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(Jean-Marie) Joseph CAPGRAS
Verdun sur Garonne (Tarn-et-Garonne) 23 août 1873 / Dijon (Côte-d'Or) 27 janvier 1950

Psychiatre français

Fils d'un agent voyer cantonal, Joseph Capgras naît à Verdun-sur-Garonne. Après des études -que l'on dit brillantes- au lycée de Montauban et l'obtention du diplôme de bachelier ès-lettres et ès-sciences, Capgras fait ses études médicales à Toulouse, où il est reçu externe des hôpitaux au concours 1894.

Après avoir effectué son service militaire de novembre 1894 à septembre 1895, il passe le concours de l'internat des hôpitaux de Toulouse. Deux ans plus tard, il est reçu major à l'internat en médecine des asiles d'aliénés de la Seine (promotion de Gatian de Clérambault, Théodore Simon, Roger Mignot, Pierre Roy, Colombani, Moureyre et Vaslet de Fontauber) : c'est sous l'influence de son cousin, le docteur Alexis Pécharman, alors médecin des asiles de la Seine, qu'il avait décidé de se diriger vers la médecine mentale.

De 1899 à 1903, Capgras est interne à Ville-Evrard chez Marandon de Montyel et Sérieux, à Sainte-Anne dans le service d'Alix Joffroy.

En 1900, il soutient sa thèse de doctorat à Paris, avec un travail intitulé : Essai de réduction de la mélancolie en une psychose d'involution présénile (Paris, Jouve et Boyer, 1900; 99 p.).

En 1902, reçu major du Concours de Médecin-adjoint des asiles publics d'aliénés, il entame dès janvier 1903 un périple qui le conduit de l'asile de La Rochelle (Lafond) à l'asile de Dury lès Amiens (Somme) en avril 1904, puis en 1905 à la colonie familiale de Dun-sur-Auron où il reste jusqu'en 1908. Enfin, de septembre 1908 à août 1912, il est en poste à la maison spéciale de santé (pensionnat) de l'asile de Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne.

Nommé au concours 1912 du médicat, il prend en août de la même année les fonctions de Médecin chef de la 2ème section de l'Asile de Maison-Blanche, fonctions qui seront interrompues pendant toute la Grande Guerre : après deux mois de campagne près de la ligne de feu dans les Ardennes et une période de repli jusqu’à Orléans, Capgras, mobilisé en qualité de médecin aide-major, est affecté début octobre 1914 à l'Hôpital d'évacuation n°38, Secteur 5 (Châlons-sur-Marne), puis en 1916 au Centre de Psychiatrie de la 5e région (Hôpital mixte de Fleury-les-Aubrais). En août 1917, il est promu médecin-major de 2e classe de l'A.T.
Le 11 janvier 1919, Capgras est enfin libéré et peut reprendre la direction de son service à Neuilly-sur-Marne.

Fin 1929, Capgras passe à Sainte-Anne, où il succède à Truelle dans le service des hommes et reste jusqu'à sa retraite en 1936. Nommé médecin-chef honoraire deux ans plus tard, il passe les dernières années de sa vie à Dijon, au n°9 de la rue Joseph Boudot.

Trois neveux de Capgras deviendront aliénistes et médecins chefs des asiles de la Seine : Xavier Abely et son frère Paul Abély, et Hubert Mignot (fils de Roger Mignot 1874-1947, qui fut médecin chef de Charenton).

Capgras était un fin clinicien. Lorsque il présente le premier cas d'illusion des sosies, il était déjà connu pour la publication en 1909, avec son collègue de Maison-Blanche Paul Sérieux, de l'ouvrage Les Folies raisonnantes. Le Délire d'interprétation, (en ligne sur le site de la B.I.U.M., Paris) consacré à cette forme particulière de psychose chronique constitutionnelle basée sur des interprétations délirantes, que la psychiatrie classique française appelle le Délire d'interprétation de Sérieux et Capgras.

Louise M. et le syndrome de Capgras

Madame M., fille de la Reine des Indes et de Napoléon Bonaparte, petite fille de la princesse Eugénie et de Louis XVIII, entre à Maison-Blanche le 7 avril 1919.

Elle passera –à son insu- à la postérité après publication de son cas par Joseph Capgras, médecin chef de l’Asile et son interne Jean Reboul-Lachaux.

Cette description princeps du syndrome d’« illusion des Sosies » est publiée en 1923 dans le Bulletin de la Société Clinique de Médecine mentale, après présentation de la malade devant la Société.

Agée de 48 ans lors de son admission à Sainte-Anne, Louise, «mégalomane avec idée d'origine princière, de substitution d'enfants et de persécution», présente un «curieux petit syndrome», une illusion, une interprétation singulière, sorte d'agnosie d'identification où chaque personne de son entourage se métamorphose en sosies différents, successifs et nombreux.
Ces méconnaissances systématiques sans trouble de la perception renvoient à une lutte entre le sentiment de familiarité et le sentiment d'étrangeté. Pour Capgras, il s’agit de phénomènes essentiellement affectifs dont il complète l’analyse psychopathologique en 1924 dans « Illusion des sosies et complexe d'œdipe » (avec P. Carrette).

A Paris, des milliers de personnes entrent dans les profondeurs du sous-sol et «n'en reviennent pas» : les abris sont des oubliettes, et les voix des enfants et des adultes qui y sont séquestrés, enterrés, momifiés arrivent continuellement à ses oreilles. A ces disparitions s'ajoutent des substitutions, constituant le délire des sosies : innombrables, explique-t-elle, «les sosies sont les personnes ayant la même ressemblance».

La mort de 4 de ses 5 enfants a précédé de peu le début des troubles : un fils mort en nourrice a été substitué, une fille, décédée également, a été enlevée, et de deux jumeaux morts en bas âge, l'un a été enlevé, l'autre empoisonné puis « dépoisonné » et mis dans une autre famille. Quant à la seule survivante, elle a été remplacée par plus de deux mille sosies en 5 ans.

A Sainte-Anne et à Maison-Blanche, tout le monde a des sosies, malades, infirmières, dont « beaucoup sont dans les dessous, le peu qui reste n’est pas suffisant à retenir les personnes enfermées ». Le moindre changement de physionomie lui suffit pour affirmer la transformation : « la surveillante est tantôt aimable tantôt fâchée : ce sont des sosies … il y a cinquante surveillante pour une … Les docteurs qui viennent ici avec les pèlerines, vous ne me direz pas qu’il n’y en a qu’un : j’en connais au moins quinze ! ». Le médecin n’est pas toujours le même : «  Vous avez un sosie qui fait la déduction de tout ce que vous commandez, pour vous compromettre ». Cette « comédie » du défilé des sosies, cette conspiration ourdie par des « faussaires, rastaquouères et aigrefins », « une bande d’anarchistes », elle l’a dénoncée aux autorités sans autre résultat que son internement.

En un temps où n’existait pas encore de traitement biologique, l'évolution de Mme M. semble n'avoir toutefois pas été tout à fait défavorable : en septembre 1931, le délire s’est estompé et elle peut être transférée à la Colonie familiale de Dun-sur-Auron.

Quant au syndrome d’identification des personnes, c’est le professeur Joseph Lévy-Valensi qui proposera en 1929 («L'illusion des sosies. Leçon faite à la Clinique de M. le Professeur Claude, le 6 mars 1929». La Gazette des Hôpitaux, 10 juillet 1929, 19, 7) de l’appeler du nom de l’auteur de sa première description, le syndrome de Capgras.

Bibliographie

Outre sa thèse de doctorat, son ouvrage co-écrit avec Paul Sérieux, l'article ci-dessus et bien d'autres publications, citons :

- « Les psychoses à base d'interprétations délirantes» (avec le docteur Sérieux), Annales médico-psychologiques, 1902

- « Contribution à l'étude de la névrose d'angoisse ». Annales médico-psychologiques, 1903, n°18; 397-404

- « Relation des maladies unilatérales de l'oreille avec les hallucinations de l'ouie ». Archives de Neurologie, 1903, n°16

- « Le messianisme d'un faux dauphin ». Journal de psychologie normale et pathologique, mai 1912

- « Délire d'imagination symptomatique » (avec Terrien). Annales médico-psychologiques, 1912, n°1; 407-421

- sur les troubles mentaux causés par la Guerre:
« La confusion mentale dans ses rapports avec les évènements de guerre » (en coll.). Bulletin de la Société de médecine mentale. Juillet 1917
« Quelques cas d'état seconds séquelles de commotions » ibid.
« Syndrome de Raynaud suite d'intoxications par les gaz » (avec Henri Beaudouin) ibid.
« Délire d'interprétation suite de commotion » (avec Bessière). R.N. mars 1918
« La paralysie générale et la guerre ». G. M. chir. de la Sé R. Orléans. Sept. 1918

- « Délire onirique émotif ». A.M., juillet 1919

- « Le délire d'interprétation » (conférence faite en février 1914 à l'Asile Clinique). Annales médico-psychologiques, 1918, n°9; 221-240

- « Attentats à la pudeur. Rapports médico-légaux ». Annales médico-psychologiques, 1920, n°12; 39-51

- « L'illusion des Sosies dans un délire systématique chronique », Bulletin de la Société Clinique de Médecine mentale, 1923, 11; 6-16

- « Illusion des sosies et complexe d'œdipe » (avec P. Carrette, in Annales médico-psychologiques, 1924, 82; 48-68

- « Du sentiment d'étrangeté à l'illusion des sosies » (avec P. Lucchini et P. Schiff). Bulletin de la Société clinique de médecine mentale, décembre 1924, 121; 210-217

- « Le délire interrogatif » (avec Xavier Abely). Annales médico-psychologiques, 1926, n°1, pp.12-42

- « Crimes et délires passionnels ». Annales médico-psychologiques, 1927, n°1; 32-47

- « Statistique d'une année de malariathérapie » (avec G. Fail). Annales médico-psychologiques, 1931, n°1; 375-382

- « Psychose mixte. Délire hallucinatoire de compensationà double forme » (avec E. Joaki). Annales médico-psychologiques, 1932, n°2; 574-587

- « L'explication délirante » (avec H. Beaudouin, R. Briau). Annales médico-psychologiques, 1934, n°1; 477-508


Sur Capgras, voir :
- Marchand L., « Joseph Capgras (1873-1950) ». Annales médico-psychologiques, 1950, 108, I, 399-400
- Postel Jacques et Allen D.F., « Joseph Capgras 1873-1950 ». Psychopathologie, 1994, vol.27 n°3/5; 121-122
- Postel Jacques, « Le docteur Joseph Capgras (1873-1950), ancien médecin-chef de l'Hôpital Sainte-Anne ». Bulletin de l'Association des Amis du Musée et du Centre Historique Sainte-Anne, novembre 2005
- Luauté Jean-Pierre, « Joseph Capgras (1873-1950). Sa vie, son œuvre ». Annales médico-psychologiques, 2012, 170, 6 ; 748-756

Michel Caire, 2009-2013
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