins du XIXème siècle : sulfate et tartrate de soude, sulfate et tartrate de potasse notamment, qui ont des vertus purgatives et émétiques.
Ainsi, lorsqu'il jugeait utile de prescrire un émétique, Philippe Pinel ordonnait un grain de tartrate de potasse antimonié.


L'ELLÉBORE

A l'ellébore a été depuis l'Antiquité attribuée la vertu de guérir la folie : le nom de cette plante viendrait du sémitique helibar (ou helebar, ou hellebar), qui signifie "remède contre la folie".

On propose également pour hellébore deux autres étymologies :
- l'une, assez improbable : hellos, jeune cerf, et bora, nourriture, pâture
- l'autre, généralement admise, helein, "faire mourir" et bora, nourriture, c'est-à-dire "la nourriture qui fait périr", en référence à l'extrême toxicité de la plante, qui a été à l'origine de graves accidents.

La légende veut que les filles de Prœtus, roi d'Argos, qui se croyaient changées en vaches, aient guéri en buvant le lait de chèvres nourries d'ellébore noir.
Et l'ellébore a acquis le statut de spécifique de la folie, dont La Fontaine et Molière ont contribué à perpétuer le mythe.

Voici ce qu'en dit un médecin parisien au milieu du XIXème siècle :

« Les anciens employèrent deux espèces d'ellébore, le noir et le blanc; tous deux étaient administrés dans les affections nerveuses contre les hallucinations, les vésanies, mais chacun avec une attribution spéciale, en raison de ses propriétés.

« Le noir, comme il résulte de ce passage de Celse, où il s'appuie de l'autorité d'Asclépiade et d'Héraclide, était administré dans toutes les affections tristes, où l'on voulait agir sur les intestins, et à l'aide d'une révulsion puissante, déterminer un mouvement violent dans l'économie, capable d'en changer l'équilibre: "In Tristitia veratrum dejectiones".

« Dans les manies gaies, les délires sans fièvre, les démences accidentelles, "insania..., in hilaritate", affections que les anciens considéraient comme moins tenaces et moins dangereuses: "Neque ignorate oportet, leviorem esse morgum, cum risu quam serio insanientium", ils se bormaient au syrmaïsme, et n'administraient que l'ellébore blanc: "in hilaritate, album ad vomitum excitandum" (lib.3, cap.2).

« C'est ce fréquent usage de l'ellébore dans les affections mentales et dans celles des centres nerveux, qui donna lieu au proverbe Navigare ad Anticyras. Soit que l'ellébore fourni par cette contrée fût beaucoup préférable à celle de la Thessalie et de la Sicile, soit plutôt que les modes de traitement dont l'ellébore faisait partie importante fussent mieux dirigés dans cette ville que partout ailleurs, les malades de toutes les régions du monde ancien y affluaient sans cesse.

« Le mode de préparation et l'administration semble en effet être beaucoup dans le succès de la médication (...)
L'ellébore s'administrait en infusion vineuse ou acqueuse, en décoction ou en extrait (Antyllus, Hérodote, Actuarius); quelquefois même, si les malades avaient trop de répugnance pour son odeur vireuse et sa saveur fragrante, on l'enrobait dans des substances alimentaires: "Idque si in potione non accipit, pani adjiciendum est" (Celse, lib.3).

« (...) L'on devait diminuer les tempéraments pléthoriques par des émissions sanguines, le régime et l'exercice, avant d'arriver à l'administration de l'ellébore. Quant à toutes les constitutions cachectiques, il fallait les dissuader de l'elléborisme; elles n'eussent pas eu la somme de forces nécessaire pour suffire à la réaction puissante où devait arriver l'économie, afin de se débarrasser et de la substance ingérée, et des éléments morbifiques que l'on supposait occasionner la maladie: "Medicamentum ne dederis decoloribus..." (Hippocrate).

« (Chez les anciens, l'on n'excitait) le vomissement qu'après avoir garni l'estomac (...) et si le vomissement tardait à se manifester, mais sans accidents notables, afin de la hâter, l'on se bornait à faire exercer le malade circulairement; on lui titillait la luette avec une plume ou on lui introduisait dans la gorge un gant de peau enduit d'huile.

« Mais les circonstances de l'elléborisme étaient rarement aussi bénignes. Souvent alors une chaleur âcre s'emparait de la gorge et de l'estomac; une salivation abondante d'abord, suivie de près de vomissements glaireux, s'écoulait ensuite; les aliments et l'ellébore étaient rejetés ensuite, puis de la pituite et de la bile, et enfin de la bile pure.

« Dans les premiers instants, la face était vultueuse, les temporales gonflées; le pouls, abaissé et déprimé, devenait lent et irrégulier. Mais, une fois le vomissement opéré, la circulation se rétablissait dans son état normal, la face pâlissait, et tout rentrait progressivement dans l'ordre.

« Ces symptomes, tout importants qu'ils étaient, constituaient les phénomènes les plus ordinaires; ils n'appelaient qu'une simple surveillance. Souvent aussi il y avait perte de connaissance, état cérébral manifeste, alarmant, spasme du larynx, menace d'asphyxie, trismus; l'habitude du corps prenait une teinte livide, comme chez les apoplectiques. C'est alors qu'après avoir écarté les dents avec des coins, sollicité la luette, introduit des drastiques dans l'intestin inféreiur, soit à l'état de lavement, soit à l'état solide, on en revenait aux frictions irritantes avec l'huile de cyprès, au massage des membres inférieurs et de l'abdomen, à l'action des cadres suspendus, et même au moyen terrible du bernage, après lequel, s'il était sans résultat, il n'y avait plus rien à espérer. »