Transexualisme : Histoire d'un mythe, éléments d'une
mystification
Annales de Psychiatrie, 1989, 4, n°4; 345-346
Résumé
:
Clinique et linguistique concourrent à préférer
au terme ambigu de Dysphorie de genre celui de transsexuel,
ou mieux, de transexuel, traduction du passage d'un sexe
à l'autre où le vu de transformation se fond
dans l'inadéquation entre sexe biologique et identité
sexuée.
Le mythe de Cænus, femme métamorphosée à
sa demande par Poséidon en un homme invulnérable,
idéal masculin puissant et viril, d'un orgueil bientôt
démesuré, rend compte du modèle exemplaire
du transexuel, dont le désir chimérique est d'être
non un homme -ou une femme- mais L'Homme, mâle et fort, ou
La Femme, belle et pure. Humainement, changer de sexe est impossible
comme devenir un pur esprit, et l'opération mutilatrice ne
conduira qu'à une impasse.
|
Summary
:
Both clinicians and linguists, rather than the ambiguous term gender
dysphoria, prefer transsexualism, or even better transexualism,
to designate the passage from one sex to the other where the desire
for transformation is grounded in a discrepancy between the biologic
sex end gender identification.
The myth of Caenus, a woman whom Poseidon metamorphosed at her request
into an invulnerable man representing the potent and virile masculine
ideal, whose pride soon became inordinate, illustrates the model
of the transexual whise chimeric desire is to be neither a man,
nor a woman, but the man, masculine and strong, or the woman, beautiful
and pure. For human beings, is it as impossible to change sexes
as to become a pure spirit and the mutalating operation will only
lead into a dead end.
|
Le terme
dysphorie de genre tend aujourd'hui, en France, à remplacer
celui de transsexualisme, inventé en 1953 par Benjamin et
introduit en France en 1956 par Delay, Deniker, Volmat et Alby.
Si le mot dysphorie, dont la définition évoque les notions
d'insatisfaction et d'inconfort paraît approprié, celui de
genre est moins heureux : en français commun, on parle de bon
et de mauvais genre, de drôle de genre, de ceux qui
font du genre, qui se donnent un genre, ce qui est assez
péjoratif.
On sait que pour sexe, la langue anglaise dispose de deux termes, gender
et sex, et qu'il faut bien distinguer l'identité sexuelle
psychologique, c'est-à-dire sexuée, et le sexe biologique,
les organes et relations sexuelles. Mais que ce soit pour l'identité
et pour le comportement, le français n'a pas d'autre mot que sexuel.
Transsexualisme, par contre, traduit plus justement le concept
par le préfixe trans, qui veut dire au-delà,
au travers, et marque à la fois le passage d'un état
à un autre, d'une situation à une autre et la situation
au-delà d'un terme, ou encore, comme la transformation et la transgression,
l'action de passer au-delà de certaines limites et son résultat.
Ainsi, le transfuge passe de l'autre côté, abandonne sa situation
pour adopter une situation opposée.
En France, dans une première période, le préfixe
trans est relié à sexuel par un trait d'union.
Il y est ensuite accolé dans les années 60, c'est la forme
la plus usuelle.
Il existe encore une autre forme, le transexualisme avec un seul
S, usitée en Norvège et surtout en Italie, et rappelant
l'ancien transexisme de Van Emde Boas. Ce dernier néologisme est
construit comme le mot transept, de trans et de septum.
Transsexualisme avec deux S résulté d'une
juxtaposition des deux éléments constitutifs, d'une agglutination
simple.
Transexualisme avec un seul S réalise une soudure
plus intime, par agglutination-fusion des deux composants.
C'est cette forme qui semble le mieux rendre compte du fait clinique trassexuel,
où l'affirmation du trouble, l'inadéquation entre identité
sexuée et sexe biologique est inséparable du désir
de transformation.
Le mythe le plus souvent évoqué à propos de transsexualisme
est celui de Tirésias, qui changea sept fois de sexe.
Mais Tirésias ne fait que subir les métamorphoses,
qui se succèdent au gré des humeurs de Zeus et Héra,
par sanction divine.
Et le récit traite avant tout de la question de la jouissance sexuelle
et de la bisexualité.
Par ailleurs, certains auteurs rapportent, non pas qu'il changea de sexe
et connut donc plusieurs genres, mais qu'il vécut plusieurs générations.
Un autre héros mythique, Cænus, nous paraît constituer
une meilleure figure du transexuel.
Cænus, thessalien, fils d'Elatos, roi des Lapithes, fut d'abord
une femme, sous le nom de Cænis.
Aimée de Poséidon, elle lui demande de la faire changer
de sexe et den faire un homme invulnérable, ce que le Dieu des
Mers lui accorde.
Devenu homme, Cænus participe à la chasse au sanglier de
Calydon et à l'expédition des Argonautes.
Mais son orgueil déplut aux Dieux : il avait dressé sa lance
sur la place publique et exigé qu'on rendit un culte à son
arme, comme à une divinité.
Dans le combat qui troubla les noces de Pirithoos, les Centaures, ne pouvant
le tuer, l'ensevelirent sous une masse de troncs d'arbres. Changé
alors en oiseau, il reprit aux Enfers sa forme féminine.
Ce en quoi Cænus est pour nous le modèle exemplaire du transexuel
tient en premier lieu à sa demande de changement de sexe et de
transformation en un homme invulnérable.
Cette demande exprime le désir ou vu transexuel auquel toutes
les définitions font référence et à quoi certains
auteurs limitent même la leur.
C'est le seul point vraiment sûr, bien plus sûr que celui
de la croyance d'être de l'autre sexe, car cette croyance ne peut
s'apprécier qu'en regard de la conscience du transexuel de ne pas
être justement de l'autre sexe, et c'est bien ce qui lui est insupportable.
Il y a plus : Cænis demande à Poseidon sa transformation
non seulement en un homme, mais en un homme invulnérable.
Homme idéal de toujours qui aura, par les armes, l'érection,
la force et les épreuves, à symboliser la virilité,
la masculinité.
Le transexuel contemporain demande sa transformation au chirurgien, pour
être non simplement une femme, mais une femme pure et belle, et
pour tout dire La femme.
En vérité, changer de sexe n'est pas possible, l'opération
mutilatrice pourrait bien d'abord faire que le transsexuel n'a plus de
sexe et tendre à exaucer ainsi son vu d'être pur, pur
esprit, angélique.
Ces réflexions sont-elles d'acutalité, à l'heure
où la première chaire mondiale de transsexologie est dévolue
à un endocrinologue qui a déjà opéré
depuis 1975 plus de 600 transexuels.
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
Caire
M., «Le transsexualisme: Vrai ou faux ?» La Pratique
médicale, 1986, 27; 23-26
Chiland C., «Enfance et transsexualisme.» Psychiatrie
de l'enfant, XXXI, 2, 1988; 313-373
Delay J., Deniker P. Volmat R. et Alby J.M., «Une demande
de changement de sexe : le transsualisme.» Encéphale,
1956, XLV, 1; 41-80
Deniker P. et Olié J.-P., «Le transsexualisme en 1986.»
Entretiens de Bichat, oct. 1986, 210-213
Grimal P., Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine.
Paris, P.U.F., 7e éd., 1982
Kress-Rosen N., «Introduction à la question du transsexualisme.»
Le Discours Psychanalytique, 1982, 3; 13-16
Scherrer P., «A propos du transexualisme et de sa thérapeutique
éventuelle.» Annales médico-psychologiques,
1980, 4; 453-461
|
Travail présenté
aux VIèmes journées Sainte-Anne, Hôpital Sainte-Anne
(Paris), le 31 janvier 1989
|