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Françoise DOLTO née MARETTE
Paris 6 novembre 1908 - Paris 25 août 1988


Cette photo, prise à l'Asile de Maison Blanche (Neuilly-sur-Marne) début 1936 a été publiée dans Françoise Dolto. Correspondance 1913-1938, page 507 (Paris, Hatier, 1991). Elle montre Françoise Marette en compagnie de l'acteur Alain Cuny et du docteur Scherrer.

Françoise Marette, infirmière diplômée en juin 1930, avait entrepris en novembre 1932 ses études de médecine. A Maison-Blanche, elle effectue, du 14 décembre 1935 au 28 février 1936 dans le service du docteur Henri Beaudouin, le remplacement d'une interne en congé nuptial, Gilberte Boucher épouse Gaultier.

Françoise vit très mal cette "charge au-dessus de son courage", écrit-elle à Alain Cuny le 18 décembre. La salle de garde "assez triste, province et assez primaire", sa chambre "grande, papier sale mais chambre propre, chauffée, un cabinet de toilette sans eau courante mais avec gaz et une salle de bains pour les internes", le service de 500 malades, où elle est seule interne, c'est dire "qu'on se contente de faire de la médecine de régiment et qu'on ne peut absolument pas essayer de s'intéresser aux malades." Heureusement, "la bibliothèque est bien fournie".

Bien plus tard, dans son livre d'entretiens "Autoportrait d'une psychanalyste 1934-1988" (1989), Françoise dit encore (p.127): "Pour couronner le tout, il y avait l'esprit de salle de garde : c'était l'esprit de gendarmerie de province!”

Qui donc a-t-elle pu y cotoyer, pour en avoir gardé un tel souvenir ?

Les internes en médecine d'alors ne sont pourtant pas si frustes, loin s'en faut : Pierre Scherrer 1910-1993, forte personnalité auxerroise, Jean Carrère 1911-1979 qui deviendra médecin chef à Perray-Vaucluse puis à Villejuif, Marcel Rancoule 1911-1980, futur médecin chef à Nice que Darcourt, à ses obsèques, dira "le psychiatre le plus expérimenté et peut-être le plus érudit de sa région", Max Desmonts et Jacques Archaimbault, futur radiologue de l'hôpital Sainte-Anne à Paris.

Deux autres personnalités d'exception ont aussi certainement croisé la route de Françoise, qui semble n'en avoir jamais parlé : Constance Pascal, médecin chef, de culture psychanalytique, pionnière des méthodes psychopharmacodynamiques dans l'exploration et le traitement des psychoses. Et Jeanne Tripier, internée dans le service où Françoise était interne, éminente représentante de l'art brut, dont l'œuvre a été révélée par Dubuffet.

L'ambiance à Maison-Blanche n'a d'ailleurs pas empêché Françoise d'y inviter Alain Cuny, qui s'est installé à l'internat début 1936, et y restera après le départ de celle-ci. Ils avaient fait connaissance en septembre 1935 lors de ces "vacances psychanalytiques" du "Club des Piqués" que René Laforgue leur psychanalyste organisait dans sa propriété de la Roquebrussane (Var). Le dernier rôle de Cuny sera celui de Louis-Prosper Claudel, père de Camille Claudel, dans le film de Bruno Nuytten. Peut-être s'est-il souvenu lors du tournage à l'hôpital de Ville-Evrard du temps lointain passé à Maison-Blanche… : les deux hôpitaux se font face à Neuilly-sur-Marne.

Dans une lettre en date du 15 juin 1938 adressée à son père, qui porte sur les discordes familiales et sa relation avec sa mère, Françoise écrit :
“Il me fallait donc continuer mes études afin de sortir de cette atmosphère lourde, où chaque mot dit était interprété et chaque geste (…). Je ne te parle pas de l'horrible et nécessaire solitude de M. Blanche grâce à laquelle cependant je dois d'avoir compris que l'éloignement était l'unique moyen de m'en sortir quelque pénibles, fatigantes, brimantes et décevantes que fussent les conditions de vie hors de la maison”.

En somme, à quelque chose malheur est bon. Françoise, là où elle dit avoir fait une "médecine de régiment", où règnait un "esprit de gendarmerie de province"…, a tiré profit d'une expérience analogue à celle du jeune conscrit à la caserne.

Dans son "Autoportrait", Françoise Dolto évoque encore -non sans exagération- ce "camp de concentration épouvantable" où elle fut "seule interne pour... 1200 femmes! (…) ça ne ressemblait pas du tout, du tout, aux hôpitaux de Paris. Si bien que je n'ai pas voulu passer le concours.” En effet, elle abandonne aussitôt la préparation au concours d'internat des asiles qu'elle suivait à Sainte-Anne.

Le 5 mai 1936, elle débute un stage d'externat chez Georges Heuyer à la Clinique annexe de la rue de Vaugirard, qui décidera définitivement de son orientation professionnelle.

Pour le plus grand bien de la psychanalyse d'enfant.

Michel Caire, 2008-2022
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