L'hécatombe par carence : plus de 40.000 victimes |
Il
est désormais établi qu'un grand nombre de malades hospitalisés
en psychiatrie sous l'Occupation (1940-1944) ont été victimes,
directement ou indirectement, des restrictions de toute nature. |
RESTRICTIONS
et RATIONNEMENT
Sous
l'Occupation, la pénurie est générale et le rationnement
touche tous les produits courants, linge, chaussures, vaisselle, essence,
tabac, combustibles et surtout l'alimentation. |
Un
état de "famine lente" Mais
les rations procurées par les tickets et coupons ne permettent
d'escompter que les deux-tiers du minimum pour survivre : la ration quotidienne attribuée par la carte A est de 1.200 calories fin 1940, de 1.000 à 1.100 calories fin 1942 (voir : Académie de médecine, 17 novembre 1942); si l'on y ajoute les aliments non soumis à la carte, on arrive à 1.800 calories, ce minimum pour survivre, tandis que la ration normale est de 2.400 calories, et que l'alimentation optimale de l'adulte est de 2.400 à 3.200 calories.
L'hécatombe Le
taux de décès annuel (nombre de décès par
rapport à la population totale hospitalisée dans l'année)
dans les Hôpitaux Psychiatriques français présente
une augmentation impressionnante en 1941, à un taux qui se maintient
en 1942 (alors que les plus faibles des malades avaient déjà
succombé l'année précédente, voire même
dès 1940). 1939
: 6,50% (Nombre
de décès : 14 107 en 1940, 23 577 en 1941, 20 113 en 1942,
10 947 en 1943, 9 549 en 1944. Source: L'Information psychiatrique,
1960, n°7, p. 831) |
Le régime de suralimentation des malades Si les hôpitaux
généraux connaissent un sort un peu meilleur, c'est parce
qu'un régime de suralimentation peut être accordé
aux malades, même si cette prescription doit rester exceptionnelle
(L'Assistance Publique à Paris obtient en outre une carte spéciale
d'acheteur en province, qui constitue un droit de priorité, mais
l'avantage lui aurait été retiré début 1942).
* * * Ce système
de suralimentation génère une multitude de circulaires et
d'arrêtés, dont on peut juger de la complexité par
ces quelques dépêches de l'Agence Française d'Information
de Presse (A.N., 72 AJ 1853, dossier Rationnement alimentaire)
: *** Il est essentiel
de considérer que ce régime de suralimentation est attribuable
aux malades, qu'ils soient ou non hospitalisés, et toujours selon
des modalités strictes: |
La "Circulaire Bonnafous" du 4 décembre 1942 Dans
tous les hôpitaux psychiatriques français à notre
connaissance, on constate une diminution du taux de décès
entre 1942 et 1943. *** N.B.
Il existe une Loi relative à la création et au fonctionnement
des restaurants communautaires, et un Arrêté relatif
aux conditions d'admission dans les restaurants communautaires de la Région
Parisienne, en date du 7 décembre 1942 (J.O. du 8 décembre
1942, p.4027 et 4030), complétés par une Loi du 21 janvier
1943 (J.O. du 20 janvier, p.281) et une Loi du 16 mars 1943 (J.O. du 21,
p.818). Un Arrêté du 26 mars 1943 (J.O. du 23 avril, p.1129)
a pour titre Comité National d'approvisionnement et de Comités
régionaux d'approvisionnement des Cantines d'Entreprises de la
région parisienne. Ces textes ne font pas mention des hôpitaux
psychiatriques. |
Une quantification impossible Combien
des 78.300 décès constatés au cours de ces
années d'Occupation dans les hôpitaux psychiatriques français
sont-ils attribuables à la famine? |
Volonté eugénique ou indifférence coupable? L'augmentation
vertigineuse des décès en 1941-1942 dans les deux hôpitaux
psychiatriques de Neuilly-sur-Marne, qui dépassent mille par an
contre moins de 400 avant-guerre, est objet de préoccupation pour
le Préfet de la Seine René Bouffet, qui déclare le
14 novembre 1942 dans un Rapport à la Commission administrative
du Département de la Seine (Bibliothèque Administrative
de la Ville de Paris, ms 910, f°345-346) :
|
Le devoir de l'Administration A l'opposé
des Carrel, Petit et autres Martel, S.-E. Mondor, sous-directeur des Affaires
départementales de la Préfecture de la Seine, dans une Conférence
sur les établissements départementaux d'assistance, prononcée
devant le Conseil municipal de Paris et le Conseil départemental
de la Seine en 1943 et publiée la même année,
présente très clairement le problème du ravitaillement
dans les hôpitaux et les mesures prises depuis 1941 pour y remédier
: |
Une responsabilité collective? Le
régime collaborateur semble donc bien n'avoir pas eu de politique
de suppression des malades mentaux, même en zone occupée
par les Allemands.
À Alger même, l'évolution de la situation sanitaire
est suivie de près. Un rapport daté de la fin 1943 et conservé
dans les archives du Comité Français de Libération
Nationale (A.N., F22 2028 : Situation alimentaire et sanitaire en France,
dr III-A-2-7, dactyl., s.d.) est intitulé Le crime contre
la santé française. |
Les
travaux d'Isabelle von Bueltzingsloewen sont les plus récents et
les plus complets sur la question. Pour ne citer que les principaux :
Nous
avions eu nous-même l'honneur de présenter une contribution
au Colloque de Lyon (organisé en novembre
2003 par
le groupe de recherche "Enfermements, Marges et Société"
et la FERME du Vinatier), dont Isabelle von B. a dirigé
la publication des textes des communications : "Morts
d'inanition" Famine et exclusions en France sous l'Occupation.
Presses Universitaires de Rennes, coll. "Histoire", 2005; 305
p. Notre texte rend compte d'une étude sur la situation dans le département
de la Seine, à travers l'exemple de l'hôpital de Maison-Blanche
: «Un établissement du dispositif de la Seine: l'hôpital
psychiatrique de Maison-Blanche» (pp. 95-108). |
Michel
Caire, 2008-2019 |