Lhôpital
Henri-Rousselle, premier « service ouvert »
Jusqu'en 1922, toutes les admissions dans les asiles avaient lieu sous
le régime de la Loi de 1838, donc sous contrainte. Cette année-là,
Henri Rousselle, membre du Conseil Général obtient la création
du premier "service ouvert" en France.
Ce service départemental "de prophylaxie mentale" confié
à son inspirateur le psychiatre Edouard Toulouse regroupe hospitalisation, dispensaire,
service social et laboratoire de recherche. L'établissement, administrativement indépendant de l'asile Sainte-Anne pendant vingt ans, dirigé par un médecin-directeur, occupe bientôt l'ensemble
des bâtiments du service des Admissions (qui déménage
dans les anciennes infirmeries de l'asile). Du fait de son succès,
il s'avère vite insuffisant pour la population du département.
Mais des malades y sont retenus contre leur gré ou en sortent transférés
dans un service fermé, ce qui -autant que son coût élevé-
est très critiqué par la plupart des aliénistes des
asiles... L'un d'entre eux, Théodore Simon, succède à
Toulouse en 1936, suivis de Georges Génil-Perrin dernier médecin-directeur,
et des médecins-chefs Yves Porc'her, Jacques Rondepierre, Georges Daumézon.
En 1933, la mobilisation des médecins pour la défense de
Sainte-Anne, le seul asile parisien intra-muros, évite sa fermeture
et l'installation de la Faculté de médecine dans ses locaux.
L'hôpital de la Charité de la rue des Saints-Pères
aura moins de chance.
De
lOccupation à la Sectorisation
En 1940,
une partie de l'Hôpital Psychiatrique -nom qui a remplacé
en 1937 Asile d'aliénés- est convertie en hôpital
militaire allemand.
Une présence ennemie qui n'empêche pas l'hôpital de
servir d'asile à des personnes menacées (Anglais, Juifs, ...),
et que s'y développe la Résistance, avec Julian de Ajuriaguerra,
Lucien Bonnafé, qui dirige le Front National Sanitaire,
Jean Talairach qui le remplace à ce poste, Pierre Deniker, René
Suttel, Henri Cénac-Thaly détenu plusieurs mois à
la Santé en 1943, Yves Porc'her -le capitaine Delcourt dans
la clandestinité- condamné à un an de prison, Virginie
Olivier -Charlotte dans la clandestinité- infirmière,
morte à Ravensbrück.
Trois médecins de l'hôpital sont déportés et assassinés à
Auschwitz : Joseph Levy-Valensi,
titulaire de la chaire, René Bloch chirurgien-chef et son adjoint
Maurice (Moïse) Haller.
Sous l'Occupation, le nombre des entrées baisse plus encore que
lors de la Première Guerre. Surtout, le régime de famine
entraîne une mortalité très élevée,
l'hécatombe touchant d'autant plus Sainte-Anne que les malades
arrivent aux Admissions dans un état de dénutrition souvent
marqué.
Cette période voit aussi l'ouverture dans le "Pavillon hollandais",
dès août 1939, du service de neuro-psycho-chirurgie (Professeur Pierre
Puech), puis l'installation des premières unités d'EEG de
France et l'utilisation des premiers sismothères.
Dans les années 1950, Georges
Daumézon, médecin-chef des Admissions, applique le principe
de répartition des malades selon des aires de recrutement géographique,
puis en 1967 remplace le vieux service par le Centre Psychiatrique d'Orientation
et d'Accueil, consultation d'urgence ouverte jour et nuit.
En 1967 naît aussi l'idée d'une réorganisation de
la psychiatrie parisienne : chacun des 38 secteurs de Paris disposerait
de 50 lits à Sainte-Anne, où six nouveaux bâtiments
de 7 niveaux remplaceraient ceux de l'asile d'Haussmann, et de 150 lits
dans un hôpital périphérique. Survient mai 68, et
l'abandon du projet permet d'éviter le pire, au moins sur le plan
architectural.
Puis vient la sectorisation, dix ans après la circulaire fondatrice du 15
mars 1960. Le développement de l'extrahospitalier favorise alors
la réduction du nombre de lits et celle-ci l'intégration
de plusieurs secteurs auparavant rattachés à Vieille-Eglise,
Perray-Vaucluse et Maison-Blanche.
La psychiatrie de Sainte-Anne s'installe "dans la cité",
jusqu'à sa récente implantation aux urgences des hôpitaux
généraux d'Ambroise Paré, Georges Pompidou et Cochin.
Enseignement
et recherche:
des découvertes de portée mondiale
Ce dernier
demi-siècle voit se développer l'Ecole d'Infirmière,
aujourd'hui IFSI Virginie Olivier, et une importante Ecole des
Cadres, l'Institut de Fromation des Cadres de Santé (IFCS).
Sur le plan médical, la tradition se perpétue : l'enseignement
est dispensé dans les deux services universitaires héritiers
de la Clinique, le SHU et la CMME, mais aussi dans les services de psychiatrie
de secteur.
La recherche est représentée par cinq unités de l'INSERM,
avec en particulier son Centre Paul Broca.
Les Journées Sainte-Anne
réunirent à partir de 1983 les diverses écoles, de la psychiatrie
biologique à la psychanalyse.
Parmi les représentants de
cette dernière discipline, citons Georges Parcheminey, Pierre Mâle,
Pasche, Jacques
Lacan (qui trouve dans le service du professeur Henri Claude matière
à sa thèse de 1932) et ses célèbres "présentations", Pierra Aulagnier...
En 1952, Sainte-Anne est le lieu d'un évènement majeur :
la découverte par Jean Delay et son assistant Pierre Deniker des
propriétés du premier
neuroleptique, le « 4560 RP » commercialisé ensuite sous le nom de Largactil®. En 1957, Deniker reçoit
le prix Lasker, partagé avec Henri Laborit, chirurgien au Val-de-Grâce qui le premier utilisa
le produit dans l'hibernation artificielle et en remarqua les effets sédatifs. La recherche dans le domaine
de la pharmacocinétique et des propriétés thérapeutiques
des psychotropes s'y est poursuivie avec profit.
C'est à Jean Talairach que l'on doit l'autre découverte
de portée mondiale, la stéréotaxie : son "cadre",
un appareil fixé sur le crâne est mis au point en 1948, année
où il réalise avec Henry Hécaen et Julian de Ajuriaguerra la
première intervention au monde "à crâne fermé".
Les applications en sont multiples en neurochirurgie et en épileptologie
(stéréo-électro-encéphalographie) notamment.
La Stimulation Thalamique Intermittente est inventée et développée
à Sainte-Anne par Guy Mazars à partir des années 1960.
Le développement de l'imagerie (scanner, angiographie numérisée,
IRM, imagerie de diffusion, de perfusion et d'activation, etc.) a permis
à l'hôpital de disposer d'un plateau technique de premier
plan.
La neurochirurgie et le service d'imagerie morphologique et fonctionnelle,
la neurologie, la chirurgie, l'anesthésie-réanimation et
la stomatologie sont regroupés depuis 1986 dans le Centre Raymond
Garcin (du nom du neurologue de la Salpêtrière), construit
autour du "Pavillon hollandais".
D'autres bâtiments, certains inesthétiques, ont été adjoints
aux pavillons d'origine : la CMME rue de la Santé, Pierre-Janet
à l'angle Alésia-Broussais, le S.H.U. rue Cabanis.
Les constructions anciennes sont inscrites à l'Inventaire Supplémentaire
des Monuments Historiques depuis 1979. Du mur qui entourait l'asile
ne subsiste qu'une portion rue de la Santé et rue Cabanis, que
l'on a un temps envisagé d'abattre.
Le parc, avec son millier d'arbres (dont un Gingko Biloba, un Dyospiros
et un Murier centenaire) et ses nombreuses statues, est classé
et protégé.
De
quelques personnalités et innovations
Parmi les
grands personnages, citons André Soulairac pour ses recherches psycho-neuro-endocrinologiques, Sven Follin, l'un des pères de la psychose hystérique, Paule Brian-Garfield
1892-1965, première femme chirurgien français nommée chirurgien-chef
en 1946, le père Deschamps, exorciste, aumônier de 1974 à
1986...
Nombreuses aussi sont les créations et innovations de ces dernières
décennies :
- le Centre de Guidance Infantile Pierre Mâle, du nom de son fondateur
avec René Zazzo et "Ajuria" en 1948
- le dispensaire Moreau de Tours ouvert en 1972, premier centre
pour toxicomanes en France avec Fernand-Widal habilité à
délivrer la méthadone (1974), devenu en 2004 un service
à part entière
- le Centre d'Etude de l'Expression de la CMME constitué en 1969
à partir du Centre d'Expression plastique de Robert Volmat et Jean
Delay (1954) et son Musée Singer-Polignac
- le Secteur Médico-Psychologique Régional de la prison
de la Santé, rattaché à Sainte-Anne en 1986.
Et plus récemment les unités de prise en charge des Troubles
du Comportement Alimentaire (CMME), des adolescents (au CPOA), des patients
sourds, et enfin l'équipe "Santé mentale et Exclusion
sociale" qui montre que Sainte-Anne, en charge avec Perray-Vaucluse
des quartiers les plus aisés de la capitale, n'en a pas moins le
souci de l'accès aux soins des plus démunis.
L'Institut Henri Ellenberger voisine avec la deuxième bibliothèque
européenne de psychiatrie, qui pour tout ce quelle lui doit
porte le nom du Maître de Bonneval, Henri Ey, qui anima près
de 40 ans ses "Mercredis de Sainte-Anne". Un Musée d'histoire
de la psychiatrie et des neuro-sciences a ouvert en 1989 à l'initiative de Maurice Goudemand, directeur adjoint de l'établissement.
Un
Centre Hospitalier tourné vers lavenir
Que des malades
aient été isolés à Sainte-Anne n'en a pour
autant jamais fait un lieu isolé du monde.
Un riche partenariat interhospitalier en France et dans le Monde s'y est
développé, mais aussi les relations avec les associations
de patients et de leurs familles, concrétisées par l'ouverture
d'une "Maison des Usagers" en 2004.
Et si Sainte-Anne n'est plus depuis quelques années le seul hôpital
psychiatrique parisien intra-muros, il reste un Centre Hospitalier unique
en son genre, dont la réputation internationale sera confortée
par le futur(iste) Institut de la Psychiatrie et des Neurosciences.
Sans avoir perdu de vue sa mission première : les soins aux malades,
qu'il remplit depuis bientôt cent-cinquante ans.
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