UNE VISITE DES ÉTABLISSEMENTS D'ALIÉNÉS PARISIENS EN 1808


Traduction et commentaires de

ÜBER KRANKEN- UND ARMEN-ANSTALTEN ZU PARIS
Von Dr. August Friedrich Schweigger, ordentlichem Professor der Botanik zu Königsberg.

Herausgegeben mit Zusätzen und einem Anhange über die französischen Feldspitäler
Von Dr. J. G. Langermann, Medicinal- und Sanitäts-Rathe zu Bayreuth
Bayreuth, 1809, bey Johann Andreas Lübecks Erben


AVERTISSEMENT : le texte proposé ci-après a été présenté sous forme d'un mémoire dactylographié au Concours de la Société Française d'Histoire des Hôpitaux 1996, où il a été honoré du Prix COFRAHOPE (Comité Français - Hôpitaux pour l'Europe). Les notes de bas de page ont été intégrées au texte principal.

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The author is setting out a book printed at Bayreuth in 1809 and stating a visit of parisian hospitals between 1806 and 1808 by the german botanist and medic August Friedrich Schweigger. The only part of that relation translated in French is concerning mental hospitals ; it gives an out of ordinary look upon health cares in France during the 1st Empire.


INTRODUCTION

Cet ouvrage de 206 pages, publié à Bayreuth en 1809, n'a jamais été jusqu'ici traduit en français et demeure presque inconnu.

Nous n'en avons trouvé mention que dans la bibliographie des ouvrages de E. H. Ackerknecht, 1967 et P. Huard, 1970, ainsi que dans M. Candille, 1977; p.44 : « En 1809, le docteur August-Friedrich Schweigger publiait à Bayreuth et Lubeck un opuscule énumérant pour Paris, à côté des hôpitaux "reconnus", plusieurs dizaines d'institutions et de maisons de santé particulières ». Un exemplaire est conservé au Service de Documentation de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris.

Il présente les renseignements recueillis par le botaniste et médecin allemand August Friedrich Schweigger lors de ses visites des établissements hospitaliers parisiens en 1806-1808 et transmis à son compatriote le docteur Langermann dans une série de lettres, dont on ignore si elles ont été conservées.


Son auteur, August Friedrich Schweigger (1783-1821) étudie à Erlangen la botanique, la zoologie et la médecine, dont il obtient le grade de docteur en novembre 1804. Après son séjour à Paris, il est nommé professeur de botanique à Konigsberg. Au cours d'un voyage d'étude en Sicile, il est assassiné dans une grotte près de Cammarata, non loin d'Agrigente, le 28 juin 1821. Son frère, Johann Salomo Christoph Schweigger, 1779-1857, physicien allemand de renom, lui a consacré en 1830 une notice biographique posthume : Bruchstücke aus dem Leben des als Opfer seiner Wissenschaft gefallenen Dr. Aug Fr. Schweigger; Halle, 1830. Voir : Wunschman, 1891, 332-333.


Schweigger nous offre de précieuses informations sur l'état de la médecine parisienne sous l'Empire, qui complètent utilement celles de son principal devancier, le médecin ordinaire à l'hôpital général de Vienne Joseph Frank (1771-1842), auteur du célèbre Reise nach Paris, relation de son voyage dans la capitale française pendant les années 1802 et 1803.


Frank fait paraître son Reise nach Paris, London, und einem grossen Theile des übrigens Englands und Schottlands in Beziehung auf Spitäler, Versorgungshaüser, übrige Armen-Institute, Medizinische Lehranstalten, und Gefängnisse. à Vienne en 1804-1805.

Accueilli par le ministre Chaptal, Frank est témoin oculaire de la méthode de Pinel (Ackerknecht, 1967), qu'il rencontre à plusieurs reprises :

« Le Dr Pinel vivait en philosophe à la Salpêtrière, dont il était médecin. Comme il m'avait critiqué relativement au système de Brown dans un de ses ouvrages je le trouvai très embarrassé à ma première visite. Je le mis bientôt à son aise et je passai plusieurs soirées avec lui. Nous parlions surtout des maladies mentales. Son élève et assistant, le Dr Esquirol me parut déjà plus avancé que son maître dans le traitement de ces maladies »
(cité par S. Trzebinski, 1924. Voir également : « Note sur l'Assistance publique au commencement du XIXe s. traduite par Brièle du livre du Dr Frank Voyage à Paris et à Vienne (sic) ». Fosseyeux, Nouvelle série 11; Arch. Assistance Publique, Paris.)


D'autres ouvrages en langue allemande s'inscrivent dans la même lignée, parmi lesquels, pour s'en tenir à la première moitié du XIXème siècle, ceux de C.-M. André, du médecin berlinois J. L. Casper, du suisse J. H. Kopp et de G. Cless.

- Carl-Maximilien André, Neuester Zustand der vorzüglicherer Spitäler und Armenanstalten in einigen Hauptorten des In- und Auslandes beobachtet und beschrieben. Leipzig, 1810.

- Johann Ludwig Casper, Charakteristik der französischen Medizin, mit vergleichenden Hinblicken auf die englische; Leipzig, 1822

- Joseph Eutych Kopp, Ärztliche Bemerkungen, veranlasst durch eine Reise in Deutschland und Frankreich im Frühjahr und Sommer 1824. Frankfurt a. M., 1825.

- Georg von Cless, Reisebemerkungen aus Frankreich und England. Medizinische Annalen, 1839.

Citons également les récits plus anciens de Johann Hunczovsky, Medicinisch-chirurgische Beobachtung..., publié à Vienne en 1783, qui se limite à une description assez sommaire (« Hôpitaux de Paris, traduction de Jacques Tenon éditée par A. Fauve-Chamoux », Revue de la B. N., n°36, 1990, 2-19), et de Gerhard Anton von Halem, Blicke auf einen Theil Deutschlands, der Schweiz und Frankreichs bey einer Reise vom Jahre 1790. Hambourg, Bonn, 1791

Plus connu, le polémiste August Kotzebue (Souvenirs de Paris en 1804. Traduits de l'allemand, sur la deuxième édition, avec des notes. Paris, An XIII (1805); 2 t., XX-316-378 p.) ne consacre que quelques pages (T.2, p. 92-104) à l'Hôtel-Dieu, l'Hospice de la Maternité, la Pitié, la Maison de Sainte-Périne et l'École de Médecine.

Ni Paul Holzhausen, « Bonaparte et la Société parisienne. Les Allemands à Paris sous le Consulat » (traduit par le Comdt Minart, Paris, Nancy, 1914; 262 p.), ni Paul Gerbot, « Les touristes étrangers à Paris dans la première moitié du XIXe siècle », Bull. Soc. Hist. Paris et Ile-de-Fr., Paris, 1984, 241-257, n'évoquent le séjour de Schweigger. Le Tableau historique et politique de l'année mil huit cent six de H.-L. Coiffier de Verseux, Paris, 1807; 414 p. n'apporte pas non plus de renseignement sur notre sujet.


Les campagnes napoléoniennes n'interrompent donc pas les échanges scientifiques entre les deux grandes nations, et pourraient même les avoir favorisés et avoir ainsi renforcé les influences réciproques entre médecins français et germaniques.

On pourrait ici recourir avec profit aux thèses de médecine soutenues par de jeunes praticiens revenant des armées. L. S. M. De Treden par exemple, soutient le 20 août 1811 ses Propositions sur les bases fondamentales d'après lesquelles les hôpitaux doivent être construits (Thèse Paris, 1811, n°104), qui se réfèrent aux établissements bavarois de Wurtzbourg et Bamberg, et prussien de Halle :

« De ce que divers malades peuvent être affectés désagréablement par les couleurs trop vives, ou par la grande lumière, tel que les hydrophobes, les phrénétiques, plusieurs maladies des yeux, etc., etc., s'en suit la couleur plus foncée des murailles et des cadres particuliers pour les fenêtres, qui empêchent la lumière trop forte de pénétrer, ne nuisent point à la circulation de l'air (note : à Wurtzbourg, plusieurs salles en offrent des exemples. Il en est de même à Bamberg. Plusieurs sont en vert, pour les maladies des yeux; d'autres ont aussi des couleurs amies de l'œil. Le nouveau bâtiment de clinique de Halle, arrangé sous les yeux de M. Reil, a aussi le même avantage » (p.11).

J. J. Canin, qui soutient sa thèse le 8 août 1811 sur le traitement de quelques plaies de tête (Thèse Paris, 1811, n°93), est membre de la Légion d'Honneur, chirurgien-Major aux armées, Docteur de l'Université d'Iéna, membre correspondant de l'Académie impériale Joséphine de Vienne, et membre honoraire de la Société minéralogique d'Iéna.


Johann Gottfried Langermann (1768-1832), le destinataire et éditeur des lettres de Schweigger, est considéré comme l'un des pionniers de la psychiatrie allemande. Dans les premières années du siècle dernier, Langermann transforma, sur la demande du ministre prussien Karl August von Hardenberg la Maison des fous de Saint-Georges près de Bayreuth en « Psychische Heilanstalt für Geisteskranke » (établissement de soins psychiques pour malades de l'esprit).

L'événement marque traditionnellement le début des thérapeutiques psychiatriques modernes en Allemagne.

Né le 8 août 1768 à Maxen près de Dresde, Langermann a étudié l'art de guérir à Iéna, où il soutient le 24 juin 1797 sa fameuse thèse, De methodo cognoscendi curandique animi morbos stabilienda, qui établit la nécessité de traiter par des moyens psychiques ces « maladies de l'âme durables ».

En 1799, il se fixe à Bayreuth, est nommé assesseur au Collège de médecine de Franconie, conseiller médical, professeur d'accouchement, médecin-directeur de Saint-Georges (installation le 16 février 1805) où il se distingue par ses talents administratifs et dans le traitement des malades.

Quand Bayreuth fut rattaché à la Bavière, Langermann part à Berlin, 1810, puis en Prusse où il est nommé conseiller d'État du Roi; il contribue à la fondation des asiles de Siegburg, 1825 et Leubus 1830.
Il a publié une notice sur sa méthode dans la Gazette médico-chirurgicale de Salzbourg : « Über den gegenwärtigen Zustand der psychischen Heilmethode der Geisteskrankheiten und über die erste, zu Bayreuth errichtete psychische Heilanstalt », Medicinisch-chirurgische Zeitung, vierter Band, 1805, 90-93.
Langermann meurt le 5 septembre 1832.

Voir : Dezeimeris, III-1836, 392; Michaud, XXIII en référence à un opuscule paru à Berlin en 1835 : « Langermann et Stahl, représentés comme les fondateurs de la médecine mentale » (« Langermann und Stahl als Begründer der Seelenheilkunde », im Ideler's Grundriss der Seelenheilkunde, Berlin, 1835, I. Bd 1 Abschnitt), Wunschmann, 1883, XVII, 682-683, article signé Bandorf; P. Sérieux, 1903; S. Kornfeld, 1905, 655-666; P. Berner,1983; J.-P. Huber, 1989.


Langermann aura donc joué un rôle de précurseur dans le développement des institutions et dans l'humanisation des des soins donnés aux fous.
Il est l'un des élèves de Johann Christian Reil (1759-1813), autre grand psychiatre romantique -ou psychiste, par opposition à organiciste ou somatiste- allemand qui domine avec Pinel la psychiatrie de l'époque,

Jean-Chrétien Reil, né à Aurich en Frise orientale le 28 février 1759, fut reçu docteur à Halle le 9 novembre 1782, professeur extraordinaire à Halle en 1787 puis professeur de thérapeutique et directeur de l'Institut clinique. En l 789, il est nommé médecin physicien de la même ville.
En 1810, il s'installe à Berlin où il est nommé professeur de clinique interne et où il meurt le 22 novembre 1813.
Renommé pour ses travaux sur le cristallin (1794), sa représentation de la macula lutea (1797) et sa description d'une structure cérébrale qui porte son nom, l'Île de Reil (1809), membre correspondant de la Société de l'École de médecine de Paris, il est l'auteur du premier traité systématique de thérapeutique : Rhapsodien über die Anwendung der psychischen Curmethode auf Geisteszerrüttungen (Rhapsodies sur l'application des méthodes psychiques de traitement de la folie; 1803 réédité en 1818. Traduction française, éd. Champ Social, 2007), fonde en 1805-1806 le premier journal de psychiatrie, « Magazin fur psychische Heilkunde », et passe pour le créateur en 1808 du terme "Psychiatrie" pour désigner la médecine mentale.


Le médecin français Vaidy en porte témoignage dans la relation d'une visite effectuée à Bayreuth en compagnie du médecin-directeur, accordant « les plus grands éloges aux soins philanthropiques que l'on y donnait aux aliénés, et à la manière sage et prudente avec laquelle le traitement moral y était dirigé » :

Langermann, écrit Vaidy en 1818, « m'a fait voir à Bayreuth, l'hôpital des aliénés dont il est le médecin. Je ne me rappellerai jamais cette visite, sans éprouver un sentiment de bonheur. Partout je vis les soins de la plus touchante philanthropie, dirigés par une raison éclairée. Tous les aliénés ont des lits tenus avec une propreté scrupuleuse : ceux qui ne déchirent point leurs draps et leurs couvertures, ont des lits complets. En hiver, un petit poële sert à chauffer deux chambres.
Tous les matins, quand il fait beau, les aliénés sortent et passent une grande partie de la journée dans le jardin, où on les occupe à remuer la terre : ils ne connaissent ni les chaînes , ni les verges, ni châtimens quelconques. Ceux qui sont furieux, sont maintenus par de simples camisoles de force. M. Langermann doit son succès à ces simples moyens, mais il les doit aussi à cette alliance de bonté et de fermeté, qui inspire aux aliénés une soumission affectueuse »

(Dictionnaire des sciences médicales, Panckoucke, T. XXX (1818), bibliographie de l'article Manie).


Le chapitre de l'ouvrage de Schweigger dont nous proposons une traduction (p.1 à 39) concerne les trois grands établissements d'aliénés, Bicêtre, la Salpêtrière, Charenton, ainsi que les maisons privées.

Les malades mentaux, généralement alors dénommés aliénés (lrren, dans le texte) et plus rarement fous (Narren), reconnus comme malades (Kranken), atteints d'aliénation mentale (Wahnsinn) ou folie (Verrücktheit, Tollheit) sont admis dans des établissements ou maisons d'aliénés (Irrenanstalten, Irrenhäuser) aussi dénommés hôpitaux (Spitäler, Krankenhäuser), ou dans des pensions privées (Privatanstalten).

Le médecin qui, bien que n'y limitant généralement pas son activité, se consacre spécialement aux aliénés, n'est pas encore un aliéniste (Irrenarzt). La distribution des locaux, les différentes classes de malades, les traitements en usage font l'objet de descriptions précises et pittoresques.
Schweigger, qui n'est pas un spécialiste des maladies mentales, ne s'interdit pas pour autant commentaires critiques et réflexions personnelles souvent pertinentes, où il fait preuve non seulement de grandes qualités intuitives mais aussi de connaissances inattendues eu égard à sa formation, tant dans le domaine des troubles psychiques que dans celui de l'organisation hospitalière.
Son point de vue a d'autant plus de valeur qu'il paraît exempt de toute intention polémique.

En ces années 1806-1808, le nouveau dispositif parisien de soins aux aliénés finit de se mettre en place, et demeurera presque inchangé pendant une soixantaine d'années, c'est-à-dire jusqu'à la création de l'hôpital Sainte-Anne sous le Second Empire : après la création du Conseil général des Hospices, les salles de l'Hôtel-Dieu destinées aux fous et aux folles ferment définitivement (1802), tandis que le service de traitement des femmes indigentes s'installe à la Salpêtrière, celui des hommes à Charenton puis à Bicêtre à partir de 1807.

Les malades des milieux aisés ont le choix entre la maison de Charenton et les pensions privées spécialisées, dont les plus récentes sont dirigées par un médecin. Le monde psychiatrique parisien est alors dominé par le Maître de la Salpêtrière, Philippe Pinel, secondé par son ancien collaborateur de Bicêtre le surveillant Jean-Baptiste Pussin, et très lié à son plus proche élève Esquirol qui a créé sa pension privée en face de l'hospice.

À Bicêtre, le service de traitement est placé sous la direction de deux médecins peu connus, Lanefranque et Hebréard. À Charenton, un conflit irréductible oppose le nouveau médecin en chef Royer-Collard au Sieur de Coulmier, le célèbre directeur autocrate; ce conflit s'est focalisé sur la question des représentations théâtrales, où les mondains parisiens se pressent, et dont le marquis de Sade, pensionnaire de la Maison, passe pour le directeur artistique.

La Salpêtrière sous Pinel, Bicêtre quelques années après les réformes inaugurées par Pinel et et Pussin, Charenton et son Théâtre des fous, les maisons privées d'Esquirol, Prost et Belhomme, sont donc quelques-uns des établissements que Schweigger nous invite à découvrir avec lui.

haut de chapître



SUR LES HÔPITAUX ET LES ÉTABLISSEMENS DE BIENFAISANCE À PARIS
par le docteur Auguste Frédéric Schweigger, professeur ordinaire de botanique à Kœnigsberg.

Publié avec des additions et un appendice sur les hôpitaux militaires français
par le docteur J. G. Langermann, conseiller médical et sanitaire à Bayreuth
Bayreuth, 1809, chez J. A. L. Erben


HÔPITAUX CIVILS

Le nombre d'hôpitaux à Paris est très considérable, pour le plus grand bien de la multitude des pauvres. Il s'agit d'une part d'hôpitaux proprement-dits (hôpitaux), d'autre part d'établissements de soins pour vieillards ou invalides (hospices). Quelques maisons réunissent les deux objets. Presque toutes sont placées sous la direction du Conseil général administratif des hospices civils.

Conformément au sommaire, je livre d'abord mes observations sur les maisons d'aliénés. Les deux établissements d'aliénés contrôlés par l'Etat sont Bicêtre et la Salpêtrière.


BICÊTRE

Bicêtre (à une demi-heure de la barrière d'ltalie), réservé aux hommes aliénés, m'apparaît peu satisfaisant; ceux-ci y sont presque tous logés ensemble dans un espace restreint. Les cours sont partagées par une clôture en fer et des portes à barreaux, de sorte que les aliénés d'un côté ont constamment ceux d'en face sous leur regard. Ce vice architectural est ici bien pire qu'à la Salpêtrière.
La première cour est réservée aux épileptiques incurables (tous ici ont été considérés comme incurables) et aux idiots; La deuxième aux aliénés incurables agités et aux furieux.

Les deux catégories sont logées dans de petites chambres le plus souvent humides de une à trois personnes, presque abandonnées à elles-mêmes. Quelques-uns fabriquent des jeux et autres petites choses qu'ils cherchent à vendre aux visiteurs de l'établissement; le matériel nécessaire leur est fourni.
Les aliénés turbulents ont les bras attachés avec des camisoles (lange Ärmel) ou sont enfermés; les furieux violents sont maintenus au cou et aux pieds par des liens de fer (eiserne Bänder) fixés au mur de la cellule. Le visiteur curieux pourra se faire montrer un albinos dans la deuxième section, en le demandant au gardien sous son surnom : le lapin.

Je renvoie au portrait et à la description que fait Monsieur Alibert dans un ouvrage de dermatologie à paraître et me contente d'observer qu'il est né à Paris de parents un peu âgés en parfaite santé.
Âgé à présent de 22 ans, il est à Bicêtre depuis sa petite enfance. Il fuit le plus possible la lumière, parle de façon inintelligible sur le ton strident de quelqu'un qui a envie de pleurer, et ne montre guère de traces d'intelligence. Il passe la plus grande partie de la journée dans l'obscurité et seule quelque promesse permet de lui faire ouvrir les yeux et d'en observer la rougeur. Sa tête et ses organes génitaux sont couverts d'un poil blanc très raide, qui ressemble à celui des chèvres. Il est calme, s'adonne à la masturbation et se met facilement en colère. Une femme albinos (Kakerlake, dont le sens actuel est cancrelat) se trouve à l'hôpital des femmes incurables.


Nota. Jean Louis Alibert, 1768-1837, fondateur de la dermatologie en France, fait paraître en 1806 son œuvre maîtresse Description des maladies de la peau observées à l'hôpital Saint-Louis, et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement. Paris, Barrois, 1806, qui annonce son Précis théorique et pratique sur les maladies de peau... Paris, Barrois, 1810-1818, 2 vol.


La troisième section renferme les aliénés curables. Ils occupent un bâtiment particulier et une cour qui n'est séparée de celle des incurables que par une grille en fer. Le bâtiment lui-même comprend quatre salles de 28 lits sur deux rangées. Au rez-de-chaussée dans la salle de droite se trouvent les aliénés tranquilles, dans celle de gauche les aliénés turbulents, au premier étage à droite les convalescents, à gauche les aliénés malades.
Pour les contenir au lit, on peut utiliser une sangle ventrale ou un sac fixé à des tréteaux et remonté jusqu'à la poitrine ou encore des bandes renforcées avec du fer, attachées autour des pieds. La partie supérieure du corps est maintenue par des cordes fixées de chaque côté du lit et passées sur les épaules et les bras par des manches longues. Les furieux proprement-dits restent avec les incurables jusqu'à ce qu'ils se calment.
La cour sert d'espace collectif pour les quatre divisions de la maison.

Il y a également un pavillon de bains, avec huit baignoires dans lesquelles les malades sont maintenus par un couvercle avec un trou pour la tête. Un tuyau est installé pour la douche. On fait grand usage des bains chauds, plus rarement des bains froids.

Tout cet équipement pour le traitement des aliénés n'existe que depuis un an; ils étaient auparavant à Charenton, où quarante lits d'hommes et vingt de femmes étaient entretenus par l'Administration des hôpitaux. Actuellement la police n'y envoie plus d'aliénés; le Gouvernement n'a que deux établissements de cette classe et Charenton est un pensionnat sous administration particulière.

On accorde aux aliénés de Bicêtre le plus de liberté possible, mais il leur manque surtout de l'occupation. Le médecin est Monsieur Lanefranque, les chirurgiens Messieurs Dumont et Hébréard. Ils sont affectés également à la Prison et aux autres pauvres de Bicêtre. Puissent de meilleurs locaux venir bientôt secourir leur zèle! Le nombre total des aliénés est d'environ cinq cents. Leur alimentation consiste en des légumes, un peu de viande et près de deux livres de pain; l'eau est leur boisson habituelle.

La proportion d'aliénés guéris est encore actuellement inconnue. À l'égard du taux de mortalité, je ne dispose d'aucun renseignement nouveau. Il y a eu trois décès sur 355 en l'an IX, trois sur 622 en l'an X, cinq sur 531 pour les six premiers mois de l'an XI, et la proportion est en général de un sur 110 à 150. Ces chiffres ne sont pas exacts, les aliénés malades étant le plus souvent transférés dans les infirmeries des autres malades, l'on ignore ce qu'ils deviennent.



COMMENTAIRE sur Bicêtre

Lors de la visite de Schweigger, le service médico-chirurgical du vieil hôpital est donc dirigé par Jean Baptiste Pascal Lanefranque, assisté de François Dumont et François Hebréard. Jean Baptiste Pascal Lanefranque, fils de Thomas de Lanefranque, conseiller du Roi et docteur en médecine, naît dans les Landes le 7 avril 1770 et entre à Bicêtre, à 34 ans, le 1er floréal an III.
Son rôle à Saint-Prix n'est pas connu : de l'an III à l'an XIII, le médecin en chef de l'hospice est celui des infirmeries, ici comme à la Salpêtrière. « Il est dès le Consulat très apprécié par Corvisart qui l'attache à la Maison de l'Empereur, lors de sa constitution.
Dès lors, Lanefranque va se trouver plus souvent en campagne qu'à Bicêtre. C'est ainsi qu'au matin d'Essling, il recueillera de Lannes des propos pleins de sombres pressentiments. Napoléon l'appréciait. Il fut, en 1808, le seul des quatre médecins par quartier à être fait chevalier de l'Empire. Cas rare, mais prévu par l'héraldique impériale (ses armes comportaient un annelet d'argent signe des "Chevaliers non légionnaires"), il avait été anobli sans être décoré de la Légion d'honneur.
À sa mort, à la fin de l'été 1812, il n'avait toujours pas reçu la croix » (Lemaire). Il aura en effet pris part à toutes les campagnes sous l'Empire, et meurt à Bagnères les Eaux le 25 septembre 1812 “d'un coup d'épée”, affirme le père Richard « quoique ses amis aient fait courir le bruit qu'il était mort d'un coup de sang », et ce au cours d'un duel à Bordeaux contre Racle, remarié avec son ex-femme. br> Voir Révérent, Lemaire.

François Dumont, entré à Bicêtre le 28 novembre 1792 en qualité d'élève, est nommé chirurgien en second le 23 germinal an II, chirurgien en chef le 29 nivose an VIII en remplacement de Esmale, et meurt le 13 août 1816.

François Hebréard, originaire du Var où il naît en 1775, entre à Bicêtre en qualité d'élève en chirurgie le 10 vendémiaire an V (1er octobre 1796) à l'âge de 21 ans. Nommé à la Salpétrière le 11 thermidor an V, il revient à Bicêtre le 8 germinal an IX (29 mars 1801) comme chirurgien en second ou chirurgien de deuxième classe à la place de Laurent Murat, Etat des chirurgiens...; Arch. A.P., ms, Fosseyeux 142.
À la mort de Lanefranque, le poste de médecin en chef est supprimé : le 16 décembre 1812, le ministre de l'Intérieur décide de lui substituer deux médecins, l'un pour les infirmeries, l'autre pour le traitement des aliénés, auquel Bicêtre est désormais officiellement destiné.
Hebréard est nommé à Saint Prix « médecin pour le traitement des fous ». Le premier titulaire du poste est l'homologue d'Esquirol, médecin ordinaire chargé du traitement des aliénées à la Salpétrière.
Deux ans plus tard, Hebréard remplace Legallois à la prison : « Par décision du 16 mars 1814, le Ministre de l'Intérieur a nommé Mr Hebréard, médecin de la prison de Bicêtre, en remplacement de Mr Gallois décédé » (A.N., F8 144).

À sa mort en 1818, c'est Étienne Pariset (1770-1847), médecin de l'hospice qui est chargé du traitement des fous.


Lanefranque est entré à Bicêtre le 20 avril 1795, au départ de Pinel. Chargé essentiellement des malades des infirmeries, comme son prédécesseur, il a laissé la conduite du quartier des aliénés au surveillant Pussin jusqu'à la mutation de celui-ci à la Salpêtrière en mai 1802 : « La maison des fous est sous la surveillance du C. Pussin qui, par des moyens purement moraux, guérit un grand nombre de ces fous après qu'ils ont résisté aux traitements physiques qu'on leur fait subir, suivant l'ancienne méthode, à l'Hôtel-Dieu », indique J.-B. Say dans La Décade philosophique, an IX, t.3, p.262 (cité par M. Gauchet et G. Swain, La pratique..., 1980; p.66 note 33).


En cette année 1808, Bicêtre n'assure le traitement proprement-dit des fous que depuis un an. Auparavant, l'hospice ne recevait que les aliénés indigents jugés « sans espoir de guérison » après traitement à Charenton : Après trois mois de traitement en vertu de l'arrêté du ministre de l'Intérieur en date du 28 fructidor an X (15 septembre 1802, délai porté à six mois le 8 février 1806 par le même ministre à la requête du directeur de Charenton, Minutes du Conseil Général des Hospices (C.G.H.), vol. XV, 6226, f°560.


Au printemps 1806, le Conseil Général des Hospices civils de Paris a décidé « d'établir le traitement des aliénés dans l'hospice de Bicêtre » (Minutes du C.G.H, vol. X, 3365, f°339).
Un an plus tard, Lanefranque peut informer le Conseil de la fin des travaux.


Travaux que l'on peut suivre dans les minutes du C.G.H.

Vol. X, 3452 : fourniture de carreaux en bois de chêne pour être posés aux croisées du bâtiment neuf des aliénés de Bicêtre, 26 mars 1806; 3567 : achat de briques pour le bâtiment neuf, 7 mai 1806; 3582 : travaux de maçonnerie, serrurerie, menuiserie pour l'achèvement de la salle des bains et du cabinet des latrines du bâtiment destiné au traitement des fous, 7 mai; 3516 : rehaussement du mur de l'ancien cimetière, par-dessus lequel les fous et les épileptiques, admis à Bicêtre, s'évadent, 14 mai; 34318 et 3640 : construction d'un mur qui doit partager le nouveau promenoir des fous, du chantier de bois à brûler, 14 et 21 mai; 3641 : construction d'un mur pour soutenir les terres du promenoir des fous, 21 mai; 3650 : ouvrages de serrurerie pour le bâtiment neuf des aliénés de Bicêtre, 21 mai; 3675 : travaux de plomberie pour ouvrir le grand puits en conduisant dans le réservoir le trop plein des eaux de la fontaine des fous, 28 mai.

Vol. XI, 3799 : fourniture de moëllons pour : l'achèvement de la salle de bains et du mur de terrasse du nouveau promenoir des fous, 16 juillet 1806; 3853 : ouvrages de menuiserie à la salle de bains des aliénés, 6 août; 3855 : ouvrages de maçonnerie dans la cour du nouveau bâtiment des aliénés, 6 août; 4026 : ouvrages à faire dans la cour des fous, 1er : octobre; 4177 : armature de six baignoires nécessaires au traitement des fous, 12 novembre; 4214 : ouvrages de plomberie à exécuter dans la salle des bains du bâtiment des fous tranquilles, 26 novembre; 4272 : travaux et fournitures de fonderie à faire à la salle des bains des fous tranquilles, 3 décembre 1806.

Vol. XII, 4468 : ouvrages de plomberie à exécuter pour l'établissement d'une salle de bains au bâtiment des fous, 7 janvier 1807; 4517 : établissement d'une chaussée en pavé autour du bâtiment des fous tranquilles, 14 janvier; 4612 : ouvrages de grillage à l'escalier du bâtiment des fous tranquilles, 11 février; 4615 : ouvrages de maçonnerie faits au bâtiment des fous tranquilles pour la construction d'un fourneau, 11 février 1807; 4908 : gratification accordée à M. Viel, architecte, pour sa contribution et pour les directives qu'il a données lors de la construction du bâtiment des fous de Bicêtre, 22 avril 1807.

Vol. XIII, 5206 : ouvrages de maçonnerie à faire à Bicêtre au bâtiment neuf des insensés suivant le devis de M. Viel, 8 juillet 1807. Vol. XIV, 5460 : ouvrages de pavage à faire à la cour du bâtiment des fous tranquilles, 23 septembre 1807)


Bicêtre dispose enfin d'un « bâtiment bien aéré de 160 lits, d'un rang de loges pour les furieux, de cour et de jardins pour le service et la promenade de ces infortunés, d'une salle de bain contenant 12 baignoires avec autant de douches, fournies d'eau par une fontaine, et de tous les accessoires nécessaires à ce genre de maladies ».

Le médecin en chef précise en outre que « Mr Hebreard, médecin en second, et élève de Mr Pinel, veut bien être chargé » du nouveau service :

« Vu l'établissement formé à l'hospice de Bicêtre pour le Traitement des Aliénés, consistant en un Batiment bien aéré...
Vu la lettre du Médecin en chef de cet hospice, par laquelle il informe le Conseil des dispositions qu'il a faites, relatives à son Art, afin que ce Traitement ait tout le succès possible, et par lesquelles entre-autres, Mr Hebreard, Médecin en second et élève de Mr Pinel veut bien être chargé de la Surveillance de l'Administration des Remedes, des Soins particuliers qu'exigent ces malades et des observations qui doivent être faites sur leur état journalier
(biffé : Vu l'apperçu des Economies que le Traitement des Aliénés, fait à l'hospice de Bicêtre, amennera dans les Depenses des hospices. Dépenses qui sont présentement par année, de 70 à 80 mille francs, et qui prises sur le Budget Gl de la Maison de Bicêtre ne s'élèveront pas au dessus de 20 000 F.)
Le Conseil arrete :
Art 1er Le Bureau Central des Officiers de Santé près les hospices cessera d'envoyer à la Maison de Charenton les Aliénés indigens, il les fera conduire à l'hospice de Bicêtre et il continuera d'avoir l'attention de les faire suivre d'autant de renseignemens qu'il aura pu se procurer sur la cause de leur mal.
>Art. 2 Il sera donné connaissance de la présente déclaration à Mr le Conseiller d'Etat Préfet de Police,
Art 3 Le Membre de la Commission chargé de la direction des hospices veillera à la prompte exécution de cette Déliberation, expédition lui en sera délivrée ainsi qu'à la 2e et 4e Division, à l'ordonnature Gle, au receveur et au Bureau Central” (Minutes du C.G.H., vol. XIII, 5109, f° 217-218, séance du 10 juin 1807).


Ainsi, le 1er juillet 1807, le Conseil ordonne que les aliénés à la charge des hospices seront désormais envoyés directement à Bicêtre par le Bureau central, tandis que ceux qui ont les moyens de payer une pension continueront d'être reçus à Charenton.
Note de Dubois, Préfet de Police, sur un Rapport en date du 30 juin 1807 signé Henry, chef de la 2ème division, 3ème Bureau de la Préfecture de Police, n°33959, Archives de la Préfecture de Police, D B/218, document découvert et aimablement communiqué par le Dr Michel Gourevitch. La mesure semble avoir pris effet le 1er août.


François Hebréard n'a guère laissé de traces dans l'Histoire de la psychiatrie.

Qui connaît aujourd'hui cet autre élève de Pinel, qu'il a très probablement fréquenté en tant qu'élève chirurgien, puis en tant qu'étudiant en médecine (il suit, à partir de l'an VIII probablement, les cours de l'École de médecine de Paris. En l'an IX, il fait partie des élèves de la 3ème section de l'École pratique passant à la 2ème section, A.N., AJ 16 6698 n°156), premier responsable du nouveau service de traitement des fous de Bicêtre?


Malgré la réorganisation récente, Schweigger relève des vices architecturaux qui tiennent avant tout au défaut de séparation des trois sections.
Le visiteur fait ensuite une description détaillée des accessoires et techniques de contention, où il apparaît que les liens de fer sont encore utilisés pour les furieux. Le nombre de ces malades n'est pas précisé, mais il pourrait bien n'être pas très différent de ce qu'il avait été jadis : La Rochefoucauld-Liancourt, pour le le Comité de Mendicité ( Rapport, 1790-1791) n'en avait observé que dix pour tout le service en 1790 et Audin-Rouvière six seulement en 1794.

Le fait peut surprendre, six ans après le départ de Pussin, qui procéda, selon ses propres notes, au déferrement des fous de Bicêtre en prairial an V (20 mai-18 juin 1797) :

« J'ai tellement cherché à adoucir l'état de ces infortunés, qu'au mois de Prairial de l'an V, je suis venu à bout de supprimer les chaînes (dont on s'était servi jusqu'alors pour contenir les furieux), en les remplaçant par des camisoles qui les laissent promener et jouir de toute la liberté possible, sans être plus dangereux » (Observations faites par le citoyen Pussin sur les fous, 1er nivôse an VI; texte découvert par Dora B. Weiner, 1980; p.252)

Pussin à qui Pinel en accorde officiellement - en 1809 - la paternité, en le situant lui-même en l'an VI (4 prairial - 23 mai 1798) (Traité médico-philosophique, 1809; p. 201).

Il est vrai que Desportes, évoquant -en 1823- la première visite du Conseil général en l'an X (1801) à Bicêtre, affirme que « plusieurs infortunés y étaient encore tenus par de lourdes chaînes dont le mouvement portait au loin l'épouvante » : là encore, « tout ce qu'il fut possible au Conseil général d'opérer sur-le-champ pour le soulagement de ces malheureux, fut promptement exécuté; les chaînes furent enlevées, les carcans arrachés et les fers des mains et des pieds supprimés : des ordres suivirent pour que chaque loge fut aérée et mise dans un état moins insalubre; ces malades, une fois débarrassés des tortures que le crime seul aurait pu excuser, purent enfin respirer un air moins épais que celui de leurs tristes réduits, et bientôt on reconnut combien on s'était abusé dans le choix des moyens propres à les contenir ».
(Rapport fait au Conseil Général des Hospices Civils de Paris, dans sa séance du 13 novembre 1822, sur le service des Aliénés, traités dans les établissemens de l'Administration, depuis le 1er janvier 1801 jusqu'au 1er janvier 1822; Par le Membre de la Commission administrative chargé des hospices. Paris, Huzard, 1823; p.44)

L'usage gothique des chaînes de fer, tant dénoncé par Pinel, se serait donc perpétué à Bicêtre bien au-delà de ce que le grand aliéniste a écrit et ses hagiographes ont avancé, et leur suppression définitive n'aura probablement pu s'opérer qu'après plusieurs tentatives.

Pinel pour qui, il est vrai, la coutume barbare et routinière en est l'usage non interrompu, (Traité, 2e éd., p.201) et ailleurs leur usage illimité (p. 227); plus loin (p.283), il fait encore allusion à l'abolition à Bicêtre de l'usage des chaînes, comme moyen de répression.

Il prend cependant un net parti en faveur du gilet de force ou camisole (par exemple p.264, note).


LA SALPÊTRIÈRE

La Salpêtrière est réservée aux femmes. Le célèbre Pinel, un vieil homme d'une extrême obligeance, est le médecin-directeur. Pussin et Lallement sont ses assistants; le deuxième occupe la fonction de chirurgien. Pinel travaille dans des locaux très défavorables où la plupart des chambres sont des loges humides de un à quatre lits. Il dispose bien de quelques salles mais pratiquement d'aucune chambre agréable. Il fait tout son possible pour surmonter ces inconvénients.

Les aliénées sont classées en
1° incurables
2° furieuses
3° méchantes (bösartig) et très turbulentes,
4° curables calmes et dans une section à part les convalescentes

Les loges déjà mentionnées sont occupées par les trois premières catégories séparées les unes des autres. Là les aliénées participent au nettoyage de la cour au transport du bois et de l'eau et à d'autres travaux de ce genre et se promènent à moitié nues presque toute la journée sur le pavé mouillé. C'est là vraisemblablement la cause de la fièvre intermittente dont elles sont souvent atteintes, pendant laquelle elles sont soignées dans leur chambre ou dans une infirmerie générale selon le degré de leur folie. En hiver quelques chambres sont chauffées; Pinel ne craint cependant pas le froid de cette division qui peut pourtant être très vif le sol des chambres étant pavé. Dans la quatrième section Pinel place dans des salles à part les aliénées curables et calmes et les convalescentes. Leur infirmerie est également séparée de celle des autres aliénées. Il n'existe malheureusement pas de lieu distinct en fonction du niveau social et culturel des aliénées, mais il y a ici très peu de malades de condition, car celles-ci sont traitées à Charenton ou dans les petits établissements privés. Une centaine de lits est toujours disponible pour les convalescentes et les aliénées rétablies doivent rester deux à trois mois pour confirmer leur guérison. En cas de crise, les gardiens ont obligation de conduire les malades dans la section appropriée.
Quant au traitement de la folie, Pinel laisse la plupart du temps passer les accès de fureur sans aucun médicament, mais recourt ultérieurement aux narcotiques ou aux émétiques. Aussi longtemps que la malade est très agitée elle reste enfermée dans sa chambre, sans contrainte toutefois; elle a ensuite le droit de circuler dans la cour les bras liés ensemble dans le dos; au cas où la fureur persiste longtemps elle est de temps en temps attachée dans la cour avec une surveillante auprès d'elle pour tenir les autres aliénées à distance.

Au reste, Pinel leur laisse autant de liberté qu'il peut l'être, ce qui lui vaut de leur part une grande estime. Plusieurs heures par jour, les aliénées doivent effectuer des travaux domestiques, qu'il choisit dans le strict respect de leur constitution physique et de leur mode de vie antérieur. Les activités de cette section consistent surtout en couture, tricot, canevas, parfois aussi lecture et écriture, au gré du malade, mais le travail mécanique est la règle, et il n'est fait exception que pour les malades les plus cultivées. Pour conserver leurs forces, il prend soin de ce que la nourriture soit bonne, mais refuse le plus souvent la viande.
Il utilise très exceptionnellement la saignée, mais plutôt la méthode antigastrique. Il fait grand usage des bains chauds (jamais froids), souvent associés à la douche. Ses malades l'aiment au plus haut point, et il fait sa visite avec beaucoup d'attention, comme les médecins à Charenton. La 4° section est celle dont il a le plus grand soin. Récemment Pinel m'a fourni les derniers chiffres de la proportion des guérisons et des non guérisons, sur un total de 500 à 600 aliénées : la moitié sont des incurables, et sur l'autre moitié, les furieuses comptent pour un tiers dont beaucoup encore sont incurables. Les deux autres tiers sont des malades des 3° et 4° sections. Parmi ces deux derniers tiers, beaucoup sont soignées par Pinel lui-même. Sur cent, il en guérit 84. J'aurai peut-être bientôt la possibilité de le constater par moi-même. À la dernière visite à laquelle j'ai assisté, j'ai pu obtenir cette estimation dont il donnera de plus amples renseignements dans la nouvelle édition de son "Traité sur la manie" qu'il prépare actuellement. Parmi ces 84 malades guéries, ne peut-on se demander si plusieurs ne quittent pas l'établissement simplement calmées? Il ne nous appartient pas d'en juger, et Pinel et ses assistants considèrent les récidives comme très rares. Le nombre des femmes devenues folles du fait de leur grossesse serait faible, et du moins n'est-il pas impressionnant.


COMMENTAIRE sur La Salpêtrière

Seul le service des aliénés est traité ici. Les quartiers des vieillards et infirmes, et l'infirmerie de la Salpêtrière font l'objet d'un autre chapitre du livre (p.114 et suiv.), où sont évoqués Augustin-Jacob Landré-Beauvais (1772-1840), médecin adjoint de Pinel, et les chirurgiens Lallement et Murat.

À la Salpêtrière, réservée aux femmes, Philippe Pinel (1745-1826) a pris ses fonctions le 24 floréal an III - 13 mai 1795. Il est assisté de Jean-Baptiste Pussin (1745-1811) et du chirurgien André-Marie Lallement (1767-1834).


Philippe Pinel, l'illustre médecin aliéniste, est trop connu pour que nous lui consacrions une note biographique. Rappelons seulement que Pinel a pris ses premières fonctions hospitalières à Bicêtre le 11 septembre 1793, d'où il a obtenu sa mutation à la Salpêtrière en 1795. Nommé Professeur adjoint de Physique Médicale et d'Hygiène de l'École de Santé de Paris le 14 décembre 1794, il a succédé l'année suivante à Doublet dans la chaire de Pathologie interne)

Jean-Baptiste Pussin, ancien garçon tanneur né à Lons-le-Saunier (Franche-Comté) en septembre 1745, est gouverneur puis surveillant des fous de Bicêtre de 1785 à 1802, puis surveillant des folles de la Salpêtrière de 1802 à 1811. En 1771, atteint des humeurs froides, il avait été hospitalisé à l'Hôtel-Dieu de Paris puis transféré comme infirme le 5 juin à Bicêtre selon la procédure ordinaire. Guéri, il reste à Bicêtre et se voit confier, en avril 1780, le poste de maître des enfants du bâtiment neuf, puis de gouverneur de l'emploi. À l'âge de 40 ans, en 1785, il devient gouverneur de Saint-Prix, l'emploi des fous.

André-Marie Lallement, né en 1767 à Guérande (44), se livre à l'étude de la chirurgie de 1784 à 1792 à l'école de Desault, et poursuit une carrière universitaire et hospitalière : professeur de médecine à Paris, professeur de clinique médicale de perfectionnement réservée aux cas rares en 1795, adjoint de Sabatier à la chaire de médecine opératoire à l'école de médecine de Paris de 1795 à 1822. Il a remplacé Boyer en 1795 comme chirurgien-adjoint à la clinique de perfectionnement, avant de devenir chirurgien en chef de la Salpêtrière. Membre de l'Académie de médecine, section de chirurgie (1820). Mort le 10 décembre 1834 à Paris.
« Lallement passait pour un savant aux yeux de ses collègues, mais il n'a pas mis le public à même de juger si cette réputation lui était légitimement acquise; car à part quelques observations publiées dans les journaux de médecine et dans le Bulletin de la Société de l'École, il ne nous a rien laissé » (Michaud).
« Esprit original et taciturne, il ne supportait pas de prendre un repas avec quelqu'un; aussi déjeunait-il dans un tiroir. Quand un visiteur ou un de ses collaborateurs entrait, il repoussait le tiroir et prenait un livre. Bon chirurgien par ailleurs » (Lemaire).
Voir : Biogr. Michaud, suppl. T. 69e, 1841; Lemaire, 1992; note 6 p. 190; F. Huguet. Référence inédite : « Etat général des Professeurs de l'École de médecine de Paris dressé conformément à la lettre du Directeur général de l'Instruction publique en date du six vendémiaire an 6 », A.N., F17 2289.


Non sans fierté, Pinel a évoqué ces voyageurs qui, « curieux de visiter l'hospice des aliénées de la Salpêtrière, et témoins de l'ordre et du calme qui y règnent en général, ont dit quelquefois avec surprise en parcourant leur enceinte : "Mais où sont les folles?", ces étrangers ignoraient que c'étoit faire l'éloge le plus encourageant de cet établissement » (Traité médico-philosophique, 2e éd. (1809), p.193).

L'aliéniste consacre dans la seconde édition de son Traité de longs développements aux résultats opérés à la Salpêtrière sous sa direction, se félicitant d'un plan général et d'une distribution intérieure méthodiques et judicieux dans l'ensemble (p.195-200), multipliant les exemples cliniques prouvant la supériorité de son approche thérapeutique.

Schweigger, observateur sagace et indépendant, rend quant à lui un compte fort honorable pour un médecin en chef qui a su, malgré des conditions matérielles peu favorables, mettre en œuvre une méthode de traitement qui lui vaut l'estime et l'affection de ses malades.

Ce n'est que lorsque la force médicatrice de la nature conjuguée aux moyens moraux n'a pas permis d'obtenir la guérison qu'il recourt à la thérapeutique médicale active, en se limitant encore aux techniques les moins agressives : pas de bains froids, de rares saignées, un usage des médicaments limité aux états d'agitation.

Le travail manuel est également utilisé dans un but thérapeutique; cette ergothérapie avant la lettre, « loi fondamentale de tout hospice d'aliénés » (Traité médico-philosophique, An IX (1800), p.224) semble avoir surtout eu pour objet de consolider la guérison et être essentiellement proposée aux convalescentes, mais Schweigger ne le précise pas nettement, et Pinel considérait que « très peu d'aliénés, même dans leur état de fureur, doivent être éloignés de toute occupation active ».

Il est indéniable que le quartier d'aliénées du vieil hospice, qui avait gardé de l'Ancien Régime une très mauvaise image, a connu en vingt ans une transformation radicale des plus heureuses. Beaucoup d'efforts ont pourtant été nécessaires pour y parvenir, le facteur décisif étant sans conteste l'arrivée du surveillant Pussin.


En 1798, lorsqu'il demandait la mutation de son ancien collaborateur, Pinel se voyait en effet obligé d'admettre que, « depuis plus de trois ans (qu'il est) en activité de service à la Salpêtrière, il (lui) a été impossible d'entreprendre le traitement de la folie ou même de faire aucune observation exacte sur cette maladie à cause de l'espèce de désorganisation où est cette partie de l'hospice ».

Le surveillant Pussin, qui « joint à une intelligence rare et à une expérience de plusieurs années, l'heureux accord des sentiments d'humanité et d'une fermeté imperturbable si nécessaires pour contenir les gens de service, prendre l'ascendant sur l'esprit de certains aliénés et concourir ainsi puissamment à rétablir leur raison », lui apparaissait alors indispensable pour diriger la police intérieure de son service, et aux yeux de Thouret, directeur de l'École de Médecine « le seul homme capable de le seconder dans son entreprise »
(Lettre au ministre de l'Intérieur, 26 vendémiaire an VII (17 octobre 1798) apostillée par Cabanis, Roussel, Jouenne-Lonchamps et Thouret, publiée par M. Gauchet et G. Swain, Documents..., 1980; p.50).

Nommé en juillet 1801 tout en étant maintenu à Bicêtre, Pussin s'est vu confirmé dans son nouveau poste en décembre de la même année, et passe à la Salpêtrière en qualité de surveillant des folles le 19 mai 1802.
(Arrêtés du Conseil Général des Hospices des 3 thermidor an IX (22 juillet 1801) et 14 frimaire an X (5 décembre 1801), A.A.P., Fosseyeux 136, vol. 1; publiés par M. Gauchet et G. Swain, Documents..., 1980; p.70 et 73)

Dès lors, tout change dans cet « emploi des loges, où plus de six cents aliénées entassées sans ordre et livrées à la rapacité et à l'ineptie des subalternes, ne présentaient que l'image du désordre et de la confusion ».


Le "Voyage à la Salpêtrière" du citoyen Jacques-Louis Moreau pendant l'été 1800, publié dans La Décade philosophique, an VIII, 4e trimestre, n°32, 20 thermidor, pp. 268-276, confirme que ces changements n'étaient point superflus :

« On nous indique le quartier des folles, nous entrons... Quel tumulte! Quel désordre! Quel contraste! Quelles vicieuses dispositions ! Tout est confondu, les folies paisibles et les folies furieuses, le calme et les accès, les hurlements perpétuels et le silence, l'imbécilité, les folies modérées et ces manies exaltées et gesticulantes, dont les symptômes peuvent se communiquer par l'imitation ».

L'auteur, futur collègue de Pinel à la Faculté et plus connu sous le nom de Moreau de la Sarthe, atténue quelque peu son propos en admettant que « de nombreux abus ont été supprimés, les folles ne sont plus enchaînées; leurs loges sont plus salubres, l'entassement moindre, et un sage arrêté du ministre de l'Intérieur défend les visites indiscrettes du curieux et l'oisif », non sans affirmer ensuite que « tout reste à faire, tout appelle et provoque impérieusement une utile révolution » dans ce service dirigé depuis cinq ans déjà par Pinel.


Tout change donc, grâce à Pussin, « un des hommes les plus connus pour leur droiture et leur fermeté, pour introduire et maintenir dans cet emploi la police intérieure la plus sévère et l'ordre de service le plus régulier », et le médecin peut enfin se consacrer aux recherches nécessaires aux progrès de la médecine mentale :

« Ce sera maintenant à la médecine à compléter l'ouvrage, et à recueillir non-seulement les connaissances les plus précises sur les diverses espèces d'aliénation mentale, mais encore à rechercher toute l'étendue et les limites réciproques du traitement moral et physique. »
(La Médecine clinique..., an XII-1804; Introduction, p. XXV)

Cette nomination survient à point nommé, puisque la mise en place du « traitement régulier » des aliénées par transfert de cette charge de l'Hôtel-Dieu à la Salpêtrière a eu lieu un mois plus tôt, par arrêté du ministre de l'Intérieur du 6 germinal an X (27 mars).

Pussin, aidé de son épouse, première surveillante de la division, et investi de prérogatives étendues, joue ainsi un rôle de premier plan non seulement dans la direction générale des aliénées, c'est-à-dire le maintien de l'ordre, mais aussi dans la conduite du traitement :

« L'attention du chef de la police intérieure est sans cesse partagée entre les soins dus à la distribution journalière des aliments, le maintien de la propreté, la répression du désordre et des rixes, les abus introduits dans le service, l'exécution des mesures prescrites le matin par le médecin, la direction prudente des salles des bains et des douches, enfin le passage alternatif des aliénées d'une des trois divisions dans une autre... Ce même chef de la police intérieure des loges manifeste encore bien plus d'habileté et de zèle dans la direction des aliénées au moral, dans l'art de dissiper à propos leurs illusions ou l'objet de leur délire, dans l'heureux don de les tenir dans sa dépendance sans perdre leur confiance et leur estime »
(« Recherches sur le traitement... » messidor an XIII, p.1159 (cité par J. Juchet, 1991, p.118).

L'importance du rôle de ce juge suprême est réaffirmé dans le Traité, 2e éd. p.251-252).


Les documents publiés par G. Bollotte (Un suicide..., 1974, 571-573. Les sources de l'auteur, non citées dans l'article, sont les minutes du C.G.H., vol. X, 3336, f°295 à 299) à propos de la mort d'une aliénée à l'infirmerie des loges de la Salpêtrière en février 1806 illustrent bien les positions respectives du médecin chef et de son surveillant et les conflits d'attribution avec le représentant de l'administration de l'hôpital.

Pour l'agent de surveillance qui le dénonce au Conseil Général des Hospices, Pussin « croit dépendre uniquement de M. Pinel » et s'oppose à toute sujétion vis-à-vis de l'administration :

« L'autorité absolue que le surveillant exerce sur toutes les employées qui lui sont subordonnées et sa volonté bien connue de ne dépendre en rien de moi y mettent journellement obstacle ». Ce que l'agent de surveillance semble considérer comme un abus de pouvoir du surveillant n'est pourtant que délégation du médecin en chef, qui affirme ailleurs la nécessité d'un « centre unique d'autorité pour la police intérieure, qui s'exerce sans cesse à réprimer les écarts de ces aliénées, à ramener l'empire de la raison et maintenir l'ordre le plus invariable dans l'hospice. Le surveillant qui en est revêtu ne doit point trouver d'obstacle dans l'exécution des mesures prescrites, et ses jugements doivent rester sans appel. » (« Recherches sur le traitement... », an XIII; p.1159)

Le rôle éminent du surveillant des loges, assistant du médecin-directeur au même titre que le grand chirurgien et futur membre de l'Académie de médecine Lallement, est pourtant passé sous silence par Schweigger, tandis que Pinel lui rend hommage tout au long de la deuxième édition de son Traité.
Qu'en aurait-il été sans lui des résultats obtenus par l'illustre aliéniste?

haut de chapître


CHARENTON

J'en viens à présent à la curieuse institution de Charenton, destinée aux deux sexes. Elle a beaucoup souffert pendant la Révolution, avant quoi elle était en même temps maison d'aliénés et prison. Cela ne fait que quelques années que l'on y effectue des admissions.

Il est infiniment difficile, même pour les médecins, de visiter cet établissement et j'aurais abandonné malgré une lettre de recommandation du fameux Dubois pour le chirurgien de la maison. Le directeur de l'établissement, Monsieur Decoulmier m'a finalement fait le grand plaisir de me permettre de suivre la visite du médecin, ce dont j'ai jusqu'ici profité aussi souvent que possible. Trois fois par semaine, le médecin, Monsieur Royer Collard, vient de Paris (Charenton est à une heure de la barrière) à 5 heures du matin en été, entre 6 et 8 heures en hiver. Le deuxième praticien, le chirurgien Monsieur Deguise, réside dans la maison.
Celle-ci se trouve dans un endroit beau et tranquille. Le nombre d'aliénés se monte à quatre cents, le nombre d'hommes dépassant celui des femmes de quarante à soixante. Actuellement, tous sont pensionnaires. La maison comprend une quantité de petites chambres dont beaucoup sans plafond, donc plutôt des boxes, chauffées par les poêles du corridor. Elles servent avant tout aux aliénés tranquilles. Les agités habitent des chambres qui communiquent avec le corridor par une large ouverture au dessus de la porte, et qui sont séparées les unes des autres par une mince cloison.
Les furieux se trouvent dans des loges; devant leur fenêtre, il y a une grille en fer comme dans la plupart des chambres de la maison, et une toile de laine amovible par une targette (beaucoup de chambres possédaient encore récemment le même système, aujourd'hui supprimé). Les furieux sont, m'a-t-il semblé, trop exposés aux rigueurs du temps.
Pour le reste, la maison est organisée de telle sorte qu'il ne puisse résulter le moindre désordre dans la distribution des aliénés. Chacun a sa chambre particulière, mais il y en a aussi de plus grandes pour quatre à six convalescents ou du moins pour des malades très calmes. Les deux sexes sont complètement séparés. En hiver, lorsque le chauffage des corridors ne suffit pas, on allume pour les convalescents des feux dans des cheminées; des salles particulières (chauffoirs) sont également chauffées à leur intention et à celle des autres malades. Dans beaucoup de chambres, on peut installer une chaise percée, surtout la nuit en hiver et pour les malades les plus faibles. De nouvelles salles qui seront bientôt meublées ont été construites tout récemment pour les fous tranquilles; beaucoup d'améliorations ont été réalisées cet été.
Si les aliénés sont atteints de quelque autre affection et ne sont pas trop agités, ils sont placés dans des salles communes. La propreté et le linge sont assurés. Chacun mange dans sa chambre, et la nourriture est de bonne qualité. On donne beaucoup de lait, des légumes, des fruits, peu de viande. Pour leur agrément, les malades disposent de quelques promenoirs et d'un beau jardin; en général, ils bénéficient d'un traitement humain.


Les deux médecins mentionnés ont la pleine confiance des malades et essaient de parvenir à leur but en leur parlant aimablement. Les mauvais traitements ne sont en aucun cas admis; à cet égard, deux gardiens (surveillans) veillent sur les garçons de service La punition ordinaire est d'enfermer les malades dont on attache les mains ensemble si nécessaire, ou à la rigueur de les maintenir dans leur lit avec des camisoles, et pour les malades instruits la réprimande publique.

Dans ce même but, on tire également parti de la famille qui n'a pas le droit de s'entretenir avec le malade sans l'autorisation du directeur. On tient à récompenser ceux qui obéissent et à les donner en exemple dans toute la maison, et de manière générale à stimuler le plus possible leur sentiment de dignité.
Les médicaments eux-mêmes sont peu usités, le plus souvent ceux de la classe des amers et les narcotiques. Si les saignées sont rares, on se sert trop communément de la fonticule (>Aderlässe sind sparsam, Fontanelle aber wohl zu gemein im Gebrauche).

Pour distraire et récompenser les aliénés, on organise des comédies, concerts et autres festivités, parfois terminées par un feu d'artifice. Les représentations des comédies ont lieu dans un petit théâtre dans la maison. Après plusieurs répétitions, la pièce est vraiment jouée. Les aliénés qui se sont tenus tranquilles sont admis comme spectateurs, et, en achetant un billet, les familles et même d'autres personnes peuvent être admises mais séparément des spectateurs fous. Le personnel de la maison s'installe au premier rang pour éviter le désordre.

Ces représentations peuvent assurément être d'un grand avantage. Il serait cependant souhaitable que ces répétitions soient multipliées, et que le passage au spectacle proprement-dit se fasse moins rapidement, que l'on recherche plus longtemps la pièce qui aurait un effet sur telle ou telle classe d'aliénés, et à cet égard que l'on choisisse soigneusement les pièces. Il est nécessaire que de tels exercices soient très variés, l'efficacité de ces représentations étant très limitée si elles n'ont pas été suffisamment préparées, et il faut beaucoup de temps pour que bien des fous expriment autre chose que ce que leur suggère leur imagination
(ihre Phantasie), et il faut encore attendre le moment où ils sont assez calmes pour être capables de jouer. Par conséquent, elles s'adressent surtout aux convalescents, dont néanmoins un certain nombre de ceux qui jouent la comédie ne sont pas doués du tout pour le théâtre.

Dans cette perspective, il importe de considérer en outre que les signes du caractère national ne disparaissent pas complètement dans l'aliénation mentale, et que les aliénés d'ici ont un fort penchant à déclamer de façon très théâtrale et parfois à soliloquer pour attirer l'attention d'autrui.

Il se donne à Charenton de petites comédies présentées aussi dans les théâtres parisiens. Mais si tout cela ne doit pas servir qu'à distraire mais plutôt à fixer les pensées dispersées des aliénés, à les instruire et peut-être à diriger leur esprit sur leur propre état afin de reconnaître leurs idées erronées, il est très difficile d'y trouver une pièce convenable. Le fou joyeux jouera peut-être convenablement un rôle gai sans penser que la réaction des spectateurs l'amènera à être encore plus convaincu de l'importance de sa propre personne, et le résultat, s'il se limite à cela, est peu satisfaisant. Pour beaucoup de spectateurs, le profit exclusif - mais toujours très important - en sera la remise en ordre des idées.


En plus de ces représentations, il conviendrait d'en faire d'autres en présence des seuls médecins, surveillants et des autres malades, et écrire de petites pièces pour les aliénés qui les joueront. Le rôle de chacun des fous doit être choisi pour qu'il permette de critiquer leurs idées fausses; il faudrait encore que les convalescents jouent des pièces choisies pour convenir aux aliénés cultivés qui les regarderont. Il apparait ainsi nécessaire de sélectionner les spectateurs dont l'état corresponde à celui des acteurs. Le mélancolique pourra calmer l'aliéné excité, qui pourra lui-même égayer le premier; une même comédie peut être un moyen de soins et de mise à l'épreuve quand elle est choisie avec assez de précaution pour ne pas irriter les aliénés.

Par ces représentations, on pourrait avoir un résultat immédiat sur une personne donnée, bien qu'il soit difficile sinon impossible de pénétrer dans la personnalité d'un individu et que, ce faisant, l'intérêt des autres spectateurs risque de diminuer. J'estime que les comédies plus populaires ont un intérêt pour les personnes pratiquement guéries. Prendre l'habitude de parler et d'agir devant une assemblée nombreuse pourrait les aider quand ils retourneront vivre en société. Les personnes encore malades et celles qui ne sont pas très douées pour le théâtre peuvent bénéficier de ces activités en apprenant par cœur, en déclamant et en menant des dialogues plus ou moins longs avec d'autres aliénés, en racontant le contenu de la pièce qu'ils ont vu et en faisant un petit résumé par écrit, ce qui serait fait avec plus ou m oins de solennité en fonction du malade et de son besoin ou non de ressentir de fortes impressions.

Depuis quelques mois, on a dû annuler des pièces car quelques-uns des acteurs ont quitté la maison ou sont décédés. On s'occupe à en former de nouveaux et je suis très curieux d'assister à une représentation pour observer notamment si les personnes du deuxième sexe sont conduites avec la prudence nécessaire. Je sais du moins qu'il y a des aliénées qui jouent, et qu'elles ont la possibilité d'assister au spectacle, séparément des hommes. On choisit des pièces où il n'y a que peu de femmes et l'on évite de montrer des scènes d'amour. Ce qui est difficile avec des aliénés souvent très lascifs!

L'exécution de ces comédies est de la responsabilité du directeur plus que du médecin, c'est donc lui qui en assure la surveillance. Jusqu'ici, les comédies qui se sont jouées pendant quatre à six semaines n'auraient jamais donné lieu à des désordres, de même que les concerts organisés dans la même période.

Je dois encore remarquer qu'il est également prévu une instruction religieuse. Le religieux du lieu, un vieil homme digne à ce qu'il semble, visite les aliénés dans leur chambre. Les aliénés calmes et les convalescents peuvent assister à la messe du dimanche dans la petite chapelle où sont aussi admis les habitants de Charenton.

Il faut ajouter que si les aliénés cultivés en ont le désir, des livres d'une bibliothèque établie à cet effet leur sont fournis ainsi que le nécessaire pour écrire. Ils peuvent également s'occuper à dessiner et à faire de la musique. Malgré tout, ils se plaignent souvent de s'ennuyer. Beaucoup des fous restent seuls dans leur chambre, ce qui est défavorable; pour ceux-ci, cet ennui pourrait encore être éliminé en variant plus les occupations, en étant attentif à l'achèvement des activités débutées, mais je ne me permettrais pas d'en décider, et tiens cette institution comme très estimable dans l'ensemble. Au reste, cette plainte s'exprime plus rarement en été qu'en hiver.


En été, une partie des hommes est occupée au jardinage; les aliénés peuvent aussi participer à des jeux collectifs dans la cour.

J'en arrive à ce que j'ai à dire sur les bains dont il est fait grand usage.
Les salles de bains des hommes sont totalement séparées de celles des femmes. Beaucoup possèdent une à trois baignoires équipées chacune d'un couvercle épais avec un trou pour la tête, et que l'ouverture d'un robinet alimente selon le besoin en eau froide ou chaude.

Il y a là encore un grand bassin pour les bains de surprise (Sturzbade), qui sont néanmoins utilisés très rarement. Il fait cinq pieds parisiens de large, six de long et trois et demi de profondeur. Une sangle ventrale est mise au malade, qui est retenu par des cordes dans le dos. Pour le précipiter dedans, un homme attrape les pieds, un autre soutient le dos. Dès que le malade est immergé, on tire la moitié supérieure du corps vers le haut avec la sangle ventrale, on ouvre alors parfois encore un tuyau placé sur le côté d'où jaillit l'eau le long de la surface du bassin. Cependant, comme il a déjà été observé, le bain de surprise est rarement utilisé et seulement pour les malades graves dans le but de provoquer un brusque rassemblement des idées par la frayeur, ou aussi seulement de fatiguer le furieux.

L'eau des bains est portée au premier étage grâce à une machine actionnée par des chevaux, et l'on en chauffe une partie. De là, elle redescend par des tuyaux dans la salle des bains. Dans deux grandes pièces, l'eau est conduite sous le sol jusqu'au milieu de chacune d'elles et forme un jet d'eau fermé par un robinet. Sur celui-ci, au milieu, est installée une chaise percée où sont parfois placés des malades; on fixe un tuyau flexible élastique, et on se sert du tout comme douche ascendante. D'autres tuyaux fixés au plafond servent pour la douche et le bain à gouttes.

Cette machine était prévue à l'origine pour servir de clystères froids dans les constipations sévères mais leur effet était excessif et elle ne sert plus que comme douche ascendante pour les malades. On construit encore actuellement de nouveaux bains.


Permettez-moi quelques observations sur les aliénés en général, ce qui vaut aussi pour ceux de Bicêtre et de la Salpêtrière. Je peux confirmer la supposition que les idiots sont moins nombreux dans les maisons d'aliénés parisiens et en général dans la plupart des provinces françaises qu'en Allemagne.

Le caractère national français se révèle de façon évidente chez les aliénés. Presque tous sont gais et dansants, montrent un grand penchant pour la plaisanterie et aiment s'occuper à jouer.


Nota. La remarque de Schweigger sur le caractère national est confirmée par Coste dans son article "Hôpital" du Dictionnaire des sciences médicales (Panckoucke, T. XXI, 1817), qui contredit cependant notre auteur quant aux effets de ces dispositions sur l'expression de la pathologie mentale.
Le médecin de la Grande Armée était à Vienne en 1806, et consacre un long développement à ses observations sur les hôpitaux de la ville p.466-485, dont l'Hospice pour les insensé, p.483 :

« Ces fous sont plus gais que ceux de France. En général on observe à Vienne, parmi les insensés, beaucoup moins de disposition à la morosité qu'ils n'en montrent à une gaîté excessive. C'est le contraire de ce que nous voyons en France, comme si l'état nerveux, qui amène ou qui accompagne la folie, se trouvait presque toujours, selon les caractères des différens peuples, en raison inverse de leurs mœurs nationales ».


Beaucoup d'entr'eux suivent le cours de leur pensée sans idée précise, quoique la plupart sont quand même attachés à leurs idées favorites. Pour le bonheur des médecins français, les idiots représentent vraiment un faible nombre et sont regardés comme incurables. Le nombre des mélancoliques n'est pas très élevé non plus et semble diminuer toujours plus. Pendant la Révolution, il semble qu'ils étaient plus nombreux. Considérable est le nombre de ceux qu'une grande dévotion a rendu fous, et qui le plus souvent restent malades. Les hommes se prennent souvent pour des dieux ou des prophètes, et les femmes désespèrent de la miséricorde divine et ne guérissent à peu près jamais.

En vain ai-je jusqu'à présent recherché auprès des médecins un état des proportions des différents genres d'aliénation mentale; la proportion des fous guéris ou non guéris ne pouvait pas non plus m'être communiqué.

Etant donné la stricte surveillance des malades, il n'y a pratiquement pas d'actes qui seraient considérés comme crimes graves chez des personnes responsables; mais ainsi que j'ai pu l'observer et comme des médecins me l'ont confirmé, la légèreté naturelle ne permet guère de vrais remords pour de pareils actes.
L'onanisme, occupation fréquente, est empêché par la présence des surveillants pendant la journée; la nuit, on attache les mains de plusieurs des fous, et ils dorment avec une culotte fermée au devant. Les mélancoliques ont un fort penchant pour le suicide et se laissent jeûner avec une ténacité indescriptible.

Paris, le 6 mai 1808.


J'ai encore à ajouter le récit de la représentation d'une comédie à laquelle j'ai assisté le 31 mars dans la maison d'aliénés de Charenton. En considération de l'intérêt singulier et de la rareté de la chose, j'ai plaisir à en parler en détail.

La salle est aménagée en conséquence. À droite contre le mur est placé un banc pour les convalescentes, à gauche en face un autre pour les convalescents hommes. Au fond, face à la scène des deux côtés, sont installés des bancs pour les aliénés tranquilles, à droite pour les femmes à gauche pour les hommes.

Entre les deux, une loge parfaitement fermée pour le directeur et ses invités, de manière à ce que les aliénés ne puissent voir les femmes aliénées. Au milieu de la salle, entre les bancs des convalescents, d'autres places pour les surveillants de l'hôpital et les personnes qui ont reçu une carte d'invitation.

Je trouvai d'abord les convalescents dans la salle, les véritables aliénés ne vinrent que juste avant le début. On commença par une symphonie, donnée de façon passable par quatre aliénés et trois musiciens. L'attention était assez générale lorsque fut levé le rideau et l'on joua :

1) "Le sourd ou l'auberge pleine", Comédie en trois actes et en prose par Desforge, 1802.

Dans cette pièce donnée habituellement avec beaucoup de succès à Paris, jouaient trois aliénés et une aliénée; les autres acteurs étaient pour partie de la maison, pour partie de l'école vétérinaire d'Alfort voisine. Le thème :
Un père souhaite marier sa fille à un homme parfaitement ridicule qu'elle n'aime pas. Son véritable amour va à un jeune officier, qui force l'entrée de l'auberge où la famille est rassemblée en contrefaisant le sourd. Par ce moyen, il parvient à dîner avec la famille, et il s'ensuit beaucoup de scènes comiques entre lui et son rival. Le lendemain, il se dévoile devant son rival et le père de son amoureuse, père dont il obtient le consentement, l'impose à son rival et offre sa sœur, l'amie de son amoureuse à l'un de ses amis qui avait tenté la veille sans succès de pénétrer dans l'auberge.

Les personnages de la pièce :
1) Le père de la demoiselle : un caractère quelque peu sombre et tranquille. Ce personnage a peu à parler; le choix porte sur un mélancolique de 30 à 40 ans n'ayant que de très rares accès de fureur était donc fort bon. Hormis quelques petites angoisses, il jouait très bien.

2) Sa fille : elle ne joue pas un rôle aussi considérable qu'on pourrait le penser, les scènes les plus importantes étant celles entre l'officier et son rival. C'est une jeune folle qui, plutôt que de prendre l'initiative, s'abandonne à son destin. Le rôle est tenu par une personne d'une trentaine d'années qui va très bien depuis longtemps et ne reste plus à l'hôpital que pour faire ses preuves. Son jeu n'a rien de remarquable; elle joue aussi bien que jouerait une actrice débutante ayant une formation tout à fait ordinaire.

3) Le fiancé : le personnage le plus saillant de la pièce, en un mot un fou turbulent qui, étant agacé par l'officier sourd, s'emporte contre lui en pure perte. Un élève de l'École Vétérinaire s'était chargé de ce rôle et jouait si bien que la majorité des spectateurs pensaient qu'il faisait partie de l'hôpital.

4) L'officier : un caractère sérieux et fier à la fois, bien représenté par un aliéné un peu sombre, qui a d'ailleurs des idées de grandeur très marquées.

5) L'ami de l'officier : un rôle secondaire, mais qui détourne l'attention sur les personnages principaux. L'acteur n'était pas du nombre des aliénés.

6) Sa bien-aimée, la sœur de l'officier : un caractère un peu plus vif que celui de son amie, elle apparaît toujours en même temps qu'elle. L'intérêt de ce rôle tient en outre à ce qu'il est tenu par une fille belle et en bonne santé.

7) Un domestique : il n'apparaît qu'une seule fois pour transmettre une lettre, il n'a donc que peu à parler, ce dont s'acquitte fort bien un jeune aliéné très gai d'environ quinze ans.

8) La femme de l'aubergiste et
9) sa servante ont beaucoup à parler, mais je les néglige puisque les personnages ne sont que secondaires, et que de plus ces rôles ne sont pas joués par des aliénés.


À cette pièce succéda un petit ballet dansé par deux jeunes filles d'un théâtre parisien, suivi d'un entracte dont je profitai pour observer les aliénés spectateurs. Tous avaient été calmes; un seul, qui s'était mis à faire du bruit, avait aussitôt été écarté.

Les spectateurs étaient très attentifs pendant la pièce, ils faisaient parfois des signes de tête, et les femmes surtout prenaient garde à donner une bonne impression. Les hommes s'occupaient moins de leur entourage, quelques uns étaient même tout à fait repliés sur eux-mêmes, sans prêter attention à quoi que ce soit, et seule la fureur de Monsieur Daniècres, le rival de l'officier, pouvait les sortir de leur rêverie. Toutefois ceux-ci formaient une minorité; la plupart prenaient intérêt à la pièce.
On avait du reste choisi les aliénés les plus calmes pour spectateurs Pendant l'entracte où ils ont été le plus observés, les femmes concentraient toute leur attention, et les hommes ne parlaient guère entre eux. Les convalescents proprement dits se comportaient d'une façon plus naturelle, mais ils étaient tous installés pour qu'on les remarque moins, parce que beaucoup de gens n'avaient pas connaissance de leur présence dans l'établissement.


Ensuite on donna :
2) Le tableau parlant. Comédie en un acte et en vers, mêlée d'ariettes. 1770

Résumé de la pièce :
Une jeune fille doit se marier avec son tuteur, mais elle est amoureuse du jeune neveu de celui-ci. Sur l'exhortation de sa dame de compagnie, elle fait semblant d'aimer le vieux tuteur. Celui-ci craint une tromperie; sous prétexte d'un voyage, il s'absente et revient secrètement dans la maison, se cache derrière son portrait, une peinture encore inachevée posée dans un coin de la pièce. Entretemps, son neveu était arrivé; on se met à table, on insulte le portrait, et enfin la jeune fille lui réclame sa liberté. Le vieux s'élance en avant et consent - une punition pour lui - au mariage, et en même temps à celui de la dame de compagnie avec le compagnon de son neveu.

Personnages de la pièce :
1) Les deux jeunes filles : aucune des deux n'est malade, je n'en parlerai donc pas.

2) Le tuteur : un vieillard méfiant, mais bon néanmoins. Il était représenté par un aliéné d'une cinquantaine d'années, convalescent depuis quelques mois. Les convalescents lorsqu'ils sont pensionnaires restent ainsi souvent plusieurs mois à l'essai à l'hôpital. Il jouait bien son rôle, et quoique n'étant pas un grand chanteur, chantait pourtant le plus souvent avec courage et ne montra dans l'ensemble aucune inquiétude.

3) Son neveu : un amant passionné mais discret. Ce rôle était joué par le même aliéné qui représentait l'officier dans la pièce précédente. Je veux bien qu'il ait été fatigué ou que le rôle ne s'accordait pas avec son caractère tranquille : le jeu lui fut pénible.

4) Son compagnon : ma surprise ne fut pas mince de voir bondir sur la scène un aliéné en habit d'Arlequin : un chapeau blanc, rond et pointu sur la tête, un pantalon long, large et blanc, une blouse blanche très longue avec d'énormes boutons dont les manches étaient plus longues que les bras d'une demi aune constituaient le costume. Je sais bien que l'on choisit le même costume dans les théâtres parisiens, mais est-ce bien de le faire ici, ou dans le cas où on l'estime inévitable, devait-on jouer cette pièce? On pourrait peut-être dire que le fait de s'en servir pourrait convaincre les aliénés qu'un vêtement pareil n'a rien d'humiliant et qu'on peut le porter en public, et qu'il rappelle les Arlequins que l'on voit souvent courir ici et là à Paris. Ne se rappelleront-ils pas cependant les camisoles qu'ils portaient eux-mêmes autrefois, ou au moins qu'ils voyaient sur d'autres, l'idée ne leur viendra-t-elle pas qu'on veut se moquer d'eux? Ces vêtements ne vont-ils pas plutôt attrister les convalescents, tandis qu'ils ne divertissent que très peu d'aliénés?


Sans doute ce costume plaira-t-il au vrai fou sans qu'il suscite en lui la moindre idée sérieuse. On doit cependant être conscient du haut degré de légèreté des Français pour comprendre comment un convalescent d'un certain âge qui était autrefois agité peut jouer ce rôle avec tant de sérénité, il joue mieux que les autres et l'on voit qu'il se plaît dans ce costume, je dois toutefois observer qu'il est encore un homme très gai et qu'il se comporte d'une façon telle qu'on ne peut, par son jeu du moins, conclure à la folie. Les aliénés spectateurs semblaient peu émus par cette apparition, je n'ai pu constater aucun signe d'indignation ou de mauvaise humeur.

Le choix de la première pièce me semble heureux, dont quelques passages correspondaient tout à fait à la situation. La deuxième pièce en revanche était moins appropriée. Des scènes d'amour, des calembours pas très distingués et autres choses du même ordre pouvaient échauffer l'imagination des aliénés, d'autant que les pièces ont été jouées le soir entre 6 heures 30 et 9 heures.

De ce point de vue, il était convenable de disposer les aliénés tel que décrit précédemment.

Il me semblait important d'assister à la visite médicale du lendemain. Le médecin était alors souffrant, et je ne pus voir qu'une partie des aliénés.
Dans l'ensemble, ils paraissaient fort contents de la représentation, très peu disaient s'être ennuyés; toutefois je ne suis pas parvenu à recueillir plus que des opinions générales. Un aliéné très gai m'a observé cependant que de toute la pièce le rôle d'Arlequin est celui qu'il a préféré. La maladie du médecin m'a empêché de rendre visite à l'aliéné qui avait joué ce rôle.

L'aliénée qui jouait dans la première pièce était très contente de recevoir des compliments, mais elle a indiqué qu'elle avait joué avec indifférence parce qu'elle n'aime pas les scènes d'amour théâtrales.

Tout ceci m'a du reste confirmé dans les idées que j'ai déjà exprimé précédemment. La représentation de pièces bien choisies peut être très profitable à condition d'un choix attentif des acteurs et des spectateurs et que la distribution des rôles soit fonction des idées des malades, pour les redresser doucement sans les exaspérer. Ce serait mieux encore si les pièces pouvaient être écrites dans ce but; le médecin aurait alors à saisir cette occasion pour attirer l'attention de ses malades sur des points particuliers. Les comédies sont toujours pour les spectateurs un moyen de se fixer les idées.

Mais on ne peut avoir suffisamment souvent recours à ce moyen, tandis qu'il faudrait préférer des répétitions trois ou quatre fois par semaine pendant cinq, six ou sept semaines pour que le jeu des malades puisse devenir une habitude et qu'ils n'y pensent pratiquement plus lors de la représentation. Les médecins de l'hôpital de Charenton s'intéressent peu à cet exercice, lequel est avant tout réalisé par le Directeur.


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COMMENTAIRE sur Charenton

La visite de Charenton justifie un long développement.
Malgré une lettre de recommandation du « célèbre Dubois » pour le chirurgien de la maison, Schweigger aura eu quelques difficultés pour visiter la curieuse institution, bâtie sur le penchant d'une colline dominant la Marne.


Il s'agit plus probablement de Louis Nicolas Pierre Joseph Dubois (1758-1845), conseiller d'Etat, nommé le 8 mars 1800 Préfet de police, et en cette qualité membre du Conseil général d'administration des Hospices, que d'Antoine Dubois (1756-1837), professeur d'anatomie à la Faculté, fondateur en 1801 de la célèbre maison de santé Dubois, futur accoucheur en chef à la Maternité et accoucheur de l'Impératrice.


L'édifice, dont les bâtiments les plus anciens servaient déjà sous l'Ancien Régime à recevoir et soigner les fous, a été remanié sous la conduite du directeur nommé à la réouverture de l'établissement en 1797, François Simonet de Coulmier (1741-1818).

Celui-ci aurait, selon le médecin-adjoint Charles François Simon Giraudy (1770-vers 1848), « préféré faire le sacrifice de sa propre fortune à la douleur de voir s'exécuter, ou trop lentement ou imparfaitement, ce qu'il avoit conçu d'une manière si vaste » (Mémoire , an XII-1804).

Le conflit de pouvoir bien connu entre le directeur et le médecin en chef Antoine-Athanase Royer-Collard (1768-1825), nommé à Charenton en 1806, n'est pas évoqué par Schweigger, qui, en revanche, consacre plusieurs pages à la vie quotidienne des malades et aux méthodes thérapeutiques particulières à Charenton.

« On se sert trop communément de la fonticule » pour les saignées, indique Schweigger. Dans le Dictionnaire des Sciences médicales, ni Monfalcon, Lancette, T.27, 1818, et Phlébotomie, T. 41, 1820, ni Guersent, Saignée, T. 49, 1820, n'usent de ce terme. En revanche, le Dictionnaire de médecine, T. IX, 1824 indique que l' « on nomme ainsi les ulcères artificiels établis dans un but thérapeutique, et entretenus par la présence d'un pois ».


L'hydrothérapie y connaît un développement original avec le bain de surprise dont la description diffère nettement selon les témoins : une méthode de choc, où l'effroi suscité est un facteur curatif pour Schweigger, un acte barbare pour Colins et Esquirol, qui l'appelle bain de terreur.

Esquirol faisait en 1803 déjà une allusion ironique à Charenton, « une maison où l'on ne connaît que la toute-puissance des bains de surprise » (Observations..., Journal Général de médecine..., T.17, Thermidor an XI).
Beaucoup plus tard, il en expose le détail, largement emprunté à Colins :

« Le malade descendait des corridors au rez-de-chaussée et arrivait dans une salle carrée voûtée, dans laquelle on avait construit un bassin de 6 pieds de profondeur, 7 de largeur et 10 de longueur. Ce bassin était rempli d'eau, après avoir bandé les yeux de l'aliéné, après l'avoir fait asseoir sur le bord du bassin, on le renversait en arrière pour le précipiter dans l'eau. Était-ce bien un bain de surprise? N'était-ce pas plutôt un bain de terreur? » (Mémoire, 1835)

H. de Colins a observé lui-même ce « vaste réservoir décoré du nom de bain de surprise, monument consacré à la barbarie dont malheureusement on fait trop d'usage ». Après avoir décrit l'appareil de douches, où le malade, garrottés sur un fauteuil, reçoit l'eau d'une cuve placée huit pieds au dessus, il poursuit :

« Mais ce n'est pas encore là le supplice le plus redoutable et ce qu'on nomme bain de surprise a quelque chose de bien plus odieux; pour se faire une idée de ce châtiment, il faut se représenter un bassin de cinq à six pieds de profondeur, dix à douze de longueur et sept à huit de largeur auquel on arrive, dans le quartier des hommes, en descendant des bains par un corridor humide et voûté. Lors donc que l'on veut se donner le plaisir d'infliger cette punition à un malade, au moindre signal, deux d'entre les infirmiers le saisissent, le déshabillent, lui bandent les yeux et le conduisent à reculons dans cette voûte.
Après ces préparatifs effrayans, on l'assied sur le bord du bassin, on le prend par les cheveux et on le place brusquement dans l'eau froide; on l'y tient plus ou moins longtems totalement submergé et toujours on ajoute à ce supplice tous les accessoires qu'une colère aveugle et barbare peut imaginer. Lorsqu'il a duré assez longtems au gré des infirmiers, on retire le patient, et on le met pendant cinq à six minutes sur le fauteuil aux douches, nouvelle punition par laquelle on croit devoir terminer la première. Et tout cela se fait non seulement sans autorisation, mais malgré les défenses les plus formelles et les plus réitérées du médecin. »
(Notice sur l'établissement..., juin 1812)


Les représentations théâtrales retiennent toute l'attention de Schweigger. Elles seront l'objet d'une longue polémique qui conduira à leur interdiction.

Les deux pièces auxquelles assiste Schweigger n'ont pourtant rien de particulièrement scandaleux, si ce n'est de mettre en scène un fou en habit d'Arlequin :

Le Sourd ou l'Auberge pleine (1790), « comédie d'un comique vif et spirituel » (Larousse), est l'œuvre de Pierre-Jean-Baptiste Choudard, dit Desforges (1746-1806), littérateur français auteur d'une vingtaine de comédies ou d'opéras-comiques.

Le tableau parlant, comédie en un acte et en vers, mêlée d'ariettes, a été écrite par le compositeur dramatique André Ernest Modeste Grétry (1741-1813).

Tout aussi anodin apparaît le contenu des quelques autres pièces que nous savons avoir été jouées à Charenton (recensées dans les trois biographies récentes de Sade : R. Jean, J.-J. Pauvert et M. Lever) :

- L'Esprit de contradiction, de Charles Rivière Dufresny (1648-1724)
- Marton et Frontin ou Assaut de valets, de Jean-Baptiste Dubois, comédie en un acte en prose, créée au théâtre Louvois en 1804
- La Fête de l'amitié, comédie en deux actes « mêlés de prose, de vers et de vaudeville », composée par Sade
- L'Impertinent, comédie de Desmahis, donnée à Charenton en juillet 1805 et dont le rôle principal fut tenu par le divin marquis (A. de Labouisse-Rochefort, 1827).
- Le Nouveau doyen de Killerine, de Louis-Sébastien Mercier, « drame sombre » en trois actes représenté en présence de l'auteur en ce même mois de juillet 1805
- Le Déserteur, du même, représenté en avril 1808, dont Sade aurait interprété une scène, « avec un passage chanté » (R. Jean)
- Dépit amoureux, comédie en cinq actes de Molière (Mémoires de Mlle Flore)
- Les Deux Savoyards, opéra-comique de Dalayrac (1753-1809) sur un livret de Marsollier,
- Les Fausses confidences, de Marivaux, donné le 6 octobre 1812 (Armand de Rochefort); à l'une des représentations assista le cardinal Maury, archevêque de Paris.


Les premières d'entr'elles semblent avoir été données au début de l'année 1805 , alors que Gastaldy , qui en parait l'initiateur, était médecin en chef de la maison (Au début de 1805 selon Lever (note n°50 p.762), mais Giraudy, dans son Mémoire de l'an XII, évoque une petite fête donnée en l'honneur du directeur le 15 germinal an XII (5 avril 1804) en présence du ministre de l'Intérieur, où « plusieurs convalescens y jouèrent un rôle. Quelques couplets furent chantés avec accompagnement d'une musique agréable; des vers furent récités, et un dialogue très-interessant fut exécuté »).

Joseph Gastaldy> (1741-1806), petit-fils du médecin avignonnais Jean-Baptiste Gastaldy (1674-1747) et docteur de la faculté de Montpellier, fut médecin de la maison des insensés de la Providence à Avignon, avant d'être nommé à Charenton :
« Il émigra lors des troubles du Comtat en 1790 et fut médecin du duc de Cumberland, frère du roi d'Angleterre. En 1796, il revint en France, se spécialisa comme psychiatre » (St. Le Tourneur). Il meurt à Paris d'une attaque d'apoplexie en 1806, « sans avoir laissé aucun ouvrage digne d'être transmis à la postérité. C'est à lui qu'est dédiée la 5e année de l'Almanach des Gourmands »; Chamberet.

À la mort de Gastaldy le 30 décembre 1805, Coulmier poursuit et développe l'expérience, malgré l'opposition du nouveau médecin en chef.


Nota. Royer-Collard fut préféré à Esquirol, dont la candidature était soutenue par Philippe Pinel, ainsi qu'en témoigne la lettre publiée et reproduite par E. Szapiro (« Pinel et Esquirol : quelques commentaires sur les débuts d'une amitié ». Annales médico-psychologiques, 2, n°1, 1976; 59-62).
Cette lettre, datée du 11 nivôse an XIV (1er janvier 1806) ne comporte pas de nom de destinataire :

« Je connois, Mon cher collègue, tout l'intérêt que vous prenez aux progrès de la médecine qui a pour objet les lésions des fonctions de l'entendement et qui a tant d'analogie avec la science que vous cultivez avec tant de succès. C'est sous ce rapport que je vous recommande Mr Esquirol, pour la place vacante par la mort du médecin de Charenton, et que je vous prie de seconder sa pétition de votre heureuse influence. Agréez les sentimens distingués que je conserve toujours pour vous. Pinel med. Consul. de S.M. l'empereur et Roi ».


L'activité théâtrale s'inscrivait dans le projet de traitement moral tel que le directeur l'expose dans son Précis sur la maison de santé de Charenton :

« Nous cherchions ensemble les moyens de dissiper (nos malades) par des jeux innocents, les concerts, la danse, des comédies dont les rôles étaient remplis par des malades, ce qui excitait entre eux une véritable émulation, par le désir d'en faire autant, de recevoir les mêmes applaudissements que leurs compagnons d'infortune. Ces occupations les tenaient en activité, éloignaient les idées mélancoliques, source trop commune du délire »
(A.D. Val-de-Marne, AJ2 100, cité par Lever, p.607).

Ailleurs, Coulmier écrit :

« J'avais même imaginé des plaisirs innocens, tels que le spectacle, les bals et la musique afin de réveiller l'esprit des infortunés que la cruelle maladie de la démence tenoit absorbé. Ces moyens innocens ont obtenus les résultats les plus heureux, et même l'applaudissement général de tous les amis de l 'humanité. Ce traitement moral avait été combiné avec M. Gastaldy un des médecins les plus estimés de l'Europe, que j'ai eu le malheur de perdre, et celui de le faire remplacer par M. Royer Collard. (...) D'après un arrêté du 6 mai 1813 par lequel le ministre a jugé à propos à la sollicitation du médecin, de supprimer tous les agrémens que je m'étais empressé de procurer aux malades, ces infortunés se trouvent privés de toute espèce d'amusement et de distraction », Lettre à Sa Majesté l'Empereur et Roi, s.d.
(début 1814, A.N., F15 194).


Mais les rôles étaient-ils vraiment tenus par les malades? C'est ce dont il a longtemps été permis de douter, puisque Royer-Collard, Hippolyte de Colins, et à leur suite Esquirol affirment qu'il n'en était rien :


Hippolyte de Colins, Notice sur l'établissement.
Le contexte et l'objet initial de sa visite de Charenton en 1812 restent obscurs : cet ancien officier de cavalerie indique seulement s'être « imposé la tâche d'observateur », en être « venu à bout et trés en détail, mais par supercherie et en secret ». Le passage concernant le théâtre est aussi malveillant et sarcastique que le reste de la notice :

« Il est vrai que pour suppléer à ce défaut de soins, de consolation, de propreté, on a ici un remède unique et dont le charlatanisme a fait un bruit incroyable. Voici en quoi il consiste : on joue à l'hospice de Charenton, une fois par mois environ, des comédies, des opéras, des drames. Le spectacle est ordinairement composé de deux pièces. On y a ajouté quelquefois un ballet et à la fête du Directeur un feu d'artifice pour lequel on fait payer six francs aux parens des malades; pour attirer du monde à ce spectacle on n'a pas manqué de répéter partout que ce sont les fous qui jouent eux-mêmes ces pièces et que tous ceux d'entr'eux qui sont susceptibles d 'être spectateurs ont l'avantage d 'y assister.

De plus le Directeur distribue à Paris et dans les campagnes voisines une grande quantité de billets d'invitation signés de lui et conçus de manière à piquer la curiosité; aussi accourt-on de toutes parts à ce spectacle. Chacun veut voir une aussi grande merveille et être témoin des effets prodigieux que cette admirable invention produit sur les aliénés C'est par ce moyen disent les louangeurs complaisants de M. le Directeur qu'on ramène graduellement les fous à la raison, qu'on éloigne de leur imagination toute idée fausse, qu'on les met peu à peu en contact avec les objets extérieurs, et le public qui le plus souvent ne peut pas ou ne veut pas examiner les choses de plus près, est presque toujours dupe de ces jongleries.
Mais lorsqu'un homme impartial prend la peine d'y donner quelqu'attention, il ne tarde pas à reconnaître le piège que l'on tendait à sa bonne foi, et finit par demeurer complettement désabusé de l'erreur où l'on voulait l'engager.
Et d'abord c'est un mensonge que de dire que ce sont des fous qui jouent la comédie à Charenton.

Les véritables acteurs sont : un ancien infirmier devenu en dernier lieu le secrétaire du Directeur; un marchand de vin du village; le maître clerc d'un huissier du voisinage; des femmes ou de jeunes personnes qui demeurent dans la Maison, sans être ni avoir jamais été malades, des danseurs et des danseuses de l'Opéra, et enfin, quand le besoin l'exige, des hommes que l'on va chercher au café Touchard, rendez-vous des acteurs sans emploi, et à qui on paye leur temps et leurs peines. Le Directeur de ce spectacle, le Maître de déclamation et même autrefois l'un des principaux acteurs, est l'auteur de Justine.
Vingt ou trente malades y assistent, choisis par les infirmiers parmi les mélancoliques tranquilles et les convalescents, excluant les maniaques, les furieux, les idiots, c'est-à-dire plus des trois quart des malades. La toile se lève, une intrigue d'amour se développe sous leurs yeux, toutes les passions sont mises en action devant eux et exprimées avec toute l'énergie dont les acteurs sont capables.
Quel remède pour les femmes susceptibles d'attaques histériques! pour celles dont le délire mélancolique est un amour contrarié ou trahi! Quel effet produisent les saillies d'une gaité folle, sur cet homme que dévore un chagrin profond. (...)

Parlerai-je de vives impressions que font sur l'esprit des convalescents les dénouements, les surprises, les coups de théâtre, les danses, les situations lascives, les sons d'une musique tantôt molle tantôt guerrière, et toujours exprimant des passions qui ont agité la plupart d'entre eux ?

Il faut avouer que ce remède est un véritable poison pour un hospice d'aliénés; ou bien il faudrait une pièce particulière pour chaque malade; car le traitement moral du délire doit être aussi varié qu'il y a de causes morales qui le produisent et ces causes sont innombrables mais jamais on n'en a fait un choix judicieux, et souvent on y joue les folies amoureuses dans un hospice d'aliénés! ».

Royer-Collard, février 1811 :
« Les représentations théâtrales, dont on a fait tant de bruit, ne sont pas un moyen de traitement, mais un moyen de charlatanisme : c'est pour éblouir le public et non pour guérir les malades qu'on les a établies. On a dit que les acteurs étaient choisis parmi les aliénés; c'est un mensonge : les acteurs sont des individus payés par la maison pour remplir cette fonction. On a assuré que la plupart des malades assistaient à ces représentations; c'est encore un mensonge : il n'y en a jamais et il ne peut y en avoir qu'un très petit nombre. Au surplus, la vue de ces sortes de spectacles ne sert qu'à ébranler leur imagination et à ramener le trouble dans leur esprit; elle leur est beaucoup plus nuisible qu'utile » (document découvert et publié par T. Haustgen, 1989, p.65).

Les malades ne seraient selon Royer-Collard ni acteurs ni spectateurs, ce qui ne l'empêche pas de proposer
« en conséquence de supprimer entièrement et sans restrictions toutes espèces de bals et de représentations théâtrales dans l'hospice et d'éloigner de la maison l'homme dangereux et immoral qui y remplit en ce moment les fonctions de directeur du théâtre », p.66.

Esquirol, 1835, Mémoire historique... :
« Le trop fameux de Sade était l'ordonnateur de ces fêtes, de ces représentations, de ces danses auxquelles on ne rougissait pas d'appeler des danseuses et des actrices des petits théâtres de Paris. On jouait des comédies, des opéras, des drames, quelquefois un ballet. À la fête du directeur, on chantait des couplets inspirés par la circonstance et l'on tirait un feu d'artifice. Ce spectacle fut un mensonge, les fous ne jouaient point la comédie, le directeur se jouait du public, tout le monde fut pris. Tout Paris y courut pendant quelques années ».

L'aliéniste reconnaît toutefois la présence d'aliénés parmi les spectateurs : « Les aliénés qui assistaient à ces représentations étaient l'objet de l'attention, de la curiosité d'un public léger, inconséquent et quelquefois méchant. Les attitudes bizarres de ces malheureux, leurs manières provoquent le rire, la pitié insultante des assistants ».


Plusieurs contemporains voyageurs de passage et autres parisiens curieux avait bien relatés ces spectacles joués « par des fous, en présence d'autres fous qui ont la folie d'aller les écouter » (A. de Labouisse-Rochefort), comme cette « jeune folle ... jolie, blonde, vive et gracieuse » dans le rôle de Lucile du Dépit amoureux, et « un autre fou dont le nom a été célèbre dans les lettres et au théâtre » (Laujou fils) dans le rôle de Mascarille (Mémoires de Mlle Flore).

Un doute sur l'existence de ce théâtre des aliénés avait pourtant persisté jusqu'à nos jours.

« La lecture du rapport permet de démentir la légende, colportée par tous les biographes du marquis de Sade (...), du prétendu théâtre des aliénés de Charenton », T. Haustgen, 1989; 57-66. P. Pinon, dans son excellent L'hospice de Charenton,... note 21 p.76, affirme également, citant Colins, que « contrairement à la légende, reprise par le "Marat-Sade" de P. Weiss, les fous ne participaient pas aux spectacles ».

Le témoignage de Schweigger met définitivement fin à la controverse.

Mais notre observateur attentif ne fait mention ni de la présence de Sade, entré à Charenton le 7 floréal an XI (27 avril 1803), ni du rôle du marquis dans le Théâtre des fous.

L'article Sade signé Michaud jeune de la Biographie Universelle (T. XXXIX, 1825) n'en fait pas non plus état : à Charenton, « sa détention y fut très-douce, grâce aux soins du docteur Gastaldy, médecin en chef, et de l'ex-abbé Coulmier, qui était le directeur de cet hospice. Ce dernier, homme d'une morale fort relachée, encourut même plus tard les reproches du ministre de l'intérieur, Montalivet, pour avoir accordé trop de liberté au détenu… ».

Celui-ci a-t-il été « à la fois auteur, acteur, chef de troupe, metteur en scène, décorateur et "attaché de presse" » comme le propose Lever?
Une lettre de Sade citée par son biographe, adressée à Louise Cachelet, dame d'atour de la reine Hortense et se proposant de l'inviter aux représentations de sa maison autorise à le croire :
« Spectacle du 23 mai 1810. L'intérêt que vous avez paru prendre aux récréations dramatiques des pensionnaires de ma maison me fait une loi de vous offrir des billets à chacune de leurs représentations.... Ils donnent, lundi prochain 28 du courant, l'Esprit de contradiction, Marton et Frontin et les Deux Savoyards. J'attends vos ordres pour l'envoi des billets que vous pourriez désirer, et vous supplie de vouloir bien présenter mes respects aux dames de la cour de Sa Majesté la reine de Hollande... ».

Une autre lettre de Sade (adressée à Madame Emilie de Bimard, publiée par M. Gourevitch, 1989), datée du 4 mai 1811, confirme son rôle de directeur artistique :
« J'ai dirigé le spectacle de la maison où je suis, et ce spectacle était un foyer d'horreurs. L'eût-on souffert, autorisé, fréquenté six ans s'il eût été tel? Eût-il guéri près de cinquante malades s'il eût ressemblé à cela? Des gouvernans fussent-ils venus me louer et me remercier de mes peines s'il se fût trouvé de l'immoralité dans cet amusement ? ».


Sade a-t-il également joué la comédie?

Labouisse assiste à la représentation de l'Impertinent, dont le rôle principal est tenu par un étrange personnage : « Cet acteur très gros, très gras, très froid, très lourd ;
C'est une masse large, un vilain homme court,
Dont la tête présente une ruine honteuse;
Et cependant maint spectateur balourd
Le reclaquait d'une main trop flatteuse,
Quoique souvent il restât court.
J'interrogeai mon voisin, qui me répondit... O ciel! Oserais-je le dire? C'était ... oui ... c'était ... le comte de Sades! ... le comte de Sades! ... cet infâme scélérat!!! » (cité par Pauvert; p. 349).

La seule pièce connue composée par le divin marquis pour le théâtre de Charenton, la Fête de l'amitié, fut donnée pour la fête du directeur dans les années 1810-1812 : « L'unique référence à l'état mental des pensionnaires se veut très discrète : Sade l'introduit astucieusement sous le masque de Momus, dieu romain de la folie, et de ses prisonniers dont il célèbre avec insistance la guérison et la libération prochaîne, grâce au traitement plein de sagesse et d'humanité du Sieur Meilcour » (M. Lever, 1991. Meilcour, anagramme de Coulmier, est également le nom d'un personnage du roman libertin de Crebillon, Les égarements du cœur et de l'esprit).


Quant à Colins, il s'interroge en 1812 sur la confiance que « peut inspirer un Directeur... qui lui a permis de jouer un rôle dans une autre pièce, et quel rôle encore? Celui du méchant qu'il rend avec toute la vérité du crime qu'il porte dans son cœur. J'ai vu tout un public frémir d'horreur à ce spectacle, tandis que le directeur général rougissait de colère, de n'entendre aucun applaudissement dans la salle » et poursuit : « cette année encore les vers chantés pour les fêtes sont sortis de sa plume, digne horace d'un tel mécène!! ... Ce qui achèvera d'exciter la plus vive indignation, c'est qu'à la représentation du ... on a inséré dans la pièce des couplets à la louange de la famille Impériale et particulièrement du Roi de Rome, et que toute la salle savait que ces couplets étaient de l'auteur de Justine. Est-il permis de laisser outrager ce que la France a de plus sacré par les louanges d'un tel scélérat! »

La seule présence comme ordonnateur du spectacle et maître des festivités de ce « monstre voué à l'exécration publique ... un être auquel je ne puis donner le nom d'homme » (Colins) constitue donc un scandale qui renforce pour les détracteurs le caractère immoral de l'expérience.


Les commentaires de Schweigger permettent pourtant de juger de l'intérêt thérapeutique de telles représentations, même si l'observateur se montre réservé sur la valeur authentiquement curative des expériences : distraction salutaire pour les pensionnaires de la maison probablement plus que « remède souverain contre la folie » (Coulmier) si les pièces et la distribution des rôles ne sont pas choisies avec soin.

Quoiqu'il en soit, l'indignation systématique de Royer-Collard et Esquirol finit par emporter l'adhésion des autorités : l'interdiction des représentations théâtrales par arrêté du ministre de l'Intérieur Montalivet en date du 6 mai 1813 est suivie de l'éviction de Coulmier.


Esquirol « développe un de ces sophismes qu'on appelle aujourd'hui "procès d'intention", sophisme symétrique dont le sens, s'il y en a un, est que l'accusé a tort d'avance. L'ancienne logique formelle avait pour cela un mot plus rigoureux, dilemme : si A est blanc, il en résulte B, et si A est noir, il en résulte également B. Ce ne sont pas les fous qui jouent : les spectacles sont donc abominables. Du reste, ce sont les fous qui jouent, ce qui rend les spectacles abominables. Coulmiers a tort quoi qu'il fasse, voilà qui est clair » (M. Gourevitch, 1989)
« Lors de la chute du gouvernement impérial... de nombreuses plaintes s'élevèrent contre son administration, où il avait introduit un système très-bizarre pour l'amusement, et même, disait-il, pour la guerison des aliénés. Il leur procurait des spectacles de différents genres, réunissait souvent les deux sexes et laissait entrer dans la maison un grand nombre d'étrangers, ce qui avait donné lieu a d'incroyables abus. Coulmier lui-même, quoique d'un âge avancé, d'une constitution faible et d'une taille contrefaite, était fort relâché dans ses mœurs. Il s'était lié étroitement avec l'infâme de Sade et cet homme odieux lui avait communiqué tous ses vices » Biographie Universelle, T. LXI, 1836, art. Coulmier (François Simonet de) signé Michaud jeune.


Le 30 mai de l'année suivante, Roulhac Dumaupas prend ses fonctions de directeur administratif. Une page est tournée.

L'anathème d'Esquirol, adversaire définitif de la méthode, a eu raison de l'expérience de l'ancien directeur, un anathème qu'il reprend dans son article folie du Dictionnaire des Sciences médicales en 1816 : « L'homme le moins réfléchi s'étonne qu'on ait permis l'établissement d'un spectacle à Charenton, tandis qu'un auteur allemand regarde la multiplication des théâtres comme une des causes du plus grand nombre de folies en Allemagne. Les maniaques ne pouvaient y assister; les mélancoliques rarement; les imbéciles n'en retiraient aucun profit ».


En Allemagne, la méthode connaît un développement vers ce qui semble annoncer le psychodrame du XXème siècle, puisque là, les médecins eux-mêmes, spécialement formés à la technique, mettent en scène, dirigent et contrôlent un jeu imaginatif, où l'improvisation des malades acteurs est de règle,

C'est du moins ainsi que le présente Reil :
« Le personnel de la maison devrait avoir un entraînement dramatique complet, de façon à pouvoir jouer tous les rôles selon les besoins de chaque malade, en atteignant le plus haut point d'illusion : il devra savoir représenter un juge, un bourreau, un médecin, des anges descendant du ciel, des morts sortant du tombeau. Un théâtre de ce genre pourrait représenter des prisons et des fosses aux lions, des échafauds et des salles d'opérations; Des Don Quichotte seraient consacrés chevaliers, des parturientes imaginaires y seraient délivrées, des fous trépanés, des pêcheurs repentants y seraient solennellement absous de leurs crimes. Bref, le médecin pourrait, selon les cas individuels, faire l'usage le plus varié de ce théâtre et de ces installations, il pourrait stimuler l'imagination en tenant compte à chaque fois d'un but précis, il pourrait éveiller la lucidité, susciter des passions contraires, la peur, l'effroi, l'étonnement, l'angoisse, le calme de l'âme, et s'attaquer à l'idée fixe de la folie »
J.C. Reil, Rhapsodien...; 2e éd. 1818, dans la traduction de J. Starobinski, Histoire du traitement de la mélancolie des origines à nos jours; Geigy, Bâle, 1960, cité par J.-P. Huber.


On assiste à la première résurgence en France de la thérapeutique par le jeu théâtral, fort proche du modèle initiale, à l'initiative d'un aliéniste fort décrié, François Leuret (1797-1851), médecin en chef à Bicêtre, ancien interne de Royer-Collard à Charenton et... élève d'Esquirol.

À partir de 1833 semble-t-il, « voulant agir par des moyens plus énergiques sur le cerveau des malades, (Leuret) avait fait installer pour eux un théâtre, dont tous les accessoires, costumes, décors, étaient leur ouvrage et sur lequel ils exécutaient des scènes dramatiques » (E.-A. Texier, 1852, T.1, p.169).

Voici encore ce qu'en relate Millet, interne de François Leuret a Bicêtre en 1842 :
« Les aliénés ont déjà joué quelques pièces de comédie, celle des Plaideurs, celle de Bruéis et Palaprat, celle de l'Ours et le pacha, etc. M. Leuret a soin de choisir les pièces et les acteurs : les pièces gaies sont celles qu'il préfère; il ne veut rien de dramatique, et a soin de repousser tout ce qui prêterait à faire quelques allusions inconvenantes. Quant aux acteurs, on ne choisit pas toujours ceux qui peuvent le mieux réciter leur rôle, mais ceux auxquels le rôle doit être le plus utile, car le but que l'on se propose, on le comprend bien sans qu'il soit besoin de le dire, n'est pas de faire jouer la comédie, mais bien de guérir des malades ».

L'opposition renaît aussitôt, et l'initiative de Leuret connaît le même sort que celle de Charenton trente ans plus tôt :
« Les représentations de ce théâtre où étaient admis un public quelquefois assez nombreux, ont été suspendues par ordre de l'autorité qui avait reçu des plaintes fondées. Une pareille publicité inquiétait, en effet, les familles, en ne respectant pas assez leurs secrets » (E.-A. Texier).

La proscription des spectacles publics dans les asiles, dans leur forme inventée par Gastaldy et de Coulmier, était dès lors définitive.


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MAISONS DE SANTÉ


Parmi les établissements privés, je mentionne avant tous les autres, qui sont de moindre capacité, la Maison de santé de Madame de Loizerolles dirigée par Monsieur ESQUIROL (rue de Buffon n°9 et 10).
La maison est aménagée pour 26 malades seulement, qui ont chacun un domestique mis à leur disposition par l'hôpital, et payent 500 francs de pension par mois. Les malades sont répartis dans trois divisions qui occupent chacune une maison distincte.

1) Les furieux : Le bâtiment est totalement isolé, entouré d'une cour et d'un jardin dont un côté donne sur un nouveau boulevard. Il y a pour les hommes et pour les femmes deux sections entièrement séparées l'une de l'autre. Une petite salle de bain sert aux deux sections, avec trois baignoires où s'écoulent deux robinets d'eau froide et d'eau chaude. Un tuyau de douche est placé au plafond ; le malade n'est pas attaché dans la baignoire, mais il est suivi avec le tuyau quand il en saute, ce que facilite la petitesse de la pièce. Les chambres des malades sont claires et donnent sur le jardin. Les fenêtres sont fermées par de fortes persiennes munies de gros épars, qui ne peuvent être ouvertes qu'avec une clef. Un tuyau passant le long de la chambre sert à la chauffer. Dans un coin est placée une chaise percée qui peut être vidée de l'extérieur. La porte se ferme avec un verrou petit mais assez solide, qui n'a pas de bouton mais une fente invisible dans laquelle on introduit la main.
Chaque malade a un gardien qui habite une petite chambre attenante. Les plus furieux sont au rez-de-chaussée, ceux qui sont assez calme à l'étage, et les chambres sont meublées si l'état du malade le permet. Le seul moyen de contrainte est la camisole, les manches liées ensemble. Les bains de surprise n'étant pas employés, il n'y a pas d'installation de ce type.

2) Le bâtiment des autres fous donne d'un côté sur les jardins de la maison, de l'autre dans la rue Buffon sur le Jardin des Plantes, assez loin toutefois pour que les malades ne puissent être dérangés par les passants ou, du côté opposé, par les agités. Les folles occupent une aile de la maison, les fous une autre. Tous ont des chambres claires et très correctement meublées, ainsi qu'une vue agréable.
L'étage du bas sert à l'économat et d'appartement pour quelques gardiens, comme les bâtiments suivants. Chaque chambre possède une antichambre, qui sert de logement au domestique. Les chambres sont installées de manière à ce que les malades ne se dérangent guère les uns les autres. Les persiennes sont un peu plus à l'écart et plus solides que d'ordinaire, et se ferment par une vis qui se tourne facilement avec une clef.

Les malades disposent d'un agréable jardin très ombragé, les trois jardins contiennent beaucoup d'arbres, surtout des fruitiers.

3) À côté se trouve un troisième bâtiment, où le médecin habite avec les convalescents. Des chambres claires, spacieuses et souvent élégantes, une antichambre convenable pour le ou la domestique selon le sexe du malade, un joli jardin avec d'agréables bosquets et plantations caractérisent cette section.

Les malades de ces deux derniers services s'occupent selon leur habitude antérieure et leur choix à la couture, à la broderie, à la lecture, à l'écriture, au dessin ainsi qu'au jeu de cartes, aux quilles, au cerceau. Les hommes convalescents ont en outre un billard. Les convalescents et les aliénés très calmes ont la possibilité de sortir en compagnie de leur gardien; dans ce cas, on les conduit volontiers au Jardin des Plantes et au Muséum d'Histoire naturelle.
Pour ces deux services, il n'y a pas de salle de bains, on apporte les baignoires dans les chambres des malades. Le chauffage se fait par des cheminées; pour ceux à qui l'on ne peut laisser de feu, les chambres, où ils sont alors installés par deux ou trois, sont chauffées grâce à un poêle.
L'alimentation des malades est copieuse et le plus possible adaptée à leurs habitudes antérieures : le matin en été, des fruits quand cela convient au malade, en hiver, du café, du chocolat, un déjeuner à la fourchette; à midi de la soupe, de la viande de bœuf, des légumes, des rôtis et le dessert; le soir, des légumes et de la confiture. Les malades des première et deuxième section mangent chacun dans leur chambre, comme quelques convalescents; les malades tout à fait guéris mangent ensemble à une table avec le médecin. Ceux enfin dont l'amélioration est encore récente mangent dans une salle collective, mais chacun à une petite table ou deux par deux comme il est d'usage dans les restaurants parisiens.

Le traitement est conduit selon les principes de Pinel, dont le médecin de la maison est le disciple. Chaque famille a la possibilité d'envoyer elle-même un médecin qui peut soigner le malade conjointement avec celui de la maison. Le médecin de l'institution, Monsieur Esquirol, est un homme calme et très obligeant, et semble bien avoir la confiance de ses malades. Les médicaments qu'il prescrit sont fournis par une pharmacie voisine, et s'il estime que le malade est incurable, il ne le garde pas dans la pension. En outre, toute la maison est propre, se situe dans un quartier très aéré où le vent est salubre, et ressemble de l'extérieur à une maison de campagne. À l'intérieur, on ne trouve rien qui pourrait faire naître des sentiments douloureux dans les intervalles de lucidité du malade ou du convalescent. En un mot, l'établissement mériterait d'être plus connu, et il est digne d'une mention supérieure.


COMMENTAIRE sur la Maison Esquirol

Les maisons de santé privées visitées par Schweigger sont au nombre de sept. La plupart d'entr'elles disposent d'un médecin résident.

Remarquons que Schweigger omet de signaler la maison de santé de la rue Neuve Sainte-Geneviève n°21, tenue en 1808 par le docteur Leblond, successeur du sieur Bardot qui l'avait lui-même reprise à Marie Douay. Elle passera en 1838 sous la direction de Brierre de Boismont. À sa fermeture en 1853, le célèbre aliéniste déménagera les malades dans la maison du faubourg Saint-Antoine.
D'autres « entreprises de particuliers » sont traitées à part, comme la maison de retraite de Monsieur Simon, rue de la Clef (p.126-128). Pour le reste des petites pensions privées, l'auteur renvoie au Dictionnaire administratif et topographique de Paris, de Goblet.

La maison de Jean-Etienne-Dominique Esquirol mérite bien les éloges de l'auteur. Elle a ouvert ses portes au tout début de 1802 rue Buffon et « vis à vis la Salpêtrière n°8 ».

La première entrée selon le registre étudié par Dora B. Weiner date du 6 février 1802 (« Un registre inédit... », 1988). Selon C. Amiel, l'emplacement de l'immeuble habité par Esquirol est aujourd'hui recouvert par les dépendances du Muséum du n°55 de la rue Buffon.

L'annonce de son ouverture a fait l'objet d'un article paru le 21 mars 1802 dans la Décade Philosophique (An 10, t. 2, n°18, 30 ventôse (21 mars 1802); article publié par M. Gauchet et G. Swain, Documents..., 1980; 74-76).

Établie sous les auspices du citoyen Pinel, célèbre professeur dont Esquirol est l'élève particulier, elle offre aux aliénés, dont le traitement - comme l'expérience l'a prouvé - nécessite leur isolement, la mise en pratique des principes développés dans le Traité de la manie.
Le retour brutal dans la société étant cause de rechutes, dès que les aliénés seront convalescents, et “avant d'être rendus à leurs familles, ils passeront dans une maison de convalescence, destinée pour leur temps d'épreuve, et où ils préluderont, pour ainsi dire, au rôle qu'ils auront à reprendre dans la société”.
La description de Schweigger prouve quelques années après l'ouverture de la maison qu'a été respecté le projet initial ainsi exposé dans la Décade :
« Situé dans un des quartiers les plus sains de Paris, le nouvel établissement donne d'un côté sur le boulevard, vis à vis la Salpêtrière, de l'autre dans la rue de Buffon. Il se compose de deux maisons absolument séparées par des jardins; l'une est destinée au traitement, l'autre est consacrée aux convalescens. Deux jardins, plusieurs cours, offrent d'un côté des promenades sûres, agréables, de l'autre la facilité d'exercer les malades, en les appliquant à la culture lorsque ce moyen sera jugé utile.

La maison de traitement, située sur le Boulevard, n°3, en face de la Salpêtrière, divisée en deux bâtimens, permet de séparer les femmes des hommes; chaque bâtiment a une cour particulière; les moins irraisonnables auront la jouissance d'un vaste jardin et d'un petit bosquet. Les appartemens sont disposés de manière que chaque malade ait sans cesse auprès de lui un domestique, et qu'il jouisse de tout ce qui pourra se concilier avec sa sûreté et concourir à sa guérison.

Les verroux, les grilles, les chaînes, les coups, etc. seront proscrits, n'affligeront pas la sensibilité des uns, et n'irriteront pas l'extrême susceptibilité des autres. Une police sévère exercée sur les domestiques empêchera toute dureté de leur part, en même tems que des encouragemens les porteront à l'exactitude et à la douceur; il leur sera rigoureusement interdit d'user de représailles et d'exercer le plus petit acte de répression.

Les malades seront traités d'après l'espèce connue de la maladie : ainsi point de traitement uniforme et exclusif. Les moyens moraux occuperont la première place parmi les procédés curatifs, sans néanmoins négliger ceux que l'hygiène et la matière médicale fournissent. Le voisinage de la Salpêtrière assure aux malades l'avantage d'être plus à portée du C. Pinel, qui leur accordera des visites plus fréquentes....

La maison de convalescence, contiguë à la maison de traitement, en est entièrement séparée par les jardins; son entrée est rue de Buffon, n°3, vis-a-vis le jardin des Plantes, ce qui offre aux convalescens la proximité d'une des promenades les plus agréables et les plus variées, et la facilité de jouir de tout ce que le Muséum d'Histoire Naturelle recèle d'intéressant pour la curiosité et l'instruction.

Les mêmes principes qui auront présidé au traitement dirigeront la convalescence : le C. Giraudy, médecin, aussi élève du C. Pinel, est chargé de cette maison. Il dirigera les convalescens vers le genre d'occupation ou de distraction qu'on croira le plus convenable et le plus utile... ».

Le traitement, inspiré des principes de son maître, est assuré par Esquirol lui-même, tandis qu'un autre médecin, Giraudy se charge de la maison de convalescence.
Médecin adjoint de Charenton et autre élève de Pinel, Giraudy a donc été simultanément collaborateur d'Esquirol rue Buffon (il signe le registre de la maison jusqu'après 1806), et thuriféraire de Coulmier, le directeur de la Maison nationale.

L'administration est confiée aux soins de madame Aved-Loiserolles, nom qui a lui seul « promet au public toute l'honnêteté, toute la délicatesse d'exactitude qu'il est en droit d'exiger ».

Aved-Loiserolles est le nom « du héros d'un célèbre épisode révolutionnaire, le père s'étant présenté à la place de son fils, incarcéré avec lui, et qui dormait au moment de l'appel pour le supplice » (M. Gauchet et G. Swain, Documents..., 1980; p.74 note). Jean Simon Aved de Loiserolles, ancien avocat au Parlement, Conseiller du Roi, Lieutenant Général au Baillage de l'Arsenal et avocat du marquis de Mirabeau (père) a été exécuté le 26 juillet 1794, veille de la chute de Robespierre. Son fils est devenu propriétaire de la maison de la rue de Buffon.

La découverte récente (Dora B. Weiner, 1988) du Registre de la maison pour la période 6 février 1802 - 1er juillet 1808, apporte de précieux renseignements sur la population des malades soignés dans la clinique. Le nombre d'admissions, cent cinquante et une au total, varie de huit en 1802 à trente et un en 1806. Les malades sont en majorité des maniaques, des mélancoliques et des déments.

Le registre, annoté par le commissaire de la section du Finistère, permet aux autorités de police de contrôler la pension, qui reçoit de fréquentes visites d'un inspecteur et d'un agent de police.
En 1809, Pinel, naturellement très favorable à l'établissement de son élève, expose « les heureux résultats (qu'il) donne, depuis plusieurs années... formé selon les mêmes principes (que la Salpêtrière), c'est-à-dire, fondé sur l'observation et l'expérience » (voir Traité, 2e éd.,préface p.II, p.147, p.227 note, p.236 note, p.284, p.369 note).
Esquirol en effet a suivi la méthode que Pinel a lui-même mise en œuvre : la distribution des aliénées en trois départements, séparés suivant le plus haut degré de la maladie, son déclin ou la convalescence. Les mêmes moyens de répression que les progrès des lumières et les sentimens d'humanité semblent maintenant exiger de mettre en usage prévalent dans les deux établissements.

L'établissement, si connu et si digne de l'être, bénéficie toutefois de nombreux avantages sur l'hospice : cadre spacieux et agréable, proscription de tout appareil propre à attrister les malades, présence de domestiques en nombre qui permet une rapide maîtrise des agités et l'accompagnement des convalescents en promenade, qualité des repas, pris à la table du médecin lorsque l'état du malade le permet.

Maison de santé et hospice face à face, l'une pour les malades riches, l'autre pour les indigents, doivent certainement être considérés (avec Gladys Swain) comme deux éléments complémentaires d'un dispositif de nature à concurrencer sinon surclasser Charenton, qui reçoit pensionnaires payants et jusqu'en 1807 malades pauvres aux frais de l'administration.

La maison de santé de la rue Buffon, le plus célèbre des établissements privés parisiens, restera sans conteste la plus belle réussite du temps, qui se confirmera avec la création par Esquirol d'une autre maison à Ivry en 1827 avec son neveu et futur successeur Mitivié, dirigée ensuite par Jules Baillarger puis Jacques-Joseph Moreau de Tours.

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Les autres pensionnats privés d'aliénés cèdent le pas à cet établissement, ne serait-ce que parce qu'ils reçoivent des incurables. Parmi ceux-ci : Maison de santé dirigée par Madame RICHEBRAQUE (rue du Chemin Vert n°19, faubourg Saint Antoine)

Elle renferme seulement 20 à 25 aliénés des deux sexes, les autres sont des malades d'autres catégories. Les furieux sont séparés dans des loges, les autres fous ont des chambres convenables et un beau jardin commun avec les autres pensionnaires de la maison. Un médecin habite dans l'établissement. L'ensemble fait preuve de beaucoup d'organisation.


COMMENTAIRE

Mme Reboul-Richebracques est une des maîtresses de pension les moins connues. Sous l'Ancien Regime et la Révolution, la maison alors dirigée par les chirurgiens Joseph Esquiros et Adrien-Jean Escourbiac avait connu une certaine notoriété. En 1808, un médecin, dont on ignore le nom, réside donc dans la maison; peut-être s'agit-il déjà du docteur Renout, qui y sera attaché après son déménagement rue de Picpus vers 1811. Sous Louis-Philippe, la pension sera dirigée par Calmeil, médecin de Charenton, et sous le Second Empire par le docteur Etienne Goujon.


Maison de santé dirigée par Monsieur PROST

Une belle maison de campagne à Montmartre (en face de la rue de la Rochefoucault) équipée pour seulement 15 à 18 malades des deux sexes, avant tout des aliénés et malades nerveux chroniques. Des femmes enceintes y sont également reçues jusqu'à ce que l'établissement fonctionne à plein. L'ensemble est destiné à des personnes très aisées. Monsieur Prost a cherché à démontrer il y a quelque temps dans un ouvrage (Coup d'oeil physiologique sur la folie, 3 parties, 1806 et 1807) que des vers intestinaux sont la cause la plus fréquente de l'aliénation mentale. De ce fait, son traitement médical se conforme à cette hypothèse.


COMMENTAIRE

La maison de santé de Pierre-Antoine Prost (1770-1832) ouvre en 1805 [erratum : 1807] à Montmartre rue Trainée n°4 (22, rue Norvins de nos jours). Le médecin assure à la fois la direction administrative et le traitement des malades. Prost lui-même et son œuvre sont tombés dans un oubli presque total.

Prost est absent de la Nouvelle histoire de la psychiatrie, 1983. Semelaigne, 1930, 146-147 avouait ne connaître que les initiales de ses prénoms et ignorer la date et le lieu de sa naissance : « Nous savons seulement qu'il était du Lyonnais, et prend, dans ses ouvrages, le titre d'ancien chirurgien de l'Hôtel-Dieu de Lyon et d'ancien chirurgien en chef de plusieurs hôpitaux et régiments ». Le Breton lui consacre quelques pages dans sa thèse, 1937, 17 à 24, comme H. Bonnet dans son Histoire de la psychiatrie à Lyon... p. 131-133.

Sa biographie peut cependant être reconstituée à partir de documents inédits (A.N., F17 2165) : Prost a quitté jeune son Lyonnais natal pour la capitale, où il fréquente le Collège de chirurgie de 1787 à 1790. Reçu chirurgien interne de l'Hôtel-Dieu de Lyon au concours de 1790, il revient à Paris et remporte en 1792 le premier accessit de l'école pratique de chirurgie. De retour à Lyon, il prend le 1er septembre ses fonctions de chirurgien de l'Hôtel-Dieu. En août 1793, il quitte l'établissement pour devenir chirurgien en chef d'un hôpital militaire, charge qu'il occupe jusqu'à la fin du siège de la ville, avant de partir aux frontières comme chirurgien-major : du 20 floréal (9 mai) au 15 thermidor an II (2 août 1794), il sert comme chirurgien major dans l'Armée du Nord, où il remplit « les devoirs de son état avec l'exactitude et le zèle qui caractérisent un chirurgien éclairé et un bon républicain ». Le 18 thermidor an III (5 août 1795), porteur d'une convalescence de trois mois, il reçoit une feuille de route pour se rendre de Nancy à Neuville, sa ville natale. Au début de l'année 1796, Prost reprend ses fonctions civiles. En juin 1806, il soutient sa thèse de doctorat en médecine à Paris. En avril 1832, il succombe à Paris du mal auquel il avait consacré son dernier ouvrage, Traité du Choléra morbus, Paris, 1832.

Empiriste sceptique, tenant en cela de son maître Gaspard Laurent Bayle (élève et successeur en 1805 de Corvisart à la Charité, oncle d'Antoine Laurent Bayle qui sera le premier à décrire la Paralysie Générale), Prost est l'auteur de nombreuses publications.
La parution en 1804 de son premier ouvrage La médecine éclairée par l'observation et l'ouverture des corps reçoit un accueil encourageant, avec des compte-rendus avantageux de Hallé et Gastaldy.
Réputé confus, l'ouvrage contient d'excellents compte-rendus d'autopsies, et développe une théorie physiologique apparentée à celle de Broussais sur les Phlegmasies (1808), tendant « à attribuer les maladies générales à des processus inflammatoires de la muqueuse intestinale (au point que, pour lui, les parasites intestinaux étaient susceptibles de provoquer des maladies mentales) » (E.H. Ackerknecht, 1986, p.98).
L'existence de manies vermineuses justiciables des vermifuges est défendue également par le jeune Esquirol : « On s'est obstiné à rechercher la cause du mal dans le cerveau, qui en recèle si rarement le germe. On a négligé l'état des autres fonctions, et les altérations constantes que présentent les viscères abdominaux » (Observations..., an XI-1803). Il y décrit un cas de manie causée par la présence de vers intestinaux, qu'il dit trouver fréquemment dans le conduit intestinal des aliénés dont il fait l'ouverture.
L'ouvrage de Prost, écrit Sachaile en 1845, « précéda les travaux de Broussais, pour l'explication du rôle que joue la muqueuse gastro-intestinale dans un grand nombre de maladies aiguës, et prépara ainsi le triomphe de la médecine dite physiologique, sans que son auteur reçût la moindre gloire qui résulta de ce triomphe ».

Prost présente ensuite trois mémoires (qui ont pour objet « les rapports des systèmes des deux vies entre eux, des fluides avec les parties sensibles et surtout l'influence du sang sur les fonctions des deux vies, ainsi que les changemens de cette liqueur pendant les maladies »; lettre autographe, 14 thermidor an XII, A.N., F17 2165) devant la Société de médecine de Paris et publie divers ouvrages : Essai physiologique sur la sensibilité, 1805; Coup d'œil sur la folie, 1806; Deuxième coup d'œil sur la folie, 1807.

Ces ouvrages lui vaudront les virulentes critiques de Royer-Collard dans la Bibliothèque médicale, aussitôt réfutées par l'auteur dans son Troisième coup d'œil sur la folie, les estimant « dictées par la passion la plus malveillante, renfermant les injures les plus grossières et les expositions les plus fausses » (Semelaigne, p.146-147).

Royer-Collard précisait perfidement qu'annexée au mémoire de Prost figure l'annonce de l'ouverture de sa maison de traitement, ajoutant : « Les raisonnements et les discussions physiologiques ne sont que le passe-port de cette intéressante annonce ». En 1822, Prost, auteur prolixe, fera encore paraître en six volumes La science de l'homme mise en rapport avec les sciences physiques, ou la Philosophie de la nature, d 'après l'état des sciences au XIX° siècle.

Au fil des années, la réputation de Prost se confirme et la maison devient prospère. En 1818, il fait ajouter un corps de logis au bâtiment principal. Pourtant, vers la fin de l'année 1820, il décide de l'abandonner à Esprit-Sylvestre Blanche.

En 1846, Blanche déménage à Passy. Son fils Antoine-Emile lui succède en 1852, et laisse la direction de la maison à son adjoint, le docteur André-Isidore Meuriot en 1872. Le fils du docteur Meuriot, Henri, psychiatre, déménagera la maison de santé à Crosne : la Clinique du Château du Bel-Air est toujours en activité.


Maison de santé établie par Monsieur MARCEL
(rue de Picpus près la barrière du Trône)

L'établissement est exclusivement réservé aux aliénés des deux sexes; il y a ici pour l'essentiel des incurables, au nombre de soixante; hommes et femmes sont entièrement séparés. Chaque malade a une petite chambre donnant sur un long couloir.

Les aliénés sont rassemblés dans une cour la plus grande partie de la journée; ceux qui sont tout à fait calmes disposent d'un jardin pour se promener. Les convalescents prennent leurs repas avec le médecin. La pension est de 100 louis par an; le traitement médical est payé à part.


COMMENTAIRE

Les parents de Monsieur Marcel, Pierre Cabin dit Marcel et Marie-Louise-Edmée Héricourt, tenaient à la fin de l'Ancien Régime une maison pour aliénés d'esprit rue du petit Bercy (rue de Dijon actuelle).
Dans les toutes premières années du XIXème siècle sans doute, la veuve Marcel succède à Marie de Sainte-Colombe rue de Picpus. Cabin-dit-Marcel fils, prénommé Pierre François et né en 1778, ancien marchand d'instruments de physique, serait donc dès 1808 pour Schweigger le directeur de la maison, qui s'est attaché les services d'un médecin.

La Statistique individuelle de Paris de 1809 indique pourtant encore au n°6 rue Picpus « Marie-Louise-Aimée, Veuve Marcel, tenant maison de santé ». Dans la colonne "Moralité et opinion politique", on peut lire : « Bonne moralité, quant à son opinion politique elle ne saurait avoir aucune influence, et l'on pourrait même dire qu'elle ne s'occupe pas d'affaires publiques, sa pensée ne s'élève pas jusqu'au gouvernement, elle ne s'intéresse qu'à sa pension et à son fils pour lequel elle a un grand faible » (A.N., F7* 2532 n°2211).

Dans cet établissement où Brierre de Boismont obtient une place de médecin résidant (« Ce fut, disait-il, mon premier campement sur le sol de Paris, cette terre promise qui nous séduit tous », Semelaigne, 1930; p. 11) après sa réception au doctorat en août 1825, se succéderont les docteurs Bourdoncle, A. Couderc, C.-F. Michéa, Dassonneville et Pottier jusqu'à sa fermeture en 1912.


Maison de santé tenue par Monsieur BELHOMME
(rue de Charonne n°165 faubourg Saint Antoine)

Elle est avant tout organisée pour quarante aliénés, la plupart incurables; Monsieur Belhomme accepte également de jeunes gens qui lui sont adressés par leurs parents avec l'autorisation de la police pour une surveillance en détention pour quelques mois. Les furieux logent dans un bâtiment à part avec une cour très spacieuse au fond du jardin. Les autres logent dans la maison du chirurgien, Monsieur Belhomme, et prennent leurs repas avec lui.

Les familles peuvent faire traiter leur malade par un médecin de ville, ce qui est généralement possible dans tous les établissements décrits. Le prix de la pension est de 800, 1200 et 1500 francs. Le traitement médical est payé à part.


COMMENTAIRE

Ni "docteur", comme on l'a parfois affirmé en le confondant avec son fils Jacques Etienne (1800-1880), ni chirurgien comme l'indique Schweigger, Belhomme était miroitier avant d'ouvrir vers 1770 une maison de santé qui devint l'une des plus importantes de la fin de l'Ancien régime à Paris et bénéficiera même des services de Philippe Pinel de 1786 à 1793.
Si Belhomme est aujourd'hui le plus connu des maîtres de pension, c'est parce que sa maison reçut pendant la Terreur des détenus politiques en principe malades, pour des pensions assez élevées. Ce qui fut à l'origine d'une légende où il tient le rôle de l'odieux spéculateur exigeant des pensions exorbitantes des riches suspects menacés du Tribunal Révolutionnaire et renvoyés à la guillotine lorsqu'ils ne peuvent plus payer.
Depuis Lenotre, qui a construit sa "thèse" à partir des mémoires du Comte de Saint-Aulaire et de documents d'archives incomplets et mal interprétés, l'histoire a été inlassablement répétée, même depuis la publication des recherches d'Olivier Vincienne. Remarquons que Schweigger n'en fait évidemment nulle mention.

Outre les aliénés, Belhomme reçoit de 1803 à 1815 (H. de Buttet) - comme il le faisait avant la Révolution - des jeunes gens à titre de correction. En messidor an XI, le Préfet de police avait été chargé d'indiquer au Président du Tribunal de Première instance du département de la Seine « une maison dans laquelle il put faire placer les enfants de l'un et de l'autre sexe, arrêtés par forme de correction paternelle, en vertu de la loi du 3 germinal dernier ».
Son choix s'étant porté sur la maison Belhomme, il avait recommandé au maître de pension « la plus scrupuleuse exactitude dans la surveillance » et dans la prévention des évasions, la discipline intérieure, ainsi que la « surveillance morale » qui « doit avoir principalement pour but de réformer les inclinations vicieuses et de rectifier les habitudes dépravées des jeunes gens dans lesquelles vous les aurez reconnues » (Forzinetti-Motet, 1953). Belhomme avait aussitôt donné son accord, demandant le droit d'être informé « des fautes qui ont donné lieu à la punition infligée », parce que « ces secrets de famille » peuvent être « un médicament salutaire pour le traitement moral de ces adolescents », fait de « leçons », de « punitions » et de « récompenses ».

Une maison de santé pour aliénés redevenant maison de discipline et de redressement pour jeunes correctionnaires, un directeur conduisant le traitement moral des uns et des autres, le fait peut surprendre.

Mais n'est-ce pas Pinel lui-même qui affirme « l'analogie entre l'art de diriger les aliénés et celui d'élever les jeunes gens. C'est une grande fermeté que l'un et l'autre exigent, et non des manières dures et repoussantes; c'est une condescendance raisonnée et affectueuse, et non une complaisance molle et asservie à tous les caprices » (Traité, 2e éd. (1809); p.20), et son disciple Esquirol que « les aliénés sont de grands enfans, et des enfans qui ont déjà reçu de fausses idées et de mauvaises directions; ils offrent tant de point de contact avec les enfans et les jeunes gens qu'on ne sera pas surpris si les uns et les autres doivent être conduits d'après des principes analogues »(Des Maladies mentales, 1838, I; p.12)?


Maison de santé de Monsieur DUBUISSON
(rue du faubourg Saint Antoine n°333, près la barrière du Trône)

Il y a ici presque toujours quarante aliénés incurables, ce qui ne permet pas de parler de traitement médical. Monsieur Dubuisson m'a affirmé avoir beaucoup contribué au soulagement des aliénés très angoissés et déprimés (sehr ängstlichen und niedergeschlagenen Irren) (ce que beaucoup sont devenus par la Révolution) en faisant construire une chapelle où la messe est célébrée une fois par semaine.
Il me semble que l'on devrait user plus souvent des fêtes religieuses comme remède, particulièrement dans les petits établissements d'aliénés où le médecin peut consacrer plus d'attention à chacun. La dévote exaltée et désespérée se rapprocherait avec confiance et amour du médecin s'il lui permettait d'aller à l'église, sous surveillance et à condition que la malade s'occupe ensuite à des travaux ménagers, le bénéfice pourrait en être d'autant plus grand qu'un prêtre s'efforcerait de donner une meilleure direction à leur passion. Des fêtes imposantes pourraient profiter à beaucoup, aux malades habituellement indolents, et particulierement aux aliénés à la pensée erratique que le seul fait d'être à l'église exercerait à être attentifs. L'entrée dans l'église devrait être soigneusement défendue aux visionnaires ainsi qu'aux fous facétieux qui ne profiteraient de ces fêtes que pour se divertir. Ceux-ci ne connaissent pas la timidité inquiète et la méfiance que l'on rencontre dans les états mélancoliques, ni l'oubli de soi qui conduit progressivement à l'idiotisme. C'est de cette classe d'aliénés que l'on s'occupe d'ordinaire le moins. Ils sont rejetés pour leur importunité, ou plus fréquemment encore servent à amuser les gardiens ou les étrangers. Ces petits établissements leur sont mieux appropriés.

Je m'autorise là encore à donner mon avis sur les pensions privées en général. Il me semble que l'Etat pourrait en tirer un très grand profit en les subventionnant et en les plaçant donc sous sa surveillance. Elles seraient particulièrement utiles si chacune n'accueillait qu'une seule catégorie d'aliénés. Une maison serait ainsi par exemple instituée pour les fous proprement-dits, une deuxième pour les mélancoliques, une troisième pour les demi-idiots. Chacune d'elles aurait une section réservée aux accès périodiques de fureur. Il faudrait encore établir un établissement pour les convalescents que dirigeraient les médecins des trois autres.

De cette façon, et à condition que ces quatre maisons constituent une unité administrative, les médecins auraient également l'avantage de pouvoir réunir les aliénés de différentes catégories dans certains cas particuliers.

Et, afin d'en favoriser encore l'unité, un seul médecin assurerait la surveillance de l'ensemble, et les médecins des établissements particuliers mèneraient sous sa présidence des délibérations communes.

Ces petits pensionnats présenteraient de surcroit l'avantage de n'être pas aussi effrayants pour les convalescents que les grandes maisons d'aliénés, et, restant en partie privés, il n'en couterait que peu à l'Etat.

Il s'agit ici d'un établissement destiné aux aliénés de la classe instruite qu'il n'est jamais raisonnable de mêler aux autres puisque leur traitement doit être davantage individualisé. Pour les aliénés de la classe inférieure, il pourrait sans doute être créé un établissement analogue, mais sans lien administratif avec le précédent, une institution séparée étant d'autant plus nécessaire que la plupart de ces malades ne pourrait pas payer. Les grandes maisons serviraient de lieu de garde des incurables. À l'égard de l'équipement de l'ensemble de ces petits établissements aussi bien que de chacun d'eux, je m'en rapporte à ce qui est dit de l'hôpital de Charenton; mais à l'égard du traitement des fous proprement-dits, je vous expose encore le projet qui, je pense, peut être mis en œuvre avec succès.

Ceux qui ont des idées fixes dont ils suivent exclusivement le cours devront d'abord être séparés de ceux dont les vues sont généralement fausses. Le traitement des premiers sera médical, celui des autres devant présenter un caractère plus général ainsi que je l'ai précédemment observé. La plupart sont très ambitieux et cherchent à faire valoir leurs opinions. La première tâche du médecin est de diriger leur ambition et d'entraver l'exécution de leur plan en posant prudemment des obstacles sur leur chemin, afin d'attirer ainsi leur attention sur des moyens adaptés à la réalisation de leur projet. Ces aliénés sont pour la plupart facilement amenés à s'occuper, surtout si cela peut leur procurer quelque considération. Il pourrait être avantageux de les occuper selon leur formation et leur ancien mode de vie à faire de la mécanique, de la physique et même de la chimie, de leur permettre de fabriquer eux-mêmes en partie des instruments, et en planifiant leurs expériences de leur apprendre une conduite méthodique et réfléchie.

Il y a pour moi peu à attendre des pièces de théâtres pour cette classe d'aliénés mentaux, si elles ne sont pas choisies avec un soin extrême; car ces aliénés ne font que s'en divertir ou s'en irritent, au lieu de prendre conscience de leurs faiblesses.


COMMENTAIRE

Claude-Henry Jacquelin Dubuisson (1739-1812) avait repris en 1788 à la veuve Bouqueton la direction d'une maison de santé rue de Montreuil, qui, treize ans plus tard, fusionnait avec celle du chirurgien L. Lasmesas, installée rue du Faubourg Saint-Antoine n°303 (333 actuel).

Lorsque son neveu le docteur Jean-Baptiste-Rémy Jacquelin-Dubuisson (1770-1836) en prendra la direction en 1810, l'établissement se compose de « cinq corps de logis, qui permettent de placer et de distribuer les malades d'après la nature et les périodes de leurs affections; il renferme une salle de bains et de douches, une chapelle et un jardin spacieux planté en quinconces de tilleuls, en verger, en potager, ce qui permet aux malades de se livrer aux travaux salutaires de la culture et du jardinage » (Semelaigne, 1930; p. 111).

Ce neveu est l'auteur de « Recherches et observations sur le traitement moral des aliénés » in : Mémoire de la Société médicale d'émulation, seconde année, an VII, p.219, Dissertation sur la manie, 1812, Des Vésanies ou maladies mentales, 1816. Voir : Semelaigne, 1930, p 110-117 et J. Vinot-Préfontaine, 1921

En cette même année 1810, la maison devient une prison d'Etat, dont son plus illustre détenu est sans nul doute le général Claude-François de Malet, transféréde Sainte-Pélagie en janvier 1810, et rejoint en juin par l'abbé Lafon. Se trame alors entre les deux pensionnaires la célèbre conjuration qui fera vaciller l'Empire : le 22 octobre 1812, tous deux s'évadent et échouent de peu dans leur tentative de prendre le pouvoir, entraînant l'arrestation des conjurés et des supposés complices, dont Dubuisson neveu rapidement mis hors de cause.

Son successeur, le docteur Joseph Pressat, cède ensuite la maison à son fils du même nom, également docteur en médecine. Alexandre-Jacques-François Brierre de Boismont (1798-1881) lui succède dix ans plus tard et fonde en 1860 la maison de Saint-Mandédont il confie la direction à sa fille Mme Rivet et où il s'éteindra en 1881. La maison de la rue du faubourg Saint-Antoine disparaît en 1876.


Maison de santé de Mademoiselle LACOUR
(rue de Bellefond n°20 faubourg Montmartre)

Les locaux et l'agencement intérieur de la maison conviennent parfaitement à un petit établissement d'aliénés. Malheureusement, elle s'est fort dégradée depuis le décès de la propriétaire, mais on envisage une meilleure réorganisation. L'ensemble a été prévu pour des aliénées ainsi que pour des femmes enceintes et des personnes âgées qui souhaitent mener une vie retirée. La pension est de 800 à 1000 francs.


COMMENTAIRE

La demoiselle Marie Douay, associée ensuite à Marguerite Lacour, sa cousine, tenait sous l'Ancien Régime une pension rue Neuve-Sainte-Geneviève, hôtel du Bel-Air (n° 19-19 ter de la rue Tournefort actuelle) (de 1765 a 1774), avec annexe rue de Charonne (de 1770 à 1777).
À Montmartre, elles font l'acquisition de l'ancien hôtel de Charolais à la Nouvelle France, rue de Bellefond, pour y installer en 1772 leur pension bourgeoise, où elles déménagent fin 1777 les malades des deux autres maisons.
Sous la Terreur, une partie de la maison est réquisitionnée par le Comité révolutionnaire de la section du faubourg Montmartre pour en faire un dépôt pour les suspects.
L'établissement survit néanmoins à la tourmente, mais semble avoir disparu peu après la visite de Schweigger.


ADMISSION DES ALIÉNÉS

Ce sont là les pensions privées de fous les plus connues. Je passe sur quelques autres petites maisons pour abréger, d'autant qu'elles sont destinées à d'autres malades que les aliénés mentaux.

À l'égard de l'admission des aliénés dans ces établissements, je me dois d'observer qu'elle ne peut se faire, hormis le cas de la folie la plus évidente, sans examen légal préalable par la police ou des médecins connus. Un commissaire de police est également chargé tous les mois de visiter les maisons d'aliénés et de confirmer la persistance de l'aliénation mentale des malades. Quelle place l'avis médical occupe-t-il dans la procédure légale?

Le plus souvent, il se fait conformément aux textes de loi sur l'interdiction du Code Napoléon L. I, Tit. XI, Chap. III. La présence des médecins et leur rapport n'est pas exigé dans la procédure mais il est loisible au tribunal de requérir l'avis d'un ou plusieurs médecins; cependant, la décision ne dépend pas de leur verdict mais de la conviction du tribunal. Si la folie n'est suffisamment démontrée ni par l'audition du malade ni par des écrits, la déposition de témoins tient lieu de preuve, et l'accusateur, l'accusé ou le tribunal peuvent nommer des médecins, ce qui se fait couramment.

Pour conclure mes observations sur les établissements d'aliénés parisiens et éviter tout malentendu, je signalerai encore que les deux premiers établissements publics mentionnés, Bicêtre et la Salpêtrière, ont été ici exclusivement considérés en tant que maisons d'aliénés, mais que les aliénés ne constituent qu'une partie de chacun de ces deux grands hospices. Cette partie n'est, pour ce qui est de l'organisation et de la gestion économique, absolument pas séparée de maison elle-même.


COMMENTAIRE

Une circulaire intitulée "Réclusion d'insensés" adressée par le ministre de l'Intérieur aux préfets des départements, datée du 30 fructidor an XII (17 septembre 1804) confirme et précise les règles d'admission des aliénés présentées par Schweigger, sans cependant faire mention du rôle des médecins dans la procédure :

« J'ai remarqué, Monsieur, dans les comptes analytiques des Préfets, que plusieurs ont fait, de leur propre autorité, arrêter des insensés, pour être, sur leur ordre, enfermés dans des maisons de force. Je crois devoir, pour prévenir cet abus, vous rappeler les principes et les règles de cette matière.
Suivant la loi du 22 juillet 1791, conforme à ce sujet aux anciens réglemens, les parens des insensés doivent veiller sur eux, les empêcher de divaguer, et prendre garde qu'ils ne commettent aucun désordre. L'autorité municipale, suivant la même loi, doit obvier aux inconvéniens qui résulteraient de la négligence avec laquelle les particuliers rempliraient ce devoir.
Les furieux doivent être mis en lieu de sûreté. Mais ils ne peuvent être détenus qu'en vertu d'un jugement que la famille doit provoquer.
La loi du 8 germinal an 11 indique, avec beaucoup de détails, la manière dont on doit procéder à l'interdiction des individus tombés dans un état de démence ou de fureur. C'est aux tribunaux seuls qu'elle confie le soin de constater cet état.
Les lois qui ont déterminé les conséquences de cette infirmité, ont pris soin qu'on ne pût arbitrairement supposer qu'un individu en est atteint; elles ont voulu que sa situation fut établie par des preuves positives, avec des formes précises et rigoureuses.
En substituant à ces procédés réguliers une décision arbitraire de l'Administration, on porte atteinte à la liberté personnelle et aux droits civils de l'individu que l'on fait détenir; on donne lieu à des tiers intéressés de soutenir, les uns, que les actes faits par un homme ainsi détenu sont nuls, parce qu'il est dans un état de démence constatée; les autres, que de tels actes sont valides, parce qu'il n'y a de démence reconnue que celle qui est régulièrement constatée.
L'Administration n'est pas plus fondée à remettre en liberté et en possession de leur état, des individus détenus comme insensés par ordre de justice; d'abord, parce qu'il ne lui appartient point de suspendre l'effet des décisions judiciaires, et, de plus, parce que l'état civil des individus n'est ni mis à sa disposition, ni placé sous sa surveillance.
Je vous invite, Monsieur, à vous conformer à ces principes. Vous devez veiller avec soin à ce que les autorités qui vous sont subordonnées ne s'en écartent jamais » (A.N., F15 105).

Le dispositif légal tel que le présente le ministre Portalis - le rédacteur du Code Civil - est-il approprié dans les cas d'urgence?

Affirmer que les furieux doivent être mis en lieu de sûreté mais ne peuvent être détenus qu'en vertu d'un jugement est pour son successeur en 1823 « équivoquer sur les mots » (Lettre du ministre de l'Intérieur au Préfet de police, 2 septembre 1823, A.N., F15 148) : l'interdiction est une procédure longue, et de surcroit réservée à l'état « habituel » de démence, d'imbécillité ou de fureur.

Les hôpitaux parisiens, destinés au traitement, sont de facto exemptés ordinairement de telles formalités judiciaires (en 1821, Bicêtre compte 18 interdits sur 651 malades, la Salpêtrière 26 sur 1600); mais les aliénés de province sont couramment placés en prison dans l'attente du jugement qui autorisera la séquestration en hôpital, si toutefois il en existe dans la région.

La loi du 30 juin 1838 portera remède à ces insuffisances, mettant fin à ces « désordres qu'on ne peut réprimer, (ce) scandale qu'on ne peut empêcher, commis chaque jour par des insensés, libres à défaut d'asyle » (Lettre de la Commission pour l'amélioration du sort des aliénés au ministre, 29 novembre 1822, A.N., F15 148).

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BIBLIOGRAPHIE

(N.B. Les références complètes sont consultables sur la page "Bibliographie" du site)

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Sérieux Paul, 1903
Texier E.-A., 1852-1853
Trzebinski S., 1924
Vincienne Olivier, 1985
Vinot Préfontaine Jean, 1921
Weiner Dora B., 1980; 1988
Wunschmann, 1883 et 1891

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Michel CAIRE, Sabina VEIT, Une visite des établissements parisiens d'aliénés en 1808. Traduction et commentaires de "Über Kranken und Armen Anstalten zu Paris", Von Dr. August Friederich Schweigger. Mémoire dactylographié, 1996, 56 p.