Ainay-le-Château (Allier)


L'établissement connu dans la France entière sous le nom d'« Ainay-le-Château » fut une Colonie familiale du département de la Seine, puis un Centre Hospitalier Spécialisé qui a conservé une importante activité d'accueil familial thérapeutqiue.


La Colonie familiale d'Ainay-le-Château, ouverte en 1898 et réservée aux hommes - tandis que la Colonie de Dun-sur-Auron (Cher) recevait essentiellement des malades du sexe féminin - avait vocation à accueillir les malades mentaux - alors dénommés aliénés - chroniques stabilisés, hospitalisés dans l'un des asiles de la Seine, à son ouverture Sainte-Anne, Ville-Evrard, Vaucluse et Villejuif.


Le texte qui suit est un extrait du rapport administratif et du rapport médical datés du 31 décembre 1946 (l'exemplaire dactylographié que nous possédons comporte un post scriptum rédigé environ un an après) par le médecin chef et directeur d'alors, le docteur Maurice Leconte 1906-1987.


Colonie Familiale d'Ainay-le-Château (Allier)

Remarques sur l'évolution de l'assistance psychiatrique au cours des hostilités et de la dernière décade.
Considérations générales sur l'organisation de la psychiatrie d'après notre expérience.

Par le docteur Maurice Leconte ex-chef de clinique de la Faculté de médecine de Paris. Médecin-Directeur de la Colonie Familiale d'Ainay-le-Château


Monsieur le Préfet,


J'ai l'honneur de vous adresser le rapport annuel de mon établissement, établi selon le plan officiellement requis, et avec les considérations générales sollicitées par Monsieur le Ministre de la Santé Publique.

1ère partie - Rapport administratif

I.- Introduction

1°) Au début de la guerre, M. le Dr SIVADON était médecin-directeur de la Colonie Familiale d'Ainay-le-Château. Mobilisé dès les premiers jours de septembre 1939, en qualité de médecin-lieutenant, il fut remplacé dans ces deux fonctions par M. le docteur QUERON, médecin-assistant de l'établissement.

Paul Sivadon 1907-1992 remplace Jacques Vié à la direction administrative et médicale de la Colonie en 1936. Il s'agit de son premier poste dans le cadre des asiles d'aliénés, rebaptisés l'année suivante hôpitaux psychiatriques. En 1943, après avoir été reçu au concours du médicat des hôpitaux de la Seine, il quitte Ainay pour prendre un poste de médecin chef à Ville-Evrard. Il jouera un rôle majeur dans la réforme de la psychiatrie publique de l'après-guerre et des années 1950.

Pierre Quéron 1906-1988 avait été nommé médecin-assistant de la Colonie du temps où Jacques Vié en était le directeur-médecin chef [tous deux publient en 1933 dans Æsculape : « Productions artistiques des pensionnaires de la Colonie d'Ainay » puis en 1935 « A propos du diagnostic des états paranoïdes. Dessins et écrits gastronomiques, érotiques et fantaisistes d'un persécuté mégalomane incohérent » et dans L’Aliéniste Français : « Travaux et occupations des pensionnaires de la Colonie familiale d’Ainay-le-Château »] puis sous Sivadon [Ils présentent conjointement une importante communication à la séance du 23 juin 1941 de la Société médico-psychologique, « Sur la sensibilité particulière des malades mentaux à l'avitaminose B1. A propos de l'épidémie de Béri-Béri de la Colonie familiale d'Ainay-le-Château ». Annales médico-psychologiques 1941, II; 217-221].
Médecin chef intérimaire à Ainay-le-Château du 2 septembre 1939 au 30 juillet 1940, Quéron est nommé ensuite médecin chef à Limoux (Aude). En 1945, il est « révoqué sans pension pour avoir appartenu à des associations antinationales et favorisé ainsi l'action de l'ennemi ».

Celui-ci mobilisé à son tour, en avril 1940, céda le poste de directeur à M. KOHLER, ancien chef des Services Economiques de Ville-Evrard, le service médical étant assuré par M. le Dr VIVES, de nationalité espagnole, membre actif du mouvement séparatiste catalan, que la dictature de Franco avait forcé à s'expatrier et qui était médecin-assistant de la Colonie depuis janvier 1939. Au début de juin 1940, l'avance des Allemands, amis de Franco, l'obligea à quitter la Colonie et à gagner le midi de la France.

Salvador Vives i Casajuana 1886-1965, psychiatre catalan, médecin-directeur de l'asile public d'aliénés de Salt (Gerona) puis directeur technique des services psychiatriques de Catalogne de 1936 à 1939.

La Colonie se trouva ainsi privée de médecin, jusqu'à fin juin 1940.

Mais, M. le Dr BEAUSSART, médecin-chef de l'Hôpital psychiatrique de Villejuif, médecin-commandant replié d'Orléans, vint rejoindre au siège de la Colonie, Mme BEAUSSART qui s'y trouvait depuis le 17 juin, et qui, dans l'intervalle, avait assuré la surveillance de l'infirmerie.

Pierre Beaussart 1884-1967, externe des hôpitaux en 1904, thèsé à Paris en 1909, ancien interne des asiles de la Seine, successivement médecin adjoint, médecin chef et médecin directeur de La Charité-sur-Loire puis en 1930 de Fleury-les-Aubrais. Reçu en 1937 au médicat des hôpitaux psychiatriques de la Seine, médecin chef de la 2e section de la Division des femmes de l'hôpital de Villejuif jusqu'à sa retraite en 1954. En 1940, il dirige le Centre de psychiatrie de la Ve Région.

M. BEAUSSART assura, à son tour, le service médical, jusqu'au retour du Dr QUERON, et le 10 août 1940, le Dr SIVADON reprenait ses fonctions de médecin-directeur jusqu'au 1er décembre 1943, date à laquelle nous prenions les nôtres.

Enfin, au début de décembre 1943, M. Paul DREYFUS, faisant fonction de médecin-assistant, israëlite, fut arrêté au cours d'une rafle effectuée par la Gestapo à la Faculté de Strasbourg, repliée à Clermont-Ferrand, où il s'était rendu.

Paul Abraham Auguste Dreyfus, né le 26 avril 1917 à Dieulefit [Drôme], marié, deux enfants prénommés Catherine et Jean-François. Arrêté le 25 novembre 1943 dans la rafle menée par la Gestapo à la Faculté des Sciences de Clermont-Ferrand où il était venu déposer sa thèse, il est interné à la prison du 92ème R.I. et transféré le 7 janvier 1944 à Drancy. Sa fiche du Camp porte son domicile : Ainay-le-Château, et sa profession : 'Arzt'. Il est déporté sous le numéro 343 par le convoi 68 du 10 février 1944 pour Auschwitz. Il meurt le 15 mars 1945 au camp d'Ellrich, en Thuringe, dépendant de Dora.

Le Dr PAGES, médecin des asiles retraité, a accompli pendant trois ans le rôle de médecin-assistant, ayant eu la responsabilité des soins de l'infirmerie.

Louis Pagès 1879-, docteur à Bordeaux en 1906, licencié en philosophie, docteur ès lettres à Toulouse en 1926, ancien médecin chef de l'Asile des Aliénés d'Albi [aujourd'hui Bon Sauveur d'Alby]. En 1942, Pagès publie avec Sivadon dans les Annales médico-psychologiques un article intitulé : « A propos d'un cas de pseudo schizophasie », au sujet d'un pensionnaire de la colonie.

2°) Au moment de l'avance allemande sur Paris, au début de juillet 1940, le radium du Centre anticancéreux de Villejuif, ainsi que les valeurs et bijoux de la Tutelle des aliénés de la Seine, furent amenés à la Colonie et déposés dans la cave du pavillon du Directeur, dont les issues furent ensuite murées et dissimulées par un parterre de fleurs.
Le mois suivant, sur l'ordre de l'occupant, le radium faisait retour à Paris et la Tutelle reprenait possession des valeurs déposées.

3°) Au début de l'occupation, un certain nombre de personnes, parents et fonctionnaires de la Préfecture de la Seine, trouvèrent asile à la Colonie.
Par la suite, des agents des Hôpitaux psychiatriques de la Seine, dont un prisonnier de guerre évadé - qui, pour divers motifs avaient à redouter les sévices des autorités d'occupation, se réfugièrent à la Colonie.
M. le directeur KOHLER les accueillit avec empressement et les occupa, suivant leur spécialité.

4°) Dans le courant de l'année 1944, les F.F.I., et les F.T.P. firent appel, à plusieurs reprises, pour leurs propres besoins, aux ressources de la Colonie : produits pharmaceutiques, vêtements, tabac. Satisfaction leur fut donnée, dans la mesure du possible. Un réfractaire fut "camouflé" et engagé par nous, en 1944, jusqu'à ce qu'il ait trouvé un asile plus sûr, et également rémunéré, dans la campagne avoisinante.

A la veille de la libération, trois postes de secours furent créés par la Colonie. Ainay-le-Château, qui fut libéré le 12 septembre, participa à l'insurrection. Deux pensionnaires furent assassinés par les allemands, en guise de représailles, le 21 août 1944.

Nous avions, de notre propre chef, utilisé la Colonie pour l'organisation locale du service de Santé F.F.I. Celui-ci remercia en ces termes le Comité de Libération et le Directeur :

F.F.I. / F.T.P. - M.U.R. / E.M. Allier
Le Médecin-Chef Départemental F.F.I. de l'Allier
au Comité de Libération d'Ainay-le-Château et au Médecin-Chef de l'Hôpital

Au Nom du Commandant des FORCES FRANÇAISES DE L'INTÉRIEUR du département de l'Allier, je tiens à vous remercier pour l'organisation de l'hôpital de AINAY-LE-CHÂTEAU qui a été mis spontanément et bénévolement à la disposition du Service de Santé F.F.I. Votre hôpital figure sur la liste des hôpitaux secrets d'évacuation.

Actuellement, les opérations dans le département laissent envisager des évacuations des plus réduites et vous pouvez considérer que la mission de l'hôpital d'AINAY-LE-CHÂTEAU se trouve terminée.

Néris, le 7 septembre 1944
LE MÉDECIN CHEF DEPARTEMENTAL F.F.I. DE L'ALLIER
(signé : illisible)

La modestie de nos infirmiers - qui est sagesse - leur a permis d'accomplir leur devoir, sans fracas, ni espoir de récompense, avec un dévouement indiscutable.


II.- Evolution de la population

1°) Courbes des effectifs (population moyenne)

[Tableau des effectifs annuels de 1938 à 1945]

Commentaires : (création ou suppression de services, date, provenance ou destination, motifs des transferts collectifs, etc...)
L'Hôpital psychiatrique départemental de l'Allier étant situé en zone occupée, les malades mentaux de la zone libre du département, furent, à partir de septembre 1940, hospitalisés à la Colonie Familiale. En décembre 1940, un service autonome fut établi dans une école maternelle désaffectée d'Ainay-le-Château; le service médical et la direction furent assurés par le Dr SIVADON.

Cette annexe de l'hôpital psychiatrique départemental fut supprimée lors de l'assouplissement de la ligne de démarcation, en 1943.
Cette organisation provisoire montre que le traitement des malades aigus, l'observation des nouveaux cas d'aliénation mentale peuvent petre décentralisés. Sis près de l'hôpital général, le service d'aigus bénéficierait de la collaboration de tous les spécialistes et de tous les poyens d'investigations étiologiques qui figurent déjà dans la plupart des hôpitaux et manquent presque constamment dans les asiles.

2°) Courbes des Entrées et des Sorties (à l'exclusion des transferts)
a) Entrées
b) Sorties
c) Placements volontaires et placements d'office
d) Observations
Le recrutement des pensionnaires de la Colonie Familiale est assuré principalement par les transferts en provenance des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine, les entrées directes ne figurant que pour une infime proportion. En outre, jusqu'en 1939, le Médecin-Directeur effectuait des tournées dans les hôpitaux psychiatriques de province ayant des malades traités au compte du département de la Seine. Or, l'établissement de la ligne de démarquation séparant notre pays en deux zones, a considérablement ralenti le mouvement des malades de la Seine vers la Colonie, d'où raréfaction des entrées. La difficulté des transports a, de même, raréfié le recrutement en province. A ces raisons s'ajoute la diminution des entrées à Ste-Anne d'une part, et à un moment donné, l'impossibilité pour la Colonie de vêtir convenablement un plus grand nombre de pensionnaires, d'autres part.

Si, à ces causes initiales on ajoute le fait d'une mortalité importante - années 1941 et 1942 - ainsi se trouve expliquée la diminution progressive de l'effectif de la Colonie.

Par ailleurs, des raisons que nous n'avons pas à apprécier semblent empêcher bien des malades, plus ou moins travailleurs, de bénéficier du placement familial qui mérite d'être étendu et permet aux malades une vie plus libre, agrémentée de l'attrait du travail rémunéré à leur profit.


III. - EVOLUTION DE LA SITUATION FINANCIERE
[...]

IV. _ EVOLUTION DE LA POPULATION PENSIONNAIRE
La Colonie d'Ainay-le-Château ne comporte pas de classes de pensionnaires, tous nos malades sont au régime commun.

V. - EVOLUTION DU PERSONNEL
[...]

VI - EVOLUTION DE L'EQUIPEMENT MATERIEL
[...]

VII - APPROVISIONNEMENT ET CONSOMMATIONS
a) Produits alimentaires
Courbe d'évolution du prix de revient journalier, par malade, dans les diverses catégories de produits alimentaires.
[...]

En raison du caractère particulier de l'établissement (placements familiaux), un petit nombre seulement de malades sont nourris à l'établissement. Celui-ci varie entre 30 et 40.

Nous nous sommes employés, depuis 1942, à améliorer en qualité et en quantité les rations de légumes et les desserts afin de compenser le rationnement en viande et pain. C'est ainsi que les modifications suivantes ont été apportées au régime alimentaire (Réf. Règlement modèle de 1938).

Nature des aliments / Référence Règlement modèle de 1938 / Rations allouées à l'établissement
Pain (par jour) / 350 grs / suivant rationnement
Viande (par repas) / 225 grs / 140 grs
Lait / ... / quantité infime, en raison du rationnement
Sardines / 2 / 3
Macaroni / 40 grs / 50 grs
Nouilles / 30 grs / 50 grs
Gros légumes / 300 grs / 400 à 500 grs suivant qualité
Légumes secs / 80 grs / 100 grs
Desserts
Pêches / 1 / 2
Poires, pommes / 1 / 2
Confitures / 50 grs / 80 grs
Camenbert / 40 grs / 50 grs

Il y a lieu de signaler que tous les rationnaires hospitalisés à l'infirmerie ont toujours bénéficié du régime de suralimentation, ce qui a permis d'assurer un service de viande quotidien.

En procédant par roulement, l'ensemble de la population est ainsi passée plusieurs fois à l'infirmerie où, après un séjour variable suivant leur état, les malades regagnaient leur placement dans de meilleures conditions physiques.

Le contrôle de la nourriture dans les placements (au nombre de 400 environ) a été resserré. Des visites fréquentes au moment des repas ont été effectuées. Les placements ne donnant pas satisfaction au point de vue alimentaire ont été fermés.

Ces intimidations et le régime de suralimentation de l'infirmerie ont eu pour heureux résultat de voir diminuer rapidement le nombre des décès.

L'établissement n'a pas hospitalisé de militaires ou anciens prisonniers et déportés. Quant aux tuberculeux, ceux-ci dès que dépistés, ont été dirigés sur le service spécialisé de l'Hôpital psychiatrique de Chezal-Benoît (Cher).

Les tickets, dans l'ensemble, ont toujours été honorés.

En ce qui concerne le problème posé par les diverses cartes (T.C.V.J.) nos visiteurs de placements ont veillé à ce que les nourrices donnent aux malades les denrées auxquelles leur catégorie ouvrait droit.

Alimentation des travailleurs
1°) Les malades occupés aux gros travaux au siège de la Colonie - jardinage, culture, sciage du bois, par exemple, perçoivent un double légume à chaque repas et un dessert supplémentaire au repas de midi. Ils sont au nombre de dix environ.

2°) Les malades placés rendent des services chez leur nourricier ou chez des particuliers. En contre-partie, ils reçoivent le plus souvent des aliments, mais en raison de la diversité des travaux et du nombre des travailleurs. Il n'est pas toujours possible d'apprécier la rétribution correspondant aux services rendus. De ce côté, les surveillants de placement veillent à ce que la main d'œuvre des malades ne soit pas exploitée.
Ils ont bénéficié et bénéficient encore, selon la nature des travaux auxquels ils se livrent d'une façon habituelle, de leur classement en catégorie T ou C.

La Colonie n'hospitalise pas d'enfants.

Production de l'établissement
Ci-dessous, succintement, les produits récoltés dans l'établissement.



à suivre...






Michel Caire, 2019
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