Commission
de Surveillance des Asiles publics d'aliénés du département
de la Seine
Séance du 6 avril 1909
M. le Dr Briand
«
Messieurs,
Il y a, depuis quelques minutes, un quart de siècle, exactement
le 6 avril 1884, à 1 heure de l'après-midi, une caravane
composée de 24 émigrants, y compris celui qui a l'honneur
de rappeler ce fait, quittait l'asile Sainte-Anne et venait prendre possession
de l'établissement qui reçoit aujourd'hui votre visite.
Trouver l'asile ne fut point difficile, mais aborder le local qui nous
était destiné fut plus malaisé.
La pluie, qui tombait à torrents depuis plusieurs jours, avait
transformé le chantier en village lacustre.
Des passerelles durent être improvisées qui nous permirent
de pénétrer dans la place.
L'asile-hospice, c'est ainsi qu'il se dénommait alors, était
composé du premier quartier, des murs du second et de quelques
baraquements en planches pour l'installation provisoire des services généraux
et de trous destinés aux fondations des autres bâtiments.
Le lendemain, 24 malades, triées sur le volet, parmi les plus insociables,
me furent envoyées de Ville-Evrard.
Le
quartier que nous avons « ouvert » l'était à
tous les vents ; ni portes ni fenêtres n'avaient de serrures. Quelques
clous et cordages abandonnés par les ouvriers nous permirent de
nous clore tant bien que mal.
La maison mère, Sainte-Anne, avait fort heureusement fourni un
matériel complet de cuisine, vaisselle et literie, à l'exclusion
des lits proprements dits.
Grâce à l'activité du personnel, tout le monde trouvait
son repas servi à l'heure réglementaire, et aussi un matelas
à terre pour essayer d'y dormir.
La première nuit fut inénarrable
; il fallut coucher les malades les plus agitées dans les chambres
des infirmières, et celles-ci, campées dans le dortoir,
eurent, je vous prie de le croire, fort à faire pour mettre la
paix dans cet enfer.
M.
le Dr Dupain, aujourd'hui mon collègue et qui fut mon premier interne,
pourrait vous dire ce qu'était cette installation et vous raconter
maints épisodes des plus drolatiques.
Quoiqu'il en fût, l'asile de Villejuif était fondé
! L'enfant était né viable, et le 1er janvier 1885, rompant
le lien qui le rattachait à la maison mère, il volait de
ses propres ailes. Vous avez pu constater qu'il n'a cessé de prospérer
depuis.
Il ne reste dans les asiles de la Seine que cinq survivants de ces temps
héroïques, M. le Dr Dupain, médecin à Vaucluse,
Mlle Villette, surveillante en chef de mon service, M. et Mme Bréha,
le premier employé à la pharmacie, la seconde à la
buanderie, et moi-même.
Le
hasard vous ayant amenés à nous faire aujourd'hui votre
visite annuelle, j'ai pensé que celle-ci, coïncidant avec
le 25e anniversaire de la fondation de l'établissement, vous voudriez
bien me permettre de rappeler une date qui m'est chère et de célébrer
avec vous les « noces d'argent » de l'asile de Villejuif.
»
|